🦄 Avion En Papier Qui Vole Comme Un Oiseau

Inspiréd'un rapace, l'autour des palombes, cet aéronef combine des ailes et les mouvements de sa queue pour voler en dépensant moins d’énergie. Objectif : voler plus longtemps qu'un drone Les moteurs de l'avion seuls ne suffisent pas à vous faire décoller, ce sont les ailes que vous devrez remercier. Avancer à grande vitesse ne vous empêcherait pas de retomber au sol !Imaginez un instant que vous vous trouvez avec un pistolet dans une main et une balle identique à celle qui est dans l'arme, dans l'autre main. Si, au même moment, vous laissez tomber la balle au sol et que vous tirez horizontalement avec votre pistolet, quelle balle touchera le sol en premier ? La tendance naturelle serait de dire que c'est celle que vous tenez en main, alors qu'en réalité, les deux balles touchent le sol au même moment. La balle que vous aurez tirée avec l'arme tombe exactement à la même vitesse que l' faites-vous décollerIl est très simple de recréer l'effet qui soulève votre avion dans les airs. Déchirez une bande de papier. Si vous prenez une feuille A4 ou du papier à lettres, et que vous la pliez en deux dans le sens de la longueur, alors repliez-la en deux dans le même sens et vous aurez le bout de papier idéal. Déchirez-le et tenez-le de façon à ce que l'extrémité la plus éloignée de vous pende dans le vide. Ensuite, mettez l'extrémité que vous tenez devant votre visage, juste sous vos lèvres. Enfin, soufflez de manière constante et continue le long du papier va se soulever et ne plus pendre. La portance va s'exercer sur le papier, comme sur l'aile d'un avion. Cette portance, comme nous le verrons, est due à l'air qui se déplace différemment au-dessus de la surface portée, ici votre papier, et en dessous. Dans votre expérience réalisée avec du papier, l'air ne se déplace pas du tout sous la feuille, mais c'est assez différent avec une aile d' la vitesse ne suffit pas. Il vous faut de la portance, une force verticale allant vers le haut pour contrer la gravité et soulever l'avion du sol. C'est le travail des ailes. Quand un oiseau bat des ailes, la source de cette poussée ascensionnelle est assez évidente. L'aile qui bat pousse l'air vers le bas et, comme pour le moteur de l’avion, la troisième loi de Newton applique une poussée vers le haut sur l'aile et soulève l'oiseau. Mais que se passe-t-il quand un oiseau plane, ou quand un avion décolle et que les ailes sont fixes et ne battent pas pour pousser l'air ? L'effet est assez le monde, il décolle environ un avion par seconde. Un siècle après ses débuts, l'aviation est devenu un moyen de transport parmi les plus sûrs. Comme un oiseau, un avion vole parce qu'il a des ailes, lesquelles génèrent une force appelée portance. L’université de Lille 1, avec le programme Kézako, nous explique ce principe dans cette courte vidéo didactique. © UniscielL'aile a été conçue avec une surface courbe pendante sur le dessus. Comme avec votre feuille de papier, quand l'air souffle sur cette forme courbée, il en résulte une force de portance qui pousse l'aile vers le haut. La forme de l'aile, appelée profil ou surface portante, transperce alors l'atmosphère et dévie le courant d'air vers une autre direction. Comme la surface portante exerce une force sur l'air revoilà la troisième loi de Newton, l'aile est poussée dans la direction opposée. Notons que pendant longtemps, l'explication la plus commune de la portance d'un avion était effet, vous avez peut-être entendu dire que les ailes ont une forme particulière qui fait que l'air parcourt une plus grande distance au-dessus de l'aile que celle parcourue en dessous. Comme l'air a une plus grande distance à parcourir au-dessus, d'après cette explication, les molécules d'air iront plus vite pour ne pas se laisser distancer par l'air qui passe en dessous, ce qui aura pour effet de réduire l'air qui passe au-dessus de l'aile. Et s'il y a moins d'air quelque part, la pression sur la surface supérieure chute. Ce qui implique que l'aile ressentirait une poussée vers le un changement de vélocitéIl est vrai que si l'air se déplace plus vite au-dessus de l'aile, cela générera une portance, mais la différence de longueur entre les deux chemins possibles n'a rien à voir avec cela. Il n'y a aucune raison pour que l'air qui passe au-dessus essaye de rattraper l'air passant en dessous. Il se trouve d'ailleurs que la vitesse à laquelle se déplace l'air passant au-dessus de l'aile est plus grande que nécessaire pour rattraper l'air passant en dessous. Cet effet n'a rien à voir avec la différence de longueur entre le dessus et le dessous de la surface portante. Cela dépend de la manière complexe dont un fluide comme l'air se bien comprendre ce qui se passe, il nous faut d'abord revoir brièvement la seconde loi de Newton la force de pesanteur est égale à la masse multipliée par l'accélération. S'il y a une accélération, il doit y avoir une force. Mais qu'est-ce que l'accélération ? On pense généralement qu'il s'agit d'un changement de vitesse. Aller de 0 à 60 en 6 secondes, par exemple. L'accélération est en réalité un changement de vélocité, et non un changement de vitesse. La différence entre les deux est que la vélocité se compose à la fois d'une vitesse et d'une direction. C'est ce que l'on appelle un vecteur. Tout changement de la vélocité est une accélération, même si la vitesse reste la même et que seule la direction a été modifiée. Quand un objet décrit un cercle à vitesse constante, il accélère, et pour ce faire, l'accélération nécessite une donc l'air passant autour d'une aile. Il change de direction car il passe par la surface supérieure bombée. Cela veut dire que l'air accélère, et quand il redescend en suivant la forme de l'aile, l'accélération est vers le bas. Une force vers le bas est appliquée sur l'air par l'aile, et l'air exerce une force égale et opposée vers le haut sur l'aile. Ilpeut d’ailleurs atteindre 100 mètres de hauteur et pousser des pointes à 20 km/h. Le drone oiseau est léger et silencieux : il peut également voler en intérieur si sa queue est réglée sur le mode « lent ». Il plane et il vole comme un vrai volatil. Bionic Bird est un gadget high-tech qui se pilote depuis son smartphone. Æài&è "^ëjç- W 1 Mâ î ; no U'X*~ Le- &4Aav K-evfeJtaA P^c, An^c-l-TrAo utvÿ QoUÿmc- / ''cceeejotC^ cAùa a, >nc- Let- c^Az-n^cJtezA- et- 9 aUy rve lc~ te-ceeexAAr’ • C&. —t—- *nJn-*c^rne-rve—~ 9-c— v&&c£J at-7n*.Z&t- 2^sc ^£s t Hz,c0^vZïé^- P-e— vey? P/tbcJio 06cec~Jy*e— vCtte— jb 1/tLc*- Qèj ftes P*c- Lee- yn^etPn^ Qd-tvC- cA-to-t—• $ ne fe- mé-me JeenJti wvconA^- tz- ^tzoï- Alt? 1^*0 . ^ ne— *rie~ y né tte^ra— po*o m~; cJ&K C£4> a9 >rvi naA&— jp a>e AI tfï fcy Z£— J^Ueo 9anu? acîZ& iPAt— -& 4 {_^ j u ' cno JOie&ie^AP?* combien tel ouvrage,à corne coûtera de pieds cubes vivans ; suspendre une bombe et la mort au bout d’une savante parabole,- et compter les milliers d’hommes destinés à périr pour convertir une ville florissante en un monceau de pierres, et ensevelir sous ses ruines ses habitans. Tout fuit, tout plie devant elle. Les peuples les plus éloignés de l’Europe se retirent dans l’intérieur des terres pour conserver leur liberté. Us se cachent dans l’épaisseur des bois, et sont forcés de mettre des déserts entre eux et nous. Ce n’est qu’ainsi qu’ils se dérobent à notre science vorace, qui engloutirait le globe entier, si sa grandeur et son volume, ÉlOGE DE ROUSSEAU'. 27 au-dessus clë uos forces et non de nos désirs, n’y mettaient un obstacle invincible. Et, revenant à ces sauvages dont j’ai parlé d’abord, je dirai que, si des actes de férocité souillent leur ignorance, si quelquefois ils barbouillent leurs Manitous ou leurs idoles du sang de leur ennemi, plusieurs nations civilisées ont offert à leurs dieux des victimes humaines qui n’étaient pas leurs ennemis que si le sauvage finit par donner à son prisonnier son estomac pour tombeau, dans l’Inde, qu’ont éclairée les Brames et les Gymno- sophistes, on brûle vives, sans profit pour personne, les épouses chéries sur le tombeau de leurs maris. Une coutume aussi atroce ne pouvait prendre naissance que dans la première patrie des sciences ; car c’est de l’Inde que les Égyptiens ont emprunté la lumière ; ils l’ont transmise aux Grecs , les Grecs aux Romains, et les Romains à nous que les aulo-da-fés doivent avoir la préséance sur les feux qu’allume une peuplade pour rôtir et manger son prisonnier de guerre que si des crânes dépouillés , des chevelures ensanglantées, tapissent la hutte du sauvage comme trophées de sa victoire, Rome savante célébrait celle de ses généraux par le meurtre et le carnage que des milliers d’hommes étaient obligés de s’égorger entre eux, de se déchirer de leurs propres mains sous les yeiix des citoyens de Rome, et même de tomber et mourir avec grâce, pour ajouter à leur plaisir que ces jeux sanglans s’accrurent avec la politesse et les lumières que de dix ou vingt paires de gladiateurs dans l’origine, le nombre en fut porté jusqu’à dix et vingt mille que ces spectacles de sang faisaient les délices de Rome civilisée et florissante ; que le peuple romain éclairé, policé, était un tigre qu’on ne flattait, ü8 ELOGE DE ROUSSEAU. qu’on ne fléchissait, qu’on ne gagnait qu’avec du sang que les magistratures ne s’achetaient de lui qu’avec du sang que toutes les chaises curules étaient baignées de sang que l’édile chéri du peuple n’était que le bourreau qui avait frappé le plus de victimes , et que la grandeur des jours de fête à Rome se mesurait sur le nombre et la largeur des ruisseaux de sang humain , qui de toutes parts s’écoulaient des arènes des. amphithéâtres que pour comble d'horreur, la jeune noblesse de Rome quittait le matin la lecture de Cicéron, de Virgile ou d’Horace, pour aller en troupe voir les malheureux blessés, mutilés, échappés à la boucherie de la veille , et les forcer à s’achever les uns les autres que c’était là, pour ces jeunes hommes, amollis par les délices et accablés , de leur oisiveté , un des moyens imaginés à la fois pour tuer le temps, en attendant l’heure du repas,, et pour exciter leur appétit, que tout l’art des Àpicius avait peine à réveiller. Ce passe-temps me parait laisser bien loin derrière lui les jeux cruels de ces enfans de la nature , obéissant à des idées bizarres de courage , d’honneur et de constance, et tellement asservis à des usages conservés parmi eux, que leur prisonnier de guerre, selon les circonstances, est ou disséqué , mutilé , tourmenté, oit revêtu, dans un carbet, des droits d’ami et d’époux et de père. Si l’on m’objectait que ce ne sont là que les abus de la science, je renverrais à tous les résultats de l’histoire ils nous attestent que les hommes en ont toujours et partout abusé or, quand l’abus est certain , inévitable, inséparable de la chose, alors il' n’est plus un abus-, mais une propriété qui lui est inhérente. U ai 3S [U le rs la de se i > ir la er tes de as,^ les ips ux à de 311 - re, lé, oits les tats nés bus se, iété lélOGE »E 1 .- 3 . ROUSSEAU* SQ Je pourrais ajouter une troisième division, c’est celle des pauvres et des riches. Nous y trouverons comme dans les deux premières, que pauvre coïncide toujours avec ignorant et opprimé, comme riche avec oppresseur et savant. C’est cette dernière portion du genre humain, presque imperceptible en la comparant à l’autre, qui dispose de tout eu Europe et sur toute la terre. Si nous n’étions pas nés au milieu de cet ordre de choses , que nos yeux n’y fussent pas accoutumés, nous le trouverions monstrueux. Nous sentirions vivement combien l’état social est un état contre nature, un état forcé, une situation violente. Comment les hommes s’y sont-ils laissé engager? La cause en est évidente. Le partage des terres et la propriété peuvent être regardés comme la première infraction des lois de la nature, et la première origine de tous les maux qui désolent l’espèce humaine. La propriété entraîne à sa suite l’agriculture et les arts , qui produisent les lois et la société civile , l’inégalité des fortunes et dés conditions d’où naissent, par le loisir et la contemplation , lès sciences j la culture de l’esprit, les arts de luxe, la cupidité , l’ambition , l’avarice, toutes ces passions terribles qui jettent l’homme hors de lui-même, l’irritent, le fascinent, l’enivrent et le poussent aux plus déplorables excès. A cette fatale propriété vient s’attacher cette longue chaîne de calamités et d’injustices qui embrasse à la fois les oppresseurs et les opprimés , et qui, d’un pôle à l’autre, couvre la terre de deuil, de larmes et de crimes. Cependant je ne contesterai point l’utilité des connaissances humaines, ni les prérogatives qui heur sont attachées. Si Rousseau eût porté le scep- 5o ÉLOGE DE ROUSSEAU. licisme jusqu’à les révoquer en doute, je lui dirais Demandez aux Anglais de quel droit * ils régnent au Bengale , et s’approprient les tré- sors du Mogol et de l’Inde ? Us vous répon- dront, du droit du plus habile, du droit que donne la supériorité des talens. Demandez à la cour de Piome tout ce que lui ont valu, pour prix de ses lumières, la vente des dispenses , des grâces , et le commerce de ses reliques et de ses indulgences. Demandez aux jésuites à quoi ils doivent la domination et l’empire qu’ils avaient acquis au Paraguay. Demandez à l’église le fruit qu’elle a retiré de sa pénétration , lorsqu’au temps des croi- sades elle excita ce pieux bouillonnement dans une partie de l’Europe, et qu’elle souleva et poussa l’occident sur l’orient. Demandez-lui, comment elle a su convertir les terreurs de l’autre vie en abondance et en délices dans celle- ci ; tout ce qu’elle a obtenu des consciences alar- méeset craintives, enlegs,fondations, donations, € expiations ; combien de terres reçues en échange du domaine céleste par quel art profond et soutenu elle a su extraire, d’une religion dont l’essence est le sacrifice perpétuel de l’amour- propre , l’abnégation de soi-même et le renon- cernent aux vanités et aux gras deuils humaines ; * honneurs, faste, dignités , pompe et magnifi- cence ; d’une religion dont le royaume n’est pas * de ce monde, le droit de s’approprier les royaumes de la terre, de les confisquer ou de les distribuer à son gré ; par quel prestige s’est opérée la trans- formation merveilleuse d’une religion fondée sur la simplicité, la pauvreté, l’humilité, én une monarchie universelle. ÉLOGE DE ROUSSEAU. 5l Demandez aux gens de loi, aux praticiens, et k cette foule de jongleurs dans tous les genres et de tous les états , quelle source pour eux de richesses que leurs doctes cabinets, quelle mine féconde que ces savans commentaires , ces énormes compilations , et cet amas immense de volumes sur les lois, la médecine, l’al- chimie, et toute la valeur et l’étendue de l’impôt que lèvent tant d’habiles gens sur le citadin cré- dule et l’ignorant villageois et vous ne pourrez nier que la science ne soit fort utile ceux qui lu possèdent. » Nous ne pouvons méconnaître qu’il est une grande loi qui régit l’univers ; cette loi est la force. Dans l’état de nature, la force du corps donne tous les avantages, et dans l’état de, société, c’est la force de l’esprit qui les procure. Ainsi le droit naturel primitif et antérieur à tout autre , c’est le droit du plus fort. Les grands entendemens dévorent les petits sur la partie solide de ce globe, comme le volume supérieur de l’habitant des eaux vit aux dépens du volume inférieur. Mais, pourrait-on me dire, ce ne sont pas des savans qui ont renversé l’empire romain. Je ne répondrai point que les barbares firent justice de cet empire, élevé par la violence sur les ruines du droit "de toutes les nations. Je ne dirai pas que la fin que se proposa Rome était digne de son origine ; que fondée par des brigands, elle avait presqu’à sa naissance formé le projet de piller l’univers connu , et de se l’approprier , qo’elle l’exécuta que l’esprit et la forme de son gouvernement ne fut, pendant mille ans,, qu’un système raisonné profond et suivi, d’oppression , de vol et de rapine que les Romains n’ont été que 32 ÉLOGE DE HOPSSEAU. d’illustres flibustiers qui ont exercé sur la terre , et en grand, le métier de pirates, et que les sauvages du nord ne firent que venger les nations, et punir de grands crimes par un grand revers; tout cela serait étranger à mon sujet mais je dirai que cette objection, bien loin de nuire à ma cause, est toute en sa faveur. Et d’abord, la plus vaste domination qui ait jamais existé, effacée de dessus la terre par des essaims de barbares, est un événement unique dans l’histoire. Les Tartares conquérans de la Chine ne peuvent, sous aucun rapport, lui être comparés. Mais aussi de l’histoire, que connaissons-nous ? Trois ou quatre mille ans, si imparfaitement encore , que presque toute cette durée , à quelques siècles près, ne nous est parvenue que défigurée par des fables et des prodiges, ou altérée par l’ignorance, les passions et la mauvaise foi. Pour l’éphémère , un jour est la plus longue vie pour l’homme , quatre-vingt ou cent ans et pour l’espèce humaine, créée peut-être sur ce globe de toute éternité, des millions d’années peuvent n’être que des fractions infiniment petites de sa durée. Qu’est-ce donc que quatre ou six mille ans ? Nous touchons aux temps qui nous paraissent les plus reculés, et nous sommes presque contemporains de Sanchoniathon, d’Hérodote/et d’Homère. Il est une histoire des hommes , exempte d’erreurs et de mensonges, une histoire fidèle, conforme à la nature des choses et à la vérité éternelle c’est celle que le philosophe peut en faire d’après des observations réfléchies sur ce qui se passe sous ses yeux, sur ce qu’il voit de cette histoire, et le peu qui lui en est connu par les livres. ÉtoeE de BorssEir. 35 Ce globe, sa contexture , la nature de l’homme , voilà les données dont il faut partir. Les mêmes élémens donnent toujours les mêmes résultats quels que soient la variété et le nombre de leurs combinaisons, ce nombre est circonscrit ; et les mêmes intérêts -, les mêmes passions ramènent les mêmes événemens, comme les générations qui se succèdent sont le modèle des générations qui se succéderont encore. Les hommes sont ce qu’ils ont été et ce qu’ils seront toujours. L’histoire décrit un grand cercle ; elle le recommence quand elle l’a fini, pour le finir encore et le recommencer. Les grands cataclysmes, et les révolutions du globe, en accélèrent ou retardent la marche. Nous ne connaissons que quelques degrés d’un de ces cercles immenses l’un de ces fragmens nous apprend que Rome succomba sous des peuples gros- siers et des Scythes farouches mais les identités qu’amène nécessairement la révolution des siècles, nous conduisent à la certitude que de semblables événemens sont arrivés une infinité de fois dans des temps antérieurs. D’après la loi observée ci-dessus, le droit de la force physique et le droit de la force morale passent donc et repassent alternativement des savans aux ignorans, et des peuples barbares aux nations policées. Ces échanges s’exécutent à de très-longs intervalles, que la faible étendue du compas de notre histoire ne permet pas de mesurer. Il se fait comme un perpétuel balancement entré ces deux forces. L’effort de l’homme pour sortir de sa primitive et heureuse ignorance, cet effort contre nature est le principe qui détermine ces balancemens; il est le premier mobile de cette grande mécanique, et le centre de scs oscillations et de son activité. 54 Éloge de rogsseaü. Les sciences, ce produit des institutions sociales, commencent par ajouter une grande force aux forces naturelles de l’homme à sa force morale par le développement et la combinaison des idées, et à sa force physique par les arts mécaniques. L’usage qu’il fait de ces nouvelles forces, nous l’avons vu, c’est de dominer, d’envahir, d’usurper; mais le luxe et la mollesse, enfans de la science, détruisent à la longue les forces naturelles, base et soutien des forces sociales. Le corps politique, miné sourdement par la dépravation des mœurs, conserve encore toutes les apparences de la vigueur et de la santé. C’est à cette époque que Rome produit des chefs-d’œuvre en tout genre. Il semble même que le génie des Catulle, des Tibulle, des Horace, s’alimente des excès de la corruption; et les forfaits de Catilina deviennent la principale gloire de Cicéron coinmè orateur et comme magistrat. Mais bientôt Suétone et Tacite vont sonder ce corps malade, pénétrer au delà des apparences, nous en révéler les turpitudes, la grandeur du ravage intérieur, et marquer les degrés de son déclin rapide. Les temps d’atticisme et d’urbanité en sont toujours les avant-coureurs; et un empire n’est jamais plus près de sa ruine que lorsqu’il jette le plus d’éclat. Alors des sauvages, sans discipline, sans science, couverts de fer, armés de leur courage, s’avancent et le menacent; et le colosse, vermoulu au dedans, ruiné de toutes parts, s’écroule au premier choc. La force physique arrache aux nations policées leur avantage elle frappe et renverse la construction civile; et les peuples énervés, amollis, fondus sous la science, n’opposent presque aucune résistance. Les agrestes conquérons parcourent ensuite éloge de kodsseatj. 35 - tous les degrés de la civilisation, jusqu’à ce que, vaincus par les mêmes causes * ils deviennent à leur tour la proie de nouveaux barbares. Ce qui est arrivé aux Romains arrivera aux Européens leurs vainqueurs. Nos places fortes et notre artillerie ne nous garantiront pas d’une catastrophe inévitable, qui a dû se répéter dans des temps antérieurs comme elle se répétera dans les siècles à venir. Les sciences sont donc funestes à l’humanité sous un double rapport ; elles ont le double inconvénient de donner d’abord à l’homme une énergie et des forces factices dont il abuse, et de le réduire ensuite à un état honteux de nullité, lorsqu’il s’agit d’une légitime défense et de la protection de ses propres foyers de le rendre fort quand il devrait être faible, et faible quand il devrait être fort. Im A puissantes pour la vertu, les sciences n’ont d’activité et de force que pour commettre des injustices et des crimes. Il résulte invinciblement de là qu’on doit les regarder comme une espèce de maladie endémique qui attaque toujours un cinquantième environ de l’espèce humaine, et qui fait lentement lé tour du globe. Je quitte ici le ton de l’éloge, et je prie mes lecteurs de bien réfléchir à ce qu’ils viennent de lire; ils en verront sortir comme une conséquence nécessaire tout VEssai qui précède sur le Bonheur car si la science ôte à l’homme les heureuses dispositions qu’il a voit reçues de la nature, si elle le rend ou méchant ou faible, pusillanime, vicieux, et par conséquent malheureux, l’absence de toutes les lumières acquises par la réunion des hommes en société régulière doit produire des effets opposés ; et en effet rien n’est mieux constaté, comme nous .56 ÉlOCË DE KOÜSSEAT', l’avons ' u, que les peuples agrestes et restés près de la nature, sont bons, simples, affectueux, étrangers à toutes les turpitudes et à tous les excès qui souillent l’histoire des peuples policés. Les philosophes du siècle dernier, et, à leur tête, celui dont nous faisons l’éloge, ont chanté de concert la Vie sauvage. Ils n’étaient point appelés à chanter l’homme de la nature; ils ne devaient point se déclarer pour lui, puisqu’ils ne connaissaient point les considérations et les motifs qui pouvaient déterminer et fixer à cet égard leur opinion, leur préférence, leur affection; c’est une très-belle cause qu’ils ont fort mal défendue. Le moyen sur lequel ils reviennent sans cesse est la liberté dont jouit le sauvage, c’est leur éternel refrain ; ce sont des hommes impatiens du joug; on voit que c’est l’humeur qui les domine, et que leur éloge de la vie sauvage est semblable à celui que T acite faisait des -Germains; c’était des deux côtés une satire indirecte, l’un de la dépravation des mœurs de Rome, les autres des entraves qui embarrassaient leur marche , et des liens dont ils se croyaient garrottés par lès gouvernemens. Certainement nous ne sommes pas assez absurdes pour dire aux nations policées Remontes à l’origine des sociétés ; abjurez vos sciences, vos arts, allez habiter des cabanes, redevenez ce qu’étaient vos ancêtres, ignorons, inno cens et heureux ; non, mais je veux présenter aux philosophes et aux scrutateurs de la nature humaine un sujet des plus profondes méditations je les inviterai à nous dire pourquoi et comment il a pu être permis à l’homme innocent et heureux de devenir coupable et malheureux ; ce passage est l’effet nécessaire du développement de ses facultés mais pourquoi ce développement, qui au premier ÉLOGE DE ROUSSEAU. . coup d’œil paraît un avantage, donne-t-il un résultat si funeste ? comment, en tombant clans cet état de dégradation, parvient-il à tous ces briïlans avantages qui décorent la civilisation ? comment se fait - il que ce soit la chute même qui produise ce noble essor ; car nous n’avons cessé de faire voir que les plus belles productions de l’esprit humain appartiennent à l’état de décadence, de vice, de corruption et de malheur, à cet état que nous venons de nommer dégradation. L’homme s’élève pour descendre, il descend pour s’élever; voilà des questions auxquelles ni les anciens philosophes , ni les modernes n’ont pas seulement songé, et je ne crois pas qu’il en existe de plus importantes et en même temps de plus difficiles à éclaircir. Je reprends mon éloge, et je reviens à toi, ô grand homme ! Si je ne puis te louer dignement, si ton éloge est au-dessus de mes forces, accueille du moins l’hommage que je rends à ton idée première, à cette idée fondamentale qui t’a inspir toutes les autres, et t’a conduit à tant de vérités et de vues utiles au genre humain. Cette idée première est peut-être une grande vérité, mais que nos yeux, éblouis par l’éclat que jettent les monumens de l’ordre social, ne peuvent apercevoir ni reconnaître peut-être aussi qu’elle porte sur des profondeurs qui n’ont point encore été assez éclairées ni sondées. Cette grande question reste donc indécise, et le doute Teste dans toute sa force. Presque tous les grands hommes ont été obsédés, et en quelque façon tourmentés par une grande et première idée qui les a toujours suivis, qui a donné sa teinte ou sa couleur aux actions et .aux pensées de leur vie entière, et dont elles n’ont 38 ÉLOGE DE ROUSSEAU’* été en quelque sorte que le développement. Qui ti sait si ce guide surnaturel, connu sous les noms si de démon, d’ange ou d’esprit familier, est autre a chose que cette idée génératrice qui travaille les c hommes de génie malgré eux et presque à leur i- n sçu? -Rousseau ne pensa, ne sentit, ne fit rien. fi comme personne. Faut-il s’en étonner? Son idée c dominante était antisociale; elle explique ce plié- 1’ nomène. Sa vie entière'n’est qu’un grand contraste, jS Éloge de j. ~.i. rocsseait. 5g térieux dans sa bouche, et ce n’est pas sans dessein, et sans beaucoup d’art et d’adresse, qu’il en a laissé l’idée cachée derrière une acception vague et incertaine. Peut-être qu’en y regardant de près nous apercevrions que son traité d’éducation n’est fondé sur aucun principe déterminé ; semblable à ces masses imposantes, et à ces cintres hardis de l’architecture arabesque, qui paraissent suspendus dans les airs , et ne porter sur rien ; que l’Emile est un superbe monument sans base; et qu’une définition du mot de nature nous aurait privés d’un chef-d’œuvre. L’homme ne s’est pas fait lui-même ; il est jeté ici-bas ; il y arrive, il en part sans être consulté il naît, il meurt, sans que sa volonté entre pour rien dans ces deux actes importans, entre lesquels sa volonté et sa vie même se trouvent renfermées, comme entre deux limites, au delà et en deçà desquelles on ne conçoit ni volonté ni vie. L’homme, est donc l’ouvrage de la nature ; il est impossible de le concevoir dans aucun instant de sa durée, dans aucun de ses états, dans aucune des circonstances par lesquelles il passe, que sous l’empire dé la nature il est incessamment sous sa main; il ne peut lui échapper. Il y est errant dans les forêts comme au sein des villes policées; et le Hottentot couvert d’une graisse fétide, et le sultan au milieu des parfums de l’Orient, et le Kamt- chadale mangeant la vermine qui le dévore , et Antoine et Cléopâtre dévorant des provinces entières dans un de leurs repas, et le stupide Sa- inoïède , et le philosophe en méditation, sont également des êtres naturels. Qu’a donc entendu Rousseau par ce mot nature ? Je conçois, par exemple, que si l’on trouvait dans EIOGE DE ROrSSEAU. 40 des grottes profondes des horloges toutes faites , comme on y trouve des stalactites, en comparant une de ces horloges avec celtes qui sortent de la main des hommes, on dirait avec raison que l’une est l’ouvrage de la nature, l’autre celui de l'art. Je conçois qu’on peut appeler les énormes rochers qui environnent l’Helvétie, des fortifications naturelles, pour les distinguer de celles que les hommes élèvent autour des places fortes. Mais je ne sais pas du tout ce que c’est qu’un homme non naturel. Tout est naturel dans l’homme, et lui seul est la source de l’art; et dans ce sens l’art appartient à la nature , mais non d’une manière immédiate. Je ne saisis donc point encore jusqu’à présent le fondement de cette distinction. Si quelqu’un avait dit à Rousseau Qu'entendez-vous far ia nature ? donnez-en une définition claire et précise; on peut croire qu’il eût été fort embarrassé ilaurait peut-être répondu avec ingénuité Il y a trente ans que je cherche la nature, je ne l’ai pas encore rencontrée. Si ce questionneur importun eût été plus loin et l’eût pressé, en lui disant La for- mation des grandes sociétés politiques, lesinven- tions humaines dans les arts, les découvertes . dans les sciences, ne sont autre chose que le développement des facultés naturelles à l’hom- ' me. Selon votre opinion sur la nature, il arri- verait au contraire que l’homme, en développant ses facultés naturelles, s’éloignerait de la nature. '4 Expliquez-nous pourquoi ces premières ébau- ches de l’état social, qu’on aperçoit dans les i hordes agrestes et sauvages, sont plus naturelles c que les organisations politiques et savantes qui * ont pris naissance dans ces ébauches, et par les- ÉLOGE DE ROLiSSI'AtT, 4 1 quelles les hommes n’ont fait qu’obéir à une loi. de perfectibilité qui leur est propre. k Expliquez-nous comment et pourquoi fignole rance serait plus naturelle que le savoir pour- quoi toute perfection ajoutée à la grossièreté primitive des hommes errans dans les forêts c est contraire à la nature. Est-ce que le temps, l’expérience et l’observation ne seraient pas des choses naturelles ? Et les connaissances acquises par ces moyens dans le grand livre de la nature, et les progrès en tout genre qui leur sont dus, seraient-ils contraires à la nature? La nature serait-elle en opposition avec elle-même ? Dire, » comme vous le faites, que l’homme qui cède à l’impulsion de la natüre en marchant de pro- grès en progrès, s’éloigne de la nature et se détériore, n’est-ce pas dire en d’autres termes que l’homme, en se perfectionnant, sedéperfec- lionne, et par conséquent proférer de toutes les absurdités la plus choquante ? » Ne nous hâtons pas de prononcer. Écoutons Rousseau lui-même Il y a plus d’erreurs dans l’a- cadémie des sciences que dans tdutun peuple de Durons plus les hommes savent, plusils se trom- pent le seul moyen d’éviter l’erreur est I’igno- rance ; c’est la leçon de la nature aussi-bien que de la raison 1. » D’où nous pouvons argumenter ainsi. L’intelligence du sauvage, tout stupide soit- il, est encore un peu supérieure à celle de la brute. Il peut errer en raison de cet excédant d’intelligence. Pour éviter l’erreur, renforçons donc l’ignorance. En castor se trompera moins qu’un Huron. Ainsi, faisant la Substitution de castor à i Livre III à'Émile. I. 2- ELOGE DE ROUSSEAU. 42 Huron , nous aurons une société de castors fort supérieure à une société d’académiciens , et la i nature et la raison viendront elles-mêmes sanctionner cette supériorité. Mais comme le castor vivant en société est souvent poursuivi, inquiété par les hommes , qu’il est sujet à voir sa petite république dispersée et détruite, et qu’il peut en ressentir de la douleur, et de là tomber dans des erreurs proportionnées à son excédant d’intelligence sur celle de l’huître; substituons encore huître à castor, et nous aurons, par une conséquence très-légitimement déduite, ce résultat La condition de l’huître est supérieure et préférable à celle de Montesquieu ou de d’Alembert. Si l’on voulait une nouvelle preuve de la légitimité de ces substitutions, ouvrons le discours sur l’origine de l’inégalité des conditions. Rousseau répond à l’objection qu’on lui fait, que rien n’est si T misérable que l’homme dans cet état d’ignorance, objet de ses regrets et de ses préférences, et il dit Si j’entends bien ce terme de misérable, c’est un mot qui n’a aucun sens, ou qui 11e signifie qu’une privation douloureuse, et la souffrance du corps ou de l’âme. Or, je voudrais bien qu’on m’expliquât quel peut être le genre de misère d’un être libre dont le cœur est en paix et le corps en Santé. Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent? Nous ne >— voyons presque autour de nous que des gens qui j se plaignent de leur existence ; plusieurs même * qui s’en privent autant qu’il est en eux ; et la réunion des lois divines et humaines suffit à peine pour arrêter ce désordre. Je demande si jamais * on a ouï dire qu’un sauvage en liberté ait seu- ÉLOGE DE ROUSSEAU. 43 îement songé àse plaindre de la vie et à se donner , la mort? Qu’on juge donc avec moins d’orgueil de quel côté est la vraie misère. » Substituons encore ici huître à sauvage ou être libre, et nous verrons que le même raisonnement subsiste, et devient même plus, pressant et plus solide. L’huître est un être libre , maître de choisir le rocher auquel il veut bien s’attacher. Là , son cœur est en paix et son corps en santé. Sa vie naturelle ne lui devient jamais insupportable. Jamais on n’entendit l’huître se plaindre de son existence. Jamais on n’a ouï dire qu’une huître se soit donné la mort. Lorsque Brutus et Caton , victimes des institutions sociales, portèrent sur eux-mêmes des mains furieuses , et ne se délivrèrent de la vie que parce que l’horrible tourmente des passions , qu’ils ne devaient qu’à leurs lumières , la leur avait rendue insupportable , de quel côté , de l’huître ou de Caton, est la misère? Ici nous touchons à un abîmeque Rousseau a le premier découvert, mais qu’il n’a pas sondé. 11 s’élèvera peut-être un jour un génie puissant qui le sondera , et donnera une solution naturelle de cette terrible difficulté. Alors la gloire de Rousseau sera plus grande encore s’il est possible ; car c’est à lui que sera due cette solution, comme à celui de tous les philosophes qui a fourni le plus de matériaux à l’activité de la pensée. Ce grand homme sera à ce génie ce que Képler et Galilée ont été à Newton. C’est donc encore ici une des singularités de cet homme extraordinaire , que le plus remarquable de ses ouvrages , VÉmile , soit précisément celui qui ne porte sur rien, ou du moins que sur une idée fugitive qui échappe lorsqu’on veut la saisir. De 44 ÉLOGE DE ROUSSEAU. toutes les productions de Rousseau, YÉmite est la plus étonnante elle doit y tenir le premier rang; c’est celle où il est le plus véritablement lui-même ; elle porte la vive empreinte de son génie. L 'Émile est l’ouvrage le plus philosophique , le plus léger, le plus utile, le plus déraisonnable, le plus décousu, le plus profond , le plus dangereux et le plus éloquent qui soit jamais sorti d’aucune tête humaine. Il étincelle de beautés, de défauts , de contradictions', d’écarts et de génie. II s’y est fondu tout entier, lui et toutes ses pensées. Sa manière de les rendre est aussi neuve et aussi originale que ses idées mêmes. Il sait donner un caractère de nouveauté aux idées même les plus communes, soit en les environnant d’un accessoire inattendu , soit en les liant à des rapports fins et habilement saisis. Son expression est toujours fidèle, elle peint sa pensée ; elle est précise , vive et rapide. Sa manière de voir n’est qu’à lui. Il n’attaque pas une idée qu’il ne la retourne dans tous les sens, et ne la fasse considérer sous quelque jour nouveau. Tous les genres de beautés répandus dans ses divers ouvrages, se trouvent réunis dans Y Emile. Il y a dirigé cet objectif qui lui est propre sur presque tous les sujets qui ont occupé sa pensée. la Émile est un tout composé de parties hétérogènes. On y trouve des élémens de psychologie ; les principes du droit naturel et politique , les mêmes que ceux du Contrat social; des tableaux charmans pleins de fraîcheur et de volupté ; tout ce qui a été écrit de mieux raisonné, de plus profond et de plus éloquent sur la révélation et le théisme ; et enfin, par un de ces traits qui caractérisent l’auteur, l’éducation, dont cet ouvrage est rpa traité, en est la plus faible et la moindre partie éloge de rousseait.. 45 Il était de tous les hommes le moins propre à y réussir. Un pareil ouvrage exige une tête froide, et il l’avait ardente ; une timide circonspection, et il brise et renverse tout ce qui s’oppose à son passage. Le cours de ses pensées est une lave brûlante qui consume tout ce qu’elle rencontre sur son chemin, jusqu’aux plus prudentes maximes d’éducation du sage Locke qu’elle n’épargne pas. Toujours outré , portant tout à l’extrême, franchissant toute limite. Telle fut la magie de son style et de son éloquence , qu’il n’eût jamais un appréciateur tranquille déchiré ou adoré , la destinée de cet homme célèbre fut de ne créer autour de lui que des enthousiastes ou d’ardens détracteurs 1. Au nombre de ses enthousiastes, on compte surtout la foule des esprits faibles , que tout ce qui est extraordinaire entraîne , subjugue, et qui sont plus sujets que les autres hommes à se passionner, à s’enivrer d’une admiration absolue, exclusive 2. i Pour porter un jugement de cet homme unique, il ne faudrait l’avoir vu, ni de trop près, ni de trop loin. Ceux qui ont vécu avec lui n’inspirent aucune confiance. Ce sont , je liai dit, des détracteurs ou des enthousiastes, ou des hommes sans tact. Comme une femme serait bien jugée , si on ne tenait son portrait que de ses rivales ou de la main de son amant ! Lui-même et ses mémoires sont un guide fautif; il est trop près de lui pour se. juger. Quoique j’aie beaucoup vécu avec lui, j’ai cherché à me placer dans ce juste milieu dont je viens de parler. Combien, dans ce nombre, de pères de famille à qui ce traité d’e'ducation a fait .manquer"l’éducation de leurs en- lans, et coûté le repos de leur vie ! Us ne s’en sont jamais pris à la méthode , mais à ce que la méthode n’avait pas été bien suivie. Si Rousseau a épargné dés larmes aux enfans , il en a fait verser beaucoup aux mères. 46 ÉLOGE DE ROUSSEAU. Le champ des opinions purement spéculatives est vaste. On peut s’y égarer sans inconvéniens. Il n’en est pas de même lorsqu'il s’agit d’appliquer des principes à un sujet aussi important que l’éducation. L’art de former des hommes est le premier des arts. Il est le fondement de l’ordre social, qui ne subsiste que par lui, et ne repose que sur lui. Les erreurs en ce genre peuvent avoir les suites les plus déplorables. La méthode de Rousseau est aussi dangereuse, à quelques égards, qu’elle est admirable à d’autres. Elle demande une grande supériorité de talent pour en extraire ce qu’elle a de bon , et pour en faire usage. Semblable à ces substances qui sont à la fois et poisons et remèdes, et qui ne doivent être administrées que par un médecin sage et expérimenté. Rousseau est parti d’un modèle bien simple en apparence, ta nature; mais il le poursuit à travers tant d’exagérations ; ce modèle se complique et s’étend à tel point, en passant par cette tête féconde et merveilleuse , qu’il se trouve à la fin que la formation de son agreste et ignorant élève, est d’une exécution plus difficile que celle des hommes qui ont éclairé et policé le monde 1., Mais que fais-je ici ? Je relève des fautes ; je relève des taches.'Et où est le mérite? Qui ne les aperçoit pas? Tout est saillant, tout est grand dans les ouvrages des grands hommes , et les beautés et x Comment d’ailleurs , ennemi de la société civile, eût-il réussi à tracer un plan d’institution convenable à un membre delà société civile ? Etr de plus, en choisissant, comme il le conseille, la nature pour instituteur, n’est-ce pas risquer de voir l’élève e'n cheveux gris , n’être encore qu’aux élé- mens? Dans une apparition aussi courte que celle de l’homme sur la terre, il n’a point de temps à perdre pour s’instruire. jkOGE DE ROUSSEAU. 47 les défauts. La médiocrité seule sait compasse'r artistement ses œuvres tout y est vrai, tout y est juste. Les taches y sont imperceptibles. Loin de moi ces productions parfaites. Leurs auteurs excellent à enchaîner entre elles des vérités communes et incontestables. Ce sont des gens qui me promènent dans l’intérieur de ma propre maison. O combien j’aime mieux m’égarer et me perdre avec celui qui me fait voir de nouveaux cieux et de nouvelles terres ! Aigle audacieux, il plane, il s’élève, il descend, il tombe, il se relève ! - L’idée génératrice de Rousseau, qui, comme jè l’ai dit, se retrouve dans toutes ses productions , a encore ceci d’extraordinaire; c’est qu’elle est travaillée , étendue et tissue avec des paradoxes particuliers. C’est u n tout composé d’élémens similaires. Rousseau a exécuté avec des paradoxes de détail, des paradoxes d’expressions et de style , le grand paradoxe dont il a enveloppé toutes ses œuvres. Je vais, pour mieux me faire entendre, en donner quelques exemples tirés de Y Émile , ils le seront en même temps du faire original de l’auteur, de ses expressions de génie, et de sa manière inimitable. La plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation , ce n’est pas de gagner du temps , c’est d’en perdre. » Pour détourner un enfant de la colère , et l’em- La nature est l’instituteur-de l’espèce, et les livres le sont de l’individu. C’est dans les livres que vont se concentrer les lentes leçons de la nature , les obsérvations des âges pre'ce'- dens , et l’expérience des siècles écoulés. Les livres sont à la culture de,l’esprit ce que sont les serres chaudes à l’éducation des plantes ils hâtent les développemens , ils aeé- lèrentles progrès. 48 Éloge ee rousseau. pêcher de s’y livrer, dites-lui, lorsque le hasard le rendra témoin d’un emportement Ce pauvre homme est malade ; il est dans un accès de fièvre. » Remarquons ici qu’il s’agit d’un enfant, et que la colère n’est une maladie que pour le philosophe qui médite sur les passions , sur leurs causes et leurs effets. Qu’arrivera-t-il? Les enfans sont beaucoup plus sujets à la colère que les hommes faits, en raison de leur faiblesse. Notre petit élève ne connaît pas la crainte. Soulagé par l’explication du maître , il portera des coups dangereux ; il blessera un jour sa sœur ; se jettera dans un mouvement de colère sur son frère , un couteau à la main, et ensuite avec sa petite logique, aidée de la leçon dont il a conservé la mémoire, il ira droit À son instituteur, et lui dira Maître , je crois que j’ai tué mon frère dans un accès de fièvre. Oh je suis bien malade ! Plaiynez-moi. Celui qui veut battre étant jeune , voudra tuer étant grand. » Il n’est pas impossible que cela n'arrive ainsi, si l’enfant s’est accoutumé à rejeter ses petites colères sur des accès de fièvre. Rien de plus fin qu’un sauvage...., plus son corps s’exerce, plus son esprit s’éclaire. Sa force et sa raison croissent à la fois , et s’étenden L’une par l’autre. » La finesse d’un sauvage que le plus stupide des Européens trompe , dupe et mène comme un enfant ! La raison et l’esprit d’un sauvage qui vend le matin son hamac sans prévoir qu’il en aura besoin le soir ! Jeune instituteur, je vous prêche un art diffi- cile , c’est de gouverner sans préceptes, et de tout faire en ne faisant rien 1. J’enseigne à mon i Combien d’instituteurs mercenaires ont abuse' de ce ÉLOGE LE BOISSEAU. t \g * élève un art très-long, très-pénible , c’est celui d’être ignorant. Les leçons que les écoliers prennent entre eux dans la cour du collège leur sont cent fois plus utiles que tout ce qu’on leur dira jamais dans la classe. Loin que l’amour vienne de la nature , il est la règle et le frein de ses penchans. Le seul qui fait sa volonté est celui qui 11’a pas besoin, pour la faire , de mettre les bras d’un autre au bout des siens. Que de marchands il suffît de toucher aux Indes pour les faire crier à Paris ! J’aime mieux qu’Emile ait des yeux au bout de ses doigts que dans la boutique d’un chan- delier. Nous n’avons pas besoin d’esclaves de Perse pour faire nos lits ; en labourant la terre nous remuons nos matelas i. » Le maître dit à Emile amoureux, et non encore époux Avant de goûter les plaisirs de la vie , vous en avez épuisé le bonheur. » Et Vamour-propre, fait plus de libertins que i’ amour. En faisant sentir à Emile quel charme ajoute à l’attrait des sens l’union des cœurs; je le dégoû- passage, et en général de l’esprit de cette méthode, pour négliger entièrement leurs élèves ! Ils les abandonnent à la nature, sous prétexte de respecter les paroles du maître, et trouvent commode de toucher de gros appointemens , et de pouvoir ne s’occuper que de leurs plaisirs et de leurs, affaires particulières. i Pulmentaria qucere sudando , dit Horace» C’est la même pensée que le latin rend avec bien plus de précision. 3 i. 5o ÉtOCE BE MUSSE AU. tcrai dù libertinage, dit le maître, et je le rendrai u sage, en le rendant amoureux. » Je ne multiplierai pas davantage ces exemples ; ils suffiront pour me faire entendre. C’est dans tous ses bons ouvrages la même exécution. C’est partout ce cachet inimitable. On voit dans tous cette touche spirituelle, forte , brillante et originale. Le mécanisme de style et de pensée qui caractérise ce grand écrivain , se laisse apercevoir distinctement dans le dernier exemple. Les amans si fous, si exlravagans ! Amans, amensl L’amour que suit toujours la déraison et le délire, converti tout à couj» en principe de sagesse ! Ces chutes inattendues sont du plus grand effet; elles réveillent fortement l’attention ; mais il faut qu’elles soient amenées, et que ces pensées finales soient disposées et conçues de manière qu’en renversant une opinion reçue , elles découvrent aussitôt dans l’objet un nouveau côté auquel puisse s'appliquer l’opinion contraire avec autant de fondement il faut que la nouvelle assertion soit aussi légitime que l’ancienne c’est une perception rapide des rapports les plus éloignés, ou des rapprochemens piquàns à la fois et profonds, qui invitent à la réflexion. Du choc de deux idées part l’étincelle qui va en éclairer une troisième placée dans l’ombre, et qu’on n’apercevait pas. Rousseau excelle dans ce mécanisme qui n’a rien de commun avec l’antithèse. C’est là un des secrets de son art; secret au reste qui, révélé, ne peut être utile qu’au génie qui n’en a pas besoin. Le plus beau désordre règne dans ses ouvrages, c’est celui de la nature même, bien supérieur à nos petites notions de régularité et de méthode. Comme dans la nature, tout y semble jeté au ha- ELOGE DE ROUSSEAU. 5l sard. Il paraît se livrer à toutes ses idées à mesure qu’elles se présentent à son esprit. C’est la nature dans les lieux où elle étale toute sa magnificence. On ne s’y fait jour qu’à travers des précipices, des ruines, des cascades. Une plaine riante se découvre au bout d’un sentier tortueux. Après des bois touffus paraissent des coteaux cultivés et fleuris; d’épais ombrages en occupent la cime. A chaque pas ce sont de nouveaux sites. Ici une verte prairie, là un gouffre profond onymarche de surprise en surprise. Quelquefois une route escarpée sous des roches pendantes conduit et aboutit à un vallon délicieux on s’en sépare à regret, on le quitte, on gravit les hauteurs qui l’entourent, et bientôtun horizon immense se développe aux yeux. Telle est l’image fidèle des sensations qu’on éprouve en parcourant les ouvrages de ce grand homme. Transitions brusques, conceptions neuves, vues profondes, douces rêveries, ravissemens, transports, écarts sublimes; dans sa marche hardie, il saute,- il franchit les intermédiaires; ses incohérences. ne sont que des aspects divers ou opposés des mêmes objets. Guide lumineux, lors même qu’il s’égare, ses défauts sont utiles; les beautés naissent de ses écarts, et il serait bien moins parfait s’il avait moins d’imperfections. SECONDE PARTIE. C’est d’un philosophe que nous faisons l’éloge. Qui le croirait? cet homme qui hâta le progrès des lumières, qui fit cheminer en avant la raison , qui répandit une foule d’idées saines en morale et en économie civile et politique ; cet homme qui affermit tous les grands principes de la philosophie; 52 EEOGE DE ROUSSEAU. eh bien ! il fut l’ennemi des philosophes, le détracteur de la philosophie! Mais tout est en lui disparate et contraste. C’est ainsi qu’avec une âme aimante, il se déclare l’ennemi de cette tendre humanité qui embrasse dans son amour l’universalité des hommes c’est ainsi que ce philosophe sensible et bienfaisant repousse toute bienveillance universelle, et consacre en principe l’intolérance, et la vertu farouche de ces anciennes républiques qui ne voyaient que des ennemis au delà de leurs murs, pour qui tout étranger n’était pas même Un homme, et dont l’état violent de la guerre était l’état habituel et constitutionnel. Il admire ce fanatisme de la patrie, source de haine, de division et d’injustice , ce fanatisme enfin qui porta les Romains à ravager la terre. La tête de Rousseau pouvait errer, son cœur fut toujours infaillible ; la haine n’aurait point trouvé à s’y loger. Il ne haïssait pas plus les philosophes, qu’il ne chérissait les Spartiates ses aversions, ses assertions, ses panégyriques et ses satires, tout était simulé; il marchait à son but, et je l’ai indiqué en partie. Achevons, s’il est possible, de déchirer en entier le voile dont il l’a enveloppé. Pénétrons dans les opérations secrètes de son âme ; essayons de lire dans son cerveau, et d’y suivre la formation et la génération de ses idées. On obtiendrait, en y réussissant, un nouvel aspect sous lequel ce grand homme n’a jamais été considéré ; et cet aspect serait en même temps le plus intéressant des spectacles, celui des merveilles de l’esprit humain. Rousseau s’est tu pendant quarante ans ; le premier mot qui sort de sa bouche est une plainte. Il ne voit autour de lui que corruption, erreurs et ÉJLOGE DE ROtlSSEAt'. 53 vices. Il en recherche les causes il croit les trouver dans la culture de l’esprit et des sciences, produit de l’effort des hommes réunis en société. Que fait-il? Il brise ce mécanisme social, et se jette entre les bras de la nature et de l’ignorance. Pouvait-il se dissimuler toutes les difficultés d’un parti aussi désespéré ? Aussi le voit-on flottant entre les avantages de la vie naturelle et les inconvéniens de la vie civile; mais flottant à sa manière, c’est-à- dire , se décidant affirmativement tantôt pour l’une, tantôt pour l’autre. Voyez le Contrat social , il le commence par l’éloge, et le finit par la satire des institutions sociales. Qu’est-ce donc que son grand paradoxe, sinon l’expression d’un doute universel? Un des mots qu’il a le plus répétés en sa vie, de et par écrit, est celui-ci a, tien de beau, que ce qui n’est pas! Ce mot estperçaiit, il exprime la situation de son âme ; il est le cri de la douleur. On le voit ne recevoir de tous les objets qui l’environnent, qu’impressions fâcheuses, sensations désagréables. Or rien n’incline autant vers le scepticisme que cette disposition chagrine ; comme, au contraire, le caractère d’être content de tout et de trouver tout bien, est de ne douter de rien. S’il s’était contenté de faire l’énumération des maux qui résultent de la vie civile et de la culture des sciences, il n’aurait frappé personne, on serait convenu froidement qu’il avait raison ; il n’aurait fait qu’une faible sensation. On aurait dit Rousseau est à l’effet de la science sur les mœurs, ce que Tissot est à l’effet de l’étude sur l’économie animale l’un est le médecin de l’esprit, l’autre celui du corps t. Ilfaitmieux, il excite fortement i Avis aux gens de lettres sur leur santé'. 54 ÉlOGE DE ROUSSEAU. l’attention ; il appelle la discussion sur tous les sujets qu’il traite, en plaçant toujours la conviction entre son doute et ses lecteurs. Le seul de ses écrits où le scepticisme paraît à découvert est la Profession de foi du vicaire savoyard. Après y avoir épuisé tour à tour en faveur du théisme et de la révélation, tout ce que la dialectique a de plus pressant, le raisonnement de plus profond, l’éloquence de plus riche et de plus imposant, il esquive la solution, etne prononce point. Remarquons ici deux sortes de scepticisme; l’un passif et stérile ; c’est celui de quelques philosophes contemplatifs, qui, cherchantfroidement l’évidence dans cette variété infinie d’opinions qui se croisent et ne la trouvant nulle part, restent indécis toute leur vie, et immobiles entre des probabilités le second est un scepticisme actif; c’est celui de toutes les âmes ardentes, qui s’agitent, se tourmentent et se débattent sous le doute, c’est celui de Rousseau. Avant de voir l’emploi qu’il en a fait, examinons comment il y a été conduit. Rousseau avait passé une partie de sa vie à la campagne ; il y avait goûté laliberté, l’ aimaitles champs, la solitude, comme tous les hommes sensibles, enclins à la rêverie, et qui ont reçu de la nature eette teinte de mélancolie unie d’ordinaire à la pénétration et au génie. Cette disposition favorable et funeste est pour eux une source également féconde en ravissemens et en peines vives et profondes. Lorsqu’on est né avec un tact exquis, une imagination ardente, une âme tendre, on est sujet à se créer des fantômes de perfection on les cherche dans la société, on ne les trouve pas alors les mécomptes dégoûtent, les défauts choquent, les vices révoltent, les ridicules blessent. Pour réussir dans ÉI0GE IE RODSSEAD, 55 le monde, et s’y plaire, il ne faut que des formes flexibles et des moules communs, tes hommes de génie ont peine à s’y ordonner ; ils y trouvent difficilement place. Tel fut le cas de Rousseau il était un homme fait lorsqu’il vint à Paris ; son caractère était formé, ses habitudes prises ; mais ses pensées étaient encore à naître. Il n’y a rien de commun entre les affections de l’âme et les opinions de l’esprit celles-là se contractent de bonne heure ; celles-ci ne naissent quelquefois jamais, ou changent et varient pendant tout le cours de la vie. Rousseau demeura plusieurs années à Paris sans se douter de ce qu’il écrirait et penserait un jour. Il y vivait dans la meilleure compagnie, et beaucoup avec les gens de lettres. Il dut, comme bien d’autres, ses opinions aux circonstances et au hasard. Ce qui lui fut propre, c’est qu’elles furent presque toutes le produit de ses sensations. L’habitude de l’indépendance lui en fit éprouver une première fort incommode, dans les formes gênantes du grand monde. Ses mœurs pures et simples, rapprochées de la corruption de Paris, lui en causèrent une seconde. La bonhomie des gens de la campagne, qu’il avait vue de près, vint faire opposition avec Tes rivalités, l’orgueil, les haines et la causticité des gens de lettres. Cette réunion qu’on ne trouve qu’à Paris, de tant d’esprit, tant de connaissances, tant de philosophie; ce contraste de toutes les lumières avec tous les vices, firent sur lui une impression profonde. S’il fût né dans une grande capitale, qu’il eût été élevé dans des collèges et des universités, il aurait vu de bonne heure les monumens des arts, les découvertes dugénie, des chefs-d’œuvres en tout genre s’élever à côté de la perversité, de l’oubli 56 éioge Di aotssSAtt. des principes et des trophées du vice ; il aurait pensé que c’était là le cours ordinaire des choses; il se fût accoutumé à ce spectacle, et ses yeux n’en eussent point été frappés. Il n’aurait vu dans la corruption des mœurs et la perfection des sciences que deux phénomènes de l’état social marchant de front. Il n’eût point cherché à pénétrer au delà de ces apparences , et il n’eût point écrit contre la philosophie et le goût de l’étude et des lettres. Qui est-ce qui a pu le conduire à considérer l’un de ces phénomènes comme cause, et l’autre comme effet? Un regard jeté derrière lui; le souvenir des temps heureux de sa jeunesse, de ces jours de délices, de calme et d’innocence qu’il avait passés aux Charmettes, de ces jours de jouissance vive etpure, vers lesquels les hommes sensibles, au milieu du trouble des passions et des agitations du monde, tournent incessamment les yeux en soupirant. Ce souvenir, qui était pour lui la nature, convertit les connaissances humaines en principes de dépravation ; ce souvenir vint s’unir à toutes les impressions qu’il recevait à Paris. De cette union naquit son doute, et de son doute son idée première, génératrice de toutes les autres. C’est à ce souvenir, c’est aux Charmettes qu’il attacha l’idée confuse de na- • ture. Les Charmettes devinrent pour lui la nature. Il ne s’en est peut-être jamais douté lui-même. Les Charmettes travaillaient son génie à son insçu. Les grands événemens par les petites causes sont l’histoire des trois quarts et demi du genre humain. S’il fûtresté aux Charmettes, tranquille au sein d’une vie simple, naturelle et champêtre, il n’eût point été à l’enquête delà nature; il se serait contenté d’en jouir. On ne s’occupe guère dé ce qu’on possède. Nous ne courons qu’après ce qui nous manque. Il n’eût JiLOGE 1 E HOCSSEAüw 57 pas douté, il n’eût point fait de paradoxe; il n’eût peut-être pas écrit; ou du moins, si, tourmenté par son génie, il eût été forcé de prendre la plume, la suite des pensées qu’elle aurait tracées n’aurait peut-être eu aucun rapport avec celle que nous présentent ses ouvrages existans. L’idée qu’il s’ëtait formée de la nature repoussait tous les objets dont il était environné à Paris; et comme les réminiscences sont à la fois douloureuses et douces, selon les dispositions de l’âme, quand le souvenir était doux, il chantait la nature; quand le souvenir était amer, il tonnait contre les travers et les vices de son siècle. Selon laface sous laquelle il envisageait les sciences et les établissemens politiques, il se décidait tantôt pour, et tantôt contre; il obéissait alternativement aux considérations qui leur étaient favorables ou contraires. De là toutes ses variations. Si la science déprave l’homme, l’ignorance est amie des mœurs. Cependant, comme la cause de l’ignorance seule et isolée eût été plus difficile à défendre, il lui associa habilement la nature pour lui servir de soutien il enchâssa l’ignorance dans la nature, et ces deux mots devinrent pour lui des synonymes. Alors il fit découler tous les biens de l’ignorance et de la nature, et tous les maux delà science et de l’art. Il rajeunit, sous des noms nouveaux, des opinions religieuses de la plus haute antiquité, les deux principes du bien et du mal de la doctrine de Zoroastre. La Genèse fait aussi remonter l’origine du mal sur la terre à la science. Aussitôt que les discours artificieux du serpent eurent persuadé à Eve de se laisser instruire, aussitôt qu’elle eut touché à la pomme de science et de lumière, elle vit le mal, le 58 ÉLOGE DE ROUSSEAU. connut > le commit. Adam , séduit par le même artifice, initié par Eve dans la même connaissance, devint sujet au péché et à la mort, et a laissé ces deux funestes héritages à toute sa postérité. On doit être surpris que Rousseau ne se soit pas appuyé de cette autorité. Rousseau prit souvent un vol très-élevé, mais ce n’était que par accès; il ne s’y soutenait pas long-temps, et ne pouvait se maintenir si haut. Il ne sut jamais embrasser un grand nombre d’idées, les fixer par son attention, les contempler à la fois, et les saisir dans leur rapport le plus général. 11 avait l’esprit des détails, et non celui des ensembles. Toutes ses vues isolées sont les éclairs du génie. Avec l’esprit très-philosophique, il ne fut pas un philosophe profond. Il eut de grandes échappées de vue plutôt que la vue étendue. Il était trop régi par ses sens et son imagination, pour que le jeu et la liberté de ses facultés intellectuelles ne se ressentissent pas de cette domination 1 . > Il fut un peu à la philosophie ce que les troupes légères sont à la guerre ; admirable pour aller à la de'couverte, mais incapable de faire de ses idées un corps de science et de soutenir un choc régulier. Personne ne savait mieux que lui escarmoucher, battre en retraite. C’est ainsi que dans la guerre qu’il eut à soutenir sur l’incompatibilité des sciences avec la vertu , on le voit perpétuellement voltiger , se replier , tourner autour de la question et l’esquiver sans la résoudre. Il ne répond aux objections que par des plaisanteries, des sarcasmes, des équivoques et des sophismes. Les Lettres écrites de la montagne , vives, pressantes, pleines de vigueur, d’un tissu serré de raisonnement et de dialectique, ne détruisent point mon observation; elles sont dirigées vers un sujet particulier et isolé il s’agit dans ces lettres d’un poste à emporter, d’une cause à gagner elles sont un plaidoyer admirable,un chef-d’œuvre dans le genre polémique. ÉLOGE DE ROUSSEAU. 5g Rousseau élait un être à sensation ; aussi ne fut-il vraiment profond qu’en sensibilité. Personne ne connut mieux que lui les femmes , que la nature a faites des êtres à sensations. C’est qu’il n’eut qu’à se replier sur lui-même pour les connaître. Un fonds inépuisable de sensibilité le rapprochait de ce sexe enchanteur. lien eut même quelquefois les caprices , l’humeur, les petites faiblesses et les petits soupçons 1. Voyons maintenant comment son génie a fécondé son scepticisme. Il soupire après la vérité et la i S’il n’eût été jugé quepar des hommes,il eût joui sans doute d’une grande réputation ; mais c’est par les femmes qu’il a fait révolution , et les faiblesses de Julie ont peut- être plus qu’on ne pense fortifié les principes du Contrat social. L’influence des femmes en France est immémoriale ; elle tient au climat, au sol, au fond du caractère de ses habitans ; et toute forme de gouvernement, toute constitution qui n’aura pas en France les femmes pour appui , n’aura jamais qu’une existence passagère. Si jamais les femmes s’avisent de prendre un travers contre les clubs empruntés des Anglais, où les hommes vont s’isoler et se séparer d’elles, et de regretter les nobles preux et courtois chevaliers de l’ancien régime , leurs chapeaux à plumet, leurs belles livrées et leurs titres sonores, c’en est fait de la constitution. Elles ont favorisé la révolution, parce qu’on a crié lilerté, et que cette voix les subjuguera toujours ; mais lorsqu’on criera décence , bonnes moeurs , sans quoi point de liberté , de grands dangers menaceront la liberté et la révolution. Les peuples les plus jaloux de leur liberté n’ont jamais cru pouvoir la conserver sans en priver les femmes elles étaient condamnées 'a Rome et dans la Grèce à une espèce de captivité, ou du moins, sortant peu du sein de leurs familles, et renfermées dans leurs maisons , elles y vivaient très-retirées. Les Romains déployèrent même une sévérité presque barfiare contre les faiblesses de leurs nobles matrones et contre leurs séducteurs. Horace dit en parlant de ces derniers Miserum est deprehendi . ÔO ELOGE BB KOESSEÀÜ. vertu. Ne les apercevant nulle part dans ce qui l’environne , il est prêt à douter de leur existence. Par la plus étonnante des fictions, il va les chercher dans l’ignorance et dans l’instinct, c’est-à- dire , dans les deux états négatifs de la vérité et de la vertu. Car ignorance et vérité sont deux notions qui se repoussent et s’excluent, et le simple instinct est incompatible avec la vertu les lumières sont nécessairement interposées entre l’un et l’autre ; point de vertu sans connaissances et sans culture. Et cependant, par un artifice aussi neuf qu’admirable, l’ignorance et le simple instinct deviennent entre ses mains des instrumens de découvertes. Archimède ne demandait qu’un peint d’appui hors du globe pour soulever le monde. Ce qu’Ar- chimède désirait et disait, Rousseau l’a fait, il l’a exécuté. Il s’est élancé hors du monde moral. 11 va saisir un état qui n’eut peut-être jamais aucune réalité, un état excentrique à tout ce qui existe ; c’est l’état de nature ; il y trouve un point d’appui. C’est de là que, faisant mouvoir un levier méthaphysique, il soulève et remue tout le système de nos connaissances morales, bouleverse toutes nos idées , les dédouble en quelque sorte', et par ce dédoublement, leur découvre une multitude de faces nouvelles qui n’avaient point encore été aperçues. Si nous considérons attentivement la contexture intime de tous ses ouvrages, nous verrons que Rousseau a fait révolution moins en élevant qu’en abattant, moins en construisant qu’en démolissant. Il fouillé, il creuse, il abat, il renverse , mais chacun de ses renversemens est une création. C’est cet art de produire en détruisant ÉlOGE DE KOUS SE ATT. 6l qui le caractérise, qui lui imprime le sceau d’un génie vraiment neuf, sans pair et sans modèle. On peut donc le regarder comme le fondateur d’une espèce de philosophie négative, bien autrement importante par ses conséquences et son utilité, que tous les systèmes de philosophie. Qui admire plus que moi ce grand homme? Qui plus que moi est pénétré de toute sa valeur ? Mais c’est en me plaçant dans un point de vue diamétralement opposé à celui d’où ses enthousiastes le considèrent. Ils le louent pour ce qu’il a fait; moi je l’admire pour ce qu’il a défait. C’est de l’étude de l’homme sous tous ces rapports que dépendent essentiellement les progrès de la science qui s’occupe de sa félicité sociale. Avant de diriger vers un but commun toutes les pièces d’une machine, il faut bien les connaître, et s’assurer de la valeur et de la force de tous les ressorts qui doivent la mouvoir. Aussi la première, la plus intéressante et la plus utile des études, est sans contredit celle de l’homme. Parmi les philosophes qui s’y sont livrés, chacun d’eux a choisi la route que lui indiquait son génie. Locke, doué de ce sens intérieur qui sait se replier sur lui- même , est descendu par la pensée au fond de son ame pour en faire l’analyse. Il a par ce moyen fait réfléchir toutes les Ames humaines sur la sienne propre. Mallebranche , guide plus hardi, mais moins sûr, s’est au contraire élevé à la source de tout entendement ; et considérant l’esprit humain comme une émanation, de cette source, c’est dans le sein de Dieu même qu’il a placé son miroir de réflexion il a vu tout en Dieu. D’autres , comme Tacite et Montesquieu, détournant l’attention de ces aspects métaphysiques de l’homme, ne l’ont DE RODSSEATf. 6a fixé que sur sou côté moral. Tacite peint moins les mœurs d’un peuple simple qu’il ne fait la satire .des Romains. Les vices, les excès et les crimes de Rome viennent se réfléchir sur l’innocence des Germains. L’âme d’un Persan transporté à Paris est la glace sur laquelle Montesquieu fait réfléchir de même tous les travers de la nation française, ses ridicules et ses vices. Ces deux manières de peindre et d’ les hommes sont admirables. Tous les traits, par ce moyen ingénieux, ressortent et prennent du relief. C’est par un artifice à peu près semblable , mais exécuté en grand, que Rousseau fait réfléchir sur un être fictif, sur un modèle qu’il s’est créé, non telle ou telle nation, mais l’humanité entière. Les résultats qu’il en obtient sont dignes de la grandeur de l’idée, et y répondent. Rousseau , par son modèle idéal, a embrassé l’universalité des rapports de l’homme à la nature. C’est le point de vue le plus élevé où il soit possible de considérer l’espèce humaine. Donnons un moment d’attention à la manière dont s’est formé ce modèle dans la tête de Rousseau. II s’est dit l’homme est naturellement bon pourquoi le vois-je si dépravé et si méchant autour de moi ? N’est-ce pas visiblemement l’ouvrage de la cupidité, de l’orgueil, de toutes les passions que la société civile met en jeu, et de tous ces besoins factices auxquels elle donne naissance donc la nature, qui ne fait rien que de bien, n’a ^ point destiné l’homme à s’entasser, se vicier et se corrompre dans des villes. Ce raisonnement a fait naître l'homme primitif ou naturel dont tous les mouvemens sontpurs, toutes les inclinations droites et bonnes, parce qu’elles lui viennent de la nature. éloge de housseau. 63 Point de lumières qui l’égarent, point de passions qui le tourmentent, point de désirs excessifs qui le poussent au crime. Il ne désire rien parce qu’il ignore tout son instinct le guide plus sûrement qu’une raison cultivée et présomptueuse. Il pourvoit sans peine à ses besoins; il est calme, il est libre, il est heureux l’ignorance du mal fait qu’il n’en peut commettre. Cependant, comme Rousseau n’aurait persuadé personne de retourner dans les forêts, et que lui- même vivait au milieu des institutions sociales , il s’agissait de tirer parti de ce modèle, de l’employer , 4e l’appliquer. Alors, jetant un nouveau regard sur ces institutions, il les a soumises à un second examen, et fléchissant un peu de la rigueur de son premier jugement, il a cru pouvoir y distinguer un ordre naturel et un ordre factice. C’est à l’aide de son modèle primitif qu’il a fait cette distinction il le présenté, il le compare à tous les élémens du système social ; et selon qu’ils se rapprochent ou s’éloignent du modèle, il prononce qu’ils sont contraires ou conformes à la nature. Riais ce modèle, transporté du milieu des forêts au sein de la société, se ressent bientôt de sa transplantation il y perd peu à peu sa rudesse originelle ; et en passant par l’état civil, il se perfectionne insensiblement; il se polit, s’embellit. C’est donc par une suite de suppositions et de transformations que l 'homme primitif, cet être agreste et brut , est devenu successivement le modèle idéal, Si on veut analyser ce modèle, on verra qu’il se compose ÉlOGE DE BOÜSSEAÜ. grands effets; l’un est la découverte des maux qu’entraînent à leur suite les meilleures institutions ; l’autre celle des avantages qui restent cachés derrière les préjugés et les abus, et qu’on n’aperçoit jamais mieux que lorsque ces derniers sont détruits. Quand les ouvrages de Rousseau n’auraient produit que ces deux effets, ils sont inestimables. C’est un grand pas de fait vers la félicité publique que la connaissance du mal que renferme le bien , et la connaissance du bien que renferme le mai. Point de pratique absurde , point de coutume ridicule , point d’usage impertinent qui ne recèlent un grand nombre d’utilités. Cette connaissance peut conduire à des considérations neuves sur la nécessité des mélanges et sur le danger des exagérations en tout genre. Peut-être faut-il unir le mal au bien pour donner à celui-ci plus de durée et de solidité. La raison pure et sans mélange de préjugé n’a jamais été et ne sera peut- être jamais à l’usage de l’universalité des hommes, pas plus que l'or sans alliage ne peut être mis en œuvre et employé à l’usage des arts. L’intérêt personnel est à l’affût du bien pour le détériorer. Les passions convertissent assez promptement les meilleures choses en abus déplorables. Mais les hommes se tiennent en garde contre les institutions vicieuses et les abus; ils sont sans défiance à l’égard des bonnes; le danger les tient éveillés ; la sécurité les endort ; et c’est ainsi que se perdent et se dissipent les meilleurs et les plus sages établissemens. Les hommes tuent le bien ; ils savent ensuite le faire renaître et l’extraire du mal. Le génie, la gloire, l’éloquence, sont de brillantes fleurs. Suivez leurs tiges, vous les verrez le ÉLOGE DE 67 plus souvent plongées dans l’amas dégoûtant des folies, des travers et des turpitudes de l’espèce humaine , pomper leurs sucs nourriciers dans les immondices et le fumier de toutes les dépravations et de tous les crimes. Transportez Voltaire et Rousseau dans des contrées où on aurait fondé l’institution politique sur les principes naturels, si la chose était possible que deviendrait cette sublime indignation excitée par le spectacle de la perversité, des erreurs, des vices de leur siècle , et qui leur a dicté tous leurs chefs-d’œuvre? Plus d’intolérance, plus de préjugés, plus de fanatisme, plus d’oppression, plus de maîtres que la loi, plus de guides que la raison; tous les cultes de niveau, tous les hommes égaux; un peuple de frères et de sages ; une fusion universelle de tous les intérêts, de toutes les passions dans l’intérêt public et le bien général. En voyant un ordre de choses si parfait, la plume tomberait de leurs mains, ils resteraient muets. La plus grande et la plus importante vérité qui résulte de la méditation des ouvrages de Rousseau, est précisément celle qu’il n’a ni dite ni exprimée , et la voici sous une image. La nature est un grand arbre ; deux tiges s’élèvent de son tronc ; l’une chargée de fruits salutaires et bienfaisans, l’autre de fruits empoisonnés. Rousseau a dit La tige qui produit des fruits vénéneux n’est, pas naturelle; il 11’y a que l’autre qui le soit. Les philosophes qui soutiennent que l’homme est naturellement méchant, comme ceux qui prétendent qu’il est naturellement bon, ont également tort et raison. Chacun d’eux ne veut voir dans le grand arbre de la nature que celle des tiges qui favorise son opinion. Mais ce qui n’avait encore été 68 ÉLOGE DE ROtîSSEAü. aperçu par aucun d’eux, et ce que Rousseau a vu le premier sans le dire, c’est qu’on ne peut arracher l’une des deux tiges sans faire l’autre, et sans attaquer la vie même de l’arbre ; car elles sont implantées sur le même pied. C’est à l’ombre de cet arbre, c’est sur les feuilles de cet arbre qu’il faut écrire l’histoire de l’espèce humaine. La préface en est déjà faite. L’homme de génie qui la méditera, y trouvera de grands secours pour ce livre tout neuf. Cette préface est elle-même une des plus belles productions de l’esprit humain cette préface, cc sont les œuvres de Rousseau. Le génie ne consiste pas seulement à exceller dans une science ou dans un art. Il n’est pas seulement dans l’invention des choses ou dans la nouveauté des formes. Le véritable génie a encore un autre caractère, c’est celui de l’aptitude universelle. Rousseau, Voltaire, étaient des hommes propres à tout. Si Rousseau se fût livré plutôt à la botanique , il fût devenu un autre Linnœus. S’il eût été de bonne heure en Italie, et qu’il eût fait une étude plus suivie de la musique, nous l’eussions vu rivaliser avec Sarti. Son Devin du village eut un succès prodigieux. Il en puisa les chants et le sujet dans cette même disposition de cœur qui le ramenait incessamment vers les objets de la vie champêtre. La musique du Devin n’est pas faite seulement avec l’oreille et des sons, elle est faite avec l’âme et ses accens. C’est la naïveté, la touchante simplicité de la nature. Et lorsqu’à des hommes corrompus, excédés de jouissances et d’ennuis, dégoûtés des plaisirs si froids du luxe et des amusemens compliqués t coûteux de la magnificence, on présente les tableaux de la nature, on est sûr de réussir. Tout ÉLOGE DE ROTISSEAtr. 6g ce qui lui rappelait l’innocence des premiers âges avait des charmes pour lui. De là son goût pour la romance ; il en a composé plusieurs, paroles et musique. Il cherchait à leur conserver ce ton naïf du treizième siècle , cet accent ingénu , tendre, et même un peu mélancolique. Le style de ses écrits est pourtant bien loin d’être simple et naturel, pris dans ee sens romantique y et il s’en faut de beaucoup que YHéioïse , quoiqu’un ouvrage de sentiment, soit un ouvrage simple. Le style en est souvent ambitieux. On y sent que l’auteur était nourri de la lecture des poètes italiens, et surtout du Guarvni. On oserait presque y apercevoir de la recherche et même des coneetti, si le goût exquis de l’écrivain, en s’appropriant le fond, n’en avait sauvé l’affectation. Les temps sont donc arrivés, où le brouillard qui depuis tant de siècles enveloppait en France les hommes et les choses, leur valeur respective, leur rapport d’utilité et de grandeur ; qui n’admettait sur tous ces objets qu’une fausse lumière et qu’un jour imposteur; où ce brouillard, dis-je, formé par les préjugés, épaissi par l’ignorance, vient enfin de se lever et de se dissiper. Il sera permis de croire et de dire tout haut que les distinctions entre les hommes doivent surtout se fonder sur le mérite et les vertus que la première noblesse est celle de l’âme, que le premier des écrivains est le plus grand des hommes 1. Qui pour- i J’ai vécu avec la plupart des grands e'crivains du siècle dernier. Témoin de la considération qui les environnait ; ébloui de cette auréole de gloire qui couronnait leurs fronts, j’étais encore sous le charme lorsque j’écrivais ces lignes c’était en t-89 . La révolution a dissipé le charme, la révolution, qui en vingt ans a mis dix siècles entre nous et ÿo ÉLOGE DE ROESSEAC. 1 rait lé lui disputer? Sont-ce des guerriers célèbres, 1 Un homme tel que Rousseau leur répondra si vous défendu la patrie, j’en ai créé une aux Français. Sont-ce les rois de la terre ? il leur dira l’on règne pour vous, et je règne par moi. Oui, la pensée, cette flamme divine, élève v au premier rang l’être qui en est doué ! Le grand écrivain, circonscrit dans le temps comme individu, s’étend avec les siècles sur la durée indéfinie de l’espèce humaine par son influence ! Puissances intellectuelles, c’est vous qui régissez le monde! Les nations changent, se corrigent, se modifient, se perfectionnent d’après vos conceptions. Vous êtes les vrais souverains du genre humain vous le guidez, vous l’éclairez, il est soumis à votre empire, subit vos lois, leur ohéit sans s’en douter. Les rois n’ont que l’apparence de la domination. Encore quelques années, et les > noms de la plupart d'entre eux tomberont dans l’oubli, ou ne conserveront d’existence et ne figureront qu’encadrés au milieu des dates de leur naissance et de leur mort, dans ces tables chro- les événemens du temps où vivaient le grand Frédéric, Rousseau , Voltaire et d’Alembert. Tout a change , les mœurs, les goûts, les habitudes, les opinions. Autant dans ce temps-là on devait s’applaudir d’avoir produit un bon ouvrage , autant aujourd’hui le meilleur livre a peine à sauver son auteur de l’espèce de ridicule qui s’est répandu sur le métierd’écrire c’est que la plus noble fonction de ^ l’esprit humain est devenue métier; et que, de pl^s, il s’en estélevé une autre espèce demétier qui absorbe tous les autres, c’est le métier des armes ; il conduit à tout, aux honneurs, aux richesses, à la puissance et à la gloire. Il faut donc corriger la phrase , et dire, au lieu du plus grand des écrivains , que le plus grand des guerriers est le premier des hommes. Cette no te est de l’an t8op. EIOCË DE ROUSSEAU. JTJ nologiques, pâture aride et sèche d’un vaine érudition, et qui ne paraissent avoir été imaginées que pour perpétuer l’immobilité et le néant de presque tous les noms qu’elles contiennent. Dans quelques milliers d’années les formes actuelles de nos livres d’histoire ne pourront subsister. La vie entière d’un homme ne suffira plus pour en parcourir la seule table des matières. Alors on sera obligé de peindre en masse et de ne saisir que les grands traits. On considérera l’espèce humaine dans la suite des changemens et des révolutions considérables qu’elle aura pu subir. On en divisera l’histoire en périodes de vingt ou trente siècles. Chacune des périodes sera présidée par un ou plusieurs de ces génies privilégiés qui font prendre aux nations une nouvelle face. Ils lui donneront leurs noms. Les grands hommes par la pensée marqueront l’ordre des temps. Quelques philosophes régneront sur deux ou trois mille ans , et les règnes subalternes des rois, trop petits pour être distingués , éclipsés et couverts par l’éclat des grands régnes, échapperont à l’œil. Un peintre des hommes alors, un autre Tacite, en parlant des noms et des événemens qui nous entourent, dira IL s’éleva au dix-huitième siècle un écrivain sublime, un apôtre éloquent de la nature. Il persuada aux hommes qu’elle les appelait tous à la vérité, à la vertu, à la liberté et au bonheur. Les pensées de son siècle recu- lèvent devant les siennes ses opinions et ses principes prévalurent, dominèrent. Ce fut en France qu’il prêcha sa doctrine elle y imprima un nouveau mouvement aux esprits, y fit un grand nombre de prosélytes, et finit par y exciter une révolution qui s’étendit par degrés sur tous ?'2 Éloge de bovsskàv. » les peuplés policés de la terre. La durée de son * règne fut de.» Je m’arrête. Je n’ose fixer la période. Si un seul homme a tant de peine d’être un seul jour raisonnable et sensé, que sera- ce de tous? Que sera-ce des siècles? Ce règne, hélas ! ne serait-il qu’un rêve ? et, rélégué avec le modèle idéal et la nature de Rousseau, n’aura-t-il pas plus de réalité ? Yoici l’histoire de là vie de ce grand homme. Rousseau naquit à Genève, pensa à Paris, écrivit à Montmorenci, s’inquiéta, se tourmenta partout. Il laissa son corps à Ermenonville, sa tête à Émile, son cœur à Julie ; et par son Contrat social il léguera peut-être au monde, sans le savoir , le trouble et les agitations de son âme. Heureux, si le principe naturel de l’égalité qui en fait la base, ne finit point par rappeler les hommes à l’état de nature , les repousser dans les forêts et les rendre à la vie sauvage, objet des regrets de son auteur ! 1 x J’espère qu’écrivant l’éloge d’un homme de génie, qui passa sa vie à effacer le lendemain ses idées de la veille, on voudra bien me pardonner une légère teinte de scepticisme , et quelques variations produites pa'r les circonstances. J’ai commencé cet éloge en 1789, et je l’ai fini en 1390. Celui qui à l’aurore d’un beau jour réjouirait son âme, et qui le soir, témoin d’un ouragan, s’affligerait, pourrait- il être accusé de contradiction ? fix de l’éloge de CONFESSIONS DE ROUSSEAU. ftfr-mir .v'so/.ûiV^ ,&Hr;> NOTICE S TJ R LA PREMIÈRE PARTIE DES CONFESSIONS. PAR LES NOUVEAUX EDITEURS. Nous avons exposé dans l’avertissement les motifs pour lesquels, sous le titre de Mémoires, nous réunissions tous les ouvrages de relatifs à sa personne. Nous devons, pour suivre le plan que nous nous sommes tracé, fixer l’attention du lecteur sur chaque partie de cette réunion. La première et la plus importante est l’ouvrage auquel il donna le titre de Confessions , après l’avoir commencé sous celui de Mémoires , à la sollicitation de M. Rey *. Il avait passé, nous dit-il, la maturité de l’âge lorsqu’il composa cette œuvre unique parmi les hommes, et dont il profana la lecture en la pro- diguant aux oreilles les moins faites pour l’en- tendre **. En se voyant défigurer , il eut le projet de se montrer tel qu’il était il crut qu’en manifestant à plein l’intérieur de son âme, et révélant ses confessions, l’explication si franche, si simple, si naturelle de tout ce qu’on a pu trou- ver de bizarre dans sa conduite, portant ave» elle son propre témoignage, ferait sentir la vérité {* Confessions , liv. X et XI. {** Second dialogue. K0T1CE. 7 *» de ses déclarations, et la fausseté des idées hor~ € ribles qu’il voyait répandre de lui sans en pouvoir * découvrir la source. Sa confiance dans ses amis alla non-seulement jusqu’à leur lire cette his- 101 dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les passions ; un enfant toujours gouverné "par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance ; qui n’avait pas même l’idée de l’injustice, et qui, pour la première fois, en éprouve une si terrible de la part précisément des gens qu’il chérit et qu’il respecte le plus. Quel renversement d’idées ! quel désordre de sen- timens! quel bouleversement dans son cœur, dans sa tête, dans tout son petit être moral ! Je dis qu’on s’imagine tout cela, s’il est possible; car, pour moi, je me sens hors d’état de démêler, de suivre la moindre trace de ce qui se passait alors en moi. Je n’avais pas encore assez de raison pour sentir combien les apparences me condamnaient, et pour me mettre à la place des autres. Je me tenais à la mienne; et tout ce que je sentais, c’était la rigueur d’un châtiment effroyable pour un crime que je n’avais pas commis. La douleur du corps, quoique vive, m’était peu sensible ; je ne sentais que l’indignation, la rage, le désespoir. Mon cousin, dans un cas à peu près semblable, et qu’on avait puni d’une faute involontaire comme d’un acte prémédité , se mettait en fureur à mon exemple, et se montait, pour ainsi dire, à mon unisson. Tous deux dans le même lit, nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions ; et quand nos jeunes cœurs, un peu soulagés, pouvaient exhaler leur colère, nous nous levions sur notre séant, et nous nous mettions tous deux à crier cent fois de toute notre force Carnifex ! carnifex ! car- nifex ! Je sens, en écrivant ceci, que mon pouls s’élève encore ; ces momens me seront toujours présens, quand je vivrais cent mille ans. Ce premier senti- 103 .IBS C0KFESSI05S. ment de la violence et de l’injustice est resté si profondément gravé dans mon ame, que toutes les idées qui s’y rapportent me rendent ma première émotion ; et ce sentiment, relatif à moi dans son origine, a pris une telle consistance en lui-méme, et s’est si bien détaché de tout intérêt personnel, que mon cœur s’enflamme au spectacle ou au récit de toute action injuste, quel qu’en soit l’objet, et en quelque lieu qu’elle se commette, comme si l’effet en retombait sur moi. Quand je lis les eruau- tés d’un tyran féroce, les subtiles noirceurs d’un fourbe de prêtre, je partirais volontiers pour aller poignarder ces misérables, dussé-je cent fois y périr. Je me suis souvent mis en nage à poursuivre à la course ou à coups de pierres un coq, une vache, un chien, un animal que je voyais en tourmenter un autre, uniquement parce qù’il se sentait le plus fort. Ce mouvement peut m’être naturel, et je crois qu’il l’est; mais le sentiment de la première injustice que j’ai soufferte y fut trop longtemps et trop fortement lié, pour ne l’avoir pas beaucoup renforcé. Là fut le terme de la sérénité de ma vie enfantine. Dès ce moment je cessai de jouir d’un bonheur pur, et je sens aujourd’hui même que le souvenir des charmes de mon enfance s'arrête là. Nous restâmes encore à Bossey quelquesmois. Nousyfûmescomme on nous représente le premier homme encore dans le paradis terrestre, mais ayant cessé d’en jouir. C’était en apparence la même situation, et en effet une tout autre manière d’être. L’attachement, l’intimité, le respect, la confiance, ne liaient plus les élèves à leurs guides; nous ne les regardions plus comme des dieux qui lisaient dans nos cœurs; nous étions moins honteux de mal faire, et plus craintifs PARTIE I, LIVRE I. I05 d’être accusés; nous commencions à nous cacher, à nous mutiner, à mentir. Tous les vices de notre âge corrompaient notre innocence et enlaidissaient nos jeux. La campagne même perdit à nos yeux cet attrait de douceur et de simplicité qui va au cœur elle nous semblait déserte et sombre; elle s’était comme couverte d’un voile qui nous en cachait les beautés. Nous cessâmes de cultiver nos petits jardins, nos fleurs, nos herbes. Nous n’allions plus gratter légèrement la terre, et crier de joie en découvrant le germe du grain que nous avions semé. Nous nous dégoûtâmes de cette vie; on se dégoûta de nous; mon oncle nous retira, et nous nous séparâmes de M. et mademoiselle Lambereier, rassasiés les uns des autres, et peu fâchés de nous quitter. Près de trente ans se sont passés depuis ma sortie de Bossey, sans que je m’en sois rappelé le séjour d’une manière agréable par des souvenirs un peu liés mais, depuis qu’ayant passé l’âge mûr je décline vers la vieillesse, je sens que ces souvenirs renais- 1 sent tandis que les autres s’effacent; ils se gravent dans ma mémoire avec des traits dont le charme et la force augmentent de jour en jour comme si, sentant déjà la vie qui s’échappe, je cherchais à la ressaisir par ses commencemens. Les moindres faits de ce temps-là me plaisent par cela seul qu’ils sont de ce temps-là. Je me rappelle toutes les circonstances des lieux, des personnes, des heures. Je vois la servante et le valet agissant dans la chambre, une hirondelle entrant par la fenêtre, une mouche se poser sur ma main tandis que je récitais ma leçon; je vois tout l’arrangement de la chambre où nous étions; le cabinet de M. Lambereier à main droite, une estampe représentant tous les papes, un baromètre , un grand calendrier, des framboisiers qui, jles cosmsîOHs. »o 4 d’un jardin fort élevé, dans lequel la maison s’enfoncait sur le derrière, venaient ombrager la fenêtre, et passaient quelquefois jusqu’en dedans. Je sais bien que le lecteur n’a pas grand besoin de savoir tout cela; mais j’ai besoin, moi, de le lui dire. Que n’osé-je lui raconter toutes les petites anecdotes de cet heureux âge, qui me font encore tressaillir d’aise quand je me les rappelle! Cinq ou six surtout. Composons. Je vous fais grâce des cinq; mais j’en veux une, une seule, pourvu qu’on me la laisse conter le plus longuement qu’il me sera possible pour prolonger mon plaisir. Si je ne cherchais que le vôtre, je pourrais choisir celle du derrière de mademoiselle Lambercier, qui, par une malheureuse culbute au bas du pré, fut étalé tout en plein devant le roi de Sardaigne à son passage mais celle du noyer de la terrasse est plus amusante pour moi qui fus acteur, au lieu que je ne fus que spectateur dans la culbute ; et j’avoue que je ne trouvai pas le moindre mot pour rire à un accident qui, bien que comique en lui - même, m’alarmait pour une personne que j’aimais comme une mère, et peut-être plus. O vous, lecteurs curieux de la grande histoire du noyer de la terrasse, écoutez-en l’horrible tragédie, et vous abstenez de frémir si vous pouvez! • Il y avait, hors de la cour, une terrasse à gauebe en entrant, sur laquelle était un banc ou l’on allait souvent s’asseoir l’après-midi, mais qui n’avait point d’ombre. Pour lui en donner, M. lambercier y fit planter un noyer. La plantation de cet arbre sè fit avec solennité. Les deux pensionnaires en furent les parrains, et, tandis qu’on comblait le creux, nous tenions l’arbre chacun d’une main avec des chants de triomphe. On fit, pour l’arroser, une i>mra i, tïVRE i. ' Jo5 espèce de bassin tout autour du pied. Chaque jour, ardens spectatéurs de cet arrosement, nous nous confirmions, rpon cousin et moi, dans l’idée frès- naturelle qu’il était plus beau de planter un arbre sur la terrasse qu’un drapeau sur la brèche, et nous résolûmes de nous procurer cette gloire sans la partager avec qui que ce fût. Pour cela nous allâmes couper une bouture d’un jeune saule, et nous la plantâmes sur la terrasse, à huit ou dix pieds de l’auguste noyer. Nous n’oubliâmes pas de faire aussi un creux autour de notre arbre la difficulté était d’avoir de quoi le remplir, car l’eau venait d’assez loin, et on ne nous laissait pas courir pour en aller prendre. Cependant il en fallait absolument pour notre saule. Nous employâmes toutes sortes de ruses pour lui en fournir durant quelques jours, et cela nous réussit si bien, que nous le vîmes bourgeonner et pousser de petites feuilles dont nous mesurions l’accroissement d’heure en heure, persuadés, quoiqu’il ne fût pas à un pied de terre, qu’il ne tarderait pas à nous ombrager. Comme notre arbre, nous occupant tout entiers, nous rendait incapables de toute application , de toute étude, que nous étions comme en délire, eî que ne sachant à qui nous en avions, on nous tenait de plus court qu’auparavant, nous vîmes l’instant fatal où l’eau nous allait manquer, et nous nous désolions dans l’attente de voir notre arbre périr de sécheresse. Enfin la nécessité , mère de l’industrie, nous suggéra une invenlion pour garantir l’arbre et nous d’une mort certaine ce fut de faire par-dessous terre une rigole qui conduisît secrètement au saule une partie de l’eau dont on arrosait le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur, ne réussit pourtant pas d’abord. Nous avions si mal; CONFESSIONS. îo6 pris la pente, que l’eau ne coulait point, ta terre s’éboulait et bouchait la rigole; l’entrée se remplissait d’ordures; tout allait de travers. Rien ne nous rebuta. .... Labor omnia vincit Improbus. . . . VlRG, , Géarg., liv. I, v. i.;;. Nous creusâmes davantage et la terre et notre bassin pour donner à l’eau son écoulement; nous ' coupâmes des fonds de boîtes en petites planches étroites, dont les unes mises de plat à la file, et d’autres posées en angle des deux côtés sur celles-là, nous firent un canal triangulaire pour notre con- * duit. Nous plantâmes à l’entrée de petits bouts de bois minces et à claires voies, qui, faisant une espèce de grillage ou de crapaudine, retenaient le limon et les pierres sans boucher le passage à l’eau. Nous recouvrîmes soigneusement notre ouvrage de terre bienfoulée; et le jour où tout fut fait, nous attendîmes dans des transes d’espérance et de crainte, l’heure de l’arrosement. Après des siècles d’attente, cette heure vint enfin M. Lambercier vint aussi àson ordinaire assister à l’opération, durant laquelle nous nous tenions tous deux derrière lui pour cacher notre arbre, auquel très-heureusement il tournait le dos. A peine achevait-on de verser le premier seau d’eau, que nous commençâmes d’en voir couler dans notre bassin. A cet aspect la prudence nous t. abandonna. Nous nous mîmes à pousser des cris de joie qui firent retourner M. Lambercier; et ce fut dommage, car il prenait grand plaisir à voir com- bienla terre du noyer étaitbonne,et buvait avidement son eau. Frappé de la voir se partager entre deux bas- PARTIE I, IIVRE I. 10? sins, il s’écrie à son tour,regarde, aperçoit la friponnerie, se fait brusquement apporter une pioche, donne un co up, fait voler deux ou trois éclats de nos planches; et, criant à pleine tête, Un aquédue! un aquédue! il frappe de toutes parts des coups impitoyables do nt chacun portait au milieu de nos cœurs. En un moment, les planches, le conduit, le bassin, le saule, tout fut défruit, toutfut labouré, sans qu’il y eût, durant cette expédition terrible, aucun autre mot prononcé, sinon l’exclamation qu’il répétait sans cesse. Un aquédue ! s’écriait-il en brisant tout, un aquédue ! un aquédue ! On croira que l’aventure finit mal pour les petits architectes on se trompera; tout finit là. M. Lam- bercier ne nous dit pas un mot de reproche, ne nous fit pas plus mauvais visage, et ne nous en parla plus; nous l’entendîmes même un peu après rire auprès de sa sœur à gorge déployée, car le rire de M. Lambercier s’entendait de loin; et ce qu’il y eut de plus étonnant encore est que, passé le premier saisissement, nous ne fûmes pas nous-mêmes fort affligés. Nous plantâmes ailleurs un autre arbre, et nous nous rappelions souvent la catastrophe du premier, en répétantentre nous avec emphase, Un ' aquédue! un aquédue! Jusque-là j’avais eu des accès d’orgueil par intervalles quand j’étais Aristide ou Brutus; ce fut ici mon premier mouvement de vanité bien marquée. Avoir pu construire un aqué- duc de nos mains, avoir mis une bouture en concurrence avec un grand arbre me paraissait le suprême degré de la gloire. A dix ans j’en jugeais mieux que César à trente. L’idée de ce noyer, et la petite histoire qui s’y rapporte, m’est si bien restée ou revenue, qu’un de mes plus agréables projets dans mon voyage de 1 oS IBS COJÎFESSÏOKS. Genève, en 1^54, était d’aller à Bossey revoir ïes monumens des jeux de mon enfance, et surtout le 1 cher noyer, qui devait alors avoir déjà le tiers d’un ' siècle, et qui doit maintenant, s’il existe encore> en avoir à peu près la moitié. Je fus si continuellement obsédé, si peu maître de moi-même, que je ne pus trouver le moment de me satisfaire. 11 y 1 a peu d’apparence que cette occasion renaisse jamais pour moi. Cependant je n’en ai pas perdu le désir avec l’espérance; et je suis presque sûr que si jamais, retournant dans ces lieux chéris, j’y retrouvais mon cher noyer encore en être, je l’arroserais de mes pleurs. ne savait pas comme lui se captiver par ses devoirs, et prenait assez peu de soin de nous. Ma tante était une dévote tin peu piétiste, qui aimait mieux chanter les psaumes que de veiller à notre éducation. On nous laissait presque une liberté entière, PARME I, LIVRE I. ICM dont nous n’abusâmes jamais. Toujours inséparables, nous nous suffisions l’un à l’autre; et n’étant point tentés de fréquenter les polissons de notre âge, nous ne prîmes aucune des habitudes libertines que l’oisiveté nous pouvait inspirer. J’ai même tort de nous supposer oisifs, car de la vie nous ne le fûmes moins; et ce qu’il y avait d’heureux était que tous les amusemcns dont nous nous passionnions successivement, nous tenaient ensemble occupés dans la maison sans que nous fussions même tentés de descendre à la rue. Nous faisions des cages, des flûtes,des volans, des tambours, des maisons, des équifpes, des arbalètes. Nous gâtions les outils de mon bon vieux grand-père pour faire des montres à son imitation. Nous avions surtout un goût de préférence pour barbouiller du papier, dessiner, laver, enluminer, faire un dégât de couleurs. Il vint à Genève un charlatan italien appelé Garaba- corta nous allâmes le voir une fois, et puis nous n’y voulûmes plus aller mais il avait des marionnettes, et nous nous mîmes à faire des marionnettes; ses marionnettes jouaient des manières de comédies, et nous fîmes des comédies pour les nôtres. Faute de pratique, nous contrefaisions du gosier la voix de polichinelle pour jouer ces charmantes comédies, que nos pauvres bons parens avaient la patience de voir et d’entendre. Mais mon oncle Bernard ayant un jour lu dans la famille un fort beau sermon de sa façon, nous quittâmes les comédies et nous mîmes à composer des sermons. Ces détails ne sont pas fort in- téressans, je l’avoue mais ils montrent à quel point il fallait que notre première éducation eût été bien dirigée, pour que, maîtres de notre temps et de nous dans un âge si tendre, nous fussions si peu tentés d’en abuser. Nous avions si peu besoin de J 10 IES CONFESSIONS. nous faire des camarades, que nous en négligions même l’occasion. Quand nous allions nous promener, nous regardions en passant leurs jeux sans convoitise, sans songer même à y prendre part. L’amitié remplissait si bien nos cœurs, qu’il nous suffisait d’être ensemble pour que les plus simples goûts fissent nos délices. A force de nous voir inséparables, on y prit garde, d’autant plus que mon cousin Bernard étant très-grand et moi très-petit, cela faisait un couple assez plaisamment assorti. Sa longue figure effilée, son petit visage de pomme cuite, son air mou, sa démarche nonchalante, excitaient les enfans à se moquer de lui. Dans le patois du pays on lui donna le nom àeBarnâ êreclanna ; et sitôt que nous sortions, nous n’entendions que Bamâ bredanna tout autour de nous. Il endurait cela plus tranquillement que moi. Je me fâchai, je voulus me battre; c’était ce que les petits coquins demandaient. Je battis, je fus battu. Mon pauvre cousin me soutenait de son mieux; mais il était faible, d’un coup de poing on le renversait. Alors je devenais furieux. Cependant, quoique j’attrapasse force horions, ce n’était pas à moi qu’on en voulait, c’était à Bamâ {/redunna ; mais j’augmentai tellement le mal par ma mutine colère, que nous n’osions plus sortir qu’aux heures où l’on était en classe, de peur d’être hués et suivis par les écoliers. • Me voilà déjà redresseur des torts. Pour être un paladin dans les formes, il ne me manquait que d’avoir une dame ; j’en eus deux. J’allais de temps en temps voir mon père à Nyon, petite ville du pays de Yàud, où il s’était établi. Mon père était fort aimé, et son fils se sentait de cette bienveillance^ Pendant le peu de séjour que je faisais près de lui, 111 15 , 1S t. *s it it le i '» sa se ia a 1 - ; ré i it ! le s» ! ;e j â ! ir i ir •e lr i- n is rt ' PARTIE I, LIVRE I. e’était à qui me fêterait. Une madame de Vuïson surtout me faisait mille caresses ; et pour y mettre le comble, sa fille me prit pour son galant. On sent ce que c’est qu’un galant d’onze ans pour une fille de vingt-deux. Mais toutes ces friponnes sont si aises de mettre ainsi de petites poupées en avant pour cacher les grandes, ou pour les tenter par l’image d’un jeu qu’elles savent rendre attirant ! Pour moi, qui ne voyais point entre elle et moi de disconvenance , je pris la chose au sérieux je me livrai de tout mon cœur, ou plutôt de toute ma tête, car je n’étais guère amoureux que par là, quoique je le fusse à la folie, et que mes transports, mes agitations , mes fureurs donnassent des scènes à pâmer de rire. Je connais deux sortes d’amours très-distincts, très-réels, et qui n’ont presque rien de commun, quoique très-vifs l’un et l’autre, et tous deux différais de la tendre amitié. Tout le cours de ma vie s’est partagé entre ces deux amours de si diverses natures et je les ai même éprouvés tous deux à la fois; car, par exemple, au moment dont je parle, tandis que je m’emparais de mademoiselle de Vulson si publiquement et si tyranniquement que je ne pouvais souffrir qu’aucun homme approchât d’elle, j’avais avec une petite mademoiselle Goton des tête-à-tête assez courts, mais assez vifs , dans lesquels elle daignait faire la maîtresse d’école, et c’était tout; niais ce tout, qui en effet était tout pour moi, me paraissait le bonheur suprême, et, sentant déjàle prix du mystère, quoique je n’en susse user qu’en enfant, je rendais à mademoiselle de Vulson, qui ne s’en doutait guère, le soin qu’elle prenait de m’employer à cacher d’autres amours. Mais, à mon grand regret, mon secret fut découvert, ou moins ï 13 ses coümsJONïk bien gardé de la part de ma petite maitrèsse d’éesie que de la mienne, car on ne tarda pas à nous séparer; et quelque temps après, de retour à Genève, j’entendis, en passant à Coûtance , de petites filles me crier à demi-voix Goton tic-tac Rousseau. C’était en vérité une singulière personne que cette petite mademoiselle Goton. Sans être belle,elle avait une figure difficile à oublier, et que je me rap pelle encore, souvent beaucoup trop pour un vieux fou. Ses yeux surtout n’étaient pas de son âge, ni sa faille, ni son maintien. Elle avait un air imposant et fier, très-propre à son rôle, et qui en avait occasionné la première idée entre nous. Mais ce qu’elle avait de bizarre était un mélange d’audace et de réserve difficile à concevoir. Elle se permettait avec moi les plus grandes privautés sans jamais m’en permettre aucune avec elle ; elle me traitait exactement en enfant ce qui me fait croire qu’elle avait déjà cessé de l’être, ou qu’au contraire elle l’était encore assez elle-même pour ne voir qu’un jeu dans le péril auquel elle s’exposait. J’étais tout entier, pour ainsi dire, à chacune de ces deux personnes, et si parfaitement, qu’avec aucune des deux il ne m’arrivait jamais de songer à l’autre. Mais du reste rien de semblable en ce qu’elles me faisaient éprouver. J’aurais passé ma vie entière avec mademoiselle de Vulson sans songer à la quitter; mais, en l’abordant, ma joie était tranquille et n’allait pas à l’émotion. Je l’aimais surtout en grande compagnie; les plaisanteries, les agaceries, les jalousies même, m’attachaient, m’intéressaient je triomphais avec orgueil de ses préférences près des grandsrivaux qu’elle paraissait maltraiter. J’étais tourmenté, mais j’aimais ce tourment. Les applau- dissemens, les eueouragemens, les ris, m’échauf- PARTIE I , LIVRE r. 113 faient, m’animaient. J’avais des emportemens, des saillies-; j’étais transporté d’amour dans un cercle. Tête à tête j’aurais été contraint, froid, peut-être ennuyé. Cependant je m’intéressais tendrement à elle, je souffrais quand elle était malade j’aurais donné ma santé pour rétablir la sienne; et notez que je savais très-bien par expérience ce que c’était que maladie, et ce que c’était que santé. Absent d’elle j’y pensais, elle me manquait présent, ses caresses m’étaient douces au cœur, non aux sens. J’étais impunément familier avec elle mon imagination ne me demandait que ce qu’elle m’accordait; cependant je ne pouvais supporter de lui en voir faire autant à d’autres. Je l’aimais en frère ; mais j’en étais jaloux en amant. Je l’eusse été de Mademoiselle Goton en Turc, en furieux, en tigre, si j’avais seulementimaginé qu’elle pût faire à un autre le même traitement qu’elle m’accordait ; car cela même était une grâce qu’il fallait demander à genoux. J’abordais mademoiselle de Vulson avec un plaisir très-vif, mais sans trouble ; au lieu qu’en voyant seulement mademoiselle Go - ton, je ne voyais plus rien , tous mes sens étaient bouleversés. J’étais familier avec la première, sans avoir de familiarités; au contraire, j’étais aussi tremblant qu’agité devant la seconde, même au fort des plus grandes familiarités. Je crois que si j’avais resté trop long-temps avec elle je n’aurais pu vivre; les palpitations m’auraient étouffé. Je craignais également de leur déplaire, mais j’étais plus complaisan t pour Tune, et plus obéissant pour l’autre. Pour rien au monde je n’aurais voulu fâcher mademoiselle de Vulson ; mais si mademoiselle Goton m’eût ordonné de me jet er dans les flammes , je crois qu’à l’instant j’aurais obéi. I. * 5 .,. ISS COKEESSIOKS. ' I 14 Mes amours ou plutôt mes rendez-vous avec celle-ci durèrent peu, très-heureusement pour elle et pour moi. Quoique mes liaisons avec mademoiselle de Yulson 11’eussent pas le même danger, elles ne laissèrent pas d’avoir aussi leur catastrophe j après avoir un peu plus long-temps duré. Les fins de tout cela devaient toujours avoir l’air un peu romanesque et donner prise aux exclamations. Quoique mon commerce avec mademoiselle de Vulson fût moins vif, il était plus attachant peut- être. Nos séparations ne se faisaient jamais sans larmes, et il est singulier dans quel vide accablant je me sentais plongé après l’avoir quittée. Je ne pouvais parler que d’elle, ni penser qu’à elle; mes regrets étaient vrais et vifs mais je crois qu’au fond ces héroïques regrets 11’étaient pas tous pour elle, et que sans que je m’en aperçusse, les amusemens dont elle était le centre y avaient leur bonne part. Pour tempérer les douleurs de l’absence, nous nous écrivions des lettres d’un pathétique à fendre les rochers. Enfin j’eus la gloire qu’elle n’y put plus tenir, et qu’elle vint me voiràGenève. Pourleeoup, la tête acheva de me tourner je fus ivre et fou les deux jours qu’elle y resta. Quand elle partit, je voulais me jeter à l’eau après elle,' et je fis long-temps retentir l’air de mes cris. Huit joursaprès, elle m’envoya des bonbons et des gants ce qui m’eût paru fort galant, si je n’eusse appris en même temps qu’elle était mariée, et que ce voyage, dont il lui avait plu de me faire honneur, était pour acheter ses habits de noces. Je ne décrirai pas ma fureur elle se conçoit. Je jurai dans mon noble courroux de ne plus revoir la perfide , n’imaginant pas pour elle de plus terrible punition. Elle n’en mourut pas cependant car vingt ans après, étant allé voir mon PARTIE I , IIVRE I. 1 15 père, et me promenant avec lui sur le lac, je demandai qui étaient des dames que je voyais dans un bateau peu loin du nôtre. Comment! me dit mon père en souriant, le cœur ne te le dit-il pas? Ce sont tes anciennes amours c’est madame Crislin, c’est mademoiselle de Vulson. Je tressaillis à ce nom presque oublié ; mais je dis aux bateliers de changer de route, ne jugeant pas, quoique j’eusse assez beau jeu pour prendre alors ma revanche, que ce fût la peine d’ètre parjure, et derenouveiler une querelle de vingt ans avec une femme de quarante. Ainsi se perdait en niaiseries le plus précieux temps de mon enfance, avant qu’on eût décidé de ma destination. Après de longues délibérations pour suivre mes dispositions naturelles, on prit enfin le parti pour lequel j’en avais le moins, et l’on me mit chez M. Masseron , greffier de la ville, pour apprendre sous lui, comme disait M. Bernard, l’utile métier de grapignan. Ce surnom me déplaisait souverainement l’espoir de gagner force écus par une voie ignoble flattait peu mon humeur hautaine; l’occupation me paraissait ennuyeuse, insupportable ; l’assiduité, l’assujettissement, achevèrent de me rebuter ; et je n’entrais jamais au greffe qu’avec une secrète horreur qui croissait de jour en jour. M. Masseron, de son côté, peu content de moi, me traitait avec mépris, me reprochant sans cesse mon engourdissement, ma bêtise, me répétant tous les jours que mon oncle l’avait assuré que je savais , que je savais , tandis que dans le vrai je ne savais rien ; qu’il lui avait promis un joli garçon, et qu’il ne lui avait donné qu’un âne. Enfin je fus renvoyé du greffe ignominieusement pour mon ineptie, et il fut prononcé par les clercs de M. Masseron que je n’étais bon qu’à mener la lime. LES CONFESSTOVS. * i G Ma vocation ainsi déterminée, je fus mis en apprentissage, non toutefois chez un horloger, mais chez un graveur. Les dédains du greffier m’avaient extrêmement humilié , et j’obéis sans murmure. Mon maître, appelé M. Ducommun, était un jeune homme rustre et violent, qui vint à bout en très- peu de temps de ternir tout l’éclat démon enfance, d’abrutir mon caractère aimant et vif, et de me réduire par l’esprit, comme je l’étais par la fortune, à mon véritable état d’apprenti. Mon latin, mes antiquités, mon histoire, tout fut pour long-temps oublié ; je ne me souvenais pas même qu’il y eût eu des Romains au monde. Mon père, quand je l’allais voir, ne trouvait plus en moi son idole je n’étais plus pour les dames le galant Jean-Jacques; et je sentais si bien moi-même que M. et mademoiselle Lambercier n’auraient plus reconnu en moi leur élève, que feus honte de me représenter à eux, et ne les ai plus revus depuis lors. Les goûts les plus Vils, la plus basse polissonnerie, succédèrent à mes aimables amusemens, sans m’en laisser même la moindre idée. Il faut que , malgré l’éducation la plus honnête, j’eusse un grand penchant à dégénérer; car eela se fit très-rapidement, sanslamoindre pei n e ; et ja mai s C ésar si pré co ce n e de vin t si promptement Laridon. Le métier ne me déplaisait pas en lui-même ; j’avais un goût vif pour le dessin le jeu du burin m’amusait assez ; et comme le talent du graveur pour l’horlogerie est très-borné, j’avais l’espoir d’en atteindre la perfection. J’y serais parvenu peut-être, si la brutalité de mon maître et la gêne excessive ne m’avaient rebuté du travail. Je lui dérobais mou temps pour l’employer en occupations du même genre, mais qui avaient pour moi l’attrait de la PARTÎT. I, IIVRT! I. HJ liberté. Je gravais des espèces de médailles pour nous servir, à mes camarades et à moi, d’ordre de chevalerie. Mon maître me surprit à ec travail de contrebande, et me roua de coups, disant que je m’exerçais à faire de la fausse monnaie, parce que nos médailles avaient les armes de la république. Je puis bien jurer que je n’avais aucune idée de la fausse monnaie, et très-peu de la véritable. Je savais mieux comment se faisaient les as romains que nos pièces de trois sous. La tyrannie de mon maître finit par me rendre insupportable le travail que j’aurais aimé, et par me donner des vices que j’aurais haïs, tels que le mensonge, la fainéantise, le vol. Rien ne m'a mieux appris la différence qu’il y a de la dépendance filiale à l’esclavage servile, que le souvenir des change- mens que produisit en moi cette époque. Naturellement timide et honteux, je n’eus jamais plus d’éloignement pour aucun défaut que pour l’effronterie ; mais j’avais joui' d’une liberté honnête qui seulement s’était restreinte jusque-làpar degrés, et s’évanouit enfin tout-à-fait. J’étais hardi chez mon père, libre chez M. Lambercier, discret chez mon oncle ; je devins craintif chez mon maître, et dès lors je fus un enfant perdu. Accoutumé à une égalité parfaite avec mes supérieurs dans la manière de vivre, à ne pas connaître un plaisir qui ne fût à ma portée, à 11e pas voir un mets dont je n’eusse ma part, à n’avoir pas un désir que je ne témoignasse, à mettre enfin tous les mouvemensde mon cœur sur mes lèvres; qu’on juge de ce que je dus devenir dans une maison où je n’osais pas ouvrir la bouche ; où il fallait sortir de table au tiers du repas, et de la chambre aussitôt que je n’y avais rien à faire ; où, sans cesse enchaîné à mon travail, XES CONFESSIONS. 118 je ne voyais qu’objets de jouissance pour d’autres et de privations pour moi seul; où l’image de la liberté du maître et des compagnons augmentait le poids démon assujettissement; où, dans les disputes sur ce que je savais le mieux, je n’osais ouvrir la bouche ; où tout enfin ce que je voyais devenait pour mon cœur un objet de convoitise , uniquement parce que j’étais privé de tout. Adieu l’aisance, la gaieté, les mots heureux, qui jadis souvent dans mes fautes m’avaient fait échapper au châtiment. Je ne puis me rappeler sans rire qu’un soir chez mon père, étant condamné pour quelque espièglerie à m’aller coucher sans souper, et passant par la cuisine avec mon triste morceau de pain, je vis et flairai le rôti tournant à la broche. On était autour du feu ; il fallut en passant saluer tout le monde. Quand la ronde fut faite, lorgnant du coin de l’œil ce rôti qui avait si bonne mine et qui sentait si bon, j,e ne pus m’abstenir de lui faire aussi la révérence , et de lui dire d’un ton piteux Adieu , rôti. Cette saillie de naïveté parut si plaisanté qu’on me fit rester à souper. Peut-être eût-elle eu le même bonheur chez mon maître mais il est sûr qu’elle ne m’y serait pas venue, ou que je n’aurais osé m’y livrer. Voilà comment j’appris à convoiter en silence, à me cacher, à dissimuler, à-mentir, et. à dérober enfin ; fantaisie qui jusqu’alors ne. m’était pas venue , et dont je n’ai pu depuis lors bien me guérir. La convoitise et l’impuissance mènent toujours là. Voilà pourquoi tous les laquais sont fripons, et pourquoi tous les apprentis doivent l’être ; mais dans un état égal et tranquille , où tout ce qu’ils voient est à leur portée, ces derniers perdent en grandissant ce honteux penchant. N’ayant pas eu le même avantage, je n’en ai pu tirer le même profit- PARTIE I, LIVRE I. 1 ig Ce sont presque toujours de bons sentimens mal dirigés qui font faire aux enfansle premier pas vers le mal. Malgré les privations et les tentations continuelles , j’avais demeuré près d’un an chez mon maîtx-e sans pouvoir me résoudre à rien prendre , pas môme des choses à manger mon premier vol fut une affaire de complaisance; mais il ouvrit la porte à d’autres, qui n’avaient pas une si louable fin. Il y avait chez mon maître un compagnon appelé, M. Verrat, dont la maison, dans le voisinage, avait un jardin assez éloigné qui produisait de belles asperges il prit envie à M. Yerrat, qui n’avait pas beaucoup d’argent, de voler à sa mère des asperges dans leur primeur, et de les vendre pour faire quelques bons déjeunés. Comme il n’était pas fort in-, gambe' et qu’il ne voulait pas s’exposer lui-mème, il me choisit pour cette expédition. Après quelques cajoleries préliminaires, qui me gagnèrent d’autant mieux que je n’en voyais pas le but, il me la proposa comme une idée qui lui venait sur-le-champ. Je disputai beaucoup , il insista je n’ai jamais pu résister aux caresses; je me rendis. J’allais tous les matins moissonner les plus belles asperges je les portais au Molard, où quelque bonne femme, qui voyait que je venais de les voler, me le disait pour les avoir à meilleur compte. Dans ma frayeur je prenais ce qu’elle voulait bien me donner je le portais à M. Verrat. Cela se changeait promptement en un déjeuné dont j’étais le pourvoyeur , et qu’il partageait avec un autre camarade ; car, pour moi, très-content d’en avoir quelque bribe, je ne touchais pas même à leur vin. Ce petit manège dura plusieurs jours sans qu’il me vînt même à l’esprit de voler le voleur, et de 120 m cosrfssross. dîmer sur M. Verrai le produit de ses asperges j’exécutais ma friponnerie avec la plus grande fidélité; mon seul motif était de complaire à celui qui me la faisait faire. Cependant, si j’eusse été surpris, que de coups, que d’injures , quels traitemenscruels n’eussé-je point essuyés, tandis que le misérable , en me démentant, eût été cru sur sa parole, et moi doublement puni pour avoir osé le charger, attendu qu’il était compagnon , et que je n’étais qu’apprenti ! Voilà comment en tout état le fort coupable se sauve aux dépens du faible innocent. J’appris ainsi qu’il n’était pas si terrible de voler que je l’avais cru , et je tirai bientôt si bon parti de ma science , que rien de ce que je convoita is n’était à ma portée en sûreté. Je n’étais pas absolument mal nourri chez mon maître, et la sobriété ne m’était pénible qu’en la lui voyant si mal garder l’usage de faire sortir de table les jeunes gens quand on y sert ce qui les tente le plus, me paraît très-bien entendu pour les rendre aussi friands que fripons. Je devins en peu de temps l’un et l’autre, et je m’en trouvais fort bien pour l’ordinaire, quelquefois fort mal quand j’étais surpris. Un souvenir qui me fait frémir encore et rire tout à la fois est celui d’une chasse aux pommes qui me coûta cher. Ces pommes étaient au fondd’une dépense qui, par une jalousie élevée, recevait du jour de la cuisine. Un jour que j’étais seul dans la maison , je montai sur la mai pour regarder dans le jardin des Hespérides ce précieux fruit dont je ne pouvais approcher. J’allai chercher la broche pour voir si elle y pourrait atteindre elle était trop courte je l’allongeai par une autre petite broche qui servait pour le menu gibier, car mon maître aimait la chasse- Je piquai plusieurs fois sans succès ; lai PARTIE I, LIVRE I. enfin je sentis avec transport que j’amenais une pomme. Je tirai très-doucement déjà la pomme touchait à la jalousie ; j’étais prêt à la saisir. Qui dira ma douleur ? La pomme était trop grosse ; elle ne put passer par le trou. Que d’inventions je mis en usage pour la tirer ! Il fallut trouver des supports pour tenir la broche en état, un couteau assez long pour fendre la pomme, une latte pour la soutenir. A force d’adresse et de temps je parvins à la partager , espérant tirer ensuite les pièces l’une après l’autre mais à peine furent-elles séparées qu’elles tombèrent toutes deux dans la dépense. Lecteur pitoyable, partagez mon affliction ! Je ne perdis point courage, mais j’avais perdu beaucoup de temps je craignais d’être surpris ; je renvoie au lendemain une tentative plus heureuse, et je me remets à l’ouvrage tout aussi tranquillement que si je n’avais rien fait, sans songer aux deux témoins indiscrets qui [déposaient contre moi dans la dépense. Le lendemain, retrouvant l’occasion belle, je tente un nouvel essai je monte sur mes tréteaux, j’allonge la broche , je l’ajuste, j’étais prêt à piquer.... Malheureusement le dragon ne dormait pas. Tout à coup la porte de la dépense s’ouvre mon maître on sort, croise les bras, me regarde, et me dit Courage.... La plume me tombe des mains. Bientôt, à force d’essuyer de mauvais traitemens, j’y devins moins sensible ; ils me parurent enfin . une sorte de compensation du vol, qui me mettait 'en droit de le continuer. Au lieu de tourner les yeux en arrière et de regarder la punition, je les portais on avant et je, regardais la vengeance je jugeais que me battre comme fripon, c’était m’autoriser à l’être; je trouvais que voler et être battu allaient i. G isa LES COSPESSIOSS. ensemble, et constituaient en quelque sorte un état, et qu’en remplissant la partie de cet état qui dépendait de moi, je pouvais laisser le soin de l’autre à mon maître. Sur cette idée je me mis à voler plus tranquillement qu'auparavant je me disais Qu’en arrivera-t-il enfin" ? Je serai battu. Soit je suis fait pour l’être. J’aime à manger, sans être avide je suis sensuel , et non pas gourmand ; trop d’autres goûts me distraient de celui-là. Je ne me suis jamais occupé de ma bouche que quand mon cœur était oisif ; et cela m’est si rarement arrivé dans ma vie, que je n’ai guère eu le temps de songer aux bons morceaux. Voilà pourquoi je ne bornai pas longtemps ma friponnerie au comestible je l’étendis bientôt à tout ce qui me tentait; et si je ne devins pas un voleur en forme, c’est que je n’ai jamais été beaucoup tenté d’argent. Dans le cabinet commun mon maître avait un autre cabinet à part, qui fermait à clef je trouvai le moyen d’en ouvrir la porte et de la refermer sans qu’il y parût. Là je mettais à contribution ses bons outils, ses meilleurs dessins, ses empreintes, tout ce qui me faisait envie , et qu’il affectait d’éloigner de moi dans le le fond, ces vols étaient bien innocens, puisqu’ils n’étaient faits que pour être employés à son service ; mais j’étais transporté de joie d’avoir ces bagatelles en mon pouvoir; je croyais voler le talent avec ses productions. Au reste, il y avait dans des boîtes des recoupes d’or et d’argent , de petits bijoux, des pièces de prix , de la monnaie quand j’avais quatre ou cinq sous dans ma poche, c’était beaucoup cependant, loin de toucher à rien de tout cela, je ne me souviens pas même d'y avoir jeté de ma vie un regard de convoitise ; je le voyais PARTIE I, 1IVRE I. 123 avec plus d’effroi que de plaisir. Je crois bien que cette horreur du vol de l’argent et de ce qui en produit me venait en grande partie de l’éducation il se mêlait à cela des idées secrètes d’infamie, de prison, de châtiment, de potence , qui m’auraient l’ait frémir si j’avais été tenté ; au lieu que mes tours ne me semblaient que des espiègleries, et n’étaiçnt pas autre chose en effet. Tout cela ne pouvait valoir que d’être bien étrillé par mon maître ; et, d’avance, je m’arrangeais là-dessus. Mais, encore une fois, je ne convoitais pas même assez pour avoir à m’abstenir je ne sentais rien à combattre. Une seule feuille de beau papier à dessiner me tentait plus que l’argent pour en acheter une rame. Cette bizarrerie tientàune des singularités de mon caractère elle a eu tant d’influence sur ma conduite, qu’il importe de l’expliquer. J’ai des passions très-ardentes, et, tandis qu’elles m’agitent, rien n’égale mon impétuosité ; je ne connais plus ni ménagement, ni respect, ni crainte, ni bienséance; je suis cynique, effronté, violent, intrépide ; il n’y a ni honte qui m’arrête , ni danger qui m’effraie; hors le seul objet qui m’occupe, l’univers n’est plus rien pour moi. Mais tout cela ne dure qu’un moment, et Iemoment qui suit me jette dans l’anéantissement. Prenez-moi dans le calme, je suis l’indolence et la timidité même tout m’effarouche , tout me rebute, une mouche en volant me fait peur ; un mot à dire, un geste à faire épouvante ma paresse ; la crainte et la honte me subjuguent à tel point, que je voudrais m’éclipser aux yeux de tous les mortels. S’il faut agir, je ne sais que faire ; s’il fautparler, je ne sais que dire ; si l’on me regarde, je suis décontenancé. Quand je me passionne, je sais trouver quelquefois ce que I a4 IBS CONFESSIONS, j’ai à dire ; mais dans des entretiens ordinaires je ne trouve rien, rien du tout ils me sont insupportables par cela seul que je suis obligé de parler. Ajoutez qu’aucun de mes goûts dominans ne consiste en choses qui s’achètent. Il ne me faut que des plaisirs purs, et l’argent les empoisonne tous. J’aime , par exemple, ceux de la table ; mais ne pouvant souffrir ni la gêne de la bonne compagnie ni la crapule du cabaret, je ne puis les goûter qu’avec un ami, car, seul, cela ne m'est pas possible mon imagination s’occupe alors d’autre chose, et je n’ai pas le plaisir de manger. Si mon sang allumé me demande des femmes, mon cœur ému me demande encore plus de l’amour. Des femmes à prix d’argent perdraient pour moi tous leurs charmes; je doute même s’il serait en moi d’en profiter* Il en est ainsi de tous les plaisirs à ma portée ; s’ils ne sont gratuits, je les trouve insipides. J’aime les seuls biens qui ne sont à personne qu’au premier qui sait les goûter- Jamais l’argent ne me parut une chose aussi précieuse qu’on la trouve. Bien plus , il ne m’a même jamais paru fort commode; il n’est bon arien par lui-même; il faut le tranformer pour en jouir; il faut acheter, marchander, souvent être dupe, bien payer, être mal servi. Je voudrais une chose bonne dans sa qualité ; ayec mon argent, je suis sûr de l’avoir mauvaise. J’achète cher un œuf frais, il est vieux ; un beau fruit, il est yert ; une fille , elle est gâtée. J’àime le bon vin ; mais où en prendre ? chez un marchand de vin ? Comme que je fasse, il m’empoisonnera. Veux - je absolument être bien servi? Que de soins ! que d’embarras! avoir des amis, des correspondons,donner des commissions, écrire, aller, venir, attendre, et souvent au bout, PARTIE I, IlVRE 1. a 3 être encore trottipé ! Que de peine avec mon argent ! je la crains plus que je n’aime le bon vin. Mille fois, durant mon apprentissage et depuis , je suis sorti dans le dessein d’acheter quelques friandises. J’approche de la boutique d’un pâtissier , j’aperçois des femmes au comptoir ; je crois déjà les voir rire et se moquer du petit gourmand. Je passe devant une fruitière, je lorgne du coin de l’œil de belles poires, leur parfum me tente ; deux ou trois jeunes gens tout près de là me regardent ; un homme qui me connaît est devant sa boutique ; je vois venir de loin une fille; n’est-ce point la servante de la maison ? Ma vue courte me faitmille illusions. Je prends tous ceux qui passent pour des gens de ma connais- sance partout je suis intimidé, retenu par quelque obstacle mon désir croît avec ma honte, et je rentre enfin comme un sot, dévoré de convoitise, ayant dans ma poche de quoi la satisfaire, et n’ayant osé rien acheter. J’entrerais dans les plus insipides détails, si je suivais dans l’emploi de mon argent, soit par moi, soit par d’autres, l’embarras, la honte, la répugnance, les inconvéniens, les dégoûts de toute espèce, que j’ai toujours éprouvés. A mesure qu’avançant dans ma vie le lecteur prendra connaissance, de mon humeur, il sentira tout cela sans que je m’appesantisse à le lui dire. Cela compris, on comprendra sans peine une de mes prétendues contradictions ; celle d’allier une avarice presque sordide avec le plus grand mépris pour l’argent. C’estun meuble pour moi si peu commode , que je ne m’avise pas même de désirer celui que je n’ai pas, et que quand j’en ai je le garde long-temps , si je puis, sans le dépenser, faute * a6 LES C0NFESSI0SS. de savoir l’employer à ma fantaisie mais l’occasion commode et agréable se présente-t-elle ? j’en profite si bien que ma bourse se vide avant que je m’en sois aperçu. Du reste, ne cherchez pas en moi le tic des avares, celui de dépenser pour l’ostentation ; tout au contraire, je dépense en secret et pour le plaisir loin de me faire gloire de dépenser, je m’en cache. Je sens si bien que l’argent n’est pas à mon usage, que je suis presque honteux d’en avoir , encore plus de m’e» servir. Si j’avais eu jamais un revenu fixe et suffisant pour vivre, je n’aurais point été tenté d’être avare, j’en suis très-sûr; je dépenserais tout mon revenu sans chercher à l’augmenter mais ma situation précaire me tient en crainte. J’adore la liberté j’abhorre la gène , la peine , l’assujettissement. Tant que dure l’argent que j’ai dans ma bourse, il assure mon indépendance, il me dispense de m’intriguer pour en trouver d’autre ; nécessité que j’eus toujours en horreur mais de peur de le voir finir , je le choie. L’argent qu’on possède est l’Instrument de la liberté ; celui qu’on pourchasse est l’instrument de la servitude. Yoilà pourquoi je serre bien,et ne convoite rien. Mon désintéressement n’est donc que paresse ; le plaisir d’avoir ne vaut pas la peine d’acquérir ; et ma dissipation n’est encore que paresse quand L’occasion de dépenser agréablement se présente, on ne peut trop la mettre à profit. Je suis moins tenté de l’argent que des choses, parce qu’entre l’argent et la possession désirée il y a toujours un intermédiaire, au lieu qu’entre la chose même et sa jouissance il n’y en a point. Je vois la chose, elle me tente; si je ne vois que le moyen de l’acquérir, il ne me tente pas. J’ai donc été fripon, et quelquefois je le suis encore de bagatelles qui me PARTIE I, LIVRE J. »37 tentent et que j’aime mieux prendre que demander. Mais, petit ou grand, je ne me souviens pas d’avoir pris de ma vie un liard à personne, hors une seule fois, il n’y pas quinze ans, que je volai sept livres dix sous. L’aventure vaut la peine d’ètre contée ; car il s’y trouve un concours impayable d’effronterie et de bêtise , que j’aurais peine moi-même à croire s’il regardait un autre que moi. C’était à Paris. Je me promenais avec M. de Prancueil au Palais-Royal sur les cinq heures. II tire sa montre, la regarde , et me dit Allons à l’opéra. Je le veux bien. Nous allons. Il prend deux billets d’amphithéâtre, m’en donne un, et passe lé premier avec l’autre ; je le suis, il entre. En entrant après lui, je trouve la porte embarrassée. Je regarde je vois tout le monde debout, je juge que je pourrai bien me perdre da ns cette foule, ou du “moins laisser supposer à M. de Francueil que j’y suis perdu. Je sors, je reprends ma contre-marque, puis mon argent, et je m’en vais, sans songer qu’à peine avais-je atteint la porte que tout le monde était assis, et qu’alors M. de Francueil voyait clairement que je n’y étais plus. Comme jamais rien ne fut plus éloigné de mon humeur que ce trait-là, je le note pour montrer qu’il y a des momens d’une espèce de délire où il ne faut point juger d’un homme par son action. Ce n’était pas précisément voler cet argent; c’était en voler l’emploi moins c’était un vol, plus c’était une infamie. Je ne finirais pas ces détails si je voulais suivre toutes les routes par lesquelles durant mon apprentissage je passai de la sublimité de l’héroïsme à la bassesse d’un vaurien. Cependant, en prenant les vices de mon état, il me fut impossible d’en pren 1 aS IES CONFESSIONS. dre tout-à-fait les goûts. Je m’ennuyais des amuse- mens de mes camarades ; et quand la trop grande gêne m’eut aussi rebuté du travail, Je m’ennuyai de tout. Cela me rendit le goût de la lecture que j’avais perdu depuis long-temps. Ces lectures prises sur mon travail devinrent un nouveau crime qui m’attira de nouveaux châtimens. Ce goût, irrité par la contrainte, devint passion, bientôt fureur. !La Tribu, fameuse loueüse de livres, m’en-fournissait de toute espèce. Bons etmauvais, tout passait je ne choisissais point; je lisais tout avec une égale avidité. Je lisais à l’établi, je lisais en allant faire mes messages, je lisais à la garde-robe, et m’y oubliais des heures entières ; la tête me tournait de la lecture ; je ne faisais plus que lire. Mon maître m’épiait, me surprenait, me battait, me prenait mes livres. Que de volumes furent déchirés, brûlés, jetés par les fenêtres ! Que d’ouvrages restèrent dépareillés chez la Tribu ! Quand je n’avais plus de quoi la payer, je lui donnais mes chemises, mes cravates, mes hardes ; mes trois sous d’étrennes tous les dimanches lui étaient régulièrement portés. Voilà donc, me dira-t-on, l’argent devenu nécessaire. Il est vrai; mais ce fut quand la lecture m’eut ôté toute activité. Livré tout entier à mon nouveau goût, je ne faisais plus que lire ; je ne volais plus. C’est encore ici une de mes différences caractéristiques. Au fort d’une certaine habitude d’être , nn rien me distrait, me change, m’attache, enfin me passionne ; et alors tout est oublié je ne songe plus qu’au nouvel objet qui m’occupe. Le cœur me battait d’impatience de feuilleter le nouveau livre que j’avais dans la poche ; je le tirais aussitôt que j’étais seul, et ne songeais plus à fouiller le cabinet de mon maître. J’ai même peine à croire que j’eusse PARTIE I, LIVRE t. I2g volé quand même j’aurais eu des passions plus coûteuses; Borné au moment présent, if n’était pas dans mon tour d’esprit de m’arranger ainsi pour l’avenir. La Tribu me faisait crédit, les avances étaient petites, et quand j’avais empoché mon livre, je ne songeais plus à rien. L’argent qui me venait naturellement passait de même à cette femme ; et quand elle devenait pressante, rien n’était plus tôt sous ma main que mes propres effets. Voler par avance était trop de prévoyance, et voler pour payer n’était pas même une tentation. A force de querellés , de coups, de lectures dérobées et mal choisies , mon humeur'devint taciturne , sauvage ; ma tête commençait à s’altérer, et je vivais en vrai loup-garou. Cependant, si mon goût ne me préserva pas des livres plats et fades , mon bonheur me préserva des livres obscènes et licencieux. Non que la Tribu, femme à tous égards très-accommodante , se fît un scrupule de m’en prêter; mais pour les faire valoir, elle me les nommait avec un air de mystère qui me forçait précisément à les refuser, tant par dégoût que par honte et le hazard seconda si bien mon humeur pudique , que j’avais plus de trente ans avant que j’eusse jeté les yeux sur aucun de ces dangereux livres- qu’une belle dame de par le monde trouve incommodes, en ce qu’on ne peut les lire que d’une main *. En moins d’un an j’épuisai la mince boutique de la Tribu , et alors je me jtrouvai dans mes loisirs cruellement désœuvré. Guéri de mes goûts d’enfant * Le mot dans l’origine est de mademoiselle de Clermont , dont il est encore question plus tard et sous le même rapport. C’est la même que madame de Genlis a prise pour héroïne de la plus intéressante de ses Nouvelles- *3o LES CONFESSIONS» et de polisson par celui de la lecture, et même par mes lectures, qui, bien que sans choix et souvent mauvaises, ramenaient pourtant mon cœur à des sentimens plus nobles que ceux que m’avait donnés mon état. Dégoûté de tout ce qui était à ma portée, et sentant trop loin de moi tout ce qui m’aurait tenté, je ne voyais rien de possible qui pût flatter mon cœur. Mes sens émus depuis long-temps me demandaient une jouissance dont je ne savais pas même imaginer l’objet. J’étais aussi loin du véritable que si je n’avais point eu de sexe , et, déjà pubère et sensible , je pensais quelquefois à mes folies, mais je ne voyais rien au delà. Dans cette étrange situation, mon inquiète imagination prit un parti qui me sauva de moi-même et calma ma naissante sensualité. Ce fut de se nourrir des situations qui m’avaient intéressé dans mes lectures , de les rappeler , de les varier, de les combiner, de me les. approprier tellement que je devinsse un des personnages que j’imaginais, que je me visse toujours dans lespositions les plus agréables selon mon goût, enfin que l’état fictif où je venais à bout de me mettre, me fît oublier mon état réel dont j’étais si mécontent. Cet amour des objets imaginaires, et cette facilité de m’en occuper, achevèrent de me dégoûter de tout ce qui m’entourait, et déterminèrent ce goût pour la solitude qui m’es t toujours resté depuis ce temps-là. On verra plus d’une fois dans la suite les bizarres éffets de cette disposition si misantrope et si sombre en apparence, mais qui vient en effet d’un coeur trop affectueux, trop aimant, trop tendre, qui,faute d’en trou ver d’existans qui lui ressemblent, estforcéde s’aliment er de fictions. Il me suffit, quant à présent, d’avoir marqué l’origine et la première cause d’un penchant qui a modifié tontes mes pas- ÎABTÏE I, LIVRE I. l3* sions , et qui, les contenant par elles-mêmes , m'a toujours rendu paresseux à faire, par trop d’ardeur à désirer. J’atteignis ainsi ma seizième année, inquiet, mé, content de tout et de moi, sans goûts de mon état, sans plaisir de mon âge, dévoré de désirs dont j’ignorais l’objet, pleurant sans sujets de larmes, soupirant sans savoir de quoi ; enfin caressant tendrement mes chimères, faute de voir autour de moi rien qui les valût. Les dimanches , mes camarades venaient me chercher après le prêche pour aller m’ébattre avec eux. Je leur aurais volontiers échappé si j’avais pu mais une fois en train dans leurs jeux, j’étais plus ardent et j’allais plus loin qu’un autre, difficile à ébranler et à retenir. Ce fut là de tout temps ma disposition constante. Dans nos promenades hors de la ville, j’allais toujours en avant sans songer au retour, à moins que d’autres n’y songeassent pour moi. J’y fus pris deux fois ; les portes furent fermées avant que je pusse arriver. Le lendemain je fus traité comme on s’imagine ; et la seconde fois il me fut promis un tel accueil pour la troisième , que je résolus de ne m’y pas exposer. Cette troisième fois si redoutée arriva pourtant. Ma vigilance fut mise en défaut par un maudit capitaine appelé M. Minutoli, qui fermait toujours la porte où il était de garde une demi-heure avant les autres. Jere- venais avec deux camarades. A demi-lieue de la ville j’entends sonner la retraite, je double le pas ; j’entends battre la caisse, je cours à toutes jambes ; j’arrive essoufflé , tout en nage ; le cœur me bat ; je vois de loin les soldats à leur poste; j’accours, je crie d’une voix étouffée ; il était trop tard. A vingt pas de l’avancée je vois lever le premier pont je frémis en voyant en l’air ces cornes terribles, sinistre iSa les CONFESSIONS. et fatal augure du sort inévitable que ce moment commençait pour moi. Dans le premier transport de ma douleur, je me jetai sur le glacis, et mordis la terre. Mes camarades, riant de leur malheur, prirent à l’instant leur parti. Je pris aussi le mien, mais ce fut d’une autre manière. Sur le lieu même je jurai de ne retourner jamais chez mon maître ; et le lendemain, quand, à l’heure de la découverte, ils rentrèrent en ville, je leur dis adieu pour jamais , les priant seulement d’avertir en secret mon cousin Bernard de la résolution que j’avais prise , et du lieu où il pourrait me voir encore une fois. A mon entrée en apprentissage, étant plus séparé de lui, je le vis moins. Toutefois, durant quelque temps, nous nous rassemblions les dimanches ; mais insensiblement chacun prit d’autres habitudes , et nous nous vîmes plus rarement. Je suis persuadé que sa mère contribua beaucoup à ce changement. Il était, lui, un enfant du haut-, moi, chétifapprenti, jen’étaisplus qu’un garçon deSaint- Gervais. Il n’y avait plus d’égalité malgré la naissance ; c’était déroger que de me fréquenter. Cependant les liaisons ne cessèrent point tout-à-fait entre nous ; et eomme c’était un .garçon d’un bon naturel, il suivait quelquefois son cœur malgré les leçons de sa mère. Instruit de ma résolution , il accourut, non pour m’en dissuader ou la partager , mais pour jeter par de petits présens quelque agrément dans ma fuite ; car mes propres ressources ne pouvaient me mener fort loin. Il me donna entre autres une petite épée dont j’étais fort épris, et que j’ai portée jusqu’à Turin, où je me la passai, comme on dit, au travers du corps. Plus j’ai réfléchi depuis à la manière dont il se conduisit avec moi dans ce fiKTIE T, IIVRE J. 33 moment critique, plus je me suis persuadé qu’il suivit les instructions de sa mère et peut-être de son père; car il n’est pas possible que de lui-même il n’eût fait quelque effort pour me retenir, ou qu’il n’eût été tenté de me suivre. Mais point il m’encouragea dans mon dessein plutôt qu’il ne m’en détourna ; puis quand il me vit bien résolu , il me quitta sans beaucoup de larmes. Nous ne nous sommes jamais écrit ni revus. C’est dommage. Il était d’un caractère essentiellement bon ; nous étions faits pour nous aimer. Avant de m’abandonner à la fatalité de ma destinée, qu’on me permette de tourner un moment les yeux sur celle qui m’attendait naturellement si j’étais tombé dans les mains d’un meilleur maître. Rien n’était plus convenable à mon humeur, ni plus propre à me rendre heureux, que l’état tranquille et obscur d’un bon artisan, dans certaines classes surtout, telle qu’est à Genève celle des graveurs. Cetétat, assez lucratif pour donner unesubsis- tance aisée, et pas assez pour mener à la fortune , eût borné mon ambition pour le reste de mes jours ; et, me laissant un loisir honnête pour cultiver des goûtsmodérés, il m’eût contenu dans ma sphère sans m’offrir aucun moyen d’en sortir. Ayant une imagination assez riche pour orner de ses chimères tous les états, assez puissante pour me transporter , pour ainsi dire, de l’un àl’autre, il m’importait peu dans lequel je fusse en effet. Il ne pouvait y avoir si loin du lieu où j’étais au premier château en Espagne, qu’il ne me fût aisé de m’y établir. De cela seul il suivait que l’état le plus simple, celui qui donnait le moins de tracas et de soins , celui qui laissait l’esprit le plus libre , était celui qui me convenait le mieux, et c’était précisément le mien- 134 iss cowEssioNS. J’aurais passé, dans le sein de ma religion, de mâ patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce, telle qu’il la fallait à mon caractère, dans l’uniformité d’un travail de mon goût, et d’une société selon mon cœur. J’aurais été bon chrétien, bon citoyen, bon père de famille , bon ami, bon ouvrier, bon homme en toutes choses. J’aurais aimé mon état, je l’aurais honoré peut-être; et, après avoir passé une vie obscure et simple, mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens. Bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi long-temps qu’on se serait souvenu de moi. Au lieu de cela... Quel tableau vais-je faire ? Ah! n’anticipons point sur les misères de ma vie , je m’occuperai que trop mes lecteürs de ce triste sujet. KST D XiïVBB PBEMïER. i35 rAItriE J, LIVRE TI. LIVRE SECOND. AvTASTle moment où l’effroi me suggéra le projet de fuir m’avait paru triste, autant celui où je l’exécutai me parut charmant. Encore ènfant, quitter mon pays, mesparens, mes appuis, mes ressources, laisser un apprentissage à moitié fait sans savoir mon métier assez pour en vivre ; me livrer aux horreurs de la misère sans voir aucun moyen d’en sortir; dans l’âge de la faiblesse et de l’innocence, m’exposer à toutes les tentations du vice et du désespoir; chercher au loin les maux, les erreurs, les pièges, l’esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n’avais pu souffrir; c’était là ce que j’allais faire, c’était la perspective que j’aurais dû envisager. Que celle que je me peignais était différente! L’indépendance que je croyais avoir acquise était le seul sentiment qui m’affectait. Libre et maître de moi-mème, je croyais pouvoir tout faire, atteindre à tout je n’avais qu’à m’élancer pour m’élever et planer dans les airs. J’entrais avec sécurité dans le vaste espace du monde mon mérite allait le remplir à chaque pas j’allais trouver des festins, des trésors, des aventures, des amis prêts à me servir, des maîtresses empressées à me plaire en me montrant j’allais occuper de moi l’univers; non paspourtant l’univers tout entier, je l’en dispensaisen quelque sorte; il ne m’en fallait pas tant, une sociétécharmante me suffisait sans m’embarrasser du reste. Ma modération m’inscrivait dans une sphère étroite, mais délicieusement choisie, où j’étais assuré de régner. Un seul château bornait mon ambition. Favori du seigneur LES CONFESSIONS. l36 et de la dame, amant de la demoiselle, ami du frère, et protecteur des voisins, j’étais content, il ne m’en fallait pas davantage. En attendant ce modeste avenir, j’errai quelques jours autour de la ville, logeant chez des paysans de ma connaissance, qui tous me reçurent avec plus de bonté que n’auraient fait des urbains. Ils m’accueillaient, me logeaient, me nourrissaient trop bonnement pour en avoir le mérite. Cela ne pouvait pas s’appeler faire l’aumône ; ils n’y mettaient pas assez l’air de la supériorité. A force de voyager et de parcourir le monde, j’allai jusqu’à Confignon, terres de Savoie, à deux lieues de Genève. Le curé s’appelait M. de Pont- verre *. Ce nom , fameux dans l’histoire de la république, me frappa beaucoup. J’étais curieux de voir comment étaient faits les descendans des gentilshommes de la Cuiller. J’allai voir M. de Pont- verre. Il me reçut bien, me parla de l’hérésie de Genève, de l’autorité de la sainte mère église, et me donna à dîner. Je trouvai peu de choses à répondre à des argumens qui finissaient ainsi, et je jugeai * Sans Jacob Spou, le nom de Pontverre , si- fameux dans l’histoire de la republique, ne serait connu que par tradition, dans la banlieue de Genève, et comme un chef de parti. Il en serait' de même des gentilshommes de la Cuiller, entièrement oublies aujourd’hui. C’était, au rap- port de Spon, une confrérie qui fut instituée en i5^>n, dans un château du pays de Yaud, où quelques gentils- hommes mangeant de la bouillie avec des cuillers de bruyère , sê vantèrent d’en faire autant à ceux de Genève - qu’ils mangeraient à la cuiller. Chacun pendit la sienne à son cou pour signal. Ils choisirent pour capitaine o François de Pontrerre, sieur de Terny, brave et intré- i t PARTIE I, U’,RE II- l3g Dieu vous appelle, me dit M. de Pontverre. Allez à Annecy ; vous y trouverez une bonne dame bien charitable que les bienfaits du roi mettent en état de retirer d’autres âmes de l’erreur dont elle est sortie elle-même. Il s’agissait de madame de AVarens, nouvelle convertie, que les prêtres forçaient de partager avec la canaille qui venait vendre sa foi, une pension de deux mille francs que lui donnait le roi de Sardaigne. Je nie sentais fort humilié d’avoir besoin d’une bonne dame bien charitable. J’aimais fort qu’on me donnât mon nécessaire, mais non pas qu’on me fît la charité, et une dévote n’était pas pour moi fort attirante. Toutefois, pressé parM. de Pontverre, par la faim qui me talonnait, bien aise aussi de faire un voyage et d’avoir un but, je prends mon parti, quoique avec peine, et je pars pour Annecy. J’y pouvais être aisément en un jour ; mais jè ne me pressais pas, j’en mis trois. Je ne voyais pas un château à droite ou à gauche, sans aller chercher l’aventure que j’étais sûr qui in’y attendait. Je n’osais entrer dans le château, ni heurter, car j’étais fort timide; mais je chantais sous la fenêtre qui avait le plus d’apparence, fort surpris , après m’être long-temps époumonné, de ne voir paraître ni dame ni demoiselle qu’attirât la beauté de ma voix, ou le sel de mes chansons, vu que j’en savais d’admirables que mes camarades m’avaient apprises, et que je chantais admirablement. J’arrive enfin; je vois madame de 'Warens. Cette époque de ma vie a décidé de mon caractère; je ne puis me résoudre à la passer légèrement. J’étais au milieu de ma seizième année. Sans être ce qu’on appelle un beau garçon, j’étais bien pris dans ma petite taille; j’avais un joli pied, la jambe fine , l’air dégagé, la physionomie animée, la bouche mignonne 140 tas COHFESSïOKS, avec de vilaines dents, les sourcils et les cheveux noirs , les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était embrasé. Malheureusement je ne savais rien de tout cela, et de ma vie il nem’estarrivéde songer à ma ligure que lorsqu’il n’était plus temps d’en tirer parti. Ainsi j’avais avec la timidité de mon âge celle d’un- naturel très-aimant, toujours troublé par la crainte de déplaire. D’ailleurs quoique j’eusse l’esprit assez orné, n’ayant jamais vu le monde, je manquais totalement de manières et mes con naissances, loin d’y suppléer, ne servaient qu’à m’intimider davantage , en me faisant sentir combien j’en manquais. Craignant donc que mon abord ne prévînt pas en ma faveur, je pris autrement mes avantages, et jefisunebelle lettre en style d’orateur, où, cousant des phrases des livres avec mes locutions d’apprenti, je déployais toute mon éloquence pour capter la bienveillance de madame de Warens. J’enfermai la lettre de M. de Pontverre dans la mienne, et je partis pour cette terrible audience. Je ne trouvai point madame de Warens; on me dit qu’elle venait de sortir pour aller à l’église c’était le jour des Rameaux de l’année 1728. Je cours pour la suivre; je la vois, je l’atteins, je lui parle..>v Je dois me souvenir du lieu, je l’ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvert de mes baisers. Que ne puis-je entourer d’un balustre d’or cette heureuse place ! Que n’y puis-je attirer les hommages de toute la terre! Quiconque aime àhonorer lés monumens du salut des hommes n’en devrait approcher qu’à genoux. C’était un passage derrière sa maison , entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin, et le mur de la cour à gauche, conduisant par nue ./HïtMlr ^r -v.~\~. 5 gr,y'- ; > -V- .. ..r ,'. -.. 'V; 5 e'" -. T^'r* ^ “ ;’^' J .y- y ; .' -; ; ; ' ' .?>*'% %Æ •' > -’{- ^' T^feèÿVn' - - - •'.-' 'Wîir- » . ' ''• s-v"'**.- *- . -Aiïî»-' •.•.>. Jfe '* > • 46 Î-ES COKfrESSIOSP* femme, et l’on y trouvera par la suite des bizarreries auxquelles on ne s’attend pas. Il lut question de ce que je deviendrais, et pour en causer plus à loisir, elle me retint à dîner. Ce fut le premier repas de ma vie où j’eusse manqué d’appétit; et sa femme de chambre qui nous servait dit aussi que ce fut le premier voyageur de mon âge et de mon étoffe qu’elle en eût vu manquer. Cette remarque qui ne me nuisit pas dans l’esprit de sa maîtresse, tombait un peu à-plomb sur un gros manant qui dînait avec nous, et qui dévora lui tout seul un repas honnête pour six personnes. Pour moi, j’étais dans un ravissement qui ne me permettait pas de manger. Mon cœur se nourrissait d’un sentiment tout nouveau dont il occupait tout mon être ; il 11e me laissait des esprits pour nulle autre fonction. Madame de Warens voulut savoir les détails de ma petite histoire je retrouvai, pour la lui conter, tout le feu que m’avait inspiré mademoiselle de Y oison , et que j’avais perdu chez mon maître. Plus j’intéressais cette excellente âme en ma faveur, plus elle plaignait le sort auquel j’allais m’exposer. Sa tendre compassion se marquait dans son air, dans son regard, dans ses gestes. Elle n’osait m’exhorter à retourner à Genève dans sa position, c’eût été un Crime de lèse-catholicité, et elle n’ignorait pas combien elle était surveillée, et combien ses discours étaient pesés. Màis elle me parlait d’un ton si touchant de l’affliction de mon père, qu’on voyait bien qu’elle eût approuvé que j’allasse le consoler. Elle ne savait pas combien sans y songer elle plaidait contre elle-même. Outre que ma résolution était prise, comme je crois l’avoir dit, plus je la trouvais éloquente, persuasive, PARTIE I, LIVRE II. PARTIE I, IIVRK II. , iSl penlir tardif les remords de ma conscience; j’affectais de me reprocher ce que j’avais fait, pour excuser ce que j’allais faire. En aggravant les torts du passé? j’en regardais l’avenir comme une suite nécessaire. Je ne me disais pas Rien n’est fait encore, et tu peux être innocent si tu veux ; mais je me disais Gémis du crime dont tu t’es rendu coupable, et que tu t’es mis dans la nécessité d’achever. En effet, quelle rare force d’âme ne me fallait-il point à mon âge pour révoquer tout ce que jusque- là j’avais pu promettre ou laisser espérer, pour rompre les chaînes que je m’étais données, pour déclarer avec intrépidité que je voulais rester dans la religion de mes pères, au risque de tout ce qui en pouvait arriver ! Cette vigueur n’était pas de mon âge, et il est peu probable qu’elle eût eu un heureux succès. Les choses étaient trop avancées pour qu’on voulût en avoir le démenti ; et plus ma résistance eût été grande, plus, de manière ou d’autre, on se fût fait une loi de la surmonter. Le sophisme qui me perdit est celui de la plupart des hommes, qui se plaignent de manquer de force quand il n’est déjà plus temps d’en user. La vertu ne nous coûte que par notre faute ; et si nous voulions être toujours sages, rarement aurions - nous besoin d’être vertueux. Mais des penchans faciles à surmonter nous entraînent sans résistance nous cédons à des tentations légères dont nous méprisons le danger. Insensiblement nous tombons dans des situations périlleuses dont nous pouvions aisément nous garantir, mais dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effraient ; et nous tombons enfin dans l’abîme , en disant à Dieu Pourquoi m’as-tu fait si faible ? Mais malgré nous il répond à nos consciences Je t’ai fait trop * 2 - l6a LES CONFESSIONS. faible pour sortir du gouffre, parce que je t’ai fait assez fort pour n’y pas tomber. Je ne prispas précisément la résolution de me faire catholique mais voyant le terme encore éloigné, je pris le temps de m’apprivoiser à cette idée, et en attendan t je me figurais quelque événement imprévu qui me tirerait d’embarras. Je résolus pour gagner du temps de faire la plus belle défense qu’il me serait possible. Bientôt ma vanité me dispensa de songer à ma résolution ; et dès que je m’aperçus que j’em- barrassais quelquefois ceux qui voulaient m’instruire, il ne m’en fallut pas davantage pour chercher à les terrasser tout-à-fait. Je mis même à cette entreprise un zèle bien ridicule car, tandis qu’ils, travaillaient sur moi, je voulus travailler sur eux. Je croyais bonnement qu’il ne fallait que les convaincre pour les engager à se faire protestans, Ils ne trouvèrent donc pas en moi tout-à-fait autant de facilité qu’ijs en attendaient, ni du côté des lumières ni du côté de la volonté, Les protestans sont généralement mieux instruits que les catholiques. Cela doit être 1a doctrine des uns exige la discussion , celle des autres la soumission. Le catholique doit adopter la décision qu’on lui donne , le protestant doit apprendre à se décider. On savait cela; maison n’attendait ni de mon état ni de mon âge de grandes difficultés pour des gens exercés. D’ailleurs, je n’avais point fait encore ma première communion , ni reçu les instructions qui s’y rapportent ; on le savait encore mais on ignorait qu’en revanche j’avais été bien instruit chez JJ. Lambercier, et que de plus j’avais par devers moi un petit magasin fort incommode à ces messieurs , dans l’histoire de l’église et de l’empire que j’avais apprise presque par cœur chez mon père, et depuis presque PARTIE I, LIVRE II. lfi'3 ©ubliëe , mais qui me revint à mesure que la dis- pute s’échauffait. Un vieux prêtre, petit, mais assez vénérable , nous fit en commun la première conférence. Cette conférence était pour mes camarades un catéchisme plutôt qu’une controverse, et il avait plus à faire à les instruire qu’à résoudre leurs objections. Il n’en fut pas de même avec moi. Quand mon tour vint, je l’arrêtai sur tout, je ne lui sauvai pas une des objections que je pus lui faire. Cela rendit la conférence fort longue et fort ennuyeuse pour les assistans. Mon vieux prêtre parlait beaucoup , s’échauffait-, battait la campagne, et se tirait d’affaire en disant qu’il n’entendait pas bien le français. Le lendemain , de peur que mes indiscrètes objections ne scandalisassent mes camarades, on me mit à part dans une autre chambre avec un autre prêtre plus jeune , beau parleur, c’est-à-dire , faiseur de longues phrases, et content de lui, si jamais docteur le fut. Je ne me laissai pourtant pas trop subjuguer à sa mine imposante; et sentant qu’après tout je faisais ma tâche , je me mis à lui répondre avec assez d’assurance et à le bourrer par-ci par-là du mieux que je pus. Il croyait m’assommer avec S Augustin , S 1 Grégoire, et les autres pères , et il trouvait avec une surprise incroyable que je maniais tous ces pères-là presque aussi légèrement que lui ce n’était pas que je les eusse jamais lus, ni lui peut- être, mais j’en avais retenu beaucoup de passages tirés de mon Le Sueur ; et sitôt qu’il m’en citait un, sans disputer sur sa citation je lui ripostais par un autre du même père, et qui souvent l’embarrassait beaucoup. Il l’emportait pourtant à la fin par deux raisons. L’une, qu’il était le plus fort, et que, me sentant pour ainsi dire à sa merci, t6'4 1*8 OWfESSHBîSV je jugeais bien, quelque jeune que je fusse, qu’iT ne fallait pas le pousser à bout ; car je voyais assez que le vieux petit prêtre n'avait pris en amitié ni mon érudition ni moi. L’autre raison était que le jeune avait de l’étude, et que je n’en avais point. Cela faisait qu’il mettait dans sa manière d’argumenter une méthode que je ne pouvais pas suivre , et que sitôt qu’il se sentait pressé d’une objection imprévue, il la remettait au lendemain disant que je sortais du sujet présent. Il rejetait même quelquefois toutes mes citations, soutenant qu’elles étaient fausses, et, s’offrant à m’aller chercher le livre , me défiant de les y trouver. II sentait qu’il ne risquait pasgrand’chose, et qu’avec toute mon érudition d’emprunt j’étais trop peu exercé à manier les livres , et trop peu latiniste, pour trouver un passage dans un gros livre, quand même je serais sûr qu’il y est. Je le soupçonne même d’avoir usé de l’infidélité dont il accusait les ministres, et d’avoir fabriqué quelquefois des passages pour se tirer d’une objection qui l’incommodait. * [ Tandis que duraient ces petites ergoteries, et que les jours se passaient à disputer, à marmotter des prières, et à faire le vaurien , il m’arriva une petite vilaine aventure assez dégoûtante , et qui faillit même à tourner fort mal pour moi. • Il n’y a point d’àme si vile et de cœur si barbare qui ne soit susceptible de quelque sorte cTattache- * Ce récit renfermé entre ces. .deux signes . [ ] ne se trouve pas, dans les éditions antérieures à celles qu’on a faites, sur le manuscrit autographe , déposé par Thérèse Le Yasseur. On aura soin d’indiquer par le même signe les passages ajoutés d’après ce manuscrit,Voyez la notice sur la première partie des Confissions, page 77, PARTIE I, IIVRÏ H. f6S ment. L’un de ees deux bandits qui se disaient Maures me prit en affection. Il m’accostait volontiers , causait avec moi dans son baragouin franc, me rendait de petits services, me faisait part quelquefois de sa portion à table , et me donnait surtout de fréquens baisers avec une ardeur qui m’était fort incommode. Quelque effroi que j’eusse naturellement de ce visage de pain-d’épice orné d’une longue balafre, et de ce regard allumé qui semblait plutôt furieux que tendre, j’endurais ces baisers en me disant en moi-môme r Le pauvre homme a conçu pour moi une amitié bien vive', j’aurais tort de le rebuter. Il passait par degrés à des manières plus libres, et me tenait quelquefois de si singuliers propos, que je croyais que la tête lui avait tourné. Un soir il voulut venir coucher avec moi, et je m’y opposai disant que mon lit était trop petit. Il me pressa d’aller dans le sien , je le refusai encore car ce misérable était si malpropre et puait si fort le tabac mâché , qu’il me faisait mal au cœur. Le lendemain, d’assez bon matin, nous étions- tous deux seuls dans la salle d’assemblée ; il recommença ses caresses, mais avec des mouvemens si violens qu’il en était effrayant. Enfin il voulutpasser par degrés aux privautés les plus choquantes , et me forcer, en disposant de ma main, d’en faire autant. Je me dégageai impétueusement en poussant un cri et faisant un saut en arrière ; et, sans marquer ni indignation ni colère, car je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait, j’exprimai- ma surprise et mon dégoût avec tant d’énergie, qu’il me laissa là mais tandis qu’il achevait de se démener je vis partir vers la cheminéë> et tomber à terre je ne sais quoi de gluant et de ï66 LES CONFESSIONS. blanchâtre qui me fit soulever le cœur. Je m’élançai sur le balcon, plus ému , plus troublé, plus effrayé même que je ne l’avais été de ma vie , et prêt à me trouver mal. Je ne pouvais comprendre ce qu’avait ce malheureux ; je le crus atteint du haut-mal, ou de quelque autre frénésie encore plus terrible ; et véritablement je ne sache rien de plus hideux à voir pour quelqu’un de sang-froid que cet obscène et sale maintien, et ce visage affreux enflammé de la plus brutale concupiscence. Je n’ai jamais yu d’autre homme en pareil état ; mais, si nous sommes ainsi près des femmes, il faut qu’elles aient les yeux bien fascinés pour ne pas nous prendre en horreur, Je n’eus rien de plus pressé que d’aller conter à tout le monde ce qui venait de m’arriver. Notre vieille intendante me dit de me taire; mais je vis que cette histoire l’avait fort affectée, et je l’entendais grommeler entre ses dents Can maiedet ! 'brutta éestia ! Comme je ne comprenais pas pourquoi je devais me taire, j’allai toujours mon train malgré la défense , et je bavardai tant, que le lendemain un des administrateurs vint de bon matin m’adresser une mercuriale assez vive , m’accusant de commettre l’honneur d’une maison sainte , et de faire beaucoup de bruit pour peu de mal. Il prolongea sa censure en m’expliquant beaucoup de choses que j’ignorais , mais qu’il ne croyait pas m’apprendre, persuadé que je m’étais défendu sachant ce qu’on me voulait, mais n’y voulant pas consentir. Il me dit gravement que c’était une œuvre défendue comme la paillardise, mais dont au reste l’intention n’était pas plus offensante pour la personne qui en était l’objet, et PARTIE I, LIVRE II. lfi? qu’il n’y avait pas de quoi s’irriter si fort pour avoir été trouvé aimable. Il me dit sans détour que lui-méme dans sa jeunesse avait eu le même honneur, et qu’ayant été surpris hors d’état de faire résistance il n’avait rien trouvé là de si cruel. Il poussa l’impudence jusqu’à se servir des propres termes; et, s’imaginant que la cause de ma résistance était la crainte de la douleur, il m’assura que cette crainte était vaine, et qu’il ne fallait pas s’alarmer de rien. J’écoutais cet infâme avec un étonnement d’autant plus grand qu’il ne parlait point pour lui-' même ; il semblait ne m’instruire que pour mon bien. Son discours lui paraissait si simple, qu’il n’avait pas même cherché le secret du têtc-à-tête, et nous avions en tiers un ecclésiastique que tout cela n’effarouchait pas plus que lui. Cet air naturel m’en imposa tellement, que j’en vins à croire que c’était sans doute un usage admis dans le monde, et dont je n’avais pas eu plutôt occasion d’être instruit. Cela fit que je l’écoutai sans colère, mais non sans dégoût. L’image de ce qui m’était arrivé, mais surtout de ce que j’avais vu, restait si fortement empreinte dans ma mémoire, qu’en y pensant le cœur me soulevait encore. Sans que j’en susse davantage, l’aversion de la chose s’étendit à l’apologiste ; et je ne pus me contraindre assez pour qu’il ne vît pas le mauvais effet de ses leçons. Il me lança un regard peu caressant , et dès lors il n’épargna rien pour me rendre le séjour de l’hospice désagréable. Il y parvint si bien , que , n’apercevant pour en sortir qu’une seule voie, je m’empressai de la prendre, autant que jusque- là je m’étais efforcé de l’éloigner. Cette aventure me mit pour l’âvenir à couvert l68 tËS COOTESSÎÛNS'. des entreprises des chevaliers de la manchette; et la vue des gens qui passaient pour en être , me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’korreur, que j’avais peine à le cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison il me semblait que je leur devais en * tendresse de sentimens, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe; et la plus laide guenon devenait à mes yeux un objet adorable, par le souvenir de ce faux Africain. Pour lui, jenesars ce qu’on puf lui dire; il neparut pas qu’excepté la dame Lorenza personne le vît de plus mauvais œil qu’auparavant. Cependant il ne m’accosta ni ne me parla plus. Huit jours après il fut baptisé en grande cérémonie, et babillé de blanc de la tête aux pieds, pour représenter la candeur de son âme régénérée. Le lendemain il ^ sortit de l’hospice, et je ne l’ai jamais revu.] Mon tour vint un mois après ; car il fallut tout ce temps-là pour donner à mes directeurs l’honneur d’une conversion difficile , et l’on me fit passer en revue tous les dogmes pour triompher' de ma nouvelle docilité. Enfin, suffisamment instruit et suffisamment disposé au gré de mes maîtres, je fus mené procès- sionnellement à l’église métropolitaine de Saint Jean pour y faire une abjuration solennelle, et recevoir les accessoires du baptême, quoiqu’on ne me rebaptisât pas réellement mais comme ce sont à v peu près les mêmes cérémonies , cela sert à persuader au peuple que les protestans ne sont pas chrétiens. J’étais revêtu d’une certaine robe grise avec des brandebourgs blancs, et destinée pour cês sortes d’occasions, Peux hommes portaient ïÀïrrtB i, IivSî ». 169 devant et derrière moi des bassins de cuivre sur lesquels ils frappaient avec une clef, et où chacun mettait son aumône au gré de sa dévotion ou de l’intérêt qu’il prenait au nouveau converti. Enfin rien du faste catholique ne fut omis pour rendre la cérémonie plus édifiante pour le public , et plus humiliante pour moi. Il n’y eut que l’habit blanc qui m’eût été fort utile, et qu’on ne me donna pas comme au Maure, attendu que je n’avais pas l’honneur d’ètré Juif. Ce 11e fut pas tout. Il fallut ensuite aller à l’inquisition recevoir l’absolution du crime d’hérésie, et rentrer dans le sein de l’église avec la même cérémonie à laquelle Henri IV fut soumis par son ambassadeur. L’air et les manières du très-révérend père inquisiteur n’étaient pas propres à dissiper la terreur secrète qui m’avait saisi en entrant dans cette maison. Après plusieurs questions sur ma foi, sur mon état, sur ma famille, il me demanda brusquement si ma mère était damnée. L’effroi me fit réprimer le premier mouvement de mon indignation ; je me contentai de répondre que je voulais espérer qu’elle ne l’était pas, et que Dieu avait pu l’édairer à sa dernière heure. Le moine se tut, mais il fit une grimace qui ne me parut point du tout un signe d’approbation. Tout cela fait, au moment où je pensais être enfin placé selon mes espérances, on me mit à la porte avec un peu plus de vingt francs en petite monnaie qu’avait produits ma quête. On me recommanda de vivre en bon chrétien , d’être fidèle à la grâce ; on me souhaita bonne fortune, on ferma sur moi la porte, et tout disparut. Ainsi s’éclipsèrent en un instant toutes mes i- 8 I y O 1ES C0MESSI05S. grandes espérances, et il ne me resta de la démarche intéressée que je venais de faire, que le souvenir d’avoir été apostat et dupe tout à la fois. II est aisé de juger quelle brusque révolution dut se faire dans mes idées , lorsque de mes brillans projets de fortune je me vis tomber dans la plus complète misère, et qu’après avoir délibéré le matin sur le choix du palais que j’habiterais, je me vis le soir réduit à coucher dans la rue. On croira que je commençai par me -livrer à un désespoir d’autant plus cruel, que le regret de mes fautes devait s’irriter en me reprochant que tout mon malheur était mon ouvrage. Rien de tout cela. Je venais pour la première fois de ma vie d’être enfermé pendant plus de deux mois. Le premier sentiment que je goûtai fut celui de la liberté que j’avais recouvrée. Après un long esclavage , redevenu maître de moi-même et de mes actions, je me voyais au milieu d’une grande ville abondante en ressources , pleine de gens de condition, dont mes talens et mon mérite ne pouvaient manquer de me faire accueillir sitôt que j’en serais connu. J’avais, de plus, tout le temps d’attendre, et vingt francs que j’avais dans ma poche me semblaient un trésor qui ne pouvait s’épuiser. J’en pouvais disposer à mon gré, sans rendre compte à personne. C’était la première fois que je m’étais vu si riche. Loin de me livrer au découragement et aux larmes, je ne fis que changer d’espérances; et l’amour- propre n’y perdit rien. Jamais je ne me sentis tant de confiance et de sécurité je croyais déjà ma fortune faite, et je trouvais beau de n’eii avoir l’obligation qu’à moi seul. La première chose que je fis fut de satisfaire ma curiosité en parcourant toute la ville, quand FARTIE I, LIVRE II. 1^1 ce n’eût été que pour faire un acte de ma liberté. J’allai voir monter la garde ; les instrumens militaires me plaisaient beaucoup. Je suivis des processions ; j’àimais le faux-bourdon des prêtres. J’allai voir le palais du roi j’en approchais avec crainte ; mais voyant d’autres gens entrer, je fis comme eux, on me laissa faire. Peut-être dus-je cette grâce au petit paquet que j’avais sous le bras. Quoi qu’il en soit, je conçus une grande opinion de moi-même en me trouvant dans ce palais déjà je m’en regardais presque comme un habitant. Enfin, à force d’aller et venir, je me lassai j’avais faim, il faisait chaud; j’entrai chez unemar- chande de laitage on me donna de la giuncà , du lait caillé, et avec deux grisses de cet excellent pain de Piémont que j’aime plus qu’aucun autre, je fis pour mes cinq ou six sous un des bons dîners que j’aie faits de mes jours. Il fallut chercher un gîte. Comme je savais déjà assez de piémontais pour me faire entendre, il ne me fut pas difficile à trouver, et j’eus la prudence de le choisir plus selon ma bourse que selon mon goût. On m’indiqua dans la rue du Pô la femme d’un soldat , qui retirait à un sou par nuit des domestiques hors de service. Je trouvai chez elle un grabat vide, et je m’y établis. Elle était jeune et nouvellement mariée , quoiqu’elle eût déjà cinq ou six enfans. Nous couchâmes tous dans la même chambre, la mère, les enfans, les hôtes et cela dura de cette façon tant que je restai chez elle. Àu demeurant, c’était une bonne femme, jurant comme un charretier, toujours débraillée et décoiffée, mais douce de cœur, officieuse , qui me prit en amitié, et qui même me -fut utile. 1ES CONFESSIONS. 172 Je passai plusieurs jours à me livrer uniquement au plaisir de l’indépendance et de la curiosité. J’allais errant dedans et dehors la ville , furetant, visitant tout ce qui me paraissait curieux et nouveau et tout l’était pour un jeune homme sortant de sâ niche, qui n’avait jamais Vu de capitale. J’étais surtout fort exact à faire ma cour, et j’assistais régulièrement tous les matins à la messe du roi. Je trouvais beau de me voir dans la même chapelle avec ce prince et sa suite ; mais ma passion pour la musique, qui commençait à se déclarer, avait plus de part à mon assiduité que la pompe de la cour, qui, bientôt vue, et toujours la même, ne frappe pas long-temps. Le roi de Sardaigne avait alors la meilleure symphonie de l’Europe. Somis, Desjardins, les Bezuzzi y brillaient alternativement. Il n’en fallait pas tant pour attirer un jeune homme que le son du moindre instrument, pourvu qu’il fût juste, transportait d’aise. Du reste, je n’àvais pour la magnificence qui frappait mes yeux qu’une admiration stupide et sans convoitise. La seule chose qui m’intéressât dans tout l’éclat de la cour était de voir s’il n’y aurait point là quelque Jeune princesse qui méritât mon hommage, et avec laquelle je pusse faire un roman. Je faillis en commencer un dans un état moins brillant, mais où, si je l’eusse mis à fin, j’aurais trouvé des plaisirs mille fois plus délicieux. Quoique je vécusse avec beaucoup d’économie, ma bourse insensiblement s’épuisait. Cette économie,au reste,était moins reflet de la prudence qued’une simplicité de goût que même aujourd’hui l’usage des grandes tables n’a point altérée. Je ne connaissais pas et je ne connais pas encore de meilleure chère que celle d’un repas ruslique. Avec du laitage, des P AMIE I, ît. ïfâ Oeufs, des herbes, du fromage, du pain biset du vin passable, on est toujours sûr de me bien régaler , mon bon appétit fera le reste quand un maître d’hôtel et des laquais autour de moi ne me rassasieront pas de leur importun aspect. Je faisais alors de beaucoup meilleurs repas avec six ou sept sous de dépense, que je ne les ai faits depuis à six ou sept francs. J’étais donc sobre, faute d’être tenté de ne pas l’être encore ai-je tort d’appeler cela sobriété, car j’y mettais toute la sensualité possible. Mes poires, ma giuncà, mon fromage, mes grisses, et quelques verres d’un gros vin deMontferrat à couper par tranches, me rendaient le plus heureux des gourman ds ; mais encore avec tout cela pouvait-on voir la fin de vingt livres. C’était ce que j’apercevais plus sensiblement de jour en jour, et, malgré l’étourderie de mon âge , mon inquiétude sur l’avenir alla bientôt jusqu’à l’effroi. De tous mes châteaux en Espagne, il ne me resta que celui de chercher une occupation qui me fît vivre encore n’était-il pas facile à réaliser. Je songeai à mon ancien métier; mais je ne le savais pas assez popr aller travailler chez un maître, et les maîtres mêmes n’abondaient pas à Turin. Je pris donc, en attendant mieux, le parti d’aller m’offrir de boutique en boutique , pour graver un chiffre ou des armes sur la vaisselle, espérant tenter les gens par le bon marehé en me mettant à leur discrétion. Cet expédient ne fut pas fort heureux. Je fus presque partout éconduit ; et ce que je trouvais à faire était si peu de chose, qu’à peine y gagnai-je quelques repas. Un jour cependant, passant d’assez bon matin dans la Contrà nova, je vis à travers les vitres d’un comptoir une jeune marchande de si bonne grâce et d’un air si attirant, que, malgré 1”4 COKFESSIOXS. ma timidité près des dames, je n’hésitai pas d’entrer et de lui offrir mon petit talent. Elle ne me rebuta point, me fit asseoir, conter ma petite histoire; me plaignit, me dit d’avoir bon courage, et que les bons chrétiens ne m’abandonneraient pas puis, tandis qu’elle envoyait chercher chez un orfèvre du voisinage les outils dont j’avais dit avoir besoin , elle monta dans sa cuisine et m’apporta elle-même à déjeuner. Ce début me sembla de bon augure ; la suite ne le démentit pas. Elle me parut contente de mon petit travail, encore plus de mon petit babil quand je me fus un peu rassuré car elle était brillante et parée; et, malgré son air gracieux , cet éclat m’en avait imposé. Mais son accueil plein de bonté, son ton compatissant, ses manières douces et caressantes , me mirent bientôt à mon aise. Je vis que je réussissais, et cela me fit réussir davantage. Mais quoique Italienne et trop jolie pour n’être pas un peu coquette , elle était pourtant si modeste et moi si timide, qu’il était difficile que cela vînt sitôt à bien. On ne nous laissa pas le temps d’achever l’aventure. Je ne m’en rappelle qu’avec plus de charmes les courts momens que j’ai passés auprès d’elle ; et je puis dire y avoir goûté dans leurs prémices les plus doux ainsi que les plus purs plaisirs de l’amour. C’était une brune extrêmement piquante, mais dont le bon naturel, peint sur son joli visage, rendait la vivacité touchante. Elle s’appelait madame Basile. Son mari, plus âgé qu’elle, et passablement jaloux, la laissait durant ses voyages sous la garde d’un commis trop maussade pour être séduisant, et qui ne laissait pas d’avoir pour son compte des prétentions qu’il ne montrait guère .que par sa PARTIE I, LIVRE II. I?5 mauvaise humeur. II en prit beaucoup contre moi, quoique j’aimasse à l’entendre jouer de la flûte, dont il jouait assez bien. Ce nouvel Égisthe grognait toujours quand il me voyait entrer chez sa dame il me traitait avec un dédain qu’elle lui rendait bien. Il semblait même qu’elle se plût, pour le tourmenter, à me caresser en sa présence ; et cette sorte de vengeance, quoique fort de mon goût, l’eût été plus dans le téte-à-téte mais elle ne la poussait pas jusque-là, ou du moins, ce n’était pas de la même manière. Soit qu’elle me trouvât trop jeûne, soit qu’elle ne sût point faire les avances, soit qu’elle voulût sérieusement être sage, elle avait alors une sorte de réserve qui n’était pas repoussante, mais qui m’intimidait sans que je susse pourquoi. Quoique je ne me sentisse pas pour elle ce respect aussi vrai que tendre que j’avais pour madame de Warens, je me sentais plus de crainte et bien moins de familiarité. J’étais embarrassé, tremblant, je n’osais la regarder, je n’osais respirer auprès d’elle ; cependant je craignais plus que la mort de m’en éloigner. Je dévorais d’un œil avide tout ce que je pouvais regarder sans être aperçu, les fleurs de sa robe, le bout de son joli pied, l’intervalle d’un bras ferme et blanc qui paraissait entre son gant et sa manchette, et celui qui se faisait quelquefois entre son tour de gorge et son mouchoir. Chaque objet ajoutait à l’impression des autres. A force de regarder ce que je pouvais voir, et même au delà, mes yeux se troublaient, ma poitrine s’oppressait ; ma respiration , d’instant en instant plus embarrassée, me donnait beaucoup de peine à gouverner ; et tout ce que je pouvais faire était de filer sans bruit des soupirs fort incommodes dans le silence où nous étions assez souvent. Heu- £. . 1 ’ÿQ LES CONFESSIONS. reusement madame Basile, occupée à son ouvrage, ne s’en apercevait pas, à ce qu’il me semblait. Cependant je voyais quelquefois, par une sorte de sympathie, son fichu se renfler assez fréquemment. Ce dangereux spectacle achevait de me perdre ; et quand j’étais prêt à céder à mon transport, elle m’adressait quelques mots d’un ton tranquille qui me ^ faisaient rentrer en moi-même à l’instant. Je la vis plusieurs fois seule de cette manière, sans que jamais un geste, un mot, un regard même trop expressif, marquât entre nous la moindre intelligence. Cet état, très-tourmentant pour moi, faisait cependant mes délices ; et à peine, dans la simplicité de mon cœur, pouvais-je imaginer pourquoi j’étais si tourmenté. Il paraissait que ces petits tête-à-tête ne lui déplaisaient pas non plus; dumoinselleen rendait les occasions assez fréquentes soin bien gratuit assurément de sa part pour l’usage qu’elle en faisait et qu’elle m’en laissait faire. Un jour qu’ennuyée des sots colloques du commis , elle avait monté dans sa chambre, je me hâ- tai, dans l’arrière-boutique où j’étais, d’achever ma petite tâche, et je la suivis. Sa chambre était entr’ouverte ; j’y entrai sans être aperçu. Elle * J brodait près d’une fenêtre, ayant en face le côté 1 de la chambre opposé à la porte. Elle ne pouvait 84 coNïEssloSSi mot, je me crus tout de bon dans les hautes aven-* i tures, car j’en revenais toujours là. Celle-ci ne se trouva pas aussi brillante que je me l’étais figurée. Je fus chez cette dame avec le domestique qui lui avait parlé de moi. Elle m’interrogea, m’examina, je ne lui déplus pas; et tout de suite j’entrai à son service, non pas tout-à-fait en qualité de favori, ^ mais en qualité de laquais. Je fus vêtu de la couleur de ses gens la seule distinction fut qu’ils portaient l’aiguillette, et qu’on ne me la donna pas. Comme il n’y avait point de galons à sa livrée, cela faisait presque un habit bourgeois. Voilà le terme inattendu auquel aboutirent enfin toutes mes grandes espérances. Madame la comtesse de Vercellis , chez qui j’entrai, était veuve, et sans enf'ans. Son mari était Piémontais ; pour elle, je l’ai toujours crue Savoyarde, ne pouvant imaginer qu’une Piémontaise parlât si bien français, et eût un accent si pur. Elle était entre deux âges, d’une figure fort noble, d’un esprit orné, aimant la littérature française, et s’y connaissant. Elle écrivait beaucoup, et toujours en français. Ses lettres avaient le tour et presque la grâce de celles de madame de Sévigné; on aurait pu s’y tromper à quelques-unes. Mon principal emploi, et qui ne me déplaisait pas, était de les écrire sous sa dictée, un cancer au sein, qui la faisait beaucoup sôuffrir, ne lui permettant plus d’écrire elle-même. Madame de Vercellis avait non-seulement beau- + coup d’esprit, mais une âme élevée et forte. J’ai suivi sa dernière maladie, je l’ai vue souffrir et mourir sans jamais marquer un instant de faiblesse, sans faire le moindre effort pour se contraindre, sans sortir de son rôle de femme, et sans se douter partie i, livras il, i85 1 qu’il y eût à cela de la philosophie , mot qui n’était pas encore à la mode, et qu’elle ne connaissait même pas dans le sens qu’il porte aujourd’hui. Cette force de caractère allait quelquefois jusqu’à la sécheresse. Elle m’a toujours paru aussi peu sen- ^ sible pour autrui que pour elle-même ; et quand elle faisait du bien aux malheureux, c’était pour faire ce qui était bien en soi, plutôt que par une véritable commisération. J’ai un peu éprouvé de cette insensibilité pendant les trois mois que j’ai passés auprès d’elle. Il était naturel qu’elle prît en affection un jeune homme dé quelque espérance qu’elle avait incessamment sous les yeux, et qu’elle songeât, se sentant mourir, qu’après elle il aurait besoin de secours et d’appui cependant, soit qu’elle ne me jugeât pas digne d’une attention particulière, soit que les gens qui l’obsédaient ne lui > aient permis de songer qu’à eux, elle ne fit rien pour moi. Je me rappelle pourtant fort bien qu’elle avait marqué quelque curiosité- de me connaître. Elle ' m’interrogeait quelquefois; elle était bien aise que je lui montrasse les lettres que j’écrivais à madame de Warens, que je lui rendisse compte de mes sentimens. Mais elle ne s’y prenait assurément pas bien pour les connaître, en ne me montrant jamais les siens. Mon cœur aimait à s’épancher pourvu qu’il sentît que c’était dans un autre. Des interrogations sèches et froides, * sans aucun signe d’approbation ni de blâme sur mes réponses, ne me donnaient aucune confiance. Quand rien ne m’apprenait si mon babil plaisait ou déplaisait, j’étais toujours en crainte, et je cherchais moins à montrer ce que je pensais qu’à n e , rien dire qui pût me nuire. J’ai remarqué depui s i» * 8, IBS Ç0NFESSI05S. l8G que cette manière sèche d’interroger les gens pour les connaître est un tic assez commun chez les femmes qui se piquent d’esprit. Elles s’imaginent qu’en ne laissant point paraître leur sentiment, elles parviendront à mieux pénétrer le vôtre; mais elles ne voient pas qu’elles ôtent par là le courage de le montrer. En homme qu’on interroge commence par cela seul à se mettre en garde ; et s’il croit que sans prendre à lui un véritable intérêt on ne veut que le faire jaser, il ment, ou se tait, ou redouble d’attention sur lui-même, et aime encore mieux passer pour un sot que d’être dupe de votre curiosité. Enfin c’est toujours un mauvais moyen de lire dans le coeur des autres que d’affecter de cacher le sien. Madame de Vereellis ne m’a jamais dit un mot qui sentît l’affection, la pitié, la bienveillance. Elle m’interrogeait froidement, je répondais avec réserve. Mes réponses étaient si timides , qu’elle dut les trouver basses et s’en ennuya.. Sur la fin elle ne me questionnait plus, ne me parlait plus que pour son service elle me jugea moins sur ce que j’étais que sur ce qu’elle m’avait fait; et, à force de ne voir en moi qu’un laquais, elle m’empêcha de lui paraître autre chose. Je crois que j’éprouvai dès lors ce jeu malin des intérêts cachés qui m’a traversé toute ma vie, et qui m’a donné une aversion bien naturelle pour l’ordre apparent qui les produit. Madame de Ver- ceUis n'ayant point d’enfans, avait pour héritier son neveu le comte de La Roque qui lui faisait assidûment sa cour. Outre eeîa, ses principaux domestiques , qui la voyaient tirer à sa fin , ne s’oubliaient pas; et il y avait tant d’empressés autour d’elle, qu’il était difficile qu’elle eût du temps pour PARTIE I, LIVRE II. l8? penser à moi. A la tête île sa maison était un nommé M. Lorenzi, liomme adroit, dont la femme encore plus adroite s’était tellement insinuée dans les bonnes grâces de sa maîtresse , qu’elle était plutôt chez elle sur le pied d’une amie, que d’une femme à ses gages. Elle lui avait donné pour femme de chambre une nièce à elle, appelée mademoiselle Pontal, fine mouche, qui se donnait des airs de demoiselle suivante, et aidait sa tante à obséder si bien leur maîtresse, qu’elle ne voyait que par leurs yeux, et n’agissait que par leurs mains. Je n’eus pas le bonheur d’agréer à ces trois personnes je leur obéissais, mais je ne les servais pas; je n’imaginais pas qu’outre le service de notre commune maîtresse, je dusse être encore le valet de ses valets. J’étais d’ailleurs uneespèce de personnage inquiétant pour eux. Ils voyaient bien que je n’étais pas à ma place ; ils craignaient que madame ne le vît aussi, et que ce qu’elle ferait pour m’y mettre ne diminuât leurs portions ; car ces sortes de gens, trop avides pour être justes, regardent tous les l• * 9 - 210 1ES CONFESSIONS. Les monts, les prés , les bois, les ruisseaux, les villages, se succédaient sans fin et sans cesse avec de nouveaux charmes ; ce bienheureux trajet semblait devoir absorber ma vie entière. Je me rappelais avec délices combien ce même voyage m’avait paru charmant en venant. Que devait-ce être lorsqu’à tout l’attrait de l’indépendance se joindrait celui de faire route avec lin camarade de mon âge, de mon goût et de bonne humeur, sans gêne,sans devoir, sans contrainte, sans obligation d’aller ou rester que comme il nous plairait? Il fallait être fou pour sacrifier une pareille fortune à des projets d’ambition d’une exécution lente , pénible, incertaine, et qui, les supposant réalisés un jour, ne valaient pas dans tout leur éclat un quart d’heure de vrai plaisir et de liberté dans la jeunesse. Plein de cette sage fantaisie, je me conduisis si bien que je vins à bout de me faire chasser, et en vérité ce ne fut pas sans peine. Un soir, comme je rentrais, le maître d’hôtel me signifia mon congé de la part de M. le comte. C’était précisément ce que je demandais ; car sentant malgré moi l’extravagance de ma conduite, j’y ajoutais pour m’excuser l’injustice et l’ingratitude, croyant mettre ainsi les gens dans leur tort, et me justifier de la sorte à moi-même un parti pris par nécessité. On me dit de la part du comte de Favria d’aller lui parler le lendemain matin avant mon départ et comme on voyait que la tête m’ayant tourné j’étais capable de n’en rien faire, le maître d’hôtel remit après cette visite à me donner quelque argent qu’on m’avait destiné, et qu’assurément j’avais fort mal gagné ; car, ne voulant pas me laisser dans l’état de valet, n ne m’avait pas fixé de gages. Le comte de Favria, tout jeune est tout étourdi P ACTIF. I , LIVRE III. 211 qu’il était, me tint en cette occasion les discours les plus sensés, et j’oserais presque dire les plus tendres, tant il m’exposa d’une manière flatteuse et touchante les soins de son oncle et les intentions de son grand-père. Enfin, après m’avoir mis vivement devant les yeux tout ce que je sacrifiais pour courir à ma perte, il m’offrit de faire ma paix, exigeant pour toute condition que je ne visse plus ce petit malheureux qui m’avait séduit. Il était si clair qu’il ne disait pas tout cela de lui-même, que malgré mon stupide aveuglement je sentis foute la bonté de mon vieux maître, et j’en fus touché mais ce cher voyage était trop empreint dans mon imagination pour que rien pût en balancer le charme. J’étais tout-à-fait hors de sens, je me raffermis, je m’endurcis, je fis le fier; et je répondis arrogamment que, puisqu’on m’avait donné mon congé, je l’avais pris, qu’il n’était plus temps de s’en dédire ; et que , quoi qu’il pût m’arriver en ma vie, j’étais bien résolu de ne jamais me faire chasser deux fois d’une maison. Alors ce jeune homme, justement irrité, me donna les noms que je méritais, me mit hors dé sa chambre par les épaules, et me ferma la porte aux talons. Moi, je sortis triomphant, comme si je venais d’emporter la plus grande victoire; et, de peur d’avoir un second combat à soutenir , j’eus l’indignité de partir sans aller remercier M. l’abbé de ses bontés. Pour concevoir jusqu’où mon délire allait dans ce moment, il faudrait connaître à quel point mon cœur est sujet à s’échauffer sur les moindres choses, et avec quelle force il se plonge dans l’imagination de l’objet qui l’attire, quelque vain que soit quelquefois cet objet. Les plans les plus bizarres, les plus enfantins, les plus fous, viennent caresser mon û i » irs coxFEssïcm. idée favorite et me montrer de la vraisemblance â m’y livrer. Croirait-on qu’à près de dix-neuf ans on puisse fonder sur une fiole vide la subsistance du reste de ses jours ? Or écoutez. L’abbé de Gouvon m’avait fait présent il y avait quelques semaines d’une petite fontaine de héron fort jolie, et dont j’étais transporté. A force de faire jouer cette fontaine et de parler de notre voyage , nous pensâmes, le sage Bâcle et moi, que l’une pourrait bien servir à l’autre et le prolonger. Qu’y avait-il dans le monde d’aussi curieux qu’une fontaine de héron? Ce principe fut le fondement sur lequel nous bâtîmes l’édifice de notre fortune. Nous devions dans chaque village assembler les paysans autour de notre fontaine, et là les repas et la bonne chère devaient nous tomber avec d’autant plus d’abondance, que nous étions persuadés l’un et l’autre que les vivres ne coûtent rien à ceux qui les recueillent, et que quand ils n’en gorgent pas les passans, c’est pure mauvaise volonté. Nous n’imaginions partout que festins et noces, comptant que, ans rien débourser que le vent de nos poumons et l’eau de notre fontaine, elle pouvait nous défrayer en Piémont, en Savoie, en France, et par tout le monde. Nous faisions des projets de voyage qui ne finissaient point, et nous dirigions d’abord notre course au nord , plutôt pour le plaisir de repasser les Alpes, que par la nécessité supposée de nous arrêter enfin quelque part. Tel fut le plan sur lequel je me mis en campagne, abandonnant sans regret mon protecteur, mon précepteur, mes études, mes espérances, et l’attente d’une fortune presque assurée, pour commencer, attiré par ma chimère , la vie d’un vrai vagabond. Adieu la capitale, adieu la cour, l’ambition, la. PARTIE I, LIVRE ni. 21S vanité, l’amour, les belles, et toutes les grandes aventures dont l’espoir m’avait amené l’année précédente. Jeparsavec ma fontaine et mon ami Bâcle, la bourse légèrement garnie , mais le cœur saturé de joie, et ne songeant qu’à jouir de cette ambulante félicité à laquelle j’avais tout à coup borné mes brillans projets. Je lis cet extravagant voyage presque aussi agréablement toutefois que je m’y étais attendu, mais non pas tout-à-fait de la même manière ; car, bien que notre fontaine amusât quelques momens dans les cabarets les hôtesses et leurs servantes, il n’en fallait pas moins payer en sortant. Mais cela ne nous troublait guère, et nous ne songions à tirer parti tout de bon de cette ressource que quand l’argent viendrait à nous manquer. Un accident nous en évita la peine la fontaine se cassa près de Bramant; etil en était temps, car nous sentions , sans oser nous le dire , qu’elle commençait à nous ennuyer. Ce malheur nous rendit plus gais qu’aupa- ravant, et nous rîmes beaucoup de notre étourderie d’avoir oublié que nos habits et nos souliers s’useraient, ou d’avoir cru les renouveler avec le jeu de notre fontaine. Nous continuâmes notre voyage aussi alégrement que nous l’avions commencé, mais filant un peu plus droit vers le terme, où notre bourse tarissante nous faisait une nécessité d’arriver. A Chambéry je devins pensif, non sur la sottise que je venais de faire , jamais homme ne prit sitôt ni si bien son parti sur le passé, mais sur l’accueil qui m’attendait chez madame de Warens ; car j’envisageais exactement sa maison comme ma maison paternelle. Je lui avais écrit mon entrée chez le comte de Gouvon ; elle savait sur quel pied j’y étais, 1 SI4 1ES COXFESSIOKS. et en m’en félicitant elle m’avait donné des leçons très-sages sur la manière dont je devais correspondre aux bontés qu’on avait pour moi. Elle regardait ma fortune comme assurée, si je ne la détruisais pas par ma faute. Qu’allait-elle dire en me voyant arriver ? Il ne me vint pas même à l’esprit qu’elle pût me fermer sa porte mais je craignais le chagrin que j’allais lui donner; je craignais ses reproches, plus durs pour moi que la misère. Je résolus de tout endurer en silence, et de tout faire pour l’apaiser. Je ne voyais plus dans l’univers qu’elle seule vivre dans sa disgrâce était une chose qui ne se pouvait pas. Ce qui m’inquiétait le plus était mon compagnon de voyage, dont je ne voulais pas lui donner le surcroît, et dont je craignais de ne pouvoir me débarrasser aisément. Je préparai cette séparation en vivant assez froidement avec lui la dernière journée. Le drôle me comprit; il était plus fou que sot. Je crus qu’il s’affecterait de mon inconstance ; j’eus tort mon ami Bâcle ne s’affectait de rien. A peine, en entrant à Annecy, avions-nous mis le pied dans la ville, qu’il me dit Te voilà chez toi, m’embrassa , me dit adieu, fit une pirouette, et disparût. Je n’ai jamais plus entendu parler de lui. Notre connaissance et notre amitié durèrent en tout environ six semaines, mais les suites en dureront autant que moi. Que le cœur me battit en approchant de la maison de madame de Warens ! mes jambes tremblaient sous moi, mes yeux se couvraient d’un voile ; je ne voyais rien, je n’entendais rien, je n’aurais reconnu personne ; je fus contraint de m’arrêter plusieurs fois pour respirer et reprendre mes sens. Était-ce la crainte de ne pas obtenir les secours dont FA.&TIE i, livre ni. ai5 j’avais besoin qui me troublait à ce point ? A l’âge où j’étais, la peur de mourir de faim donne-l-elle de pareilles alarmes ? Non, non, je le dis avèc autant de vérité que de fierté, jamais, en aucun temps de ma vie, il n’appartint à l’intérêt ni à l’indigence de m’épanouir ou de me serrer le cœur. Dans le cours d’ùne vie inégale, et mémorable par ses vicissitudes, souvent sans asile et sans pain, j’ai toujours vu du même œil l’opulence et la misère. Au besoin j’aurais pu mendier ou voler comme un autre, mais non pas me troubler pour en être réduit là. Peu d’hommes ont autant gémi que moi ; peu ont autant versé de pleurs dans leur vie mais jamais la pauvreté ni la crainte d’y tomber ne m’ont fait pousser un soupir ni répandre une larme. Mon âme, à l’épreuve de la fortune, n’a connu de vrais biens ni de vrais maux que eeux qui ne dépendent pas d’elle ; et c’est quand rien ne m’a manqué pour le nécessaire que je me suis senti le plus malheureux des mortels. A peine parus-je aux yeux de madame de Warens que son air me rassura je tressaillis au premier son de sa voix. Je me précipite à ses pieds, et, dans les transports de la plus vive joie, je colle ma bouche sur sa main. Pour elle, j’ignore si elle avait su de mes nouvelles, mais je vis peu de surprise sur son visage, et je n’y vis aucun chagrin. Pauvre petit, me dit - elle d’un ton caressant, te revoilà donc ! Je savais bien que tu étais trop jeune pour ce voyage. Je suis bien aise au moins qu’il n’ait pas aussi mal tourné que j’avais craint. Ensuite elle me fît conter mon histoire, qui ne fut pas longue, et que je lui fis. très -fidèlement, en supprimant cependant quelques articles , mais au reste sans m’épargner ni m’excuser. 2i6 m cosfessïoks. Il fut question de mon gîte. Efle consulta sa femme de chambre. Je n’osais respirer durant cette délibération ; mais quand j’entendis que je coucherais dans la maison, j’eus peine à me contenir, et je vis porter mon petit paquet dans la chambre qui m’était destinée, à peu près comme Saint-Preux vit remiser sa chaise chez madame de Wolmar. J’eus pour surcroît de plaisir d’apprendre que cette faveur ne serait point passagère ; et, dans un moment où l’on me croyait attentif à tout autre chose, j’entendis qu’elle disait On dira ce qu’on voudra; mais, puisque la Providence me le renvoie, je suis déterminée à ne pas l’abandonner. » Me voilà donc enfin rétabli chez elle. Cet établissement ne fut pourtant pas encore celui dont je date les jours heureux de ma vie, mais servit à le préparer. Quoique cette sensibilité de cœur qui nous fait jouir de nous, soit l’ouvrage de la nature et peut - être un produit de l’organisation, elle a besoin de situations qui la développent. Sans ces causes occasionnelles, un homme né très-sensible ne sentirait rien, et mourrait sans avoir connu son être. Tel j’avais été jusqu’alors, et tel j’aurais toujours été peut-être si je n’avais jamais connu madame de Warens, ou si même, l’ayant connue, je n’avais vécu assez long-temps auprès d’elle pour contracter la douce habitude des sentimens affectueux qu’elle m’inspira. J’oserai le dire qui ne sent que l’amour ne sent pas ce qu’il y a de plus doux dans la vie. Je connais un autre sentiment, moins impétueux peut-être, mais plus délicieux mille fois, qui quelquefois est joint à l’amour, et qui souvent en est séparé. Ce Gentiment n’est pas non plus l’amitié seule il est plus voluptueux, plus tendre; je n’imagine pas qu’il puisse agir pour quel- PARTIE I , LIVRE m. ai'? qu’un du même sexe ; du moins je fus ami si jamais homme le fut, et je ne l’éprouvai jamais près d’aucun de mes amis. Ceci n’est pas clair, mais il la deviendra dans la suite les sentimens ne se décrivent bien que par leurs elfets. Elle habitait une vieille maison, mais assez grande pour avoir une belle pièce de réserve dont elle fit sa chambre de parade, et qui fut celle où l’on me logea. Cette chambre était sur le passage dont j’ai parlé, où se fit notre première entrevue; et au delà du ruisseau et des jardins on découvrait la campagne. Cet aspect n’était pas pour le jeune habitant une chose indifférente. C’était depuis Bossey la première fois que j’avais du vert devant mes fenêtres. Toujours masqué par des murs, je n’avais eu sous les yeux que des toits ou le gris des rues. Combien cette nouveauté me fut sensible et douce ! elle augmenta beaucoup mes dispositions à l’attendrissement. Je faisais de ce charmant paysage encore un des bienfaits de ma chère patronne il me semblait qu’elle l’avait mis là tout exprès pour moi ; je m’y plaçais paisiblement auprès d’elle; je la voyais partout entre les fleurs et la verdure ses charmes et ceux du printemps se confondaient à mes yeux. Mon cœur, jusqu’alors comprimé, se trouvait plus au large dans cet espace , et mes soupirs s’exhalaient plus librement parmi ces vergers. On ne trouvait pas chez madame de Warens la magnificence que j’avais vue à Turin ; mais on y r trouvait la propreté, la décence, et une abondance patriarcale avec laquelle le faste ne s’allie jamais. Elle avait peu de vaisselle d’argent, point de porcelaine, point de gibier dans sa cuisine, ni dans sa cave de vins étrangers; mais l’une et l’autre étaient bien garnies au service de tout le monde; et dans I. IO 21 8 t-ÏS CONFESSIOSS. des lasses de faïence elle donnait d'excellent café. Quiconque la venait voir était invité à dîner avec elle ou chez elle ; et jamais ouvrier, messager ou passant ne sortait sans manger ou boire, selon l’ancien usage helvétique. Son domestique était composé d’une femme de chambre fribourgeoise assez jolie appelée Merceret ; d’un valet de son pays appelé Claude Anet, dont il sera question dans la suite; d’une cuisinière, et de deux porteurs de louage quand elle allait en visite, ce qu’elle faisait rarement. Yoilà bien des choses pour deux mille livres de rente; cependant son petit revenu, bien ménagé , eût pu suffire à tout cela dans un pays où la terre est très-bonne et l’argent très-rare. Malheureusement l’économie ne fut jamais sa vertu favorite; elle s’endettait, elle payait; l’argent faisait la navette, et tout allait. La manière dont son ménage était monté était précisément celle que j’aurais choisie ; on peut croire que j’en profitais avec plaisir. Ce qui m’en plaisait moins était qu’il fallait rester très - longtemps à table. Elle supportait avec peine la première odeur du potage et des mets; cette odeur la faisait presque tomber en défaillance, et ce dégoût durait long-temps elle se remettait peu à peu, causait et ne mangeait point. Ce n’était qu’au bout d’une demi-heure qu’elle essayait le premier morceau. J’aurais dîné trois fois dans cet intervalle mon repas était fait long - temps avant qu’elle eût commencé le sien. Je recommençais de compagnie ; ainsi je mangeais pour deux, et ne m’en trouvais pas plus mal. Enfin je me livrais d’autant plus au doux sentiment du bien-être que j’éprouvais auprès d’èlle, que ce bien-être dont je jouissais n’était mêlé d’aucune inquiétude sur les moyens de le sou- rARTIE I, LIVRE IIÎ. 29 tenir. N’étant point encore dans l’étroite confidence de ses affaires, je les supposais en état d’aller toujours sur le même pied. J’ai retrouvé les mêmes agrémens dans sa maison par la suite; mais, plus instruit de sa situation réelle, et voyant qu’ils anticipaient sur ses rentes, je 11e les ai plus goûtés si tranquillement. La prévoyance a toujours gâté chez moi la jouissance. J’ai vu l’avenir à pure perte, je n’ai jamais pu l’éviter. Dès le premier jour, la plus douce familiarité s’établit entre nous au même degré où elle a continué tout le reste de sa vie. Petit fut mon nom, Maman fut le sien, et toujours nous demeurâmes Petit et Maman, même quand le nombre des années en eut presque effacé la différence entre nous. Je trouve que ces deux noms rendent à merveille l’idée de notre ton, la simplicité de nos manières, et surtout la relation de nos cœurs. Elle fut pour moi la plus tendre des mères, qui jamais ne chercha son plaisir, mais toujours mon bien; et si les sens entrèrent dans mon attachement pour elle, ce n’était pas pour en changer la nature, mais pour le rendre seulement plus exquis, pour m’enivrer du charme d’avoir une maman jeune et jolie qu’il m’était délicieux de caresser; je dis caresser au pied de la lettre, car jamais elle n’imagina de m’épargner les baisers ni les plus tendres caresses maternelles, et jamais il n’entra dans mon cœur d’en abuser. On dira que nous avons pourtant eu à la fin des relations d’une autre espèce j’en conviens; mais il faut attendre, je ne puis tout dire à la fois. Le coup d’œil de notre première entrevue fut le seul moment vraiment passionné qu’elle m'ait jamais fait sentir; encore ce moment fut-il l’ouvrage Ü20 LES COKFESSIOKS. de la surprise. Mes regards indiscrets n’allaient jamais furetant sous son mouchoir, quoiqu’un embonpoint mal caché dans cette place eut bien pu les y attirer. Je n’avais ni transports ni désirs auprès d’elle; j’étais dans un calme ravissant, jouissantsans savoir de quoi. J’aurais ainsi passé ma vie et l’éternité même sans m’ennuyer un instant. Elle est la seule personne avec qui je n’ai jamais senti celte sécheresse de conversation qui me fait un supplice du devoir de la soutenir. Nos tête-à-tète étaient moins des entretiens qu’un babil intarissable qui pour finir avait besoin d’être interrompu. Loin de me faire une loi de parler, il fallait plutôt m’en faire une de me taire. A force de méditer ses projets, elle tombait souvent dans la rêverie. Hé bien ! je la laissais rêver; je me taisais, je la contemplais, et j’étais le plus heureux des hommes. J’avais encore un tic fort singulier. Sans prétendre aux faveurs du tête- à-tête, je le recherchais sans cesse, et j’en jouissais avec une passion qui dégénérait en fureur quand des importuns venaient le troubler. Sitôt que quelqu’un arrivait, homme ou femme, il n’importait pas, je sortais en murmurant, ne pouvant souffrir de rester en tiers auprès d’elle. J’allais compter les minutes dans son antichambre , maudissant ces éternels visiteurs, et ne pouvant concevoir ce qu’ils avaient tant à dire, parce que j’avais à dire encore plus. Je ne sentais toute la force de mon attachement pour elle que quand je ne la voyais pas. Quand je la voyais, je n’étais que content; mais mon inquiétude en son absence allait au point d’être douloureuse. Le besoin de vivre avec elle me donnait des élans d’attendrissement qui souvent allaient jusqu’aux larmes. Je me souviendrai toujours qu'un PARTIE 1, MVRE 1U. 321 jour de grande fête, tandis qu’elle était à vêpres, j'allai me promener hors de la ville, le cœur plein de son image et du désir ardent de passer mes jours auprès d’elle. J’avais assez de sens pour voir que, quant à présent , cela n’ëlait pas possible , et qu’un bonheur que je goûtais si bien serait court. Cela donnait à ma rêverie une tristesse qui n’avait pourtant rien de sombre, et qu’un espoir flatteur tempérait. Le son des cloches, qui m’a toujours singulièrement affecté, le chant des oiseaux, la beauté du jour, la douceur du paysage, les maisons éparses et champêtres dans lesquelles je plaçais en idée notre commune demeure, tout cela me frappait tellement d’une impression vive, tendre, triste et touchante, que je me vis comme en extase transporté dans cet heureux temps et dans cet heureux séjour où mon cœur, possédant toute la félicité qui pouvait lui plaire, la goûtait dans des ravissemens inexprimables, sans songer même à la volupté des sens. Je ne me souviens pas de m’être élancé jamais dans l’avenir avec plus de force et d’illusion que je fis alors; et, ce qui m’a frappé le plus dans le souvenir de cette rêverie quand elle s’est réalisée, c’est d’avoir retrouvé des objets tels exactement que je les avais imaginés. Si jamais rêve d’un homme éveillé eut l’air d’une vision prophétique, ce fut assurément celui-là. Je n’ai été déçu que dans sa durée imaginaire; car les jours et les ans et la vie entière s’y passaient dans une inaltérable tranquillité, au lieu qu’en effet tout cela n’a duré qu’un moment. Hélas! mon plus constant bonheur fut en songe ; son accomplissement fut presque à l’instant suivi du réveil. Je ne finirais pas si j’entrais dans le détail de toutes les folies que le souvenir de cette chère ma- 223 IBS COKFESSIOKS. inan me faisait faire, quand je n’étais plus sous ses yeux. Combien de fois j’ai baisé mon lit en songeant qu’elle y avait couché, mes rideaux, tous les meubles de ma chambre en songeant qu’ils étaient à elle, que sa belle main les avait touchés, le plancher même sur lequel je me prosternais en songeant qu’elle y avait marché ! Quelquefois même en sa présence il m’échappait des extravagances que le plus violent amour seul semblait pouvoir inspirer. Un jour à table, au moment qu’elle avait mis un morceau dans sa bouche, je m’écrie que j’y vois un cheveu; elle rejette le morceau sur son assiette, je m’en saisis avidement et l’avale. En un mot, de moi à l’amant le plus passionné il n’y avait qu’une différence unique, mais essentielle, et qui rend mon état presque inconcevable à la raison. J'étais revenu d’Italie, non tout-à-fait comme j’y étais allé, mais comme peut-être jamais à mon âge on n’en est revenu. J’en avais rapporté non ma virginité, mais mon pucelage. J’avais senti le progrès des ans; mon tempérament inquiet s’était enfin déclaré, et sa première éruption, très-involontaire, m’avait donné sur ma santé des alarmes qui peignent mieux que toute autre chose l’innocence dans laquelle j’avais vécu jusqu’alors. Bientôt rassuré, j’appris ce dangereux supplément qui trompe la nature et sauve aux jeunes gens de mon humeur beaucoup de désordres aux dépens de leur santé, de leur vigueur, et quelquefois de leur vie. Ce vice, que la honte et la timidité trouvent si commode, a de plus un grand attrait pour les imaginations vives; c’est de disposer pour ainsi dire à leur gré de tout le sexe, et de faire servir à leurs plaisirs la .beauté qui les tente sans avoir besoin d’obtenir son aveu. Séduit par ce funeste avantage, je travaillais PARTIE I, LIVRE III. 22.» à détruire la bonne constitution qu'avait rétablie en moi la nature, et à qui j’avais donné le temps de se bien former. Qu’on ajoute à cette disposition le local de ma situation présente; logé chez une jolie femme, caressant son image au fond de mon cœur, là voyant sans cesse dans la journée, le soir entouré d’objets qui me la rappellent, couché dans un lit où je sais qu’elle a couché. Que de slimulans! tel lecteur qui se les représente me voit déjà à demi mort. Tout au contraire, ce qui devait me perdre fut précisément ce qui me sauva , du moins pour un temps. Enivré du charme de vivre auprès d’elle, et du désir ardent d’y passer mes jours, absente ou présente je voyais toujours en elle une tendre mère, une sœur chérie, une délicieuse amie, et rien de plus. Je la voyais toujours ainsi, toujours la même, et ne voyais jamais qu’elle. Son image, toujours présente à mon cœur, n’y laissait place à nulle autre; elle était pour moi la seule femme qui fût au monde; et l’extrême douceur des sentimens qu’elle m’inspirait, ne laissant pas à mes sens le temps de s’éveiller pour d’autres, me garantissait et d’elle et de tout son sexe. En un mot, j’étais sage parce que je l’aimais. Sur ces effets que je rends mal, dise qui pourra de quelle espèce était mon attachement pour elle. Pour moi, tout ce que j’en puis dire est que s’il paraît déjà fort extraordinaire, dans la suite il le paraîtra beaucoup plus. Je passais mon temps le plus agréablement du monde, occupé des choses qui me plaisaient le moins. C’étaient des projets à rédiger, dès mémoires à mettre au net, des recettes à transcrire; c’étaient des herbes à trier, des drogues à piler, des alambics à gouverner. Tout à travers tout cela venaient des foules de passans, de mendians, de LES COSFESSIOXS. 224 visites de toute espèce. Il fallait entretenir tout à la fois un soldat, un apothicaire, un chanoine, une belle dame, un frère lai. Je pestais, je grommelais, je jurais, je donnais au diable toute cette maudite cohue. Pour elle, qui prenait tout en gaieté, mes fureurs la faisaient rire auxlarmes, et ce qui la faisait rire encore plus,était de me voir d’autant plus furieux que je ne pouvais moi-même m’empêcher de rire. Ces petits intervalles où j’avais le plaisir de grogner étaient charmans ; et s’il survenait un nouvel importun durant la querelle, elle en savait encore tirer parti pour l’amusement en prolongeant malicieusement la visite, et me jetant des coups d’œil pour lesquels je l’aurais volontiers battue. Elle avait peine à s’empêcher d’éclater en me voyant , contraint et retenu par la bienséance, lui faire des yeux de possédé, tandis qu’au fond de mon cœur et même en dépit de moi je trouvais tout cela très-comique. Tout cela, sans me plaire, en soi, m’amusait pourtant, parce qu’il faisait partie d’une manière d’être qui m’était charmante. Rien de ce qui se faisait autour de moi, rien de tout ce qu’on me faisait faire n’était de mon goût, mais tout était selon mon cœur. Je crois que je serais parvenu à aimer la médecine, si mon dégoût pour elle 11’eùt fourni des scènes folâtres qui nous égayaient sans cesse c’est peut-être la première fois que cet art a produit un pareil effet. Je prétendais connaître à l’odeur un livre de médecine, et ce qu’il y a de plaisant est que je m’y trompais rarement. Elle me faisait goûter des plus détestables drogues. J’avais beau fuir ou vouloir me défendre, malgré ma résistance et mes horribles grimaces , malgré moi et mes dents, quand je voyais ces jolis doigts barbouillés s’approcher de ma bouche, il fallait finir par l’ouvrir et su- PARTIE I, LIVRE III. 22§ cer. Quand tout son petit ménage était rassemblé dans la même chambre, à nous entendre courir et crier au milieu des éclats de rire, on eût cru qu’on y jouait quelque farce, et non pas qu’on y faisait de l’opiat ou de l’élixir. Mon temps ne se passait pourtant pas tout entier à ces polissonneries. J’avais trouvé quelques livres dans la chambre que j’occupais ; Puffendorf, le Spectateur , la Henriade. Quoique je n’eusse plus mon ancienne fureur de lecture, par désœuvrement je lisais un peu de tout cela. Le Spectateur surtout me plut beaucoup et me fit du bien. M. l’abbé de Gouvon m’avait appris à lire moins avidement et avec plus de réflexion ; la lecture me profitait mieux. Jem’accoutumais à réfléchir sur l’élocution, sur les constructions élégantes, je m’exercais à discerner le français pur de mes idiomes provinciaux. Par exemple , je fus corrigé d’une faute d’orthographe que je faisais avec tous nos Genevois par ces deux vers de la Henriade. Mais soit qu’un vieux respect pour le sang de leurs maîtres Parlât encor pour moi dans le cœur de ces traîtres. Ce mot parlât, qui me frappa, m’apprit qu’il fallait un t à la troisième personne du subjonctif; au lieu qu’auparavant je l’écrivais et prononçais parla comme le présent parfait de l’indicatif. Quelquefois je causais avec maman de mes lectures; quelquefois jelisais auprès d’elle; j’y prenais grand plaisir; je m’exerçais h bien lire, et cela me fut utile aussi. J’ai dit qu’elle avait l’esprit orné. Il était alors dans toute sa fleur. Plusieurs gens de lettres s’étaient empressés à lui plaire, et lui avaient appris à juger des ouvrages d’esprit. Elle avait, si 1ES CONFESSIONS., 226 je puis parler ainsi, le goût un peu protestant ; elle ; ne parlait que de Bayle, et faisait grand cas de Saint J Évremond, qui depuis long-temps était mort en 1 France. Mais cela n’empêchait pas qu’elle ne connût la bonne littérature., et qu’elle n’en parlât fort bien. Elle avait été élevée dans des sociétés choisies; et venue en Savoie encore jeune, elle avait perdu dans le commerce charmant de la noblesse du pays ce ton maniéré du pays de Yaud, où les femmes prennent le bel esprit pour l’esprit du monde, et ne savent parler que par épigrammes. Quoiqu’elle n’eût vu la cour qu’en passant, elle y avait jeté un coup d’œil rapide qui lui avait suffi pour la connaître. Elle s’y conserva toujours des amis; et malgré de secrètes jalousies, malgré les murmures qu’excitaient sa conduite et ses dettes, elle n’a jamais perdu sa pension. Elle avait l’expér rience du monde, et l’esprit de réflexion qui fait v tirer parti de cette expérience. C’était'le sujet favori 1 de ses conversations, et c’était précisément, vu mes I idées chimériques, la sorte d’instruction dont j’a- vais le plus grand besoin. Nous lisions ensemble La j Bruyère ; il Lui plaisait plus que La Rochefoucault, livre triste et désolant, principalement dans la jeunesse, où l’on n’aime pas à voir l’homme comme il est. Quand elle moralisait, elle se perdait quelquefois un peu dans les espaces ; mais en lui baisant , de temps en temps la bouche ou les mains, je pre- nais patience, et ses longueurs ne m’ennuyaient pas. Cette vie était trop douce pour pouvoir durer. Je * le sentais, et l’inquiétude de la voir finir était la seule chose qui en troublait Ja jouissance. Tout en folâtrant, maman m’étudiait, m’observait, m’in- ; terrogeait,-et bâtissait pour ma fortune force pro- , jets dont je me serais bien passé. Heureusement , PARTIE I , UVRE III. 23? ce n’était pas le tout de connaître mes penchans, mes goûts, mes petits talens; il fallait trouver ou faire naître les occasions d’en tirer parti, et tout cela n’était pas l’affaire d’un jour. Les préjugés mêmes qu’avait conçus la pauvre femme en fa-r veur de mon mérite reculaient les momens de le ♦ mettre en œuvre, en la rendant plus difficile sur le choix des moyens. Enfin tout allait au gré de mes désirs, grâce à la bonne opinion qu’elle avait de moi; mais il en fallut rabattre, et dès lors, adieu la tranquillité. Un desesparens, appelé M. d’Aubonne, la vint voir. C’était un homme de beaucoup d’esprit, intrigant, génie à projets comme elle, mais qui ne s’y ruinait pas; une espèce d’aventurier. Il venait de proposer au cardinal de Fleuri un plan de loterie très - composée , qui n’avait pas été goûté. 11 allait le proposer à la cour de Turin, où il fut adopté et mis en exécution. Il s’arrêta quelque temps à Anneci et y devint amoureux de madame l’intendante, qui était une personne fort aimable , fort de mon goût, et la seule que je visse avec plaisir chez ma man. M. d’Aubonne me vit, sa parente lui parla de moi; il se chargea de m’examiner , de voir à quoi j’étais propre, et, s’il me trouvait de l’étofTe , de chercher à me placer. Madame de Warens m’envoya chez lui deux ou trois matins de suite, sous prétexte de quelque commission, et sans me prévenir de rien. Il s’y prit très-bien pour me faire jaser, se familiarisa t avec moi, me mit à mon aise autant qu’il était possible, me parla de niaiseries et de toutes sortes de sujets; le tout sans paraître m’observer, sans la moindre affectation, et comme si, se plaisant avec moi, il eût voulu converser sans gêne. J’étais enchanté de lui. Le résultat de ses observations fut que 228 LES CONFESSIONS, malgré ce que promettaient mon extérieur etma physionomie animée, j’étais, sinon tout-à-fait inepte , au moins un garçon de peu d’esprit, sans idées, presque sans acquis, très-borné, en un mot, à tous égards, et que l’honneur de devenir quelque jour curé de village étaitla plus haute fortune à laquelle je pusse aspirer. Tel fut le compte qu’il rendit de moi à madame de AYarens. Ce fut la seconde ou la troisième fois que jefusainsi jugé, ce ne fut pas la dernière, et l’arrêt de M. Masseron a souvent été confirmé. La cause de ces jugemens tient trop à mon caractère pour n’avoir pas ici besoin d’explication car, en conscience, on doit sentir que je ne puis sincèrement y souscrire, et qu’avec toute l’impartialité possible, quoi qu’aient pu dire MM. Masseron et d’Àubonne, et beaucoup d’autres, je ne les saurais prendre au mot. Deux choses presque inalliables, s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière un tempérament très ardent, des passions vives, impétueuses , et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne se présentent jamais qu’après coup. On dirait que mon cœur et ma tête n’appartiennent pas au même individu. Le sentiment, plus prompt que l’éclair, vient remplir mon âme ; mais au lieu de m’éclairer, il me brûle, il m’éblouit. Je sens tout, ctjene vois rien, je suis emporté, mais stupide ; il faut que je sois de sang-froid pour penser. Ce qu’il y a d’éton- nant est que j’ai cependant le tact assez sûr, de la pénétration , de la finesse même,. pourvu qu’on m’attende je fais d’excellens impromptus àloisir; mais sur le temps je n’ai jamais rien fait ni dit qui vaille. Je ferais une fort jolie conversation par la poste, comme on dit que les Espagnols jouent PARTIE I , LIVRE III. 22 à soulever j’étais prêt à y jeter de même une grande glace , si l’on ne m’eût retenu. Le bon évêque, qui était venu voir maman ce jour-là, ne resta pas non plus oisif il l’emmena dansle jardin, où il se mit en prières avec elle et tous ceux qui PARTIE I, 1IVHE III. 259 étaient là , en sorte qu’arrivant quelque temps après je vis tout le monde à genoux, et m’y mis comme les autres. Durant la prière du saint homme le vent changea, mais si brusquement et si à propos , que les flammes qui couvraient la maison et entraient déjà par les fenêtres furent portées de l’autre côté, et la maison n’eut aucun mal. Deux ou trois ans après, M. de Bernex étant mort, les antonins, ses anciens confrères, commencèrent à recueillir les pièces qui pouvaient servir à sa béatification à la prière du P. Boudet, je joignis à ces pièces une attestation du fait que je viens de rapporter, en quoi je fis bien ; mais en quoi je fis mal , ce fut de donner ce fait pour un miracle. J’avais vu l’évêque en prière, et, durant sa prière, j’avais vu le vent changer, et même très à propos ; voilà ce que je pouvais dire et certifier mais qu’une de ces deux choses fût la cause de l’autre, voilà ce que je ne devais pas attester, parce que je ne pouvais le savoir. Cependant, autant que je puis me rappeler mes idées , alors sincèrement catholique, j’étais de bonne, foi l’amour du merveilleux si naturel au cœur humain , ma vénération pour ce. vertueux prélat, l’orgueil secret d’avoir peut-être contribué moi-méme au miracle , aidèrent à me séduire ; et ce qu’il y a de sûr est que si ce miracle eût-été l’elfet des plus ardentes prières, j’aurais bien pu m’en attribuer ma part. Plus de trente ans après, lorsque j’eus publié les Lettres de la montagne , M. Fréron déterra ce certificat , je ne sais comment, et en fit usage dans ses feuilles. Il faut avouer que la rencontre était heureuse , et l’à-propros me parut à moi- même très-plaisant. J’étais destiné à être le rebut de tous les états. %i\0 l IES CÛSTESSIOSS. Quoique M. Gâtier eût rendu de mes progrès le compte le moins défavorable qu’il lui fût possible , on voyait qu’ils n’étaient pas proportionnés à mon travail, et cela n’était pas encourageant pour me faire pousser mes études aussi l’évêque et le supérieur se rebutèrent-ils, et l’on me rendit à madame de Warens comme un sujet qui n’était pas même bon pour être prêtre ; au reste assez bon garçon, disait-on, et point vicieux; ce qui fit que, malgré tant de préjugés rebutans sur mon compte , elle ne m’abandonna pas. Je rapportai chez elle en triomphe son livre de musique dont j’avais tiré si bon parti mon air d’Alphée et Aréthuse était, à peu près, tout ce que j’avais appris au séminaire. Mon goût marqué pour cet art lui fit naître la pensée de me faire musicien. L’occasion était commode on faisait chez elle, au moins une fois la semaine, de la musique ; et le maître de musique de la cathédrale, qui dirigeait ce petit concert, venait la voir très-souvent. C’était un Parisien nommé aussi M. Le Maître, bon compositeur, fort vif, fort gai, jeune encore, assez bien fait, peu d’esprit, mais au demeurant très-bon homme. Maman me fit faire sa connaissance je m’attachais à lui, je ne lui déplaisais pas. On parla de pension l’on en convint. Bref, j’entrai chez lui, et j’y passai l’hiver d’autant plus agréablement que, la. maîtrise n’étant qu’à vingt pas de la maison de madame de Warens, nous étions chez elle en un moment, et nous y soupions très-souvent ensemble. On jugera bien que la vie de la maîtrise, toujours chantante et gaie avec les musiciens et les enfans de chœur, me plaisait plus que celle du séminaire avec les pères de Saint-Lazare. Cependant cette vie, iuhtie i, livre ni. a/ji pour être plus libre, n’en était pas moins égale et réglée j’étais fait pour aimer l’indépendance et pour n’en abuser jamais. Durant six mois entiers je ne sortis pas une seule fois que pour aller chez maman ou à l’église, et je n’en fus pas même tenté. Cet intervalle est un de ceux où j’ai vécu dans le plus grand calme , et que je me suis rappelés avec le plus déplaisir dans les situations diverses où je me suis trouvé, quelques-uns ont été marqués par un tel sentiment de bien-être, qu’en les remémorant j’en suis affecté comme si j’y étais encore ; non-seulement je me rappelle les temps, les lieux , les personnes , mais tous les objets environnans, la température de l’air, son odeur , sa couleur, une certaine impression locale qui ne s’est fait sentir que là , et dont le souvenir vif m’y transporte de nouveau. Par exemple, tout ce qu’on répétait à la maîtrise, tout ce qu’on chantait au chœur, tout ce qu’on y faisait, le bel et noble habit des chanoines, les chasubles des prêtres, les mitres des chantres, la figure des musiciens, un vieux charpentier boiteux qui jouait de la contre-basse, un petit abbé blondin qui jouait du violon, le lambeau de soutane qu’a- près avoir posé son épée Le Maître endossait pardessus son habit laïque, et le beau surplis fui dont il en couvrait les loques pour aller au chœur; l’orgueil avec lequel j’allais, tenant ma petite flûte à bec, m’établir dans l’orchestre à la tribune pour un petit bout de récit que M. Le Maître avait fait exprès pour moi; le bon dîner qui nous attendait ensuite, le bon appétit qu’on y portait ce concours d’objets, vivement retracé, m’a cent fois charmé dans ma mémoire, autant et plus que dans la réalité. J’ai gardé toujours une affection tendre pour un certain air du Conditor aima siderum, qui marche par a4a ies confessions. ïambes , parce qu’un dimanche de l’Àvent j’entendis de mon lit chanter cette hymne avant Iejour sur le perron de la cathédrale, selon un rit de cette église- là. Mademoiselle Merceret, femme de chambre de maman, savait un peu de musique je n’oublierai jamais un petit motet, Afferte, que M. Le Maître me fit chanter avec elle, et que sa maîtresse écoutait avec tant de plaisir. Enfin tout, jusqu’à la bonne servante Perrine, qui était si bonne fille et que les enfans de chœur faisaient tant endêver, tout, dans les souvenirs de ces temps de bonheur et d’innocence , revient souvent me ravir et m’attrister. Je vivais à Anneci depuis un an sans le moindre reproche ; toutlemonde était content de moi. Depuis mon départ' de Turin je n’avais point fait de sottise ; et je n’en fis point tant que je fus sous les yeux de maman. Elle me conduisait, et me conduisait toujours bien mon attachement pour elle était devenu ma seule passion; et ce qui prouve que cen’étaitpas une passion folle, c’est que mon cœur formait ma raison. Il est vrai qu’un seul sentiment, absorbant pour ainsi dire toutes mes facultés , me mettait hors d’état de rien apprendre, pas même la musique, bien que j’y fisse tous mes efforts. Mais il n’y avait point de ma faute la bonne volonté y était tout entière; l’assiduité y était. J’étais distrait, rêveur, je soupirais ; qu’y pouvais-je faire ? Il ne manquait à mes progrès rien qui dépendît de moi; mais pour que je fisse de nouvelles folies, il ne fallait qu’un sujet qui vînt me les inspirer. Ce sujet se présenta ; le hasard arrangea les choses, et, comme on verra dans la suite, ma mauvaise tète en tira parti. Un soir du mois de février qu’il faisait bien froid, comme nous étions tous autour du feu, nousenten- i, tiVisE ïii. a/jJ dîmes frapper à la porte de la me. Perrihe prend sa lanterne, descend, ouvre un jeunehonune entre, monte avec elle , se présente d’un air aisé, et fait à M. Le Maître un compliment court et bien tourné, se donnant pour un musicien fi'ançais que le mauvais état de ses finances forçait de vicarier pour passer son chemin. A ce mot de musicien français, le cœur tressaillit au bon Le Maître, il aimait passionnément son pays et son art. Il accueillit le jeune passager, lui offrit le gîte Mont il paraissait avoir grand besoin,et qu’il accepta sansbeaucoup defaçon. Jel’examinai tandis qu’il se chauffait et qu’il jasait en attendant le souper. Il était court de stature, large de carrure; il avait je ne sais quoi de contrefait dans sa taille, sans aucune difformité particulière c’était, pour ainsi dire, un bossuà épaules plates, mais je crois qu’il boitait un peu. Il avait un habit noir plutôt usé que vieux, et qui tombait par pièces, une chemise très-fine et très-sale , de belles manchettes d’effilé , des guêtres dans chacune desquelles il aurait mis ses deux jambes , et, pour se garantir de la neige , Uh petit chapeau àporter sous le bras. Dans ce Comique équipage il y avait pourtant quelque chose de noble que son maintien ne démentait pas; sa physionomie avait de la finesse et de l’agrément il parlait facilement et bien , mais très-peu modestement ; tout marquait en lui un jeune débauché qui avait eu de l’éducation, et qui n’allait pasgueusant comme un gueux, mais comme un fou. Il nous dit qu’il s’appelait Venture de Villeneuve; qu’il venait de Paris, qu’il s’était égaré dans sa route; et, oubliant un peu son rôle de musicien, il ajouta qu’il allait à Grenoble voir un parent qU’il avait dans le parlement. Pendant le souper on parla de musique, et il en parla bien. Il connaissait tous les grands virtuoses, LES C05FESSI0ÏS a 44 ious les ouvrages célèbres, tous les acteurs, toutes les actrices, toutes les jolies femmes, tous les grands seigneurs. Sur tout ce qu’on disait il paraissait au fait ; mais à peine un sujet était-il entamé qu’il brouillait l’entretien par quelque polissonnerie qui faisait rire et oublier ce qu’on avait dit. C’était un samedi il y avait le lendemain musique à la cathédrale. M. Le Maître lui propose d’y chanter; Très-volontiers lui demande quelle est sa partie ; La haute-contre et il parle d’autre chose. Avant d’aller à l’église, on lui offrit sa partie à prévoir; il n’y jeta pas les yeux. Cette gasconnade surprit Le Maître ; Vous verrez, me dit-il à l’oreille, qu’il ne sait pas une note de musique. J’enaigrand’peur, lui répondis-je. Je les suivis très-inquiet. Quand on commença, le cœur me battit d’une terrible force car je m’intéressais beaucoup à lui. J’eus bientôt de quoi me rassurer. Il chanta ses deux récits avec toute la justesse et tout le goût imaginables, et, qui plus est, avec une très-jolie voix. Je n’ai guère eu de plus agréable surprise. Après la messe, il reçut des complimens à perte de vue des chanoines et des musiciens, auxquels il répondait en polissonnant, mais toujoursavecbcaucoupdegràce. M. Le Maître l’embrassa de bon cœur ; j’en fis autant il vit que j’étais bien aise, et cela parut lui faire plaisir. On conviendra , je m’assure , qu’après m’être engoué de M. Bâcle, qui, tout compté, n’étaît qu’un manant, je pouvais m’engouer de M. Venture, qui avait de l’éducation, de l’esprit, destalens, de l’usage du monde, et qui pouvait passer pour un aimable débauché. C’est aussi ce qui m’arriva, et cequi serait arrivé , je pense, à tout autre jeune homme à ma place, d’autant plus facilement encore, qu’il aurait eu un meilleur tact pour sentir la mérite, et us PARTIE I, LIVRE IH. 245 meilleur goût pour s’y attacher car Venture en avait sans contredit; et il en avait surtout un bien rare à son âge , celui de n’être point pressé de montrer son acquis. 11 est vrai qu'il se vantait de beaucoup de choses qu'il ne savait point mais pour celles qu’il savait, et qui étaient en assez grand nombre , il n’en disait rien ; il attendait l’occasion de les montrer. Il s’en prévalait alors sans empressement, et cela faisait le plus grand effet. Comme il s’arrêtait après chaque chose, sans parler du reste, on ne savait plus quand il aurait tout montré. Badin, folâtre, inépuisable, séduisant dans la conversation, souriant toujours et ne riant jamais , il disait du ton le plus élégant les choses les plus grossières, et les faisait passer. Les femmes même les plus modestes s’étonnaient de ce qu’elles enduraient de lui. Elles avaient beau sentir qu’il fallait se fâcher, elles n’en avaient pas la force. Il ne lui fallait que des filles perdues; et je ne crois pas qu’il fût fait pour avoir de bonnes fortunes mais il était fait pour mettre un agrément infini dans le commerce des gens qui en avaient. Il était diffic ile qu’avec tant de talens agréables, dans un pays où l’on s’y connaît, et où on les aime , il restât borné long-temps à la sphère des musiciens. Mon goût pour M. Venture, plus raisonnable dans sa cause, fut aussi moins extravagant dans ses effets, quoique plus vif et plus durable que celui que j’avais pris pour M. Bâcle. J’aimais à le voir, à l’entendre; tout ce qu’il faisait me paraissait charmant; tout ce qu’il disait me semblait des oracles mais mon engouement n’allait point jusqu’à ne pouvoir me séparer de lui. J’avais à mon voisinage un bon préservatif contre cet excès. D’ailleurs , trouvant ses maximes très-bonnes pour lui, je sentais qu’elles 2^fi . M5S CONFESSIONS' n’étaient pas à mon usage; il me fallait une autre sorte de volupté dont il n’avait pas l’idée, et dont je n’osais même lui parler, bien sûr qu’il se serait moqué de moi. Cependant j’aurais voulu allier cet attachement avec celui qui me dominait. J’en parlais à maman avec transport ; Le Maître lui en parlait avec éloges. Elle consentit qu’on le lui amenât mais cette entrevue ne réussit point du tout. Il la trouva précieuse elle le trouva libertin ; et, s’alarmant pour moi d’une aussi mauvaise connaissance, non-seulement elle me défendit de le lui ramener, mais elleme peignit si fortement les dangers que je courais avec ce jeune homme, que je devins un peu plus circonspect à m’y livrer; et, très-heureusement pour mes mœurs et pour ma tête, nous fûmes bientôt séparés. Le Maître avait les goûts de son art; il aimait le vin. A table cependant il était sobre mais en travaillant dans son cabinet, il fallait qu’il bût. Sa servante le savait si bien , que, sitôt qu’il préparait son papier po ur composer et qu’il prenait son violoncelle , son pot et son verre, arrivaient l’instant d’après, et le pot se renouvelait de temps à autre. Sans jamais être ivre, il était presque toujours pris de vin et en vérité c’était dommage , car c’était un garçon essentiellement bon, et si gai, que maman ne l’appelait que petit-chat. Malheureusement il aimait son talent, travaillait beaucoup, et buvait de même. Cela prit sur sa santé et enfin sur son humeur ; il était quelquefois ombrageux et facile à offenser. Incapable de grossièreté , incapable de manquer à qui que ce fût, il n’a jamais dit une mauvaise parole, même à un de ses enfans de chœur mais il ne fallait pas non plus lui manquer, et cela était juste. Le mal était qu’ayant peu d’esprit il ne PiBTiTÎ ï, LIVRE TH, 247 discernait pas les tons et les caractères, et prenait souvent la mouche sur rien. L’ancien chapitre de Genève , où jadis tant de princes et d’évêques se faisaient un honneur d’entrer , a perdu dans son exil son ancienne splendeur, mais il a conservé sa fierté. Pour pouvoir y être admis, il faut toujours être gentilhomme ou docteur de Sorbonne; et, s’il est un orgueil pardonnable après celui qui se tire du mérite personnel, c’est celui qui se tire de la naissance. D’ailleurs tous les prêtres qui tiennent des laïques à leurs gages les traitent d’ordinaire avec assez de hauteur. C’est ainsi que lesehanoines traitaient souvent le pauvre Le Maître. Le chantre surtout, appelé M. l’abbé de Vidonne, qui du reste était un très-galant homme, mais trop plein de sa noblesse, n’avait pas toujours pour lui les égards que méritaient ses talens, et l’autre n’endurait pas volontiers ses dédains. Cette année ils eurent, durant la semaine sainte , un démêlé plus vif qu’à l’ordinaire dans un dîner de règle que l’évêque donnait aux chanoines, et où Le Maître était toujours invité. Le chantre lui fit quelque passe-droit, et lui dit quelque parole dure que celui-ci ne put digérer. Il prit sur-le-champ la résolution des’enfuir la nuit suivante et rien ne put l’en faire démordre, quoique madame de Warens, à qui il alla faire ses adieux, fît tous ses efforts pour l’apaiser. Il ne pu t renoncer au plaisir de se venger de ses tyrans en les laissant dans l’embarras auxfêtes de Pâques, temps où l’on avait le plus grand besoin de lui mais ce qui l’embarrassait lui-même était sa musique qu’il voulait emporter , ce qui n’était pas facile. Elle formait une caisse assez grosse et fort lourde, qui ne s’emportait pas sous le bras. Maman fit ce que j’aurais fait, et ce que je ferais LES CONFESSIONS. 248 encore à sa place. Après bien des efforts inutiles pour le retenir, le voyant résolu de partir comme que ce fût, elle prit le parti de l’aider en tout ce qui dépendait d’elle. J’ose dire qu’elle le devait. Le Maître s’était consacré, pour ainsi dire , à son service. Soit en ce qui tenait à son art, soit en ce qui tenait à ses soins, il était entièrement à ses ordres ; et le cœur avec lequel il les suivait, donnait à sa complaisance un nouveau prix. Elle ne faisait donc que rendre à un ami, dans une occasion essentielle, ce qu’il faisait pour elle en détail depuis trois ou quatre ans ; mais elle avait une âme qui, pour remplir de pareils devoirs, u’avail pas besoin de songer que c’en étaient pour elle. Elle me lit venir, m’ordonna de suivre M. Le Maître au moins jusqu’à Lyon, et de m’attacher à lui aussi long-temps qu’il aurait besoin de moi. Elle m’a depuis avoué que le désir de m’éloigner de Venture était entré pour beaucoup dans cet arrangement. Elle consulta Claude Ànet, son fidèle domestique, pour le transport de la caisse. Il fut d’avis qu’au lieu de prendre à Ânneci une bête de somme, qui nous ferait infailliblement découvrir, il fallait, quand il serait nuit, porter la caisse à bras jusqu’à une certaine distance, et louer ensuite un âne dans un village pour la transporter jusqu’à Seyssel, où étant sur terre de France , nous n’aurions plus rien à risquer. Cet avis fut suivi nous partîmes le soir à sept heures ; et maman , sous prétexte de payer ma dépense , grossit la bourse du pauvre petit - chat d’un surcroît qui 11e lui fut pas inutile. Claude Anet, le jardinier et moi, portâmes la caisse comme nous pûmes jusqu’au premier village, ou un âne nous relaya ; et la même nuit nous nous rendîmes à Seyssel. P AMIE I , UVBE III. »49 Je crois avoir déjà remarqué qu’il y a des temps où je suis si peu semblable à moi-mème, qu’on me prendrait pour un autre homme d’un caractère tout opposé. On en va voir un exemple. M. Reydelet, curé de Seyssel, était chanoine de Saint-Pierre, par conséquent de la connaissance de M. Le Maître, et l’un des hommes dont il devait le plus se cacher. Mon avis fut au contraire d’aller nous présenter à lui, et lui demander gîte sous quelque prétexte, comme si nous étions là du consentement du chapitre. Le Maître goûta cette idée, qui rendait sa vengeance moqueuse et plaisante. Nous allâmes donc effrontément chez M. Reydelet, qui nous reçut très-bien. Le Maître lui dit qu’il allait à Bel- ley, à la prière de l’évêque, diriger sa musique aux fêtes de Pâques; et moi, à la faveur de ce mensonge, j’en enfilai cent autres si naturels, que M. Reydelet me trouvant joli garçon, me prit en amitié et me fit mille caresses. Nous fûmes bien régalés, bien couchés; M. Reydeletne savait quelle chère nous faire, et nous nous séparâmes les meilleurs amis du monde, avec promesse de rester plus long-temps au retour. À peine pûmes-nous attendre que nous fussions seuls pour commencer nos éclats de rire; et j’avoue qu’ils me reprennent encore en y pensant, car on ne saurait imaginer une espièglerie mieux soutenue ni plus heureuse. Elle nous eût égayés durant toute la route, si M. Le Maître qui ne cessait de boire et de battr^a campagne , n’eût été attaqué deux ou trois fois d’une atteinte à laquelle il devenait très-sujet, et qui ressemblait fort à l’épilepsie. Cela me jeta dans des embarras qui m’effrayèrent, et dont je pensai bientôt à me tirer comme je pourrais. Nous allâmes à Lelley passer les fêtes de Pâques SÎO MS COKFESSÏOSS. comme nous l’avions dit à M. Reydelet, et quoique t nous n’y fussions point attendus, nous fûmes reçus du maître de musique et accueillis de tout le monde avec grand plaisir. M. Le Maître avait de la considération dans son art, et la méritait. Le maître de musique de Belley se fit honneur de ses meilleurs ouvrages, et tâcha d’obtenir l’approbation d’un si bon juge; car outre que Le Maître était connaisseur , il était équitable , point jaloux, et point flagorneur. Il était si supérieur à tous ces maîtres de musique de province, et ils le sentaient si bien eux-mêmes , qu’ils le regardaient moins comme leur confrère que comme leur chef. Après avoir passé très-agréablement quatre ou cinq jours à Belley, nous en repartîmes et continuâmes notre route, sans autres accidens que ceux dont je viens de parler. Arrivés à Lyon, nous fûmes loger à Notre-Dame de Pitié ; et en attendant la caisse, qu’à la faveur d’un autre mensonge nous avions embarquée sur le Rhône par les soins de notre bon patron M. Reydelet, Le Maître alla voir ses connaissances, entre autres le P. Caton, cor- delier, dont il sera parlé dans la suite, et l’abbé Dortan, comte de Lyon. L’un et l’autre le reçurent bien, mais ils le trahirent son bonheur s’était épuisé chez M. Reydelet. Deux jours après notre,arrivée à Lyon, comme nous passions dans une petite rue non loin de notre auberge, Le Maître fut surpris d’une de ses atteintes , et celle-là fut si violente que j’en fus saisi d’effroi. Je fis des cris, appelai du secours, nommai son auberge, et suppliai qu’on l’y fît porter; puis, tandis qu’on s’assemblait et s’empressait autour d’un homme tombé sans sentiment et écumant au milieu de la rue, il fut délaissé du seul ami sur Piims i, livre- m. a5î lequel il eût dû compter. Je pris l’instant où personne ne songeait à moi, je tournai le coin de ta rue, et je disparus. Grâces au ciel, j’ai fini ce troisième aveu pénible; s’il m’en restait beaucoup de pareils à faire, j’abandonnerais le travail que j’ai commencé. De tout ce que j’ai dit jusqu’à présent, il en est resté quelques traces dans les lieux où j’ai vécu; mais ce que j’ai à dire dans le livre suivant est presque entièrement ignoré. Ce sont les plus grandes extravagances de ma vie, et il est heureux qu’elles n’aient pas plus mal fini. Mais ma tête, montée au ton d’un instrument étranger, était hors de son diapason; elle y revint d’elle-même, et alors je cessai mes folies, ou du moins, j’en fis de plus accordantes à mon naturel. Cette époque de ma jeunesse est celle dont j’ai l’idée la plus confuse. Rien presque ne s’y est passé d’assez intéressant à mon cœur pour m’en rappeler vivement le soutenir; et il est difficile que dans tant d’allées et venues, dans tant de déplacemens successifs, je ne fasse pas quelques transpositions de temps ou de lieu. J’écris absolument de mémoire, sans monuméns, sans matériaux qui puissent me la rappeler. 11 y a des événemens de ma vie qui me sont aussi présens que s’ils venaient d’arriver , mais il y a des lacunes et des vides que je ne peux remplir qu’à l’aide de récits aussi confus que le souvenir qui m’en est resté. J’ai donc pu faire des erreurs quelquefois, et j’en pourrai faire encore sur des bagatelles, jusqu’au temps où j’ai de moi des renseignemens plus sûrs ; mais, en ce qui importe vraiment au sujet, je suis assuré d’être exact et fidèle, comme je tâcherai toujours de l’être en tout. Voilà sur quoi l’on peut compter. Sitôt que j’eus quitté M. Le Maître, ma résolu- 202 LES COKFESSIONS. - tion fat prise, et je repartis pour Anneci. La eause et le mystère de notre départ m’avaient donné un grand intérêt pour la sûreté de notre retraite ; et cet intérêt, m’occupant tout entier, avaitfait diversion durant quelques jours à celui qui me rappelait en arrière mais dès que la sécurité me laissa plus tranquille, le sentiment dominant reprit sa place. Rien ne me flattait, rien ne me tentait.; je n’avais de désir pour rien que pour retourner auprès de maman. La tendresse et la vérité de mon attachement pour elle avaient déraciné de mon cœur tous les projets imaginaires, toutes les folies de l’ambition. Je ne voyais plus d’autre bonheur que celui de vivre auprès d’elle, et je ne faisais pas un pas sans sentir que je m’éloignais de ce bonheur. J’y revins donc aussitôt que cela me fut possible. Mon retour fut si prompt et mon esprit si distrait, que quoique je me rappelle avec tant de plaisir tous mes autres voyages, je n’ai pas le moindre souvenir de celui-là. Je ne m’en rappelle rien du tout, sinon mon départ de Lyon et mon arrivée à Anneci. Qu’on juge surtout si cette dernière époque a dû sortir de ma mémoire en arrivant je ne trouvai plus madame de AVarens ; elle était partie pour Paris. Je n’ai jamais bien su le secret de ce voyage. Elle me l’aurait dit, j’en suis très-sûr, si je l’en avais pressée; mais jamais homme ne fut moins curieux que moi des secrets de ses amis. Mon cœur , uniquement occupé du présent et de l’avenir, en remplit toute sa capacité, tout son espace; et hors mes plaisirs passés, qui font désormais mes uniques, jouissances, il n’y reste pas un coin vide pour ce qui n’est plus. Tout ce que j’ai crû entrevoir dans le peu qu’elle m’en a dit, est que dans la révolution PARTIS I, LIVRE III. à5J causée à Turin par l’abdication du roi de Sardaigne, elle craignit d’ôtre oubliée, et voulut, à la faveur des intrigues de M. d’Aubonne, chercher le même avantage à la cour de France, où elle m’a souvent dit qu’elle l’eût préféré, parce que la multitude des grandes affaires fait qu’on n’y est pas si désagréablement surveillé. Si cela est, il est bien étonnant qu’à son retour on ne lui ait pas fait plus mauvais visage, et qu’elle ait toujours joui de sa pension sans aucune interruption. Bien des gens, ont cru qu’elle avait été chargée de quelque commission secrète, soit de la part de l’évêque qui avait alors des affaires à la cour de France, où il fut lui- même obligé d’aller, soit de la part de quelqu’un plus puissant encore, qui sut lui ménager un heureux retour. Ce qu’il y a de sûr, si cela est, est que l’ambassadrice n’était pas mal choisie, et que, jeune et belle encore, elle avait tous les talens nécessaires pour se bien tirer d’une négociation. FIN DD LIVRE TROISIÈME. LES CONtESSlOïfS. 354 LIVRE QUATRIÈME. ^'arrive , et je ne la trouve plus. Qu’on juge de ma surprise et de ma douleur. C’est alors que le regret d’avoir lâchement abandonné M. Le Maître commença de se faire sentir. Il fut plus vif encore quand j’appris le malheur qui lui était arrivé. Sa caisse de musique, qui contenait toute sa fortune', cette précieuse caisse sauvée avec tant de fatigues, avait été saisie à Lyon par les soins du comte Dor- tan, à qui le chapitre avait fait écrire pour le prévenir de cet enlèvement furtif. Le Maître avait en vain réclamé son bien, son gagne-pain, le travail de toute sa vie. La propriété de cette caisse était au moins sujette à litige; il n’y en eut point ; l’affaire fut décidée à l’instant par la loi du plus fort, et le pauvre Le Maître perdit ainsi le fruit de ses talens, l’ouvrage de sa jeunesse , et la ressource de ses vieux jours. Il ne manqua rien au coup que je reçus pour le rendre accablant. Mais j’étais dans un âge où les grands chagrins ont peu de prise, et je forgeai bientôt des consolations. Je comptais avoir dans peu des nouvelles de madame de Warens, quoique je ne susse pas son adresse, et qu’elle ignorât que j’étais de retour ; et quant à ma désertion , tout bien compté, je ne la trouvais pas si coupable. J’avais été utile à M. Le Maître dans sa retraite; c’était le seul service qui dépendît de moi. Si j’avais resté avec lui en France, je ne l’aurais pas guéri de son mal, je n’aurais pas sauvé sa caisse, je n’aurais fait que doubler sa dépense, sans lui pouvoir être bon à rien. Voilà comment alors je voyais la chose ; T AMIE 1, EIVKË IV. 255 je la vois autrement aujourd’hui. Ce n’est pas quand une vilaine action vient d’être faite qu’elle nous tourmente; c’est quand long-temps après on se la rappelle ; car le souvenir ne s’en éteint point. Le seul parti que j’avais à prendre pour avoir des nouvelles de maman, était d’en attendre car où l’aller chercher à Paris? et avec quoi faire le voyage ? Il n’y avait point de lieu plus sûr qu’Anneci pour savoir têjt ou tard où elle était. J’y restai donc. Mais je me conduisis assez mal. Je n’allai point voir l’évêque, qui m’avait protégé, et qui me pouvait protéger encore. Je n’avais plus ma patronne auprès de lui, et je craignais les réprimandes sur notre évasion. J’allai encore moins au séminaire M. Gros n’y était plus. Je ne vis personne de ma connaissance; j’aurais pourtant bien voulu aller voir madame l’intendante, mais je n’osai jamais. Je fis plus mal que tout cela. Je retrouvai M. Venture, auquel , malgré mon enthousiasme, je n’avais pas même pensé depuis mon départ. Je le retrouvai brillant et fêté dans tout Anneci ; les dames se l’arrachaient. Ce succès acheva de me tourner la tête. Je ne vis plus rien que M. Venture, et il me fit presque oublier madame de Warens. Pour profiter de ses leçons plus à mon aise, je lui proposai de partager avec moi son gîte ; il y consentit. U était logé chez un cordonnier, plaisant et bouffon personnage, qui dans son patois n’appelait pas autrement sa femme que salopière , nom qu’elle méritait assez. Il avait avec elle des prises que Venture avait soin de faire durer en paraissant vouloir faire le contraire. Il leur disait d’un ton froid, et dans son accent provençal, des mots qui faisaient le plus grand effet; c’étaient des scènes à pâmer de rire. Les matinées se passaient ainsi sans qu’onyson- 200 1ES CONFESSIONS. geât. A deux ou trois heures nous mangions un morceau. Venture s’en allait dans ses sociétés, où. il soupait; et moi j’allais me promener seul, méditant sur son grand mérite, et maudissant ma maussade étoile qui ne m’appelait point à cette heureuse vie. Eh ! que je m’y connaissais mal! la mienne eût été cent fois plus charmante si j’avais été moins bête, et si j’en avais su mieux jouir. Madame de AYarens n’avait emmené qu’Anet avec elle; elle avait laissé Merceret sa femme de chambre, dont j’ai parlé. Je la trouvai occupant encore l’appartement de sa maîtresse. Mademoiselle Merceret était un peu plus âgée que moi, non pas jolie, mais assez agréable, une bonne Fribour- geoise sans malice, et à qui je n’ai connu d’autre défaut que d’être quelquefois un peu mutine avec sa maîtresse. Je l’allais voir assez souvent; c’était une ancienne connaissance, et sa vue m’en rappelait une plus chère qui me la faisait aimer. Elle avait plusieurs amies, entre autres, une demoiselle Giraud, Genevoise, qui, pour mes péchés, s’avisa de prendre du goût pour moi. Elle pressait toujours Merceret de m’amener chez elle ; je m’y laissais mener, parce que j’aimais assez Merceret, et qu’il y avait là d’autres jeunes personnes que je voyais volontiers. Pour mademoiselle Giraud, qui me faisait toutes sortes d’agaceries , on ne peut rien ajouter à l’aversion que j’avais pour elle. Quand elle approchai t de mon visage son museau sec et noir barbouillé de tabac d’Espagne, j’avais peine à m’abstenir d’y cracher. Mais je prenais patience; à cela près, je me plaisais fort au milieu de toutes ces filles; et, soit pour faireleUr cour à mademoiselle Giraud, soit pour moi-môme, toutes me fêtaient à l’envi. Je ne voyais à tout cela que de l’amitié. PARTIE I , LIVRE IV. 207 J’ai juge depuis qu’il n’eût tenu qu’à moi d’y voir davantage mais je ne m’en avisais pas, je n’y pensais pas. D’ailleurs des couturières, des fdles de chambre, de petites marchandes, ne me tentaient guère il me fallait des demoiselles. Chacun a sa fantaisie; c’a toujours été la mienne. Ce n’est pourtant pas du tout la vanité, c’est la volupté qui m’attire ; c’est un teint mieux conservé, de plus belles mains, une parure plus gracieuse, un air de délicatesse et de propreté sur toute la personne, plus de goût dans la manière de se mettre et de s’exprimer, une robe plus fine et mieux faite , une chaussure plus mignonne, des rubans, de la dentelle, des cheveux mieux ajustés. Je préférerais toujours la moins jolie ayant plus de tout cela. Je trouve moi-même cette préférence très-ridicule, mais mon cœur la donne malgré moi. Hé bien ! cet avantage se présentait encore, et il ne tint encore qu’à moi d’en profiter. Que j’aime à tomber de temps en temps sur les momens agréables de ma jeunesse! Ils étaient si doux ! ils ont été si courts, si rares, et je les ai goûtés àsi bon marché ! Ah ! leur seul souvenir rend encore à mon cœur une volupté pure dont j’ai besoin pour ranimer mon courage, et soutenir les ennuis du reste de mes vieux jours. L’aurore un matin me parut si belle, que, m’étant habillé précipitamment, je me hâtai de gagner la campagne pour voir lever le soleil. Je goûtai ce plaisir dans tout son charme; c’était la semaine après la Saint-Jean. La terre , dans sa plus grande parure, était couverte d’herbe et de fleurs ; les rossignols , presque à la fin de leur ramage, semblaien t se plaire à le renforcer tous les oiseaux, faisant en i. ii a58 les coKPEss.’Oîfs. concert leurs adieux au printemps, chantaient la naissance d’un beau jour d’été, d’un de ces beaux jours qu’on ne voit plus à mon âge, et qu’on n’a ja- , mais vus dans le triste sol où j’habite aujourd’hui i . Je m’étais insensiblement éloigné de la vilie, la chaleur augmentait, et je me promenais sous des > ombrages dans un vallon le long d’un ruisseau. J’entends derrière moi des pas de chevaux et des voix de filles qui semblaient embarrassées, mais qui n’en riaient pas de moins bon cœur. Je me retourne. On m’appelle par mon nom ; j’approche je trouve deux jeunes personnes de ma connaissance, mademoiselle de Graffenried et mademoiselle Galley, qui n’étant pas d’excellentes cavalières, ne savaient comment forcer leurs chevaux à passer le ruisseau. Mademoiselle de Graffenried était une jeune Bernoise fort aimable , qui, par quelque folie de son âge, ayant été jetée hors de son pays, avait imité madame de Warens, chez qui je l’avais vue quelquefois ; mais n’ayant pas eu une pension comme elle, elle avait été trop heureuse de s’attacher à mademoiselle Galley, qui, l’ayant prise en amitié, avait engagé sa mère à la lui donner pour compagne, jusqu’à ce qu’on la pût placer de quelque façon. Mademoiselle Galley , d’un an plus jeune qu’elle, était encore plus jolie ; elle avait je ne sais quoi de plus délicat, de plus fin ; elle était en même temps très-mignonne et très-formée, ce qui est pour une fille le plus beau moment. Toutes deux s’aimaient tendrement, et leur bon caractère à l’une et à l’autre ne pouvait qu’entretenir longtemps cette union, si quelque amant ne venait la i A Wootton en Staffordshire, J .-J. y a demeuré depuis le 22 mars 1766 jusqu’au 3 o avril 1767. V partie i, livre iv. 25 g déranger. Elles médirent qu’elles allaient àToune, vieux château appartenant à madame Galley ; elles implorèrent mon secours pour faire passer leurs chevaux, n’en pouvant venir à bout elles seules. Je voulus fouetter les chevaux, mais elles craignaient pour moi les ruades, et pour elles les haut-le-corps. J’eus recours à un autre expédient je pris par la bride le cheval de mademoiselle Galley, puis le tirant après moi, je traversai le ruisseau ayant de l’eau jusqu’à mi-jambes, et l’autre cheval suivit sans difficulté. Cela fait, je voulus saluer ces demoiselles, et m’en aller comme un benêt elles se dirent quelques mots tout bas ; et mademoiselle de GrafFenried s’adressant à moi non pas, non pas, me dit-elle, on ne nous échappe pas comme cela. V ous vous êtes mouillé pour notre service, et nous devons en conscience avoir soin de vous sécher il faut s’il vous plaît, venir avec nous; nous vous arrêtons prisonnier. Le cœur me battait, je regardais mademoiselle Galley. Oui, oui, ajouta-t-elle en riant de ma mine effarée, prisonnier de guerre; montez en croupe derrière elle , nous voulons rendre compte de vous. Mais, mademoiselle, je n’ai pas l’honneur d’être connu de madame votre mère; que dira-t-elle en me voyant arriver ? Sa mère , reprit mademoiselle de GrafFenried , n’est pas à Toune ; nous revenons ce soir, et vous reviendrez avec nous. L’efFet de l'électricité n’est pas plus prompt que celui que ces mots firent sur moi. En m’élançant sur le cheval de mademoiselle de GrafFenried, je tremblais de joie; et quand il fallut l’embrasser pour me tenir, le cœur me battait si fort qu’elle s’en aperçut; elle me dit que le sien lui battait aussi par la frayeur de tomber. C’était presque, 1ES COKFESSIOSS. a0 dans nia posture, une invitation de vérifier la chose; je n’osai jamais, et durant tout le trajet mes deux bras lui servirent de ceinture, très- serrée à la vérité, mais sans se déplacer un moment. Telle femme qui lira ceci me souffletterait volontiers, et n’aurait pas tort. La gaieté du voyage et le babil de ces filles aiguisèrent tellement le mien, que jusqu’au soir, et tant que nous fûmes ensemble, nous ne dépariâmes pas un moment. Elles m’avaient mis si bien à mon aise, que ma langue parlait autant que mes yeux, quoiqu’elle ne dît pas les mêmes choses. Quelques instaos seulement, quand je me trouvais tête à tête avec l’une ou avec l’autre, l’entretien s’embarrassait un peu ; mais l’absente revenait bien vite, et ne nous laissait pas le temps d’éclaircir cet embarras. Arrivés à Toune, et moi bien séché, nous déjeunâmes. Ensuite il fallut procéder à l’importante affaire de préparer le dîner. Les deux demoiselles, tout en cuisinant, baisaient de temps en temps les enfans de la grangère, et le pauvre marmiton mangeait son pain, sant mot dire, à la fumée du rôti. On avait envoyé des provisions de la ville, et il y avait de quoi faire un très-bon dîner, surtout en friandises ; mais malheureusement on avait oublié du vin. Cet oubli n’était pas étonnant pour des filles qui n’en buvaient guère; mais j’en fus fâché, car j’avais un peu compté sur ce secours pour m’enhardir. Elles en furent fâchées aussi, par la même raison peut-être, mais je n’en crois rien. Leur gaieté vive et charmante était l’innocence même ; d’ailleurs qu’eussent-elles fait de moi entre elles deux? Elles envoyèrent chercher du vin partout aux environs; on n’en trouva point, tant les paysans rARTIE I, LIVRE IV. 261 de ce canton sont sobres et pauvres ! Comme elles m’en marquaient lçur chagrin, je leur dis de n’en pas être-si fort en peine, et qu’elles n’avaient pas besoin de vin pour m’enivrer. Ce fut la seule galanterie que j’osai leur dire delà journée; mais je crois que les friponnes voyaient de reste que cette galanterie était une vérité. Nous dînâmes dans la cuisine de la grangère, les deux amies assises sur des bancs aux deux côtés de la longue table, et leur Iiôte entre elles deux sur une escabelle à trois pieds. Quel dîner! Quel souvenir plein de charmes! Comment, pouvant à si peu de frais goûter des plaisirs si purs et si vrais, vouloir en rechercher d’autres ? Jamais souper des petites maisons de Paris n’approcha de ce repas, je ne dis pas seulement pour la gaieté, pour la douce joie, mais je dis pour la sensualité. Après le dîner nous fîmes une économie au lieu de prendre le café qui nous restait du déjeuner, nous le gardâmes pour le goûter avec de la crème et des gâteaux qu’elles avaient apportés; et pour tenir notre appétit en haleine, nous allâmes dans le verger achever notre dessert avec des cerises. Je montai sur l’arbre et je leur en jetais des bouquets dont elles me rendaient les noyaux à travers les branches. Une fois mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tète, se présentait si bien, et je visai si juste, que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi- même Que mes lèvres ne sont-elles des cerises ! comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! La journée se passa de cette sorte à folâtrer avec la plus grande liberté , et toujours avec la plus grande décence. Pas un'seul mot équivoque, pas une seule plaisanterie hasardée; et cette décence, 26a ïes cokfêssioxs. nous ne nous t’imposions point du tout, elle venait toute seule ; nous prenions le ton que nous donnaient nos cœurs. Enfin ma modestie, d’autres diront ma sottise, fut telle, que la plus grande privauté qui m’échappa fut de baiser une seule fois la main de mademoiselle Galley. Il est vrai que la circonstance ajoutait au prix de cette légère faveur. Nous étions seuls, je respirais avec embarras, elle avait les yeux baissés ma bouche, au lieu de trouver des paroles, s’avisa de se coller sur sa main, qu’elle retira doucement après qu’elle fut baisée, en me regardant d’un air qui n’était point irrité. Je ne sais ce que j’aurais pu lui dire son amie entra , et me parut laide en ce moment. Enfin elles se souvinrent qu’il ne fallait pas attendre la nuit pour rentrer en ville. Il ne nous restait que le temps qu’il fallait pour arriver de jour, et nous nous hâtâmes de partir, en nous distribuant comme nous étions venus. Si j’avais osé, j’aurais transposé cet ordre, car le regard de mad emoiselle Galley m’avait vivement ému le cœur mais je n’osai rien dire, et ce n’était pas à elle de le proposer. En marchant nous disions que la journée avait tort de finir; mais, loin de nous plaindre qu’elle eût été courte, nous trouvâmes que nous avions eu le secret de la faire longue par tous les amusemens dont nous avions su la remplir. Je les quittai à peu près au même endroit où elles m’avaient pris. Avec quel regret nous nous séparâmes! Avec quel plaisir nous projetâmes de nous revoir ! Douze heures passées ensemble nous valaient dès siècles de familiarité. Le doux souvenir de cette journée ne coûtait rien à ces aimables filles; la tendre union qui régnait entre nous trois valait des plaisirs plus vifs, et n’eût pu subsister avec eux PARTÎE I, IJVBE IV. 265 nous nous aimions sans mystère et sans honte, et nous voulions nous aimer toujours ainsi. L’innocence des mœurs a sa volupté qui vaut bien l’autre, parce qu’elle n’a point d’intervalle et qu’elle agit continuellement. Pour moi, je sais que la mémoire d’un si beau jour me charme plus, me touche plus, me revient plus au cœur, que celle d’aucuns plaisirs que j’aie goûtés en ma vie. Je ne savais pas trop bien ce que je voulais à ces deux charmantes personnes, mais elles m’intéressaient beaucoup toutes deux. Je ne dis pas que, si j’eusse été le maître de mes arrangemens, mon cœur se serait partagé, j’y sentais un peu de préférence. J’aurai!, fait mon bonheur d’avoir pour maîtresse mademoiselle de Graffenried ; mais, à choix, je crois que je l’aurais mieux aimée pour confidente. Quoi qu’il en soit, il me semblait en les quittant que je ne pourrais plus vivre sans l’une et sans l’autre. Qui m’eût dit que je ne les reverrais de ma vie et que là finiraient nos éphémères amours ! Ceux qui liront ceci ne manqueront pas de rire de mésaventures galantes, en remarquant qu’après beaucoup de préliminaires, les plus avancées finissent par baiser la main. O mes lecteurs ! ne vous y trompez pas j’ai peut-être eu plus de plaisir dans mes amours en finissant par cette main baisée, que vous n’en aurez jamais dans les vôtres en commençant tout au moins par là. Tenture, qui s’était couché fort tard la veille, rentra peu de temps après moi. Pour cette fois je ne le vis pas avec le même plaisir qu’à l’ordinaire, et je me gardai de lui dire comment j’avais passé ma journée. Ces demoiselles m’avaient parlé de lui avec peu d’estime, et m’avaient paru mécontentes de me savoir en si mauvaises mains; cela lui 1ES COSBBSSlOSSr m fit tort dans mon esprit d’ailleurs tout ce qui me . distrayait d’elles ne pouvait que m’être désagréable. Cependant il me rappela bientôt à lui et à moi en me parlant de ma situation elle était trop critique pour pouvoir durer. Quoique je dépensasse très-peu de chose, mon petit pécule achevait de t s’épuiser; j’étais sans ressource point de nouvelles de maman; je ne savais que devenir, et je sentais un cruel serrement de cœur de voir l’ami de mademoiselle Galley réduit à l’aumône. Venture me dit qu’il avait parlé de moi à M. le juge-mage, qu’il voulait m’y mener dîner le lendemain; que c’était un homme en état de me rendre service par ses amis; d’aiileurs une bonne connaissance à faire, un homme d’esprit et de lettres, d’un commerce fort agréable, qui avait des talens et qui les aimait puis mêlant, à son ordinaire, aux choses sérieuses la plus mince frivolité, il me fit voir un joli couplet venu de Paris, sur un air d’un opéra de Mouret qu’on jouait alors. Ce couplet avait plu si fort à M. Simon c’était le nom du juge-mage, qu’il voulait en faire un autre en réponse sur le même air il avait dit à Venture d’en faire aussi un ; et la folie prit à celui-ci de m’en faire faire un troisième, afin, disait-il, qu’on vît le lendemain les couplets arriver comme les brancards du Roman comique. La nuit, ne pouvant dormir, je fis comme je - pus mon couplet pour les premiers vers que j’eusse faits ils étaient passables, meilleurs peut-être, ou du moins faits avec plus de goût qu’ils n’auraient été la veille, le sujet roulant sur une situation fort tendre à laquelle mon cœur était déjà tout disposé. Je montrai le matin mon couplet à Venture, qui le trouvant joli, le mit dans sa poche sans me due PARTIE I, LIVRE IV. a65 s’il avait fait le sien. Nous aliâmes dîner chez M. Simon, qui nous reçut bien. La conversation fut agréable; elle ne pouvait manquer de l’être entre deux hommes d’esprit, à qui la lecture avait profité. Pour moi, je faisais mon rôle j’écoutais et je me taisais. Ils ne parlèrent de couplet ni l’un ni l’autre ; je n’en parlai point non plus ; et jamais, que je sache, il n’a été question du mien. M. Simon parut content de mon maintien c’est à peu près tout ce qu’il vit de moi dans cette entrevue. Il m’avait déjà vu plusieurs fois chez madame de Warens, sans faire une grande attention à moi ainsi c’est de ce dîner que je puis dater sa connaissance, qui ne me servit de rien pour l’objet qui me l’avait fait faire, mais dont je tirai dans la suite d’autres avantages qui me font rappeler sâ mémoire avec plaisir. J’aurais fort de ne pàs parler dé sa figuré, que, sur sa qualité de magistrat, et sur le bel esprit dont il se piquait, on n’imaginerait pas, si je n’en disais rien. M. le juge-mage Simon n’avait assurément pas trois pieds de haut. Ses jambes droites, et même assez longues, l’auraient agrandi si elles eussent été verticales ; mais elles posaient de biais comme celles d’un compas très-ouvert. Son corps était non- seulement court, mais mince, et en tout sens d’une petitesse incroyable. Il devait paraître une sauterelle quand il était nu. Sa tête, de grandeur naturelle avec un visage bien formé, l’air noble, d’assez beaux yeux, semblait une tête postiche qu’on aurait plantée sur un moignon. Il eût pu s’exempter de faire de la dépense en parure ; car sa grande perruque seule l’habillait parfaitement de pied en cap. Il avait deux voix toutes différentes qui s’entremêlaient sans cesse dans sa conversation avec un i,ns cosrnssroys. contraste d’abord très-plaisant, mais bientôt très- désagréable. L’une était grave et sonore; c’était, si j’ose ainsi parier, la voix de sa tête l’autre, claire, aiguë et perçante, était la voix de son corps. Quand il s’écoutait beaucoup, qu’il parlait très-posément, qu’il ménageait son haleine, il pouvait parler tou- joursde sa grosse voix mais pour peu qu’il s’animât et qu’un accent plus vif vînt se présenter, cet accent devenait comme le sifflement d’une clef, et il avait toute la peine du monde à reprendre sa basse. Avec la figure que je viens de peindre, et qui n’est point chargée, M. Simon était galant, grand conteur de fleurettes, et poussait jusqu’à la coquetterie le soin de son ajustement. Comme il cherchait à prendre ses avantages, il donnait volontiers ses audiences du matin dans son lit; car quand on voyait sur l’oreiller une belle tête, personne n’allait s’imaginer que c’était là tout. Cela dormait lieu quelquefois à des scènes dont je suis sûr que tout Anneci se souvient encore. Un matin qu’il attendait dans ce lit, ou plutôt sur ce lit, les plaideurs, en belle coiffe de nuit bien fine et bien blanche, ornée de deux grosses bouf- fettes de ruban couseur de rose, un paysan arrive, heurte à la porte. La servante était sortie. M. le juge- mage, entendant redoubler, crie, Entrez; et cela, comme dit un pe u trop fort, partit de sa voix aiguë. L’homme entre, il cherche d’où vient cette voix de femme; et voyant dans ce lit une cornette, une fontange, il veut ressortir en faisant à madame de .grandes excuses. M. Simon se fâche et n’en crie que plus clair. Le paysan, confirmé dans son idée, et se croyant insulté, lui chante pouilles, lui dit qu’ap- paremment elle n’est qu’une coureuse, et que M- le juge-mage ne donne guère bon exemple chez lui. PARTIE I, LIVRE IV. 287 Le juge-mage furieux, et n’ayant pour toute arme que son pot-de-cluunbre, allait le jeter à la tête de ce pauvre homme, quand sa gouvernante arriva. Ce petit nain, si disgracié dans son corps par la nature, en avait été dédommagé du côté de l’esprit il l’avait naturellement agréable, et il avait pris soin de l’orner. Quoiqu’il fût, à ce qu’on disait, assez bon jurisconsulte, il n’aimait pas son métier. Il s’était jeté dans la belle littérature, et il y avait réussi. Il en avait pris surtout cette brillante superficie , cette Heur qui jette de l’agrément dans le commerce, même avec les femmes. Il savait par cœur tous les petits traits des ana et autres semblables il avait l’art de les faire valoir, en contant avec intérêt , avec mystère, et comme une anecdote récente, ce qui s’était passé il y avait soixante ans. Il savait la musique, et chantait agréablement de sa voix d’homme enfin il avait beaucoup de jolis talens pour un magistrat. A force de cajoler les dames d’Anneci, il s’était mis à la mode parmi elles; elles l’avaient à leur suite comme un petit sapajou. Il prétendait même à des bonnes fortunes, etcela les amusait beaucoup. Une madame d’Epagni disait que pour lui la dernière faveur était de baiser une femme au genou. Comme il connaissait les bons livres et qu’il en parlait volontiers, sa conversation était non-seulement amusante, mais instructive. Dans la suite , lorsque j’eus pris du goût pour l’étude, je cultivai sa connaissance, et je m’en trouvai bien. J’allais quelquefois le voir de Chambéri où j’étais alors. Il louait, animait mon émulation, et me donnait pour mes lectures de bons avis dont j’ai souvent fait mon profit. Malheureusement dans ce corps si fluet logeait une âme très-sensible. Quelques années z68 ÏES C0STES310SS. après ii eut je ne sais quelle mauvaise affaire qui le chagrina, et il en mourut. Ce fut dommage; c’était assurément un bon petit homme, dont on commençait par rire, et qu’on finissait par aimer. Quoique sa vie ait été peu liée à la mienne, comme j’ai reçu de lui des leçons utiles, j’ai cru pouvoir lui consacrer un petit souvenir. Sitôt que je fus libre, je courus dans la rue de mademoiselle Galley, me flattant de voir entrer ou sortir quelqu’un , ou du moins ouvrir quelque fenêtre. Rien ; pas un chat ne parut, et, tout le temps que je fus là, la maison demeura aussi close que si elle n’eût point été habitée. La rue était petite et déserte, un homme s’y remarquait de temps en temps quelqu’un passait, entrait ou sortait au voisinage.. J’étais fort embarrassé de ma figure ; il me semblait qu’on devinait pourquoi j’étais là, et cette idée me mettait au supplice car j’ai toujours préféré à mes plaisirs l’honneur et le repos de celles qui m’étaient chères. Enfin, las de faire l’amant espagnol, et n’ayant point de guitare , je pris le parti d’aller écrire à mademoiselle de Graffenried. J’aurais préféré d’écrire à son amie, mais je n’osai», et il convenait de commencer par celle à qui je devais la connaissance de l’autre et avec qui j’étais plus familier. Ma lettre faite, j'allai la porter chez mademoiselle Giraud, comme j’en étais convenu avec ces demoiselles en nous séparant. Ce furent elles qui me donnèrent cet expédient. Mademoiselle Giraud étais cqntre-pointière, et, travaillant quelquefoisV;hez madame Galley, elle avait l’entrée de sa maison. La messagère ne me parut pourtant pas trop bien choisie ; mais j’avais peur, si je faisais des difficultés sur celle-là, qu’on ne m’en proposât point d’autre. ïmTC .1 , IV. '2^9 ïe plus, je n’osai dire qu’elle voulait travailler pour son compte. Je me sentais humilié qu’elle osât se croire pour moi du même sexe que ces demoiselles. Enfin j’aimais mieux cet entrepôt-là que point, et je m’y tins à tout risque. Au premiermotla Giraud me devin a; cela n’était pas difficile. Quand une lettre à porter à de jeunes filles n’eût pas parlé d’elle même, mon air sot et embarras sé m’aurait seul décelé. On peut croire que cette commission ne lui donna plaisir à faire elle s’en chargea toutefois, et l’exécuta fidèlement. Le lendemain matin je courus chez elle, et j’y trouvai ma réponse. Comme je me pressai de sortir pour l’aller lire et baiseràmon aise! Gelan’a pas besoin d’être dit ; mais ce qui en a besoin davantage, c’est le parti que prit mademoiselle Giraud, et où j’ai trouvé plus de délicatesse et de modération que je n’en aurais attendu d’elle. Ayant assez de bon sens pour voir qu’avec ses trente-sept ans, ses yeux de lièvre, son nez barbouillé, sa voix aigre et sa peau noire, elle n’avait pas beau jeu contre deux jeunes personnes pleines de grâce et dans tout l’éclat de la beauté, elle ne voulut ni les trahir ni les servir, et aima mieux me perdre que de me ménagerqpour elles. Il y avait déjà quelque temps que la Merceret, n’ayant aucune nouvelle de sa maîtresse, songeait à s’en retourner à Fribourg; elle l’y détermina tout- à-fait. Elle fit plus ; elle lui fit entendre qu’il serait bien que quelqu’un la conduisît chez son père, et me proposa. La petite Merceret, à qui je ne déplaisais pas non plus, trouva cette idée fort bonne à exécuter. Elles m’en parlèrent dès le même jour, comme d’un affaire arrangée; et comme je ne trouvais rien qui me déplût dans celte manière de dis- 270 LES COSFESSIOSS. poser de moi, j’y consentis, regardant ce voyage comme une affaire de huit jours tout au plus. La Giraud, qui ne pensait pas de même, arrangea tout. Il fallut bien avouer l’état de mes finances. On y pourvut la Merceret se chargea de me défrayer ; et, pour regagner d’un côté ce qu’elle dépensait de l’autre, à ma prière on décida qu’elle enverrait devant son petit bagage, et que nous irions à pied il petites journées. Ainsi fut fait. ' Je suis fâché de faire tant de filles amoureuses de moi mais comme il n’y a pas de quoi être bien vain du parti que j’ai tiré de toutes ces amours-là, je crois pouvoir dire la vérité sans scrupule. La Merceret, plus jeune et moins déniaisée que la Giraud, ne m’a jamais fait des agaceries aussi vives; mais elle imitait mes tons, mes accens, redisait mes mots, avait pour moi les attentions que j’aurais dû avoir pour elle; et prenait toujours grand soin, comme elle était fort peureuse, que nous couchassions dans la même chambre identité qui se borne rarement là dans un voyage entre un garçon de vingt-ans et une fille de vingt- cinq. Elle s’y borna pourtant cette fois. Ma simplicité fut telle, que, quoique la Merceret ne fût pas désagréable , il ne me vint pas même à l’esprit durant tout le voyage, je ne dis pas la moindre tentation galante, mais même la moindre idée qui s’y rapportât; et, quand cette idée me serait venue, j’étais trop sot pour en savoir profiter. Je n’imaginais pas comment une fille et un garçon parvenaient à coucher ensemble; je croyais qu’il fallait des siècles pour préparer ce terrible arrangement. Si la pauvre Merceret, en me défrayant, comptait sur quelque équivalent, elle en fut la dupe, et nous arrivâmes PARTIE î, LIVRE IV. 271 à Fribourg exactement comme nous étions partis d’Anneci. En passant à Genève, je n’allai voir personne, mais je fus prêt à me trouver mal sur les ponts. Jamais je n’ai vu les murs de cette heureuse ville, jamais je n’y suis entré, sans sentir une certaine défaillance de cœur qui venait d’un excès d’attendrissement. En même temps que la noble image de la liberté m’élevait l’âme, celles de l’égalité, de l’union, de la douceur des mœurs, me touchaient jusqu’aux larmes, et m’inspiraient un vif regret d’avoir perdu tous ces biens. Dans quelle erreur j’étais! mais qu’elle était naturelle ! Je croyais voir tout cela dans ma patrie, pareeque je le portais dans mon cœur. Il fallait passer à Nyon. Passer sans voir mon bon père! Si j’avais eu ce courage, j’en serais mort de regret. Je laissai la Merceret à l’auberge, et je l’allai voir à tout risque. Eh ! que j’avais tort de le craindre ! Son âme à mon abord s’ouvrit aux senti- mens paternels dont elle était pleine. Que de pleurs nous versâmes en nous embrassant ! Il crut d’abord que jerevenais à lui. Je lui fis mon histoire, et lui dis ma résolution, il la combattit faiblement; il me fit voir les dangers auxquels je m’exposais, me dit que les plus courtes folies étaient les meilleures. Du reste il n’eût pas même la tentation de nie retenir de force, et en cela je trouve qu’il eut raison mais il est certain qu’il ne fit pas pour me ramener tout ce qu’il aurait pu faire, soit qu’après le pas que j’avais fait il jugeât lui-même que je n’en devais pas revenir, soit qu’il fût embarrassé peut-être à trouver ce qu’à mon âge il pourrait faire de moi. J’ai su depuis qu’il eut de ma compagne de voyage une opinion bien injuste et bien fausse, mais du reste assez naturelle. Ma belle-mère, bonne femme, IBS CONFESSIONS. fe; 2 un peu mielleuse, fit semblant de vouloir me retenir à souper. Je ne restai point; mais je leur dis que je compt ais m’arrêter avec eux plus long-temps au retour , et je leur laissai en dépôt mon petit paquet que j’avais fait venir par le bateau , et dont j’étais embarrassé. Le lendemain je partis de bon matin, bien content d’avoir vu mon père, et d’avoir osé faire mon devoir. Nous arrivâmes heureusement à Fribourg. Sur la fin du voyage les empressemens de mademoiselle Merceret diminuèrent un peu. Après notre arrivée elle ne me marqua plus que de la froideur; et son père, qui ne nageait pas dans l’opulence, ne me fit pas non plus un bien grand accueil. J’allai loger au cabaret. Je les fus voir le lendemain; iis m’offrirent à dîner, je l’acceptai. Nous nous séparâmes sans pleurs; je retournai le soir à ma gargote, et je repartis le surlendemain de mon arrivée, sans trop savoir où j’avais dessein d’aller. Voilà encore une circonstance de ma vie où la Providence m’offrait précisément ce qu’il me fallait pour couler des jours heureux. La Merceret était une très-bonne fille, point brillante, point belle , mais point laide non plus; peu vive, fort raisonnable, à quelques petites humeurs près , qui se passaient à pleurer, et qui n’avaient jamais de suite orageuse. Elle avait un vrai goût pour moi; j’aurais pu l’épouser sans peine, et suivre le métier de son père. Mon goût pour la musique me l’aurait fait aimer. Je me serais établi à Fribourg , petite ville peu jolie, mais peuplée de très-bonnes gens. J’aurais perdu sans doute de grands plaisirs ; mais j’aurais \ écu en paix jusqu’à ma dernière heure, et je dois savoir mieux que personne qu’il n’y avait pas à balancer sur ce marché. VARTIE I , LIVRE IV. Je revins, non pas à Nyon, mais à Lausanne- je Voulais me rassasier de la vue de ce beau lac, qu’on voit là dans sa plus grande étendue. La plupart de mes secrets motifs déterminans 11’ont pas été plus solides des vues éloignées ont rarement assez de force pour me faire agir; l’inderlitude de l’avenir m’a toujours fait regarder les projets de longue exécution comme des leurres de dupe. Je me livre à l’espoir comme un autre, pourvu qu’il ne me coûte rien à nourrir; mais s’il faut prendre long-temps de la peine, je n’en suis plus. Le moindre petit plaisir qui s’offre àma portée me tente plus que les joies du paradis. J’excepte pourtant le plaisir que la peine doit suivre celui-là ne me tente pas, parce que je n’aime que des jouissances pures, etquejamais on n’en a de telles quand on sait qu’on s’apprête un repentir. J’avais grand besoin d’arriver où que ce fût, et le plus proche était le mieux ; car, m’étant égaré dans ma route, je me trouvai le soir à Moudon, où je dépensai le peu qui me restait, hors dix creutzer qui partirent le lendemain à la dînée; et arrivé le soir à un petit village auprès de Lausanne, j’y entrai dans un cabaret sans un sou pour payer ma couchée, et sans savoir que devenir. J’avais grand’faim je fis bonne contenance, et je demandai à souper comme si j’eusse eu de quoi bien payer. J’allai me coucher sans songer à rien je dormis tranquillement ; et après avoir déjeuné le matin et compté avec l’hôte, je voulus, pour sept batz à quoi montait ma dépense, lui laisser ma veste en gage. Ce brave homme la refusa il me dit que, grâces au ciel, il n’avait jamais dépouillé personne, et qu’il ne voulait pas commencer pour sept batz ; que je gardasse ma veste, et que je le paierais quand je pourrais. Je fus touché de sa bonté, mais moins que je ne devais l’être et 2?4 IES CONFESSIONS* que je ne l’ai été depuis en y repensant. Je ne tardai guère à lui renvoyer son argent par un homme sûr mais quinze ans après repassant par Lausanne à mon retour d’Italie, j’eus un vrai regret d’avoir oublié l’enseigne du cabaret et le nom de l’hôte. Je l’aurais été voir je me serais fait un vrai plaisir de lui rappeler sa bonne œuvre, et de lui prouver qu’elle n’avait pas été mal placée. Des services plusimpor- tans sans doute, mais rendus avec plus d’ostentation , ne m’ont pas paru si dignes de reconnaissance que l’humanité simple et sans éclat de cet honnête homme. En approchant de Lau sanne je rêvais à la détresse où je me trouvais, aux moyens de m’en tirer sans aller montrer ma misère à ma belle-mère, et je me comparais dans ce pèlerinage pédestre à mon ami Ven tore arrivant à Ànneci je m’échauffai si bien de cette idée, que , sans songer que je n’avais ni sa gentillesse ni ses talens, je me mis en tête de faire à Lausanne le petit Venture, d’enseigner la musique comme si je l’avais sue, et de me dire de Paris, où je n’avais jamais été. En conséquence de ce beau projet, comme il n’y avait point là de maîtrise où je pusse vicarier, et que d’ailleurs je n’avais garde de m’aller fourrer parmi les gens de l’art, je commençai par m’informer d’une petite auberge où l’on pût être assez bien et à bon marché. On m’enseigna un nommé Perrotet, qui tenait des pensionnaires. Ce Perrotet se trouva être le meilleur homme du monde, et me reçut fort bien je lui contai mes petits mensonges comme je les avais arrangés. Il me promit de parler de moi et de tâcher de me procurer des écoliers il ajouta qu’il ne me demanderait de l’argent que quand j’en aurais gagné. Sa pension était de cinq écus blancs; ce qui était peu pour la PARTIE I, LIVRE IV. 27 chose, mais beaucoup pour moi. Il me conseilla de ne me mettre d’abord qu’à la demi-pension , qui consistait pour le dîner en une bonne soupe et rien de plus, mais bien à souper le soir. J’y consentis. Ce pauvre Perrotet me fit toutes ces avances du meilleur cœur du monde, et n’épargnait rien pour m’être utile. Pourquoi faut-il qu’ayant trouvé tant de bonnes gens dans ma jeunesse, j’en trouve si peu dans un âge avancé? Leur race est-elle épuisée ? Non; mais l’ordre de gens où j’ai besoin de les chercher aujourd’hui n’est plus le même où je les trouvais alors parmi le peuple , où les grandes passions ne parlent que par intervalles, les sentimens de la nature se font plus souvent entendre; dans les états plus éle- - vés, ils sontétoulfés absolument, et, sous le masque du sentiment, il n’y a jamais que l’intérêt ou la vanité qui parle. J’écrivis de Lausanne à mon père, qui m’envoya mon paquet, et me marqua d’excellentes choses dont j’aurais dû mieux profiter. J’ai déjà noté des momens de délire inconcevables où je n’étais plus moi-même en voici encore un des plus marqués. Pour comprendre à quel point la tête me tournait alors, à quel point je m’étais pour ainsi dire ven- turisé, il ne faut que voir combien tout à la fois j’accumulai d’extravagances. Me voilà maître à chanter sans savoir déchiffrer un air; car quand les six mois que j’avais passés avec Le Maître m’auraient profité, jamais ils n’auraient pu suffire mais outre cela j’apprenais d’un maître, c’en était assez pour apprendre mal. Parisien de Genève, et catholique en pays protestant, je crus devoir changer mon nom ainsi que ma religion et ma patrie. Je m’approchais toujours de mon grand modèle autant IBS COSFESSION’S». qu’il m’était possible il s’était appelé Venlure de Villeneuve; moi, je fis l’anagramme du nom de Rousseau dans celui de Vaussore, et je m’appelai Vaussore de Villeneuve,, Venture savait la composition, quoiqu’il n’en eût rien dit; moi, sans la savoir, je m’en vantai a tout le monde; et, sans pouvoir noter le moindre vaudeville, je me donnai pour compositeur. Ce n’est pas tout ayant été présenté à M. de Treytorens , professeur en droit , qui aimait la musique et faisait des concerts chez lui, je voulus lui donner un échantillon de montaient, et je me mis à composer une pièce pour son concert aussi effrontément que si j’avais su comment m’y prendre. J’eus la constance de travailler pendant quinze jours à ce bel ouvrage, de le mettre au net, d’en -tirer les parties et de les distribuer avec autant d’assurance que-si c’eût été un chef-d’œuvre d’harmonie. Enfin , ce qu’on aura peine à croire , et qui est très-vrai, pour couronner dignement cette sublime production, je mis à la fin un joli menuet qui courait les rues, et que tout le monde se rappelle peut-être encore, sur ces paroles jadis si connues Quel caprice ! Quelle injustice ! Quoi ! ta Clarice Trahirait tes feux ! etc. Venture m’avait appris cet air avec la basse sur d’autres paroles infâmes, à l’aide desquelles je l’avais retenu je mis donc à la fin de ma composition ce menuet et sa basse en supprimant les paroles, et je le donnai pour être de moi, tout aussi résolument que si j’avais parlé à des habitans de la lune. On s’assemble pour exécuter ma pièce j’expli- PARTIE I, LIVRE IV. S? 7 que à chacun le genre du mouvement, le goût de l’exécution , les renvois des parties j-’étais fort affairé. On s’accorde pendant cinq ou six minutes, qui furent pour moi cinq ou six siècles. Enfin tout étant prêt, je frappe avec un beau rouleau de papier sur mon pupitre magistral les deux ou trois coups du prenes-garde àvous. On fait silence je me mets gravement à battre la mesure; on depuis qu’il existe des opéras français, de la vie on n’ouït un pareil charivari quoi qu’on eût pu penser de mon prétendu talent, l’effet fut pire que tout ce qu’on semblait en attendre ; les musiciens étouffaient de rire ; les auditeurs ouvraient de grands yeux et auraient bien voulu fermer les oreilles; mais il n’y avait pas moyen. Mes bourreaux de symphonistes , qui voulaient s’égayer, raclaient à percer le tympan d’un quinze- vingt. J’eus la constance d’aller toujours mon train, suant, il est vrai, à grosses gouttes, mais retenu par la honte, n’osant m’enfuir et tout planter là. Pour ma consolation , j’entendais les assistans se dire à leur oreille ou plutôt à la mienne; l’un, II n’y a rien là de supportable; un autre, Quelle musique enragée ! un autre, Quel diable de sa'b - bat ! Pauvre, , dans ce cruel moment tu n’espérais guère qu’un jour, devant le roi de France et toute sa cour, tes sons exciteraient des murmures de surprise et d’applaudissement, et que dans toutes les loges, autour de toi, les plus aimables femmes diraient entre elles à demi-voix Quels sons char- mans ! quelle musique ench anteresse ! Tous ces chants-là vont au cœur. Mais ce qui mit tout le monde de bonne humeur fut le menuet à peine en eût-on joué quelques mesures, que j’entendis partir de toutes parts les 2-8 LES Confessions. éclats de rire. Chacun me félicitait sur mon joli goût de chant ; on m’assurait que ce menuet ferait parler de moi * et que je méritais d’être chanté partout. Je n’ai pas besoin de dépeindre mon angoisse, ni d’avouer que je la méritais bien. Le lendemain l’un de mes symphonistes, appelé Lutold, vint me voir, et fut assez bon homme pour ne pas me féliciter sur mon succès. Le profond sentiment de ma sottise, la honte, le regret, le désespoir de l’état où j’étais réduit, l’impossibilité dé tenir mon cœur fermé dans les grandes peines, me firent ouvrir à lui ; je lâchai la bonde à mes larmes; et, au lieu de me contenter de lui avouer mon ignorance , je lui dis tout , en lui- demandant le secret, qu’il me promit, et qu’il me tint comme on peut le croire. Dès le lendemain tout Lausanne jsut qui j’étais; et, ce qui est remarquable , personne ne m’en fit semblant, pas même lé bon Perrotet, qui pour tout cela ne se rebuta pas de me loger et de me nourrir. Je vivais, mais bien tristement. Les suites d’un pareil début ne firent pas pour moi de Lausanne un séjour fort agréable. Les écoliers ne se présentaient pas en foule; pas un qui fût de la ville, et pas une seule écolière. J’eus, en tout deux ou trois gros Teutches, aussi stupides què j’étais ignorant, qui m’ennuyaient à mourir, et qui dans mes mains ne devinrent pas de grands croque-notes. Je fus appelé dans une seule maison, où un petit serpent de fille se donna le plaisir de me montrer beaucoup de musique dont je ne pus pas lire une note, et qu’elle eut la malice de chanter ensuite , devant M. le maître pour lui montrer comment cela s’exécutait. J’étais si peu en état de lire un air de première vue, que, dans le brillant concert ÏASVIIE I, LIVRE IV. 2J9 dont j’ai parié, il ne me fut pas possible de suivre un moment l'exécution pour savoir si l’on jouait bien ce que j’avais sous les yeux, et que j’avais composé moi-même. Au milieu de tant d’humiliations j’avais des consolations très douces dans les nouvelles que je recevais de temps en temps des deux charmantes amies. J’ai toujours trouvé dans le sexe une grande vertu consolatrice, et rien n’adoucit plus mes peines dans mes disgrâces que de sentir qu’une personne aimable y prend intérêt. Cette correspondance cessa pourtant bientôt après, et ne fut jamais renouée; mais ce fut. ma faute. En changeant de lieu je négligeai de leur donner mon adresse, et, forcé par la nécessité de songer continuellement à moi-même , je les oubliai bientôt entièrement. Il y a long-temps que je n’ai parlé de ma pauvre maman; mais si l’on croit que je l’oubliais aussi, l’on se trompe fort. Je ne cessais de penser à elle et de désirer de la retrouver, non-seulement pour le besoin de ma subsistance, mais beaucoup plus pour le besoin de mon cœur. Mon attachement pour elle, quelque vif, quelque tendre qu’il fût, ne m’empêchait pas d’en aimer d’autres ; mais ce n’était pas de la même façon. Toutes devaient également ma tendresse à leurs charmes ; mais elle tenait uniquement à ceux des autres et ne leur eût pas survécu", au lieu que maman pouvait devenir vieille et laide sans que je l’aimasse moins tendrement. Mon cœur avait pleinement transmis à sa personne l’hommage qu’il fit d’abord à sa beauté ; et quelque changemènt qu’elle éprouvât, pourvu que ce fût toujours elle, mes senlimens ne pouvaient changer. Je sais bien que je lui devais aSô 1ES CONFESSIONS. dé la reconnaissance, mais en vérité je n’y songeais pas. Quoi qu’elle eût fait ou n’eût pas fait pour moi, c’eût été toujours la même chose. Je ne l’aimais ni par devoir, ni par intérêt, ni par convenance; je l’aimais parce que j’étais né pour l’aimer. Quand je devenais amoureux de quelque autre, cela faisait distraction, je l’avoue, et je pensais moins souvent à elle ; mais j’y pensais avec le même plaisir, et jamais, amoureux ou non, je ne me suis occupé d’elle sans sentir qu’il ne pouvait y avoir pour moi de vrai bonheur dans la vie tant que j’en serais »éparé. N’ayant point de ses nouvelles depuis si longtemps, je ne crus jamais l’avoir tout-à-fait perdue, ni qu’elle eût pu m’oublier. Je me disais Elle saura tôt ou tard que je suis errant, et me donnera quelque signe de vie; je la retrouverai, j’en suis certain. En attendant, c’était une douceur pour moi d’habiter son pays, de passer dans les rues où elle avait passé , devant les maisons où elle avait demeuré, et le tout par conjecture; car une de mes ineptes bizarreries était de n’oser m’informer d’elle, ni prononcer son nom sans la plus absolue nécessité. Il me semblait qu’en la nommant je disais tout cc qu’elle m’inspirait, que ma bouche révélait tous les secrets de mon cœur, que je la compromettais en quelque sorte. Je crois même qu’il se mêlait à cela quelque frayeur qu’on ne me dît du mal d’elle. On avait parlé beaucoup de sa démarche , et un peu de sa conduite. De peur qu’on n’en dît pas ce que j’en voulais entendre, j’aimais mieux qu’on n’en parlât point du tout. Comme mes écoliers ne m’occupaient pas beaucoup , et que sa ville natale n’était qu’à quatre iieues de celle, où j’étais , j’y fis une promenade I PARTIE I, liVRE IV. 28 1 j de deux ou trois jours, durant lesquels la plus douce émotion ne me quitta point. L’aspect du lac de Genève et de ses admirables côtes eut toujours à mes yeux un attrait particulier que je ne I saurais expliquer, et qui ne tient pas seulement j à la beauté du spectacle, mais à je ne sais quoi de plus intéressant qui m’affecte et m’attendrit. Toutes les fois que j’approche du pays de Vaud, j’éprouve une impression composée du souvenir de madame de YYarens qui y est née, de mon père qui y vivait, de mademoiselle de Vulson qui y eut les prémices de mon cœur, de plusieurs voyages 1 de plaisir que j’y fis dans mon enfance, et, ce me semble, de quelque autre cause encore plus sé- crête et plus forte que tout cela. Quand l’ardent désir de cette vie heureuse et douce qui me fuit, j et pour laquelle j’étais né, vient enflammer mon imagination, c’est toujours au pays de Vaud, près du lac,dans des campagnes charmantes, qu’ellsse fixe. Il me fautabsolument un verger au bord de ce lac et non pas d’un autre; il rne faut un ami sûr, une femme aimable, une vache et un petit bateau. Je ne jouirai jamais d’un bonheur parfait sur la terre que quand j’aurai tout cela. Je ris de la simplicité avec laquelle je suis allé plusieurs fois dans ce pays-là uniquement pour y chercher ce bonheur imaginaire. J’étais toujours surpris d’y trouver les habitans, surtout fes femmes, d’un tout autre caractère que celui que j’y cherchais Le pays et le peuple dont il est couvert ne m’ont jamais paru I faits l’un pour l’autre. Dans ce voyage de Yévai, je me livrais, en suivant ce beau rivage, à la plus douce mélancolie. Mon cœur s’élancait avec ardeur à mille félicités 1 innocentes; je m’attendrissais, je soupirais et pieu- 1. * 12 a{2 LES COKFESSIONS. rais comme un enfant. Combien de fois, m’arrêtant pour pleurer à mon aise, assis sur une grosse pierre, je mè suis amusé à Voir tomber mes larmes dans l’eau ! J’allai à Vévai loger à la Clef; et pendant deux jours que j’y restai sans voir personne, je pris pour cette ville un amour qui m’a suivi dans tous mes voyages, et qui m’y a fait établir enfin les héros de mon roman. Je dirais volontiers aux gens qui ont du goût et qui sont sensibles Allez à Yévai, visitez le pays, examinez les sites, promenez-vous surfe lac, et dites si la nature n’a pas fait ce beau pays pour une Julie, pour une Claire , et pour un Saint-Preux; mais ne les y cherchez pas. Je reviens à mon histoire. Comme j’étais catholique et que je me donnais pour tel, je suivais sans mystère et sans scrupule le culte que j’avais embrassé. Les dimanches, quand il faisait beau, j’allais à la messe à Asspns, à deux lieues de Lausanne. Je faisais ordinairement cette course avec d’autres catholiques, surtout avec un brodeur parisien dont j’ai oublié le nom. Ce n’était pas un Parisien comme moi, c’était un vrai Parisien de Paris , un archiparisien du bon Dieu, bon homme comme un Champenois. Il aimait si fort son pays, qu’il ne voulut jamais douter que j’en fusse, pour ne pas perdre une occasion d’en parler. M. de Crouzaz, lieutenant-baillival, avait un jardinier de Paris aussi, mais moins complaisant, et qui trouvait la gloire de son pays compromise à ce qu’on osât se donner pour en être lorsqu’on n’avait pas cet honneur. Il me questionnait de l’air d’un homme sûr de me prendre en faute, et puis souriait malignement. Il me demanda une fois ce qu’il y avait de remarquable au Marché-Neuf. Je battis la cam- PARTIE I, LIVRE IV. 283 pagne, comme on peut croire. Après avoir passé vingt ans à Paris, je dois à présent connaître cette ville cependant si l’on me faisait aujourd’hui pareille question, je ne serais pas moins embarrassé d’y répondre, et de cet embarras on pourrait aussi bien conclure que je niai jamais été à Paris. Tant, lors même qu’on rencontre la vérité, l’on est sujet à se fonder sur des principes trompeurs ! Je ne saurais dire exactement combien de temps je demeurai à Lausanne je n’apportai pas de cette ville des souvenirs bien rappelans; je sais seulement que, n’y trouvant pas à vivre, j’allai de là à Neufchâtel, et que j’y passai l’hiver. Je réussis mieux dans cette dernière ville; j’y eus des écolières, et j’y gagnai de quoi m’acquitter avec mon bon ami Perrotet, qui m’avait fidèlement envoyé mon petit bagage, quoique je lui redusse assez d’argent. J’apprenais insensiblement la musique en l’enseignant. Ma vie était assez douce un homme raisonnable eût pu s’en contenter; mais mon cœur inquiet me demandait autre chose. Les dimanches et les jours où j’étais libre, j’allais courir les campagnes et les bois des environs, toujours errant, rêvant, soupirant ; et quand une fois j’étais sorti de la ville, je n’y rentrais plus que le soir. Un jour, étant à Boudri, j’entrai pour dîner dans un cabaret ; j'y vis un homme à grande barbe, avec un habit violet à la grecque, un bonnet fourré, l’équipage et l’air assez noble, et qui souvent avait peine à se faire entendre, ne parlant qu’un jargon presque indéchiffrable, plus ressemblant à l’italien qu’à nulle autre langue. J’entendais presque tout ce qu’il disait, et j’étais le seul. L’hôte et les gens du pays ne l’entendaient - que par signes. Je lui dis XES CONFESSIONS. 284 quelques mots en italien qu’il entendit parfaitement bien. Il se leva et vint m’embrasser avec transport. La liaison fut bientôt faite, et dès ce moment je lui servis de truchement. Son dîner était bon, le mien était moins que médiocre ; il m’invita de prendre ma part du sien ; je fis peu de façons. En buvant et baragouinant nous achevâmes de nous familiariser ; et dès la fin du repas nous devînmes inséparables. Il me conta qu’il était prélat grec, et archimandrite de Jérusalem ; qu’il était chargé de faire une quête en Europe pour le rétablissement du saint sépulcre. Il me montra de belles patentes de la czarine et de l’empereur il en avait de beaucoup d’autres souverains. Il était assez content de ce qu’il avait amassé jusqu’alors; mais il avait eu des peines incroyables en Allemagne , n’entendant pas un mot d’allemand, de latin, ni de français, et réduit à son grec, au turc, et à la langue franque, pour toute ressource,; ce qui ne lui en procurait pas beaucoup dans le pays où il s’était enfourné. Il me proposa de l’accompagner pour lui servir d’interprète et de secrétaire. Malgré mon petit habit violet nouvellement acheté, et qui ne cadrait pas mal avec mon nouveau poste, j’avais l’air si peu étoffé qu’il ne me crut pas difficile à gagner, et il ne se trompa point. Notre accord fut bientôt fait ; je ne demandais rien, et il promettait beaucoup. Sans caution , sans sûreté, sans connaissance , je me livre à sa conduite ; et dès le lendemain me voilà parti pour Jérusalem. Nous commençâmes notre tournée par le canton de Fribourg, où il ne fit pas grand’chose. La dignité épiscopale ne permettait pas de faire le mendiant et de quêter aux particuliers ; mais nous pré- Partie i, livre iv. 285 Sentàmes sa commission au sénat, qui lui donna une petite Somme. De là nous fûmes à Berne. Il fallut ici plus de façon; et l’examen de ses titres ne fut pas l’affaire d’un jour. Nous logions au Faucon, bonne auberge alors, où l’on trouvait bonne compagnie. La table était nombreuse et bien servie. Il y avait long-temps que je faisais mauvaise chère ; j’avais grand besoin de me refaire; j’en avais l’occasion , et j’en profitai. Monseigneur l’archimandrite était lui-même un homme de bonne société, aimant assez à tenir table, gai, parlant bien pour ceux qui l’entendaient, ne manquant pas de certaines connaissances , et plaçant son érudition grecque avec assez d’agrément. Un jour, cassant au dessert des noisettes, il se coupa le doigt fort avant ; et, comme le sang sortait avec abondance , il montra son doigt à la compagnie , et dit en riant Mirate, signori ; gue-sto è sangue pdasgo. À Berne mes fonctions ne lui furent pas inutiles, et je ne m’en tirai pas aussi mal que j’avais craint. J’étais bien plus hardi et mieux parlant que je n’aurais été pour moi-même. Les choses ne se passèrent pas aussi simplement qu’à Fribourg. Il fallut de longues et fréquentes conférences avec les premiers de l’état, et l’examen de scs pièces ne fut pas l’affaire d’un jour. Enfin, tout étant en règle, il fut admis à l’audience du sénat. J’entrai avec lui comme son interprète, et l’on me dit de parler. Je ne m’attendais à rien moins ; et il ne m’était pas venu dans l’esprit qu’après avoir longuement conféré avec les membres, il fallût s’adresser au corps comme si rien n’eût étédit. Qu’on juge de mon embarras. Four un homme aussi honteux, parler non-seulement-en publie mais 1ES COüïï’ESSIÛÏiS. 286 devant le sénat de Berne, et parler impromptu, sans avoir une seule minute pour me préparer ! Il y avait là de quoi m’anéantir. Je ne fus pas même intimidé. J’exposai succinctement et nettement la commission de l’archimandrite. Je louai la piété des princes qui avaient contribué à la collecte qu’il était venu faire. Piquant d'émulation celle de leurs excellences, je dis qu’il n’y avait pas moins à espérer de leur munificence accoutumée ; et puis, tâchant de prouver que cette bonne œuvre en était également une pour tous les chrétiens sans distinction de secte, je finis par promettre les bénédictions du ciel à ceux qui voudraient y prendre part. Je ne dirai pas que mon discours fit effet ; mais il est sûr qu’il fut goûté, et qu’au sortir de l’audience l’archimandrite eut un présent fort honnête , et de plus , sur l’esprit de son secrétaire, des complimens dont j’eus l’agréable emploi d’être le truchement, mais que je n’osai lui rendre à la lettre. Voilà la seule fois de ma vie que j’aie parlé en public et devant un souverain, et la seule fois aussi que j’aie parlé hardiment et bien. Quelle différence dans les dispositions du même homme 1 Il y a trois ans qu’étant allé voir à Y Verdun mon vieux ami M. Roguin, je reçus une députation pour me remercier de quelques livres que j’avais donnés à la bibliothèque de cette ville. Les Suisses sont grands harangueurs; ces messieurs me haranguèrent. Je me crus obligé de répondre; mais je m’enchevêtrai tellement dans ma réponse, et ma tête se brouilla si bien, que je restai court et me fis moquer de moi. Quoique timide naturellement, j’ai été hardi quelquefois dans ma jeunesse, jamais dans mon âge avancé. Plus j’ai vu le monde, moins j’ai pu me faire à son ton. PARTIE I, LIVRE IV. 287 Partis de Berne, nous allâmes à Soleure car le dessein de l’archimandrite était de reprendre la route d’Allemagne, et de s’en retourner par la Hongrie ou par la Pologne ; ce qui faisait une route immense mais comme, chemin faisant, sa bourse s’emplissait plus qu’elle ne se vidait, il craignait peu les détours. Pour moi, qui me plaisais presque autant à cheval qu’à pied , j’aurais ainsi voyagé de bon cœur toute ma vie mais il était écrit que je n’irais pas si loin. La première chose que nous fîmes arrivant à Soleure fut d’aller saluer 51. l’ambassadeur de France. Malheureusement pour mon évêque cet ambassadeur était le marquis de Bonac, qui avait été ambassadeur à la Porte, et qui devait être au fait de tout ce qui regarde le saint sépulcre. L’archimandrite eut une audience d’un quart d’heure, à laquelle je ne fus pas admis, parce que M. l’ambassadeur entendait la langue franque et parlait l’italien du moins aussi bien que moi. A la sortie de mon Grec, je voulus le suivre ; on me retint ce fut mon tour. M’étant donné pour Parisien , j’étais comme tel sous la juridiction de son excellence. Elle me demanda qui j’étais, m’exhorta de lui dire la vérité; je le lui promis en lui demandant une audience particulière , qui me fut accordée. M. l’ambassadeur m’emmena dans son cabinet , dont il ferma sur nous la porte; et là , me jetant à ses pieds , je lui tins parole. Je n’aurais pas moins dit quand je n’aurais rien promis ; car un continuel besoin d’épanchement met à tout moment mon cœur sur mes lèvres; et, après m’être ouvert sans réserve au musicien Lutold, je n’avais garde de faire le mystérieux avec le marquis de Bonac. Il lut si content de ma petite histoire et de i’ 288 DSR COXTESSIOXS. de cœur avec laquelle il vit que je l’avais contée, qu’il me prit par la main , entra chez madame l’ambassadrice , et me présenta à elle en lui faisant un abrégé de mon récit. Madame de Bonac m’accueillit avec bouté, et dit qu’il ne fallait pas me laisser aller avec ce moine grec. Il fut résolu que je resterais à l’hôtel en attendant qu’on vît ce qu’on pourrait faire de moi. Je voulais aller faire mes adieux à mon pauvre archimandrite, pour lequel j’avais conçu de l’attachement on ne me le permit pas. On envoya lui signifier mes arrêts, et un quart d’heure après je vis arriver mon petit sac. M. de La Martinière, secrétaire d’ambassade, fut en quelque façon chargé de moi. En me conduisant dans la chambre qui m’était destinée, il me dit, Cette chambre a été occupée sous le comte du Luc par un homme célèbre, du même nom que vous. Il ne tient qu’à vous de le remplacer de toutes manières, et de faire dire un jour Rousseau premier , Rousseau second. Cette conformité, qu’alors je n’espérais guère, eût moins flatté mes désirs, si j’avais pu prévoir à quel prix je l’achèterais un jour. Ce que m’avait dit M. de La Martinière me donna de la curiosité. Je lus les ouvrages de l’auteur dont j’occupais la chambre, et, sur le compliment qu’on m’avait fait, croyant avoir du goût pour la poésie, je fis pour mon coup d’essai une cantate à la louange de madame de Bonac. Ce goût ne se soutint pas. J’ai fait de temps en temps quelques médiocres vers ; c’est un exercice assez bon pour se rompre aux inversions élégantes et apprendre à mieux écrire en prose mais je n’ai jamais trouvé dans la poésie française assez d’attrait pour m’y PARTIE I, UVRE IV. 28oa •capable ; et, sans paraître rien soupçonner , je m’excusai de l’inquiétude que je lui avais montrée, sur mon ancienne aventure., que j’afleetai de-lui conter en termes si pleins de dégoût et d’horreur, que je lui fis, je crois , mal au cœur à lui-même, et qu’il renonça tout-à-fait à son sale dessein. Nous passâmes tranquillement le reste de la nuit il me dit même beaucoup de choses très - bonnes, très- sensées ; et ce n’était assurément pas un homme sans mérite, quoique ce fût un grand vilaiu. Le matin , M. l’abbé , qui ne voulait pas avoir l’air mécontent, parla de déjeuné, et pria une des filles de son hôtesse, qui était jolie, d’en faire apporter. Elle lui dit qu’elle n’avait pas le temps. Il -s’adressa à sa sœur , qui ne daigna pas lui répondre. Nous attendions toujours ; point de déjeuné. Enfin nous passâmes dans la chambre de ces demoiselles. Elles reçurent M. l’abbé d’un air très-peu caressant. J’eus encore moins à me louer de leur accueil. L’aînée , en se retournant, m’appuya son talon pointu sur le bout du pied, où un cor fort douloureux m’avait forcé de couper mon soulier; l’autre vint ôter brusquement de derrière moi une chaise sur laquelle j’étais prêt à m’asseoir ; leur mère, en jetant de l’eau par la fenêtre, m’en asper- gea le visage en quelque place que je me misse, on m’en faisait ôter pour y chercher quelque chose; je n’avais été de ma vie à pareille fête. Je voyais dans leurs regards insultans et moqueurs une fureur cachée à laquelle j’avais la stupidité de ne rien comprendre. Ebahi , stupéfait, prêt à les croire toutes possédées, jecommençaistoutde bon à m’effrayer , quand l’abbé, qui ne faisait semblant de voir ni d’entendre , jugeant bien qu’il n’y avait point de déjeuné à espérer, prit le parti de sortir; > je rée, e lui üiir, me, tous l me très- nme mnr î des ; ap- >s. Il pon- tuné. moi- i-peu leur i son fort ilier; 1 une leur sper- isse, rose ; oyais jreur rien ;roire m’ef- nt de avait rrlir; PARTIE I , LIVRE IV- 5o3 et je me hâtai de le suivre, fort content d’échapper à cestroisfuries. En marchant il me proposa d’aller déjeuner au café. Quoique j’eusse grand’faim , je n’acceptai point cette offre, sur laquelle il n'insista pas beaucoup non plus, et nous nous séparâmes au trois ou quatrième coin de rue ; moi charmé de perdre de vue tout ce qui appartenait à cette maudite maison ; et lui, fort aise, à ce que je crois, de m’en avoir assez éloigné pour qu’elle ne me fût pas aisée à reconnaître. Comme à Paris ni dans aucune autre ville jamais rien ne m’est arrivé de semblable à ces deux aventures, il m’en est resté une impression peu avantageuse au peuple de Lyon, et j’ai toujours regardé cette ville comme celle de l’Europe où règne la plus affreuse corruption. ] Le souvenir des extrémités où j’y fus réduit ne contribue pas non plus à m’en rappeler agréablement la mémoire. Si j’avais été fait comme un autre, que j’eusse eu le talent d’emprunter, de m’endetter à mon cabaret, je me serais aisémen t tiré d’affaire ; mais c’est à quoi mon inaptitude égalait ma répugnance et, pour imaginer à quel point vont l’une et l’autre, il suffit de savoir qu’après avoir passé presque toute ma vie dans le mal-être, et souvent prêt à manquer de pain,, il ne m’est jamais arrivé une seule fois de me faire demander de l’argent par un créancier sans lui en donner à l’instant même, ni de faire venir deux fois un ouvrier pour avoir son argent. Je n’ai jamais sufairè de dettes criardes, et j’ai toujours mieux aimé souffrir que devoir. C’était souffrir assurément que d’être réduit à passer la nuit dans la rue, et c’est ce qui m’est arrivé plusieurs fois à Lyon. J’aimais mieux employer quelques sous qui me restaient à payer mon pain que mon gîte, parce qu’après tout je risquais moins 3o4 CONFESSIONS, de mourir de sommeil que de faim. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que dans ce cruel état je n’étais ni inquiet ni triste. Je n’avais pas le moindre souci sur l’avenir , et j’attendais les réponses que devait recevoir mademoiselle du Châtelet, couchant à la belle étoile ou sur un banc , aussi tranquillement que sur un lit de roses. Je me souviens même d’avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. II avait fait très-chaud ce jour-là; la soirée était charmante ; la rosée humectait l’herbe flétrie; pointde vent, une nuit tranquille ; l’air était frais sans être froid ; le soleil après son coucher avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dontla réflexion rendaitl’eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l’un à l’autre. Je me promenais dans une sorte d’extase, livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d’en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade sans m’apercevoir que j’étais las. Je m’en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou d’arcade enfoncée dans un mur de terrasse le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres; un rossignol était précisémen t au dessus de moi ; je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveille fut davantage. Il était grand jour ; mes yeux en s’ouvrant virent le soleil, l’eau, la verdure, un paysage admirable. Je me levai, me secouai, la faim me prit ; je m’acheminai gaiement vers la ville, résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces desix blancs qui me restaient encore. J’éta,is PARTIE I, LIVRE IV. 5o5 de si bonne humeur que j'allais chantant tout le long du chemin , et je me souviens même que je chantais une cantate de Batistin, intitulée les bains de Thomeri, que je savais par cœur. Que béni soit le bon Batistin et sa bonne cantate qui m’a valu un meilleur déjeuné que celui sur lequel je comptais, et un dîné bien meilleur encore, sur lequel je n’avais point compté du tout ! Bans mon meilleur train d’aller et de chanter , j’entends quelqu’un derrière moi; je me retourne, je vois un antonin qui me suivait, et qui paraissait m’écouter avec plaisir. Il m’accoste , me salue, me demande si je sais la musique. Je réponds, un peu, pour faire entendre “beaucoup . Il continue à me questionner je lui conte une partie de mon histoire. Il me demande si je n’ai jamais copié de la musique. Souvent, lui dis-je et cela était vrai; ma meilleure manière de l’apprendre était d’en copier. Eh bien ! me dit-il, venez avec moi ; je pourrai vous occuper quelques jours , durant lesquels rien ne vous manquera , pourvu que vous consentiez à ne pas sortir de la chambre. J’acquiesçai très-volontiers , et je le suivis. Cet antonin s’appelait M. Roliehon ; il aimait la musique , il la savait, et chantait dans de petits concerts qu’il faisait avec ses amis. Il n’y avait rien là que d’innocent et d’honnête; mais ce goût dégénérait apparemment en fureur dont il était obligé de cacher une partie. Ilmeconduisitdansunepetite chambre que j’occupai, et où je trouvai beaucoup de musique qu’il avait copiée. Il m’en donna d’autre à copier, particulièrement la cantate que j’avais chantée, et qu’il devait chanter lui-même dans quelques jours. J’en demeurai là trois ou quatre à . copier tout le temps où je ne mangeais pas ; car de Scfï IBS C05FSS?ÎCKS. ma vie je ne fus si affamé ni mieux nourri£Il apportait mesrepas lui-même de leur cuisine, et il fallait qu’elle fût bonne , si leur ordinaire valait le mien. De mes jours je n’eus tant de plaisir à manger, et il faut avouer aussi que ces lippées me venaient fort à propos , car j’étais sec comme du bois. Je travaillais presque d’aussi bon cœur que je mangeais, et ce n’est pas peu dire. Il est vrai que je n’étais pas aussi correct que diligent. Quelques jours après M. Rolichon, que je rencontrai dans la rue, m’apprit que mes parties avaient rendu la musique inexécutable , tant elles s’étaient trouvées remplies d’omissions , de duplications , de transpositions. Il faut avouer que j’ai choisi là dans la suite le métier du monde auquel j’étais le moins propre. Non que ma notenefût belle, etqueje ne copiasse fort nettement; mais l’ennui d’un long travail me donne des distractions si grandes, que je passe plus de temps à gratter qu’à noter, et que, si je n’apporte la plus grande attentionà collationner et corriger mes parties, elles font toujours manquer l’exécution. Je fis donc très-mal en voulant bien faire, et pour aller vite, j’allais tout de travers. Cela n’empêcha pas M. Rolichon de me bien traiter jusqu’à la fin , et de me donner encore’en sortant un petit écu que je ne méritais guère, et qui me remit tout-à-fait en pied ; car peu de jours après je reçus des nouvelles de maman qui était à Chambéri,et de l’argent pour l’aller joindre , ce que je fis avec transport. Depuis lors mes finances ont souvent été fort courtes , mais jamais assez pour me réduire à jeûner. Je marque cette époque avec un cœur sensible aux soins de la Providence. C’est la dernière fois de ma vie que j’ai senti la misère et la faim. Je restai à Lyon sept ou huit jours encore pour PABTIE I, LIVRE IV"- OOJ attendre les commissions dont maman avait chargé mademoiselle du Châtelet, que je vis- durant ce temps-là plus assidûment qu’auparavant, ayant le plaisir de parler avec elle de son amie, et n’étant plus distrait par ces cruels retours sur ma situation qui me forçaient de la cacher. Mademoiselle du Châtelet n’était ni jeune ni jolie, mais elle ne manquait pas de grâce; elle était liante et familière, et son esprit donnait du prix à cette familiarité. Elle avait ce goût de morale observatrice qui porte à étudier les hommes ; et c’est d’elle en première origine que ce goût m’est venu. Elle aimait les romans de Le Sage, et particulièrement GilBîas; elle m’en parla, me le prêta; je le lus avec plaisir. Mais je n’étais pas mûr encore pour ces sortes de lectures, il me fallait des romans à grands sentimens. Je passais ainsi mon temps à la grille de mademoiselle du Châtelet avec autant de plaisir que de profit; et il est certain que les entretiens intéressans et sensés d’une femme de mérite sont plus propres à former un jeune homme que toute la pédantesque philosophie des livres. Je fis connaissance aux Cha- 'sottes avec d’autres pensionnaires etdeleurs amies, entre autres avec une jeune personne de quatorze ans , appelée mademoiselle Serre, à laquelle je ne fis pas alors une grande attention, mais dont je me passionnai huit ou neuf ans après , et avec raison, car c’était une charmante fille. Occupé de l’attente de revoir bientôt ma bonne maman, je fis un peu trêve à mes chimères ; et le bonheurréel qui m’attendait me dispensa d’en chercher dans mes visions. Non-seulement je la retrouvais, mais jeretrouvais près d’elle et par elle un état agréable; car, elle marquait m’avoir trouvé une occupation qu’elle espérait qui me conviendrait, et LES CONFESSIONS. 3o8 qui ne m’éloignerait pas d’elle. Je m’épuisais en conjectures pour deviner quelle pouvait être cette occupation , et il aurait fallu deviner en effet pour rencontrer juste. J’avais de quoi faire commodément la route. Mademoiselle du Châtelet voulait que je prisse un cheval ; je n’y pus consentir, et j’eus raison j’aurais perdu le plaisir du dernier voyage pédestre que j’ai fait en ma vie ; car je ne peux donner ce nom aux excursions que je faisais souvent à mon voisinage tandis que je demeurais à Motiers. C’est une chose bien singulière que mon imagination ne se monte jamais plus agréablement que quand mon état est le moins agréable, et qu’au contraire elle est moins riante lorsque tout rit autour de moi. Ma mauvaise tête ne peut s’assujettir aux choses; elle ne saurait embellir, elle veut créer. Les objets réels s’y. peignent tout au plus tels qu’ils sont, elle ne sait parer que les objets imaginaires. Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver; si je veux décrire un beau paysage, il faut que je sois dans des murs ; et j’ai dit cent fois que si j’étais mis à la Bastille, j’y ferais le tableau de la liberté. Je ne voyais en partant de Lyon qu’un avenir agréable ; j’étais aussi content, et j’avais tout lieu de l’être, que je l’étais peu quand je partis de Paris. Cependant je n’eus point durant ce voyage ces rêveries délicieuses qui m’avaient suivi dans l’autre. J’avais le cœur serein; mais c’était tout. Je me rapprochais avec attendrissement de l’excellente amie que j’allais revoir ; je goûtais d’avance, mais sans ivresse, le plaisir de vivre auprès d’elle je m’y étais toujours attendu; c’était comme s’il ne m’étaitrien arrivé de nouveau. Je m’inquiétais de ce que j’allais faire, comme si cela eût été fort inquiétant. Mes idées étaient paisibles et douces, non célestes et ravis- l'ARTIE I, LIVRE IV- 3o 345 à une femme que la possession ; et , quoiqu’elle h’aimât ses amis que d’amitié, c’était d’une amitié si tendre,, qu’elle employait tous les moyens qui dépendaient d’elle pour se les attacher plus fortement. Ge qu’il y a d’extraordinaire est qu’elle a presque toujours réussi. Elle était si réellement aimable, que, plus l’intimité dans laquelle on vivait avec elle était grande , plus on y trouvait de nouveaux sujets de l’aimer. G ne autre chose digne de remarque est qu’après sa première faiblesse elle n’a guère favorisé que des malheureux ; les gens brillans ont tous perdu leur peine auprès d’elle mais il fallait qu’un homme qu’elle commençait par plaindre fût bien peu aimable si elle ne finissait par l’aimer. Quand elle se fit des choix peu dignes d’elle, bien loin que ce fût par des inclinations basses qui n’approchèrent jamais de son noble cœur , ce fut uniquement par son caractère trop généreux, trop humain , trop compatissant, trop sensible, qu’elle ne gouverna pas toujours avec assez de discernement. Si quelles principes faux l’ont égarée, combien n’en a vait-ellé pas d’admirables dont elle ne se départait jamais ! Par combien de vertus ne rachetait-elle pas ses faiblesses , si l’on peut appeler de ce nom des erreurs où lés sens avaient si peu de part ! Ce même homme qui la trompa sur un point, l’instruisit excellemment sur mille autres ; et ses passions , qui n’étaient pas fougueuses, lui permettant de suivre toujours ses lumières, elle allait bien quand ses sophismes ne l’égaraient pas. Sesmotifs étaient louables jusque dans ses fautes ; en s’abusant elle pouvait mal faire , mais elle ne pouvait vouloir rien qui fût mal. Elle abhorrait la duplicité , le mensonge elle était juste, équitable , humaine , §46 tss COWESSÏOXS. désintéressée, fidèle à sa parole, à ses amis, à ses devoirs qu’elle reconnaissait pour tels, incapable de vengeance et de haine, et ne concevant pas même qu’il y eût le moindre mérite à pardonner, Enfin, pour revenir à ce qu’elle avait de moins excusable, sans estimer ses faveurs ce qu’elles valaient , elles n’en fit jamais un vil commerce ; elle les prodiguait, mais elle ne les vendait pas , quoiqu’elle fût sans cesse aux expédiens pour vivre et j’ose dire que si Socrate put estimer Aspasie, il eût respecté madame de Warens. Je sais d’avance qu’en lui donnant un caractère sensible et un tempérament froid, je serai accusé de contradiction comme à l’ordinaire , et avec autant de raison. Il se peut que la nature ait eu tort, et que cette combinaison n’ait pas dû être ; je sais seulement qu’elle a été. Tous ceux qui ont connu madame de Warens, et dont un si grand nombre existe encore, ont pu savoir qu’elle était ainsi. J’ose même ajouter qu’elle n’a connu qu’un seul vrai plaisir au monde ; c’était d’en faire à ceux qu’elle aimait. Toutefois permis à chacun d’argumenter là-dessus tout à son aise, et de prouver doctement que cela n’est pas vrai. Ma fonction est de dire la vérité, mais non pas de la faire croire. J’appris peu à peu tout ce que je viens de dire dans les entretiens qui suivirent notre union, et qui seuls la rendirent délicieuse. Elle avait eu raison d’espérer que sa complaisance me serait utile ; j’en tirai pour mon instruction de grands avantages. Elle m’avait jusqu’alors parlé de moi seul comme à un enfant elle commença de me traiter en homme et me parla d’elle. Tout ce qu’elle me disait m’était si intéressant, je m’en sentais si touché , que, me repliant sur moi-même, j’appliquais à mon profit fATVîre I , KV 3 S V. 34? scs confidences plus que je 11'avais fait ses leçons» Quand on sent vraiment que le cœur parle, le nôtre s’ouvre pour recevoir ses épanchemens , et jamais toute la morale d’ua pédagogue ne vaudra la bavardage affectueux et tendre d’une femme sensée pour qui l’on a de l’attachement. L’intimité dans laquelle je vivais avec elle l’ayant mise à portée de m’apprécier plus avantageusement qu’elle n’avait fait, elle jugea que., malgré mon air gauche, je Valais la peine d’être cultivé pour le monde , et que, si je m’y montrais un jour sur un certain pied, je serais en état d’y faire mon chemin. Sur cette idée, elle s'attachait non-seulement à former mon jugement, mais mon extérieur, mes manières, à me rendre aimable autant qu’estimable ; et s’il est vrai qu’on puisse allier les succès dans le monde avec la vertu, ce que pour moi je ne crois pas, je suis sûr au moins qu’il n’y a pour eela d’autre route que celle qu’elle avait prise et qu’elle voulait m’enseigner. Car madame de Warens connaissait les hommes, et savait supérieurement l’art de traiter avec eux sans mensonge et sans imprudence, sans les tromper et sans les fâcher. Mais cet art était dans son caractère bien plus que dans sas leçons, elle savait mieux le mettre en pratique que l’enseigner, et j’étais l’homme du monde le moins- propre à l’apprendre. Aussi tout ce qu’elle fit à cet égard fut-il, peu s’en faut, peine perdue, de même que le soin qu’elle prit de me donner des maîtres pour la danse et pour les armes. Quoique leste et bien pris dans ma taille, je ne pus apprendre à danser un menuet. J’avais tellement pris, à cause de mes Cors, l’habitude de marcher du talon, que Roche ne put jamais me la faire perdre; et jamais, avec l’air assez ingambe, je n’ai pu sauter un mé~ 348 MES CONFESSIONS. diocre fossé. Ce fut encore pis à la salle d’armes. Après trois mois de leçon je tirais encore à la miv raille, hors d’état de faire assaut ; etjamaisjen’eus le poignet assez souple ou le bras assez ferme pour retenir mon fleuret quand il plaisait au maître de le faire sauter. Ajoutez que j’avais un dégoût mortel pour cet exercice et pour le maître qui tâchait de me l’enseigner. Je n’aurais jamais cru qu’on pût être si fier de l’art de tuer un homme. Pour mettre son vaste génie à ma portée, il ne s’exprimait que par des comparaisons tirées de la musique qu’il ne savait pas. Il trouvait des analogies frappantes entre les bottes de tierce et de quarte et les intervalles musicaux du même nom. Quand il voulait faire une feinte, il me disait de prendre garde à ce dièse, parce qu’anciennement les dièses s’appelaient des feintes quand il m’avait fait sauter de la main mon fleuret, il disait en ricanant que • c’était unes -pause. Enfin, je ne vis de mes jours un pédant plus insupportable que ce pauvre homme, avec son plumet et son plastron. Je fis donc peu de progrès dans mes exercices , que je quittai bientôt par pur dégoût ; mais j’en fis davantage dans un art plus utile, celui d’être content démon sort, et de n’en pas désirer un plus brillant, pour lequel je commençais à sentir que je n’étais pas né. Livré tout entier au désir de rendre à maman la vie heureuse, je me plaisais toujours plus auprès d’elle ; et quand il fallait m’en éloigner pour courir en ville, malgré ma passion pour la musique je commençais à sentir la gêne de mes leçons. J’ignore si Claude Anet s’aperçut de l’intimité de notre commerce; j’ai lieu de croire qu’il ne lui fut pas caché. C’était un garçon très-clairvoyant, mais PARTIE I , LIVRE V. 349 très-discret, qui ne parlait jamais contre sa pensée, mais qui ne la disait pas toujours. Sans me faire le moindre semblant qu’il fût instruit, par sa conduite il paraissait l’être ; et cette conduite ne venait assurément pas de bassesse d’âme, mais de ce qu’étant entré dans les principes de sa maîtresse il ne pouvait désapprouver qu’elle agît conséquemment. Quoique aussi jeune qu’elle, il était si mûr et si grave, qu’il nous regardait presque comme deux enfans dignes d’indulgence , et nous le regardions l’un et l’autre comme un homme respectable dont nous avions l’estime à ménager. Ce ne fut qu’après qu’elle lui fut infidèle que je connus bien tout l’attachement qu’elle avait pour lui. Comme elle savait que je ne pensais, ne sentais, ne respirais que par elle, elle me montrait combien elle l’aimait, afin que je l’aimasse de même ; et elle appuyait encore moins sur son amitié pour lui que sur son estime, parce que c’était le sentiment que je pouvais partager le plus pleinement. Combien de fois elle attendrit nos cœurs et-nous fit embrasser avec larmes, en nous disant que nous étions nécessaires tous deux au bonheur de sa vie! Et que les femmes qui liront ceci ne sourient pas malignement. Avec le tempérament qu’elle avait, ce besoin n’était pas équivoque c’était uniquement celui de son cœur. Ainsi s’établit entre nous trois une société sans autre exemple peut-être sur la terre. Tous nos vœux, nos soins, nos cœurs, étaient en commun. Rien n’en passait au delà de ce petit cercle. L’habitude de vivre ensemble et d’y vivre exclusivement devint si grande, que, si dans nos repas un des trois manquait ou ' qu’il vînt un quatrième, tout était dérangé; et, malgré nos liaisons particulières, les tête-à-tête nous étaient moins doux que la réunion; TÆS CO'N'T'ESStOîîS. 35o Ce qui prévenait entre nous la gêne était une extrême confiance réciproque; et ce qui prévenait l’ennui était que nous étions tous fort occupés Maman, toujours projetante et toujours agissante, ne nous laissait guère oisifs ni l’un ni l’autre ; et nous avions encore chacun pour notre compte de quoi bien remplir notre temps. Selon moi, le dé- 1 n’est pas moins le fléau de la société que celui de la solitude. Rien ne rétrécit plus l’esprit, rien n’engendre plus de riens, de rapports, de paquets, de tracasseries,de mensonges, que d’être éternellement renfermés les uns vis-à-vis des autres dans une chambre, réduits pour tout ouvrage à babiller continuellement. Quand tout le monde est occupé, l’oh ne parle que quand on a quelque chose à dire ; mais quand on ne fait rien, il faut absolument parler toujours ; et voilà de toutes les gènes la plus incommode et la plus dangereuse; J’ose même aller plus loin; et je soutiens que, pour rendre un cercle vraiment agréable , il faut non-seulement que chacun y fasse quelque chose, mais quelque choge qui deman de un peu d’attention. Faire des nœuds, c’est ne rien faire; et il faut tout autant de soin pour amuser une femme qui fait des nœuds que celle qui tient les bras croisés ; mais quand elle brode, c’est autre chose ; elle s’occupe assez pour remplir les intervalles du silence. Ce qu’il y a de choquant, de ridicule, est de voir pendant ce temps une douzaine de flandrins se lever, s’asseoir, aller, venir, pirouetter sur leurs talons, retourner deux cents fois lesmagots de la cheminée, et fatiguer leur Minerve à maintenir un intarissable flux de paroles. La belle occupation î Ces gens-îà, quoi qu'ils fassent, seront toujours à charge aux .autres et à eùx-mêmes. Quand j’étais à Métiers, PARTIE I , LIVRE V. 35 * j’allais faire des lacets chez mes voisines ; si je retournais dans le monde, j’aurais toujours dans ma poche un bilboquet, et j’en la journée pour me dispenser de parler quand je n’aurais rien à dire. Si chacun en faisait autant, les hommes deviendraient moins méchans, leur commerce deviendrait plus sûr, et, je pense, plus agréable» Enfin que les plaisans rient s’ils veulent, mais je soutiens que la seule morale à la portée du présent siècle est la morale du bilboquet. Au reste on ne nous laissait guère le soin d’éviter l’ennui par nous-mêmes , et les importuns nous en donnaient trop par leur affluence pour nous en laisser quand noirs restions seuls. L’impatience qu’ils m’avaient donnée autrefois n’était pas diminuée, et toute la différence était que j’avais moins de temps pour m’y livrer. La pauvre maman n’avait point perdu son ancienne fantaisie d’entreprises et de systèmes. Au contraire, plus ses besoins domestiques devenaient pressans, plus, pour y pourvoir, elle se livrait à ses visions ; moins elle avait de ressouices présentes , plus elle s’en forgeait dans l’avenir. Le progrès des ans ne faisait qu’augmenter en elle cette manie; et, à mesure qu’elle perdait le goût des plaisirs du monde et de la jeunesse, elle le remplaçait par celui des secrets et des projets. La maison ne désemplissait pas de charlatans, de fabricans , de souffleurs , d’entrepreneurs de toute espèce , qui distribuant par millions la fortune et les espérances, avaient en attendant besoin d’un écu. Aucun ne sortait de chez elle à vide ; et l’un de mes étonnemens est qu’elle ait pu suffire aussi long-temps à tant de profusions , sans en épuiser la source et sans lasser ses créanciers. Le projet dont elle était le plus occupée au temps 1RS CONFESSIONS. 35a dont je parle, et qui n’était pas le plus déraisonnable qu’elle eût formé, était de faire établir à Cham- béri un jardin royal de plantes avec un démonstrateur appointé; et l’on comprend d’avance à qui cette place était destinée. La position de cette ville au milieu des Alpes était très-favorable à la botanique; et maman , qui favorisait toujours un projet par un autre , y joignait celui d’un collège de pharmacie, qui véritablement paraissait utile dans un pays aussi pauvre où les apothicaires étaient presque les seuls médecins. La retraite du proto-médecin Grossi à Cliambéri, après la mort du roi Victor, lui parut favoriser beaucoup cette idée , et la lui suggéra peut-être. Quoi qu’il en soit, elle se mit à cajoler Grossi, qui pourtant n’était pas trop cajo- lable ; car c’était bien le plus caustique et le plus brutal monsieur que j’aie jamais connu. On en jugera par deux ou ou trois traits que je vais citer pour échantillon. Un jour il était en consultation avec d’autres médecins, un entre autres qu’on avait fait venir d’Anneci, et qui était le médecin ordinaire du malade. Ce jeune homme, encore mal appris pour un médecin , osa n’être pas de l’avis de monsieur le Proto ; celui-ci pour toute réponse lui demanda quand il s’en retournait, par où il passait, et qu’elle voiture il prenait. L’autre, après l’avoir satisfait , lui demande à son tour s’il y avait quelque chose pour son service. Rien, rien, dit Grossi, sinon que je veux m'aller mettre à une fenêtre sur votre passage , pour avoir le plaisir de voir passer un âne à cheval. Il était aussi avare que riche et dur. Un de ses amis lui voulut un jour emprunter de l’argent aveede bonnes sûretés. Mon ami,lui dit-il eu lui serrant le bras et grinçant les dents, quand S'Pierre PARTIE I , LIVRE V. 353 descendrait du ciel pour m’emprunter dix pistoles, et qu’il me donnerait la Trinité pour caution, je ne les lui prêterais pas. Un jour, invité à dîner chez M- le comte Picon, gouverneur de Savoie et très- dévot, il arrive avant l’heure; et S. E. alors occupée à dire le rosaire, lui en propose l’amusement. Ne sachant trop que répondre, il fait une grimace affreuse et se met à genoux. Mais à peine avait-il récité deux ave, que, n’y pouvant plus tenir, il se lève brusquement, prend sa canne , et s’en va sans mot dire. Le comte Picon court après, et lui crie Monsieur Grossi, monsieur Grossi, restez donc; vous avez là-bas à la broche une excellente bartavelle. Monsieur le comte, lui répond l’autre en se retournant, vous me donneriez un ange rôti que je ne resterais pas. Voilà quel était M. le protomédecin Grossi , que maman entreprit et vint à bout d’apprivoiser. Quoique extrêmement occupé, il s’accoutuma à venir très-souvent chez elle, prit Ànet en amitié, marqua faire cas de ses connaissances, en parlait avec estime, et, ce qu’on n’au- *ait pas attendu d’un pareil ours, affectait de le traiter avec considération pour effacer les impressions du passé. Car, quoique Anet ne fût plus sur le pied d’un domestique, on savait qu’il Pavait été; et il ne fallait pas moins que l’exemple et l’autorité de M. le proto-médecin pour donner à son égard le ton qu’on n’aurait pas pris de tout autre. Claude Anet, avec un habit noir, une perruque bien peignée, un maintien grave et décent, une conduite sage et circonspecte, des connaissances assez étendues en matière médicale et en botanique , et la faveur du chef de la faculté, pouvait raisonns- blement espérer de remplir avec applaudissement la place de démonstrateur royal des plantes, sil’éfu- I. • * i5 ’5j'}. IES COSFESSIOXSv bassement projeté avait lieu; et réellement Grossi en avait goûté le plan, l’avait adopté, et n’attendait pour le proposer à la cour que le moment où la paix permettrait de songer aux choses utiles, et laisserait disposer de quelque argent pour y pourvoir- Mais ce projet, dont l’exécution m’eût probablement jeté dans la botanique pour laquelle il semble que j’étais né, manqua par un de ces coups inattendus qui renversent les desseins les mieux concertés. J’étais destiné à devenir, par degrés, un exemple des misères humaines. On dirait que la Providence; . qui m’appelait à ces grandes épreuves, écartait de la main tout ce qui m’eût empêché d’y arriver. Dans une course qu’Anet avait été faire au haut des montagnes pour aller chercher du génipi, plante rare qui ne croît que sur les Alpes, et dont M. Grossi avait besoin, ce pauvre garçon s’échauffa tellement qu’il gagna une pleurésie dont le génipi ne put le sauver, quoiqu’il y soit, dit-on, spécifique; et malgré tout l’art de Grossi, qui certainement était un habile homme, malgré les soins infinis que nous prîmes de lui, sa bonne maîtresse et moi, il mourut le cinquième jour entre nos bras, après la plus cruelle agonie, durant laquelle il n’eut d’autres exhortations que les miennes; et je les lui prodiguai avec des élans de douleur et de zèle qui, s’il était en état de m’entendre, devaient être de quelque consolation pour lui. Voilà comment je perdis le plus solide ami que j’eus en toute ma vie, homme estimable et rare, à qui la nature tint lieu d’éducation, qui nourrit dans la servitude toutes les vertus des grands hommes, et à qui peut- être il ne manqua, pour se montrer tel à tout le inonde , que de vivre et d’être placé. Le lendemain j’en parlais avec maman dans l’af- PARTIE I , LIVRE V. 3aSf flictibn la plus vive et la plus sincère, et tout d’un coup au milieu de l’entretien, j’eus la vile et indigne pensée que j’héritais de ses nippes, et surtout d’un bel habit noir qui m’avait donné dans la vue. Je le pensai; par conséquent je le dis, car près d’elle c’était pour moi la même chose. Rien ne lui fit mieux sentir la perte qu’elle avait faite que ce lâche et odieux mot; le désintéressement et la noblesse d’âme étant des qualités que le défunt avait éminemment possédées. La pauvre femme, sans rien répondre, se tourna de l’autre côté et se mit à pleurer. Chères et précieuses larmes! Elles furent entendues, et coulèrent toutes dans mon cœur; elles y lavèrent jusqu’aux dernières traces d’un sen liment bas et malhonnête; il n’y en est jamais entré depuis lors. Cette perte causa à maman autant de préjudice que de douleur. Depuis ce moment ses affaires ne cessèrent d’aller en décadence. Anet était un garçon sage et rangé qui main tenait l’ordre dans la maison de sa maîtresse. On craignait sa vigilance, et le gaspillage était moindre. Elle-même craignait sa censure, et se contenait davantage dans ses dissipations. Ce n’était pas assez pour elle de son attachement, elle voulait conserver son estime, et elle redoutait le juste reproche qu’il osait quelquefois lui faire, qu’elle prodiguait le bien d’autrui autant que le sien. Je pensais comme lui, je le disais même, mais je n’avais pas le même ascendant sur elle, et mes discours n’en imposaient pas comme les siens. Quand il ne fut plus, je fus bien forcé de prendre sa place pour laquelle j’avaisaussi peu d’aptitude que de goût; je la remplis mal. J’étais peu soigneux, j’étais fort timide; tout en grondant à part moi, je laissais tout aller comme il allait. 356 ZES CONFESSIONS. D’ailleurs j’avais bien obtenu la même confiance, mais non pas la même autorité. Je voyais le désordre, j’en, gémissais, je m’en plaignais, et je n’étais pas écouté. J’étais trop jeune ettrop vif pour avoir le droit d’être raisonnable ; et quand je voulais me mêler de faire le censeur, maman me donnait de petits soufflets de caresses, m’appelait son petit Mentor, et me forçait à reprendre le rôle qui me convenait. Le sentiment profond de la détresse où ses dépenses peu mesurées devaient nécessairement la jeter tôt ou tard, me fit une impression d’autant plus forte, qu’étant devenu l’inspecteur de sa maison je jugeais par moi-même de l’inégalité de la balance entre le doit et l’avoir. Jfe date de cette époque le penchant à l’avarice que je me suis toujours senti depuis ce temps-là. Je n’ai jamais été follement prodigue que par bourrasques; mais jusqu’alors je ne m’étais jamais fort inquiété si j'avais peu ou beaucoup d’argent. Je commençai à faire cette attention, et à prendre du souci de ma bourse. Je devenais vilain par un motif très-noble ; car en vérité je ne songeais qu’à ménager à maman quelque ressource dans la catastrophe que .je prévoyais. Je craignais que ses créanciers ne fissent saisir sa pension , qu’elle ne fût tout-à-fait supprimée; et je m’imaginais, selon mes vues étroites, que mon petitmagot lui serait alors d’un grand secours. Mais pour le faire, et surtout pour le conserver, il fallait me cacher d’elle; car il n’eût pas convenu, tandis qu’elle était aux expédiens, qu’elle eût su que j’avais de l’argent mignon. J’allais donc cherchant par-ci par-là de petites caches où je fourrais quelques louis en dépôt, comptant augmenter ce dépôt sans cessejusqu’au moment dele mettre à ses pieds. Mais j’étais si maladroit dans le choix de mes PARTIE I , LIVRE V. 55? cachettes, qu’elle les éventait toujours, puis, pour m’apprendre qu’elle les avait trouvées, elle ôtait ce que j’y avais mis, et en mettait davantage en d’autres espèces. Je venais tout honteux rapporter à la bourse commune mon petit trésor, et jamais elle ne manquait de l’employer en nippes ou meubles à mon profit, comme épée d’argent, montre, ou autre chose pareille. Bien convaincu qu’accumuler ne me réussirait jamais et serait pour elle une mince ressource, je sentis enfin que je n’en avais point d’autre contre le malheur que je prévoyais, que de me mettre en état de pourvoir à sa subsistance, quand, cessant de pourvoir à la mienne, elle verrait le pain prêt à lui manquer. Malheureusement, jetant mes projets du côté de mes goûts, je m’obstinais à chercher follement ma fortune dans la musique; et, sentant naître des idées et des chants dans ma tête, je crus qu’aussitôt que je serais en état d’en tirer parti,j’al- lais devenir un homme célèbre, un Orphée moderne dont les sons devaient attirer tout l’argentdu Pérou. Ce dont il s’agissait pour moi, commençant à lire passablement la musique, était d’apprendre la composition. La difficulté étaitde trouver quelqu’un pour me l’enseigner; car avec mon Rameau seul je n’espérais pas y parvenir par moi-même, et depuis le départ de M. Le Maître, il n’y avait personne en Savoie qui ^fendît rien à l’harmonie. Ici l’on va voir encore une de ces inconséquences dont ma vie est remplie, et qui m’ont fait si souvent aller contre mon but, lors môme que j’y paraissais tendre directement. Venture m’avait beaucoupparlé de l’abbé Blanchard , son maître de composition, homme de mérite et d’un grand talent, qui pour lors était maître de musique de la cathédrale de S5S COSFESSIOSS. Besançon, et qui l’est maintenant de la chapelle de I Versailles. Je me mis en tête d’aller à Besançon prendre leçon de l’abbé Blanchard ; et cette idée me parut si raisonnable que je parvins à la faire trouver telle- à maman. La voilà tra vaillant à mon petit équipage, et cela avec la profusion qu’elle,mettait à toute chose. , Ainsi, toujours avec le projet de prévenir une banqueroute et de réparer dans l’avenir l’ouvrage de sa dissipation, je commençai dans le moment même par lui causer une dépense de huit cents francs j’accélérais sa ruine pour me mettre ën état d’y remédier. Quelque folle que fût cette conduite, l’illusion était entière de ma part et même de la Nous étions persuadés l’un et l’autre, moi que je travaillais utilement pour elle, elle que je travaillais utilement pour moi. J’avais compté trouver Tenture encore à An ne ci,, et lui demander une lettre pour l’abbé Blanchard. j 11 n’y était plus. Il fallut pour tout renseigne- ,! ment me contenter d’une messe à quatre parties de sa composition et de' sa majn , qu’il m’avait laissée. Avec cette recommandation je vais à Besançon, passant par Genève où je fus voir mes parens, et par Nyon où je fus voir mon père , qui me reçut comme à son ordinaire, et se chargea de me faire parvenir ma malle, qui ne venait qu’à- près moi, parce que j’étais à cheval. J’arrive à Besancon *. L’abbé Blanchard me reçoit bien , -—-1- I *• Il serait armé à Besançon Je 28 juin 1^32, d’après- sa lettre à madame de Warens, la seconde de la Correspondance. En admettant cette date, l’ordre des faits se trouve interverti, puisqueee voyage est censé avoir eulieuaprèsla guerre de iy33, et qu’une lettre en fixe la date en 1^32. Nous- soumettons au lecteur, a la fin de cette première partie, quel- j observations pour expliquer ces faits'contradictoires.,- j PAETIE I, UVBE v. me promet ses instructions et m’offre ses services. Nous étions prêts à commencer, quand j’apprends par une lettre de mon père que met malle a été saisie et confisquée aux Rousses, bureau de France sur les frontières de Suisse. Effrayé dê cette nouvelle , j’emploie les connaissances que je m’étais faites à Besançon pour savoir lé motif de cette confiscation car bien sûr de n’avoir point de contrebande , je ne pouvais concevoir sur quel prétexte on l’avait pu fonder. Je l’apprends enfin il. faut le dire, car c’est un fait curieux. Je voyais à Chambéri un vieux Lyonnais, fort bon homme, appelé M. Duvivier, qui avait tra- vaillé au visa sous la régence , et qui faute d’emploi était venu travailler au cadastre. Il avait vécu dans le monde ; il avait des talens, quelque savoir, de la douceur, de la politesse; il savait la musique ; et comme j’étais de chambrée avec lui, nous- nous étions liés de préférence au milieu des ours, mal léchés qui nous entouraient. Il avait à Paris- des correspondances qui lui fournissaient ces petits riens, ces nouveautés éphémères qui courent on ne sait pourquoi, qui meurent on ne sait comment, sans que jamais personne y repense quand 5 ou a cessé d’en parler. Comme je le menais quelquefois dîner chez maman, il me faisait sa cour en quelque sorte ; et pour se rendre agréable iL tâchait de me faire aimer ces fadaises, pour lesquelles j’eus toujours un tel dégoût, qu’il ne m’est arrivé de la vie d’en lire une à moi seul. Pour lui complaire , je prenais ces précieux torche-euls , je les mettais dans ma poche, et je n’y songeais plus que pour le seul usage auquel ils étaient bons.. Malheureusement un de ces maudits papiers resta dans la poche de veste d’un habit neuf que j’avais; IES C0SFES5I05S. 38o porté deux ou trois fois pour être en règle avec les commis. Ce papier était une parodie janséniste assez plate de la belle scène du Mithndate de Racine. Je n’en avais pas lu dix vers, et l’avais laissé par oubli dans ma poche. Voilà ce qui fit confisquer mon équipage. Les commis firent à la tête de l’inventaire de cette malle un magnifique procès verbal, où , supposant que cet écrit venait de Genève pour être imprimé et distribué en France, ils s’étendaient en saintes invectives contre les ennemis de Dieu et de l’église, et en éloges de leur pieuse vigilance qui avait arrêté l’exécution de ce projet infernal. Ils trouvèrent sans doute que mes chemises sentaient aussi l’hérésie, car en vertu de ce terrible papier tout fut confisqué, sans que jamais, comme que j’aie pu m’y prendre, j’aie eu ni raison ni nouvelle de ma pauvre pacotille. Les gens des fermes à qui l’on s’adressa demandaient tant d’instructions, de renseignemens, de certificats, de mémoires , que, me perdant mille fois dans ce labyrinthe, je fus contraint de tout abandonner. J’ai un vrai regret de n’avoir pas conservé le procès verbal du bureau des Rousses. C’était une pièce à figurer parmi celles dont le recueil doit accompagner cet écrit. Cette perte me fit revenir à Chambéri tout de suite, sans avoir rien fait avec l’abbé Blanchard; et, tout bien pesé, voyant le malheur me suivre dans toutes mes entreprises, je résolus de m’attacher uniquement à maman, de courir sa fortune, et de ne plus m’inquiéter inutilement d’un avenir auquel je ne pouvais rien. Elle me reçut comme si j’avais rapporté des trésors, remonta peu à peu ma petite garde-robe; et mon malheur, assez grand pour l’un et pour l’autre, fut presque aussitôt oublié qu’arrivé. PARTIE I , LIVRE V. 73 1 Quoique ce malheur m’eût refroidi sur mes projets de musique, je ne laissais pas d’étudier toujours mon Rameau; et à force d’efforts je parvins enfin à l’entendre, et à faire quelques petits essais de composition dont le succès m’encouragea. Le comte de Bellegarde , fils du marquis d’Antre- mont, était revenu de Dresde après la mort du roi Auguste. Il avait vécu long-temps à Paris ; il aimait extrêmement la musique , et avait pris en passion celle de Rameau. Son frère, le comte de Nangis , jouait du violon ; madame la comtesse de La Tour, leur sœur , chantait un peu, Tout cela mit à Chambéri la musique à la mode ; et l’on établit une manière de concert public, dont on voulut d’abord me donner la direction ; mais on s’aperçut bientôt qu’elle passait mes forces , et l’on s’arrangea autrement. Je ne laissai pas d’y donner quelques petits morceaux de ma façon , et entre autres une cantate qui plut beaucoup. Ce n’était pas une pièce bien faite, mais elle était pleine de chants nouveaux et de choses d’effet que l’on n’attendait pas de moi. Ces messieurs ne purent croire que, lisant si mal la musique, je fusse en état d’en composer de passable , et ils ne doutèrent pas que je ne me fusse fait honneur du travail d’autrui. Pour vérifier la chose, un matin M. dp Nangis vint me trouver avec une cantate de Gléram- bault, qu’il avait, disait-il, transposée pour la commodité de la voix, et à laquelle la transposition rendait nécessaire une autre basse. Je répondis que c’était un ouvrage considérable qui ne pouvait s’exécuter sur-le-champ. II crut que je cherchais une défaite, et me pressa de faire au moins la basse d’un récitatif. Je la fis donc mal sans doute, parce qu’en toute chose il me faut, i. 16 XES CONFESSIONS. 36a pour bien faire, mes aises et la liberté; mais je la fis du moins dans les régies; et, comme il était présent, il ne put douter que je nè susse les élé- mens de la composition. Ainsi je ne perdis pas mes écolières, mais je me refroidis un peu sur la musique, voyant qu’on faisait un concert, et que l’on s’y passait de moi. Ce fut à peu près dans ce temps-là que, la paix, étant faite , l’armée française repassa les monts *. Plusieurs officiers vinrent voir maman, entre autres M. le comte de Lautrec, colonel du régiment d’Orléans , depuis plénipotentiaire à Genève, et enfin maréchal de France, auquel elle me présenta. Sur ce qu’elle lui dit, il parut s’intéresser fort à moi, et me promit beaucoup de choses, dont il ne s’est souvenu que la dernière année de sa vie, lorsque je n’avais plus besoin de lui. Le jeune marquis de Sennecterre, dont le père était alors ambassadeur à Turin, passa dans le même temps à peu près à Chambéri. Il dîna chez madame de Menthon ; j’y dînais aussi ce jour-là. Après le dîner il fut question de musique; il la savait très-bien. L’opéra de Jcpkté était alors dans sa nouveauté **; il en parla, on le fit apporter. Il me fit frémir en me proposant d'exécuter à nous deux cet opéra ; et tout en ouvrant le livre, il tomba sur ce morceau célèbre à deux chœurs Là terre, l’enfer, le ciel même, Tout tremble devant le Seigneur. Il me dit Combien voulez-vous faire de parties? * Le 3 octobre 1735, les préliminaires de la paix, qui ont ensuite formé le traité, furent signe’s à Vienne. ** Tragédie lyrique de L. Pellegrin, musique de Monte- claire, représentée pour la première fois le 4 mars 1782 ; PifeTIE ï , LIVRE V. 565 je ferai pour ma part ces six-là. Je n’étais pas encore accoutumé à cette pétulance française; et, •quoique j’eusse quelquefois ànonné des partitions, je ne comprenais pas comment le même homme pouvait faire en même temps six parties, ni même deux. Rien ne m’a plus coûté dans la pratique de la musique que de sauter ainsi légèrement d’une partie à l’autre, et d’avoir l’œil à la fois sur toute une partition. À la manière dont je me tirai de cette entreprise, M. de Sennecterre dut être tenté de croire que je ne savais pas la musique. Ce fut peut-être pour vérifier ce doute qu'il me proposa de noter une chanson qu’il voulait donner à mademoiselle de Menthon. Je ne pouvais m’en détendre. Il chanta la chanson; je l’écrivis môme sans le faire beaucoup répéter. Il la lut ensuite, et trouva, comme il était vrai, qu’elle était très-correctement notée. Il avait vu mon embarras, il prit plaisir à faire valoir ce petit succès. C’était pourtant une chose très-simple. Au fond, je savais fort bien la musique; je ne manquais que de cette vivacité du premier coup d’œil que je n’eus jamais sur rien, et qui ne s’acquiert en musique que par une pratique consommée. Quoi qu’il en soit, je fus sensible à l’honnête soin qu’il prit d’effacer dans l’esprit des autres et dans le mien la petite honte que j’avais eue; et, douze ou quinze ans après, me trouvant avec lui dans diverses maisons de Paris, jefustenté plusieurs fois de lui rappeler cette anecdote, et de lui montrer que j’en gardais le souvenir. Mais il avait perdu les ye»ux depuis ce temps-là. Je crai- elle eut un très-grand succès. Le cardinal de Noailles la fit défendre. Reprise en ij33, encore interrompue; elle reparut en 1734 et 1735 avec des changemens. . les COXFESSIOXS. gnis de renouveler ses regrets en lui rappelant l’usage qu’il en avait su faire , et je me tus. Je touche au moment qui commence à lier mon existence passée avec la présente. Quelques amitiés de ce temps-là, prolongées jusqu’à celui-ei, me sont devenues bien précieuses. Elle m’ont souvent fait regretter cette heureuse obscurité où ceux qui se disaient mes amis l’étaient et m’aimaient pour moi, par pure bienveillance, non par la vanité d’avoir des liaisons avec un homme connu, ou par le désir secret de trouver ainsi plus d’occasions de lui nuire. C’est d’ici que je date ma première connaissance avec mon vieux ami Gauffecourt, qui m’est toujours resté, malgré les efforts qu’on a faits pour me l’ôter. Toujours resté! non. Hélas! je viens de le perdre mais il n’a cessé de m’aimer qu’en cessant de vivre, et notre amitié n’a fini qu’avec lui. M. de Gauffecourt était un des hommes les plus aimables qui aient existé. Il était impossible de le voir sans l’aimer, et de vivre avec lui sans s’y attacher tout-à-fait. Je n’ai vu de ma vie une physionomie plus ouverte, plus caressante, qui. eût plus de sérénité, qui marquât plus de sentiment et d’es- j prit, qui inspirât plus de confiance. Quelque ré- ! servé qu’on pût être, on ne pouvait, dès la pre- mi ère vue, se défendre d’être aussi familier avec ! lui que si on l’eût connu depuis vingt ans; et moi, qui avais tant de peine d’être à mon aise avec les nouveaux visages, j’y fus avec lui du premier moment. Son ton, son accent, son propos , accompagnaient parfaitement sa physionomie. Le son de sa voix était net, plein, bien timbré; une belle voix de basse, étoffée et mordante, qui remplissait l’oreille et so n naît au cœur. Il est impossible d’avoir une gaieté plus égale et plus douce, dès grâce* l’A'ïlriïî i , UVBE' V. 565 plus vraies et plus simples, les talens plus naturels, et cultivés avec plus le goût. Joignez à cela un cœur aimant, mais aimant un peu trop tout le monde, un caractère officieux avec peu de choix, servant ses amis avec zèle , ou plutôt se faisant l’ami des gens qu’il pouvait servir , et sachant faire très- adroitement ses propres'affaires en faisant très- chaudement celles d’autrui. Gauffecourt était ils d’un simple horloger, et avait été horloger lui- mtme. Mais sa figure et son mérite l’appelaient dans une autre sphère, où il ne tarda pas d’entrer. 11 fit connaissance avec M. de La Closure, résident de France, qui le prit en amitié. Il lui procura à Paris d’autres connaissances qui lui furent utiles, et par lesquelles il parvint à avoir la fourniture des sels du Valais, qui lui valait vingt mille livres de rente. Sa fortune, assez belle, se borna là du côté' des hommes; mais du côté des femmes la presse y était il eut à choisir ; il choisit tout, et fit ce qu’il voulut. Ce qu’il y eut de plus rare, et de plus honorable pour lui, fut qu’ayant des liaisons dans tous les états, il fut partout chéri, recherché de tout le monde, sans jamais être envié ni haï de personne; et je crois qu’il est mort sans avoir un seul ennemi. Heureux homme ! Il venait tous les ans aux bains d’Aix, où se rassemble la bonne compagnie des pays voisins. Lié avec toute la noblesse de Savoie, il venait d’Aix à Chambéri voir le comte de Belle- garde et son père le marquis d’Antrcmontr, chez qui maman fit et me fit faire connaissance avec lui. Cette connaissance, qui semblait devoir n’aboutir à rien et fut nombre d’années interrompue , se renouvela dans l’occasion que je dirai, et devint un véritable attachement. C’est assez pour m’autoriser à parler d’un ami avec lequel j’ai élé si 566 LES C0WE8SÎ0XS. - étroitement iié mais quand je ne prendrais aucun intérêt à sa mémoire, c’était un homme si aimable et si heureusement né, que, pour l’honneur de l’espèce humaine, je la croirais toujours bonne à conserver. Cet homme si charmant avait pourtant ses défauts ainsi que les autres, comme on pourra voir ci-après ; mais s’il ne les eût pas eus, peut-être eût-il été moins aimable. Pour le rendre intéressant autant qu’il pouvait l’être, il fallait qu’on eût quelque chose à lui pardonner. U ne autre liaison du même temps n’est pas éteinte,, et me leurre encore de cet espoir du bonheur temporel qui meurt si difficilement dans le cœur de l’homme. M. de Conzië, gentilhomme savoyard, alors jeune et aimable , eut la fantaisie d’apprendre la musique, ou plutôt de faire connaissance avec, celui qui l’enseignait. Avec de l’esprit et du goût pour les belles connaissances,. M. de Conzié avait une douceur de caractère qui le rendait très-liant, et je l’étais beaucoup moi-même pour les gens en qui je la trouvais. La liaison fut bientôt faite i-_ Le germe de littérature et de philosophie qui commençait à fermenter dans ma tête, et qui n’attendait qu’un peu de culture et d’émulation pour se développer tout-à-fait, les trouvait en lui. M. de Conzié avait peu de disposition pour la musique j ce fut un bien pour moi les heures des leçons se passaient à tout autre chose qu’à solfier. Nous déjeunions , nous causions , nous lisions quelques nouveautés, et pas un mqt de musique. La correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse faisait i Je l’ai revu depuis, et je l’ai trouve' totalement transformé. O le grand magicien que M. de Choiseul ! Aucune de mes anciennes connaissances, n’a échappé à ses métamorphoses. ' MRTtE ! , IrVKE V. 56 ? tin bruit alors *' nous nous entreten ions souvent de ces deux hommes célèbres, dont l’un , depuis peu sur le trône ** , s’annonçait déjà tel qu’il devait un jour se montrer; et dont l’autre, aussi décrié qu’il est admiré maintenant, nous faisait plaindre le malheur qui semblait le poursuivre, et qu’on voit si souvent être l’apanage des grands ta- lens. Le prince de Prusse avait été peu heureux dans sa jeunesse, et Voltaire semblait fait pour ne l’être jamais. L’intérêt que nous prenions à l’un et à l’autre s’étendait à tout ce qui s’y rapportait. Rien de tout ce qu’écrivait Voltaire ne nous échappait. Le goût que je pris à ces lectures m’inspira le désir d’apprendre à écrire avec élégance, et de tâcher d’imiter le beau coloris de cet auteur dont j’étais enchanté. Quelque temps après parurent * Cette correspondance avait commencé le 8 août ijîG, par une lettre de Frédéric qui n’était que prince royal elle ne cessa point à son avènement au trône. Mais il ne peut être question que de cette première partie , composée de cent vingt trois lettres. La dernière est du 18 mai ir/jo. Ces lettres n’ont été publiées en recueil pour la première fois qu’en ly 45 ; mais, long-temps avant cette époque, il en avait paru dans des journaux;et Voltaire , qui devait être flatté de ce commerce épistolaire, n’avait aucune raison d’être discret. Il est probable qu’il avait répandu par la voie de l’impression plusieurs de ces lettres. Ce point pourra par la suite être e'clairci par le savant éditeur de ses OElivres , M. Beuchot, Notre conjecture est autorisée par la nécessité où nous sommes de ne point dépasser l’année i’j/ji, la dernière du séjour de aux Charmettes ; et de ne pas oublier qu’il est question de ses études , soit a Cliambérisoit dans cette campagne. Voyez la note qui termine ce volume sur les transpositions de temps et de lieu faites par dans la première partie de ses Confessions, **Le i" juin 174°* IES COKFESSIQKS. - fiüS scs Lettres philosophiques * quoiqu’elles ne soient assurément pas son meilleur ouvrage , cc fut celui qui m’attira le plus vers l’étude; et ce goût naissant ne s’éteignit plus depuis ce temps-là. Mais le moment n’était pas venu de m’y livrer tout de bon. Il me restait encore un penchant un peu volage, un désir d’aller et venir qui s’était plutôt borné qu’éteint, et que nourrissait le train de la maison de madame de Warens, trop bruyant pour mon humeur solitaire. Ce tas d’inconnus qui lui affluaient journellement de toutes parts, et la persuasion où j’étais que tous ces gens-là ne chèr- chaienf qu’à la duper chacun à sa manière, me faisaient un vrai tourment de mon habitation. Depuis qu’ayant succédé à Claude Anet dans la confidence de sa maîtresse je suivais de plus près l’état de ses affaires, j’y voyais un progrès en mal dont j’étais effrayé. J’avais cent fois remontré , prié, pressé, conjuré, et toujours inutilement. Je m’étais jeté à ses pieds, je lai avais fortement représenté la catastrophe qui la menaçait , je l’avais vivement exhortée à réformer sa dépense , à commencer par moi, à souffrir plutôt un peu tandis qu’elle était encore jeune , que, multipliant toujours ses dettes et ses créanciers, de s’exposer sur ses vieux jours à leurs vexations et à la misère. Sensible à mon zèle, elle s’attendrissait avec moi, et me promettait les plus belles choses du monde. Un croquant arrivait-il? à l’instant tout était oublié, * La première édition de ces letlres est dé 17B 4 , d’après M. Bouchot, connu par l’exactitude de ses recherches ; d’où il suit que commet mie erreur en supposant que les Lettres philosophiques ne parurent qu’après la correspondance de Frédéric, f^oyez la note qui se trouve à la fin de ce volume. PARTIE I , LIVRE V. 56g Après mille épreuves de l’inutilité de mes remontrances , que me restait-il à faire que de détourner les yeux du mal que je ne pouvais prévenir ? je m’éloignais de la maison dont je ne pouvais garder la porte ; je faisais de petits voyages à Nyon, à Genève , à Lyon, qui, m’étourdissant sur ma peine secrète , en augmentaient en - même temps le sujet par ma dépense. Je puis jurer que j’en aurais souffert tous les retranchemens avec joie si maman eût vraiment profité de cette épargne mais certain que ce que je me refusais passait à des fripons , j’abusais de sa facilité pour partager avec eux; et, comme le chien qui revient de la boucherie , j’emportais mon lopin du morceau que je n’avais pu sauver. Les prétextes ne me manquaient pas pour tous ces voyages ; et maman seule m’en eût fourni de reste, tant elle avait partout de liaisons, de négociations , d’affaires, de commissions à donner à quelqu’un de sûr. Elle ne demandait qu’à m’envoyer, je ne demandais qu’à aller ; cela ne pouvait manquer de faire une vie assez ambulante. Ces voyages me mirent à portée de faire quelques bonnes connaissances qui m’ont été dans la suite agréables ou utiles entre autres, à Lyon, celle de M. Perrichon, que je me reproche de n’avoir pas assez cultivée , vu les bontés qu’il a eues pour moi ; celle du bon Parisot, dont je parlerai dans son temps à Grenoble, celle de madame et de madame la présidente de Bardonanehe , femme d’esprit, et qui m’eût pris en amitié si j’avais été à portée de la voir plus souvent à Genève, celle de M. de La Closure, résident de France, qui me parlait souvent de ma mère, dont, malgré la mort et le temps, son cœur n’avait pu se SyG» ÎÏ8 CONFESSIONS. dépreudre; celle des deux Barrillot, dont le père, qui m’appelait son petit-fils , était d’une société très-aimable, et l’un des plus dignes hommes que j’aie jamais connus. Durant les troubles de la république, ces deux citoyens se jetèrent dans les deux partis contraires ; lé fils dans celui de la bourgeoisie , le père dans celui du magistrat; et lorsque l’on prit les armes en 1737, je vis, étant à Genève, le père et le fils sortir armés de la même maison, l’un pour monter à l’hôtel de ville, l’autre pour se rendre à son quartier, sûrs de se trouver, deux heures après, l’un vis-à-vis de l’autre, exposés à s’entr’égorger. Ce spectacle affreux me fit une impression si vive, que je jurai de ne tremper jamais dans aucune guerre civile; et, si jamais je rentrais dans mes droits de citoyen, de ne soutenir jamais au dedans la liberté par les armes, ni de ma personne, ni de mon aveu. Je me rends le témoignage d’avoir tenu ce serment dans une occasion délicate; et l’on trouvera, du moins je le pense, que cette modération fut de quelque prix. Mais je n’en étais pas encore à cette première fermentation de patriotisme que Genève en armes excita dans mon cœur. On jugera combien j’en étais loin par un fait très-grave à ma charge que j’ai oublié de mettre à sa place, et qui ne doit pas être omis. Mon oncle Bernard était depuis quelques années passé à la Caroline pour y faire bâtir la ville de Charlestown , dont il avait donné le plan. Il y mourut peu après; mon pauvre cousin était aussi mort au service du roi de Prusse ; et ma tante perdit ainsi son fils et son mari presque en même , temps. Ces pertes réchauffèrent un peu son amitié mtre t, mss v. ïyr pour le plus proche parent qui lui restât, et qui était moi. Quand j’allais à Genève, je logeais chez elle , et je m’amusais à feuilleter les livres et papiers que mon oncle avait laissés. J’y trouvai beaucoup de pièces curieuses et des lettres dont assurément on ne se douterait pas. Ma tante, qui faisait- peu de cas de ces paperasses, m’eût laissé tout emporter si j’avais voulu. Je me contentai de deux ou trois livres commentés de la main de moi* grand-père Bernard le ministre , et entre autres les OEuvres posthumes de Rohault , in-quarto , dont les marges étaient pleines d’excellens scolies, qui me firent aimer les mathématiques. Ce livre est resté parmi ceux de madame de’Warens; j’ai tou-t jours été fâché de ne l’avoir pas gardé. A ces livres 1 je joignis cinq ou six mémoires manuscrits, et un- seul imprimé, qui était du fameux Micheli Ducret, homme d’un grand talent, savant, éclairé, mais trop remuant, traité bien crueiiement parles magistrats de Genève, et mort dernièrement au château d’Arberg, où il était enfermé depuis longues années, pour avoir, disait - on , trempé dans la conspiration de Berne. Ce mémoire était une critique assez judicieuse de ce grand et ridicule plan de fortification qu’on a exécuté en partie à Genève, à la grande risée des gens du métier, qui ne savent pas le but secret qu’avait le conseil dans l’exécution de cette magnifique entreprise. M. Micheli, ayant été exclus de la chambre des fortifications pour avoir blâmé ce plan, avait cru, comme membre des deux-cents et même comme citoyen, pouvoir en dire son avis plus au long et c’était ce qu’il avait fait par ce mémoire qu’il eut l’imprudence de faire imprimer* mais non pas publier ; car il n’en fit tirer que le, 5j2 ies confessioks. nombre d’exemplaires qu’il envoyait aux deux- cents, et qui furent tous interceptés à la poste par ordre du petit conseil. Je trouvai ce mémoire parmi les papiers de mon oncle, avec la réponse qu’il avait été chargé d’y faire, et j’emportai l’un et l’autre. J’avais fait ce voyage peu après ma sortie du cadastre, et j’étais demeuré en quelque liaison avec l’avocat Coccelli, qui en était le chef. Quelque temps après, le directeur de la douane s’avisa de me prier de lui tenir un enfant, et me donna madame Coccelli pour commère. Les honneurs me tournaient la tête, et, fier d’appartenir de si près à M. l’avocat, je tâchais de faire l’important pour me montrer digne de cette gloire. Dans cette idée je crus ne pouvoir rien faire de mieux que de lui montrer mon mémoire imprimé de M. Micheli, qui réellement était une pièce rare, pour lui prouver que j’appartenais à des notables de Genève qui savaient les secrets de l’état. Cependant , par une demi-réserve dont j’aurais peine à rendre raison , je ne lui montrai point la réponse de mon on cle à ce mémoire, peut-être parce qu’elle était manuscrite, et qu’il ne fallait à M. l’avocat que du moulé. Il sentit pourtant si bien le prix de l’écrit que j’eus la bêtise de lui confier, que je ne pus jamais le ravoir ni le revoir; et, bien convaincu de l’inutilité de mes efforts, je me fis un mérite de la chose et transformai ce vol en présent. Je ne doute pas un moment qu’il n’ait bien fait valoir à la cour de Turin cette pièce., plus eu- j rieuse cependant qu’utile, et qu’il n’ait eu grand I soin de se faire rembourser de manière ou d’autre j de l’argent qu’il lui en avait dû coûter pour l’acquérir. Heureusement, de tous les futurs contin- gens, un des moins probables est qu’un jour le roi PARTIE I, LIVRE V. 575 de Sardaigne assiégera Genève. Mais comme il n’y a pas d’impossibilité à la chose, j’aurai toujours à reprocher à ma sotte vanité d’avoir montré les plus grands défauts de cette place à son plus ancien ennemi. Je passai deux ou trois ans de cette façon entre la musique, les magistères, les projets, les voyages, flottant incessamment d’une chose à l’autre, cherchant à me fixer sans savoir à quoi, mais entraîné pourtant par degrés vers l’étude, voyant des gens de lettres , entendant parler de littérature, me mêlant quelquefois d’en parler moi-même , et prenant plutôt le jargon des livres que la connaissance de leur contenu. Dans mes voyages de Genève j’al- 1 ais de temps en temps voir en passant mon ancien bon ami M. Simon, qui fomentait beaucoup mon émulation naissantepar des nouvelles toutes fraîches de la république des lettres, tirées de Baillet ou de Colomiés. Je voyais aussi beaucoup à Chambéri un jacobin, professeur de physique, bon homme de moine dont j’ai oublié le nom, et qui faisait souvent de petites expériences qui m’amusaient extrêmement. Je voulus à son exemple , et aidé des Récréations mathématiques d'Ozanam , faire de l’encre de sympathie. Pour cet effet, après avoir rempli une bouteille plus qu’à demi de chaux vive, d’orpiment et d’eau, je la bouchai bien. L’effervescence commença presque à l'instant très-violemment. Je courus à la bouteille pour la déboucher, mais je u’yfus pasàtemps; elle me sauta au visage comme une bombe. J’avalai de l’orpiment, de la chaux, j’en faillis mourir. Je restai aveugle plus de six semaines, et j’appris ainsi a ne pas me mêler de physique expérimentale sans en savoir lés élé- mens. IBS CONFESSIONS. Cette aventure m’arriva mal à propos pour ma santé, qui depuis quelque temps s’altérait sensiblement. .le ne sais d’où venait qu’étant bien conformé par le coffre, et ne faisant d’excès d’aucune espèce, je déclinais à vue d’œil. J’aiuneassez bonne carrure, la poitrine large, mes poumons doivent y jouer à l’aise ; cependant j’avais la courte haleine, je me sentais oppressé, je soupirais involontairement, j’avais des palpitations, je crachais du sang; la fièvre survint, et je n’en ai jamais été bien quitte. Comment peut-on tomber dans cet état à la fleur de l’âge, sans avoir aucun viscère vicié, sans avoir rien fait pour détruire sa santé? L’épée use le fourreau, dit-on quelquefois voilà mon histoire. Mes passions m’ont fait vivre , et mes passions m’ont tué. Quelles passions?dira-t-on. Des riens ; les choses dumonde les plus puériles, mais qui m’affectaient comme s’il se fût agi de la possession d’Hélène ou du trône de l’univers. D’abord, les femmes. Quand j’en eus une, mes sens furent tranquilles, mais mon cœur ne le fut jamais les besoins de l’amour me dévoraient, même au sein de ' la jouissance. J’avais une tendre mère, une amie chérie, mais il me fallait une maîtresse. Je me la figurais à sa place; je me la créais de mille façons pour me donner le change à moi-même. Si j’avais cru tenir maman dans mes bras quand je l’y tenais, mes étreintes n’auraient pas été moins vives , mais tous mes désirs se seraient éteints; j’aurais sangloté de tendresse, mais je n’aurais pas joui. Jouir! ce sort est-il fait pour l’homme ? Ah ! si jamais une seule fois en ma vie j’avais goûté toutes les délices de l’amour, je n’imagine pas que ma frêle existence y eût pu suffire je serais mort sur le fait. J’étais donc brûlant d’amour sans objet, et c’est ÏABTIE I, LIVRE V. 375 peut-être ainsi qu’il épuise le plus. J’étais inquiet, tourmenté du mauvais état des affaires de ma pauvre maman, et de son imprudente conduite, qui 11e pouvait manquer d’opérer sa ruine totale en peu de temps. Ma cruelle imagination, qui va toujours au-devant des malheurs, me montrait celui-là sans cesse dans tout son excès et dans toutes ses suites. Je me voyais d’avance forcément séparé par la misère de celle à qui j’avais consacré ma vie, et sans qui je n’en pouvais jouir. Voilà comment j’avais toujours l’âme agitée. Les désirs et les craintes me dévoraient alternativement. La musique était pour moi une autre passion moinsfougueuse,mais non moins consumante , par l’ardeur avec laquelle je m’y livrais, par l'étude opiniâtre des obscurs livres de Rameau, par mon invincible obstination à vouloir en charger ma mémoire quis’y refusait toujours,par mes courses continuelles, par les compilations immenses que j’entassais, passant souvent à copier les nuits entières. Et pourquoi m’arrêter aux choses permanentes, tandis que toutes les folies qui passaient dans mon inconstante tête, les goûts fugitifs d’un seul jour, un voyage, un concert, un souper, une promenade à faire, un roman à lire, une comédie à voir, tout ce qui était le moins du monde prémédité dans mes plaisirs ou dans mes affaires, devenaient pour moi tout autant de passions violentes, qui, dans leur impétuosité ridicule, me donnaient le plus vrai tourment. La lecture des malheurs imaginaires de Cléveland, faite avecfureur et souvent interrompue, m’a fait faire, je crois, plus de mauvais sang que les miens. Il y avait un Génevois nommé Bagueret, lequel avait été employé sous Pierre-le-Grand à la cour 5rG 1ES CONFESSIONS, de Russie; un des plus vilains hommes malgré sa belle figure, et des plus grands fous que j’aie jamais vus, touiours plein de projets aussi fous que lui, qui faisait tomber les millions comme la pluie, et à qui les zéros ne coûtaient rieu. Cet homme, étant venu à Chambéri pour quelque procès au sénat, ne manqua pas de s’emparer de maman; et, pour ses trésors de zéros qu’il lui prodiguait généreusement, il lui tirait ses pauvres écus pièce à pièce. Je ne l’aimais point, il le voyait; avec moi cela n’était pas difficile il n’y avait sorte de bassesse qu’il n’employât pour me cajoler. Il s’avisa de vouloir m’apprendre les échecs qu’il jouait un peu. J’essayai presque malgré moi; et après avoir, tant bien que mal, appris la marche, mon progrès fut si rapide qu avant la fin de la première séance je lui donnai la tour qu’il m’avait donnée en commençant. 11 ne m’en fallut pas davantage me voilà forcené des échecs. J’achète un échiquier, j’achète le Caiaêrois ; je m’enferme dans ma chambre, j’y passe les jours et les nuits à vouloir apprendre par cœur toutes les parties, à les fourrer dans ma tête bon gré mal gré, à jouer seul sans relâche et sans fin. Après deux ou trois mois de ce beau travail et d’eftorts inimaginables, je vais au café , maigre, jaune et presque hébété. Je m’essaie, je rejoue avec M. Bagueret ; il me bat une fois, deux fois, vingt fois tant de combinaisons s’étaient brouillées dans ma tête, et mon imagination s’était j si bien amortie, que je ne voyais plus qu’un nuage devantmoi. Toutes lesfois qu’avec le livre de Philidor ou celui de Stamma j’ai voulu m’exercer à étudier des parties, la même chose m’est arrivée; et après m’être épuisé de fatigue, je me suis trouvé plus faible qu’auparavant. Du reste, que j’aie abandonné les PARTIE I , IIVISE V. 5^7 échecs, en qu’en jouant je me sois remis en haleine, je n’ai jamais avancé d’un cran depuis cette première séance, et jemepuis toujours retrouvé au même point où j’étais en la finissant. Je m’exercerais des milliers de siècles, que je finirais par pouvoir donner la tour à Bagueret, et rien de plus. V oilà du temps bien employé ! direz-vous. Et je n’y en ai pas employé peu. Je ne finiscepremier essai que quand je n’eus plus la force de continuer. Quand j’allai me montrer sortant de ma chambre, j’avais l’air d’un déterré, et suivant le même train je n’aurais pas resté déterré long-temps. On conviendra qu’il est difficile, et surtout dans l’ardeur de la jeunesse, qu’une pareille tête laisse toujours le corps eu santé. L’altération de la mienne agit sur mon humeur et tempéra l’ardeur de mes fantaisies. Me sentant affaiblir, je devins plus tranquille et perdis un peu la fureur des voyages. Plus sédentaire, je fus pris non de l’ennui, mais de la mélancolie; les vapeurs succédèrent aux passions; ma langueur devint tristesse; je pleurais et soupirais à propos de rien; je sentais la vie m’échapper sans l’avoir goûtée je gémissais sur l’état où je laissais ma pauvre maman, sur celui où je la voyais prête à tomber; je puis dire que la quitter et la laisser à plaindre était mon unique regret. Enfin je tombai tout-à-fait malade. Elle me soigna comme jamais mère n’a soigné son enfant; et cela lui fit du bien à elle- même, en faisant diversion aux projets et tenant écartés les projeteurs. Quelle douce mort, si alors elle fût venue! Si j’avais peu goûté les biens de la vie, j’en avais peu senti les malheurs. Mon âme paisible pouvait partir sans le sentiment cruel de l’injustice des hommes qui empoisonne la vie et lâ j. * 16 Z»7& .IBS COKFESStOSS. mort. J’avais'la consolation de me survivre dans la meilleure partie de moi-même; c’était à peine mourir. Sans les inquiétudes que j’avais sur son sort je serais mort comme j’aurais pu m’endormir; et ces inquiétudes mêmes avaient un objet affectueux et tendre qui en tempérait l’amertume. Je lui disais Vous voilà dépositaire de tout mon être, faites en sorte qu’il soit heureux. Deux ou trois fois, quand j’étais le plus mal, il m’arriva de me lever dans la nuit et de me traîner à sa chambre pour lui donner sur sa conduite des conseils, j’ose dire pleins de justesse et de sens, mais où l’intérêt que je prenais à son sort se marquait mieux que toute autre chose. Comme si les pleurs étaient ma nourriture et mon remède, je me fortifiais de ceux que je versais auprès d’elle, avec elle, assis sur son lit, et tenant ses mains dans les miennes. Les heures coulaient dans ces entretiens nocturnes, et je m’en retournais en meilleur état que je n’étais venu; content et calme dans les promesses qu’elle m’avait faites, dans les espérances qu’elle m’avait données, je m’endormais là-dessus avec la paix du cœur et la résignation à la Providence. Plaise à Dieu qu’avec tant de sujets de haïr la vie, après tant d’orages qui ont agité la mienne et qui ne m’en font plus qu’un fardeau, la mort qui doit la terminer me soit aussi peu cruelle qu’elle me l’eût été dans ce moment-là ! A force de soins, de vigilance et d’incroyables peines, elle me sauva, et peut-être elle seule pouvait me sauver. J’ai peu de foi à la médecine des médecins ; mais j’en ai beaucoup à celle des vrais amis les choses dont notre bonheur dépend se fout toujours mieux que les autres. S’il y a dans la Vie un sentiment délicieux, c’est celui que nous PARTIE I, LIVRE V. 3?Q éprouvâmes de nous être rendus l’un à l’autre. Notre attachement mutuel n’en augmenta pas, cela n’était pas possible ; mais il prit je ne sais quoi de plus intime, de plus touchant dans sa grande simplicité. Je devenais tout-à-fait son œuvre, tout- à-fait son enfant, et plus que si elle eût été ma vraie mère. Nous commençâmes, sans y songer, à ne plus nous séparer l’un de l’autre, à mettre en quelque sorte toute notre existence en commun ; et, sentant que réciproquement nous nous étions non-seulement nécessaires, mais sufïisans, nous nous accoutumâmes à ne plus penser à rien d’étranger à nous, à borner absolument notre bonheur et tous nos désirs à cette possession mutuelle et peut-être unique parmi les humains, qui n’était point, comme je l’ai dit, celle de l’amour, mais une possession plus essentielle, qui, sans tenir aux sens, au sexe, à l’âge, à la figure, tenait à tout ce par quoi l’on est soi, et qu’on ne peut perdre qu’en cessant d’être. A quoi tint-il que cette précieuse crise n’amenât le bonheur du reste de ses jours et des miens? Ce ne fut pas à moi, je m’en rends le consolant témoignage. Ce ne fut pourtant pas non plus à elle.,, du moins à sa volonté. Il était écrit que bientôt l’invincible nature reprendrait son empire. Mais ce fatal retour ne se fit pas tout d’un coup. Il y eut, grâces au ciel, un intervalle qui n’a pas fini par ma faute, et dont je ne me reprocherai pas d’avoir mal profité. Quoique guéri de ma grande maladie, je n’avais pas repris ma vigqgur. Ma poitrine n’était pas rétablie; un reste de fièvre durait toujours et me tenait en langueur. Je n’avais plus de goût à rien qu’à finir mes jours près de celle qui m’était chère j, 58o LE3 CONFESSIONS. i à la maintenir dans ses bonnes résolutions, à lui i foire sentir en quoi consistait le vrai charme d’une vie heureuse, à rendre la sienne telle, autant qu’il dépendait de moi; mais je voyais, je sentais même que dans une maison sombre et triste la continuelle solitude du tête-à-tête deviendrait à . la fin triste aussi. Le remède à cela se présenta f comme de lui-même. Maman m’avait ordonné le lait, et voulait que j’allasse le prendre à la campagne. J’y consentis, pourvu qu’elle y vînt avec moi. Il n’en fallut pas davantage pour la détermi- ; ner; il ne s’agit plus que du choix du lieu. Le jardin du faubourg n’était pas proprement à la campagne; entouré de maisons et d’autres jardins, il n’avait point les attraits d’une retraite champêtre. D’ailleurs, après la mort d’Anet nous avions quitté ce jardin pour raison d’économie, n’ayant plus à cœur d’y tenir des plantes, et d’autres vues nous faisant peu regretter ce réduit. Profitant alors du dégoût que je lui trouvai pour la ville, je lui proposai de l’abandonner tout-à-fait, et de nous établir dans une solitude agréable, dans quelque petite maison assez éloignée pour dérùuter ! les importuns. Elle l’eût fait, et ce parti, que son bon ange et le mien me suggéraient, nous eût vraisemblablement assuré des jours heureux et tranquilles j jusqu’au moment où la mort nous aurait séparés ; mais cet état n’était pas celui où nous étions appelés. Maman devait éprouver toutes les peines de l’indigence et du mal-être, après avoir passé sa vie dans l’abondance, pour la lui faire quitter avec moins de regret; et moi, par jjpi assemblage de maux de toute espèce, je devais être un jour en exemple à quiconque, inspiré du seul amour du bien public et de la justice, ose, fort de sa seule in- , PARTIE I, LIVRE V. 58 r nocence, dire ouvertement la vérité aux hommes, sans s’étayer par des cabales, sans s’être feit des partis pour le protéger. Une malheureuse crainte la retint. Elle n’osa quitter sa vilaine maison de peur de fâcher le propriétaire. Ton projet de retraite, me dit-elle, est charmant et fort de mon goût; mais dans cette retraite il faut vivre. En quittant ma prison, je risque de perdre mon pain; et quand nous n’en aurons plus dans les bois, il en faudra bien retourner chercher à la ville. Pour avoir moins besoin d’y venir, ne la quittons pas tout-à-fait. Payons celte petite pension au comte de Saint-Laurent pour qu’il me laisse la mienne. Cherchons quelque réduit assez loin de la ville pour vivre en paix, et assez près pour y revenir toutes les fois qu’il sera nécessaire. Ainsi fut fait. Après avoir un peu cherché, nous nous fixâmes aux Charmettes, terre de SI. de Conzié, à la porte de Chambéri, mais retirée et solitaire comme si l’on était à cent lieues. Entre deux coteaux élevés est un petit vallon nord et sud, au fond duquel coule une rigole entre des cailloux et des arbres. Le long de ce vallon à mi-côte sont quelques maisons éparses, fort agréables pour quiconque aime un asile un peu sauvage et retiré. Après avoir essayé deux ou trois de ces maisons, nous choisîmes enfin la plus jolie, appartenant à un gentilhomme qui était au service, appelé M. Noi- ret. La maison était très-logeable au-devant, un jardin en terrasse; une vigne, au-dessus, un verger au-dessous; vis-à-vis, un petit bois de châtaigniers; une fontaine à porté»; plus haut dans la montagne, des prés pour l’entretien du bétail; enfin tout ce qu’il fallait pour le petit ménage champêtre que nous y voulions établir. Autant que je puis me rap- 58 » ms confessions. ' peler les temps et les dates, nous en prîmes pos- session”vers la fin de l’été de 1 ^ 36 . J’étais transporté le premier jour que nous y couchâmes. O maman ! dis-je à cette chère amie en l’embrassant et l’inondant de larmes d’attendrissement et de joie, ce- séjour est celui du bonheur et de l’innocence. Si nous ne les trouvons pas ici l’un avec l’autre, il ne les faut chercher nulle part. SIM DU 11VRE CINQUIÈME, JMRTIE I, LIVRE VI. 383 LIVRE SIXIÈME. i ! Hoc erat in votis .• modus agri non ita magnus, Hortus ubi, et tecto vicinus jngis aquœ J'ons , JËt paulùm silvœ super his Joret.... Hou. , liv.. II, sat-. 6 ,V. i. Je ne puis pas ajouter ....Aucliàs ait pie Di ineliiis Jecêre ..~.. Mais n’importe, il ne m’en fallait pas davantage I il ne m’en fallait pas même la" propriété c’était ! assez pour moi de la jouissance ; il y a long-temps que j’ai dit et senti que le propriétaire et le possesseur sont souvent deux personnes très-différentes, même en laissant à part les maris et les amans. Ici commence le court bonheur de ma vie; ici viennent les paisibles mais rapides momens qui j m’ont donné le droit de dire que j’ai vécu. Momens ' précieux et si regrettés! ah! recommencez pour I moi votre aimable cours; coulez plus lentement dans mon souvenir, s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. Comment ferai-je pour prolonger à mon gré ce récit si touchant et si simple, pour redire toujours les. mêmes choses, et n’ennuyer pas plus mes lecteurs, çn les répétant que je ne m’ennuyais moi-même, en les recommençant sans cesse ? Encore si tout cela consistait en faits, en actions, en paroles, je. t pourrais le décrire et le rendre en quelque façon;, mais comment dire ce qui n’était ni dit, ni fait, ni. pensé même, mais senti, sans que je puisse énoncer d’autre objet de mon bonheur que ce sentiment, même? Je me levais avec le soleil, et j’étais heureux.; je me promenais, et j’étais heureux; je voyais. tES CONFESSIONS. 384 maman, et j’étais heureux; je parcourais les bois, les coteaux, j’errais dans les vallons, je lisais, j’étais oisif, je travaillais au jardin, je cueillais les fruits, j’aidais au ménage, et le bonheur me suivait partout il n’était dans aucune chose assignable, il était tout en moi-même, il ne pouvait me quitter un seul instant. Rien de tout ce qui m’est arrivé durant cette époque chérie, rien de ce que j’ai fait, dit et pensé tout le temps qu’elle a duré, n’est échappé de ma mémoire. Les temps qui précèdent et qui suivent me reviennent par in tervalles. Je me les rappelle inégalement et confusément ; mais je me rappelle celui-là tout entier comme s’il durait encore. Mon imagination, qui dans ma jeunesse allait toujours en avant et maintenant rétrograde, compense par ces doux souvenirs l’espoir que j’ai pour jamais perdu. Je ne vois plus rien dans l’avenir qui me j tente les seuls retours du passé peuvent me fiat- ter; et ces retours, si vifs et si vrais dans l’époque ; dont je parle, me font souvent vivre heureux malgré mes malheurs. Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra faire juger de leur force et de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes cou- > cher aux Charmettes, maman était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte ; elle était assez pesante; et craignant de trop fatiguer ses porteurs , elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit Voilà de la pervenche encore en fleur. Je n’avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l’examiner , et j’ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ^ PARTIE I, LIVRE VI. 385 ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d’œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j’aie revu de la pervenche, ou que j’y aie fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M. du Peyrou , nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il y a un joli salon qu’il appelle avec raison Bellevue. Je commençais alors d’herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie Ah ! voilà de la pervenche ! et c’en était en effet. Du Peyrou s’aperçut du transport, mais il en ignorait la cause; il l’apprendra, je l’espère, lorsqu’un jour il lira ceci. Le lecteur peut juger par l’impression d’un si .petit objet, de celle que m’ont faite tous ceux qui se rapportent à la même époque. Cependant l’air de la campagne ne me rendit point ma première santé. J’étais languissant; je le devins davantage. Je ne pus supporter le lait , il fallut le quitter. C’était alors la mode de l’eau pour tout remède ; je me mis à l’eau , et si peu discrètement qu’elle faillit me guérir non de mes matix, mais delà vie. Tous les matins en me levant j’allais à la fontaine avec un grand gobelet, et j’en buvais successivement, en me promenant, la valeur de deux bouteilles. Je quittai tout-à-fait le vin à mes repas. L’eau que je buvais était un peu crue et difficile à passer, comme sont la plupart des eaux de montagnes. Bref, je fis si bien qu’en moins de deux mois je me détruisis totalement l’estomac, que j’avais eu très-bon jusqu’alors. Ne digérant plus, je compris qu’il né fallait plus espérer de guérir. Dans ce même temps il m’arriva un accident aussi singulier par lui-même que par ses suites , qui ne finiront qu’avec moi. i- T 7. Î58Ü lES C0SFES3I0KS. Un matin que je n’étais pas plus mal qu’à l’ordinaire , en dressant une petite table sur son pied , je sentis dans tout mon corps une révolution subite et presque inconcevable. Je ne saurais mieux la comparer qu’à une espèce de tempête qui s’éleva dans mon sang , ët gagna dans l’instant tous mes membres. Mes artères se mirent à battre d’une si grande force, que non-seulement je sentais leur battement, mais que je l’entendais même, et surtout celui des carotides. Un grand bruit d’oreilles se joignit à cela et ce bruit était triple ou plutôt quadruple ; savoir, un bourdonnement grave et sourd , un murmure plus clair comme d’une eau courante,un sifflement très-aigu, et le battement que je viens de dire, dont je pouvais aisément compter les coups sans me tâter le pouls, ni toucher mon corps de mes mains. Ce bruit interne était si grand qu’il m’ôta la finesse d'ouïe que j’avais auparavant, et me rendit, non tout-à-fait sourd, mais dur d’oreille, comme je le suis depuis ce temps-là. On peut juger de ma surprise et de mon effroi. Je me crus mort. Je me mis au lit; le médecin fut appelé; je lui contai mon Cas en frémissant , et le jugeant sans remède. Je crois qu’il en pensa de même, mais il fit son métier. II m’enfila de longs raisonneiîiens où je ne compris rien du tout; puis, en conséquence de sa sublime théorie, il commença in animâ vili la cure expérimentale qu’il lui plut de tenter. Elle était si pénible, si dégoûtante, et opérait si peu, que je m’en lassai bientôt ; et, au bout de quelques semaines, voyant que je n’étais ni mieux ni pis, je quittai le lit et repris ma vie ordinaire avec mon battement d’artères et mes bourdonnemens, qui, depuis ce temps- PARTIS I, LIVRE VI. 387 là, c’est-à-dire depuis trente ans, ne m’ont pas quitté une minute. J’avais été jusqu’alors grand dormeur. La totale privation du sommeil qui se joignit à tous ces symptômes , et qui les a constamment accompagnés jusqu’ici, acheva de me persuader qu’il me restait peu de temps à vivre. Cette persuasion me tranquillisa pour un temps sur le soin de guérir. Ne pouvant prolonger ma vie, je résolus de tirer du peu qui m’en restait tout le parti qu’il était possible ; et cela se pouvait par une singulière faveur de la Providence, qui, dans un état si funeste, m’exemptait des douleurs qu’il semblait devoir m’attirer. J’étais importuné de ce bruit, mais je n’en souffrais pas il n’était accompagné d’aucune autre incommodité habituelle que de l’insomnie durant les nuits, et en tout temps d’une courte haleine qui n’allait pas jusqu’à l’asthme , et ne se faisait sentir que quand je voulais courir ou agir un peu fortement. Cet accident, qui devait tuer mon corps, ne tua que mes passions, et j’en bénis le ciel chaque jour pour l’heureux effet qu’il produisit sur mon âme. Je puis bien dire que je ne commençai de vivre que quand je me regardai comme un homme mort. Donnant leur véritable prix aux choses que j’allais quitter, je commençai de m’occuper de soins plus nobles , comme par anticipation sur ceux que j’aurais bientôt à remplir et que j’avais fort négligés jqsqu’alôrs. J’avais souvent travesti la religion à ma mode, mais je n’avais jamais été tout-à-fait sans religion. Il m’en coûta moins de revenir à ce sujet si triste pour tant de gens, mais si doux pour qui s'en fait un objet de consolation et d’espoir. Maman me fut en cette occasion beaucoup plus utile que tous les théologiens ne me l’auraient été. 588 1ES CONFESSIONS. Elle, qui meltail toute chose en système, n’avait pas manqué d’y mettre aussi la religion et cesys- tème était composé d’idées très-disparates; les unes très-saines, les autres très-folles; de sentimens relatifs à son caractère, et de préjugés venus de son éducation. En général, les croyans font Dieu comme ils sont eux-mêmes; les bons le font bon, les médians le font méchant, les dévots haineux et bilieux ne voient que l’enfer, parce qu’ils voudraient damner tout le monde ; les âmes aimantes et douces n’y croient guère et l’un des étonnemens dont je ne reviens point est de voir le bon Fénélon en parler dans son Télémaque, comme s’il y croyait tout de bon mais j’espère qu’il mentait alors; carenfm, quelque véridique qu’on soit, il faut bien mentir quelquefois quand on est évêque. Maman ne mentait pas avec moi, et cette âme sans fiel, qui ne pouvait imaginer un Dieu vindicatif et toujours courroucé, ne voyait que clémence et miséricorde où les dévots ne voient que justice et punition. Elle disait souvent qu’il n’y aurait point de justice en Dieu d’être juste envers nous, parce que ne nous ayant pas donné ce qu’il faut pour l'être, ce serait redemander plus qu’il n’a donné. Ce qu’il y avait de bizarre était que, sans croire à l’enfer, elle ne laissait pas de croire au purgatoire. Cela venait de ce qu’elle ne savait que faire de l’âme des mëchans, ne pouvant ni les damner, ni les mettre avec les bons, jusqu’à ce qu’ils le fussent devenus; et iifaut avouer qu’en effet, et dans ce monde et dans l’autre , les méchans sont toujours bien embarrassans. Autre bizarrerie. On voit que toute la doctrine du péché originel et de la rédemption est détruite par ce système, que la base du christianisme vulgaire en est ébranlée, et que le catholicisme au PARTIE I, XIVRE VI. 38j moins ne peut subsister. Maman cependant était bonne catholique, ou prétendait l’être, et il est sûr qu’elle te prétendait de très-bonne foi. Il lui semblait qu’on expliquait trop littéralement et trop durement les Écritures. Tout ce. qu’on y lit des tour- mens éternels lui paraissaitcomininatoire ou figuré. La mort de Jésus-Christ lui paraissait un exemple de charité vraiment divine pour apprendre aux hommes à aimer Dieu, et à s’entr’aimer entre eux de même. En un mot, fidèle à la religion qu’elle avait embrassée,“elle en admettait sincèrement toute la profession de foi; mais quand on venait à la discussion de chaque article , il se trouvait qu’elle croyait tout autrement que l’église, toujours en s’y soumettant. Elle avait là-dessus une simplicité de cœur, une franchise plus éloquente que des er- goteries, et qui souvent embarrassait jusqu’à son confesseur; car elle ne lui déguisait rien. Je suis bonne catholique, lui disait-elle, je veux toujours l’être; j’adopte de toutes les puissances de mon âme les décisions de la sainte mère église. Je ne suis pas maîtresse de ma foi, mais je le suis de ma volonté. Je la soumets sans réserve, et je veux tout croire. Que me demandez-vous de plus ? Quand il n’y aurait point eu de morale chrétienne, je crois qu’elle l’aurait suivie, tant elle s’adaptait bien à sou caractère. Elle faisait tout ce qui était ordonné; mais elle l’eût fait de même quand il n’aurait pas été ordonné. Dans les choses indifférentes elle aimait àobéir, et, s’il ne lui eût pas été permis, prescrit même, de faire gras, elle aurait fait maigre entre Dieu et elle , sans que la prudence eût eu besoin d’y entrer pour rien. Mais toute cette morale était subordonnée aux principes de M. deTavel, ou plutôt elle prétendait n’y rien voir de contraire. MES COFFESSIOSS. 5go Elle eût couché tous les jours avec vingt hommes en repos de conscience, et sans en avoir plus de scrupule que de désir. Je sais que force dévotes ne sont pas sur ce point fort scrupuleuses ; mais la différence èst qu’elles sont séduites par leurs passions, et qu’elle ne l’était que par ses sophismes. Dans les conversations les plus touchantes, et, j’ose dire, les plus édifiantes, elle fût tombée sur ce point sans changer ni d’air ni de ton, sans se croire en contradiction avec elle-même. Ellel’eût même interrompue au besoin pour le fait, et puis l’eût reprise •avec la même sérénité qu’auparavant tant elle était intimement persuadée que tout cela n’était qu’une maxime de police sociale, dont toute personne sensée pouvait faire l’interprétation, l’application, l’exception, selon l’esprit de la chose, sans le moindre risque d’offenser Dieu. Quoique sur ce point je ne fusse assurément pas de son avis, j’a- Vouequeje n’osais le combattre, honteux du rôle peu galant qu’il m’aurait fallu faire pour cela. J’aurais bien cherché d’établir la règle pour les autres en tâchant de m’en excepter, mais outre que son tempérament prévenait assez l’abus de ses principes, je savais qu’elle n’était pas femme à prendre le change, et que réclamer pour moi l’exception, c’était la lui laisser pour tous ceux qu’il lui plairait. Au reste je compte ici par occasion cette inconséquence avec les autres, quoiqu’elle ait eu toujours peu d’effet dans sa conduite et qu’alors elle n’en eût point du tout mais j’ai promis d’exposer fidèlement ses principes, et je veux tenir cet engagement. Je reviens à moi. Trouvant en elle toutes les maximes dont j’avais besoin pour garantir mon âme des terreurs de la mort et de ses suites, je puisais avec sécurité dans i'ARTIE 1, L1V8E VI. 591 cette source de confiance. 3e m’attachais à elle plus que je n’avais jamais fait; fauraisvoulutransporter toute en elle ma vie que je sentais prête à m’abandonner. De ce redoublement d’attachement pour elle, de la persuasion qu’il me restait peu de temps à vivre, de ma profonde sécurité sur mon sort avenir, résultait un état habituel très-calme et sensuel même, en ce que, amortissant toutes les passions qui portent au loin nos craintes et nos espérances, il me laissait jouir sans inquiétude et sans trouble du peu de jours qui m’étaient laissés. Une chose contribuait à les rendre plus agréables c’était le soin de nourrir son goût pour la campagne par tous les amusemens que j’y pouvais rassembler. En lui faisant aimer son jardin, sa basse-cour, pigeons, ses vaches, je m’alfectionnais moi-même à tout cela; et ces petites occupations, qui remplissaient ma journée sans troubler ma tranquillité, me valurent mieux que le lait et tous les remèdes pour conserver ma pauvre machine, et la rétablir même autant que cela se pouvait. Les vendanges, la récolte des fruits, nous amusèrent le reste de cette année, et nous attachèrent de plus en plus à la vie rustique au milieu des bonnes gens dont nous étions entourés. Nous vîmes venir l’hiver avec grand regret, et nous retournâmes à la ville comme nous serions allés en exil; moi surtout qui,, doutant de revoir Je printemps, croyais dire adieu pour toujours aux Charmettes. Je ne les quittai pas sans baiser la terre et les arbres, et sans me retourner plusieurs fois en m’en éloignant. Ayant quitté depuis long-temps mes écoliers , ayant perdu le goût des amusemens et des sociétés de la ville, je ne sortais plus, je ne voyais plus personne, excepté maman et M- Salomon, 592 MS CONFESSIONS. devenu depuis peu son médecin et le mien, honnête homme, homme d’esprit, grand cartésien , qui parlait assez bien du système du monde, et dont les entretiens agréables et instructifs me valurent mieux que toutes ses ordonnances. Je n’ai jamais pu supporter ce sot et niais remplissage des conversations ordinaires ; mais des conversations utiles et solides m’ont toujours fait grand plaisir, et je ne m’y suis jamais refusé. Je pris beaucoup de goût à celles de M. Salomon; il me semblait que j’anticipais avec lui sur ces hautes connaissances que mon âme allait acquérir quand elle aurait perdu ses entraves. Ce goût que j’avais pour lui S’étendit aux sujets qu’il traitait, et je commençais de rechercher les livres qui pouvaient m’aider à les mieux entendre. Ceux qui mêlaient la dévotion aux sciences m’étaient les plus convenables; tels étaient particulièrement ceux de l’Oratoire et de Port-Royal. Je me mis à les lire ou plutôt à les dévorer. Il m’en tomba dans les mains un du P. Lami, intitulé Entretiens sur les sciences. C’était une espèce d’introduction à la connaissance des livres qui en traitent. Je le lus et le relus cent fois; je résolus d’en faire mon guide. Enfin je me sentis entraîné peu à peu malgré mon état, ou plutôt par mon état, vers l’étude avec une force irrésistible; et, tout en regardant chaque jour comme le dernier de mes jours, j’étudiais avec autant d’ardeur que si j’avais dû toujours vivre. On disait que cela me faisait du mal; je crois, moi, que cela me fit du bien; et non-seulement à mon âme, mais à mon corps ; car cette application pour laquellë je me passionnais me devint si délicieuse, que, ne pensant plus à mes maux, j’en étais beaucoup moins affecté. Il est pourtant vrai que rien ne me procu- PARTIE I, LIVRE VI. Sg5 rait un soulagement réel ; mais, n’ayant pas de douleurs vives, je m’accoutumais à languir, à ne pas dormir, à penser au lieu d’agir, et enfin à regarder le dépérissement successif et lent de ma machine comme un progrès inévitable que la mort seule pouvait arrêter. Non-seulement cette opinion me détacha de tous les vains soins de la vie, mais elle me délivra de l’importunité des remèdes, auxquels on m’avait jusqu’alors soumis malgré moi. Salomon, convaincu que ses drogues ne pouvaient me sauver ; m’en épargna le déboire, et se contenta d’amuser la douleur de ma pauvre maman avec quelques- unes de ces ordonnances indifférentes qui flattent l’espoir du malade, et maintiennent le crédit du médecin. Je quittai l’étroit régime, je repris l’usage du vin, et tout le train de vie d’un homme en santé, selon la mesure de mes forces, sobre en toutes choses, mais ne m’abstenant de rien. Je sortis même et recommençai d’aller voir mes connaissances , surtout M. de Conzié, dont le commérce me plaisait fort. Enfin, soit qu’il me parût beau d’apprendre jusqu’à ma dernière heure, soit qu’un reste d’espoir de vivre se cachât au fond de mon cœur, l’attente de la mort, loin d’attiédir mon goût pour l’étude, semblait l’animer; et je me pressais d’amasser un peu d’acquis pour l’autre monde, comme si j’avais cru n’y avoir que celui que j’aurais emporté. Je pris en affection la boutique d’un libraire appelé Bouchard, où se rendaient quelques gens de lettres; et le printemps, que j’avais cru. ne pas revoir, étant proche, je m’assortis de quelques livres pour les Charmettes, en cas que j’eusse le bonheur d’y retourner. J’eus ce bonheur, et j’en profitai. La joie ayee 3g4 1ES CONFESSIONS. laquelle je vis les premiers bourgeons est inexprimable. Revoir le printemps était pour moi ressusciter en paradis. A peine les neiges commençaient à fondre que nous quittâmes notre cachot, et nous fûmes assez tôt aux Charmettes pour y avoir les prémices du rossignol. Dès lors je ne crus plus mourir; et réellement il est singulier que je n’aie jamais de grandes maladies à la campagne. J’y ai beaucoup souffert, mais je n’y ai jamais été alité. Souvent j ’ai dit, me sentan t plus mal qu ’à l’ordinaire Quand vous me verrez prêt à mourir, portez-moi sous un chêne ; je vous promets que j’en reviendrai. Quoique faible , je repris mes fonctions champêtres, mais d’une manière proportionnée à mes forces. J’eus un vrai chagrin de ne pouvoir faire le jardin tout seul; mais quand j’avais donné six coups de bêche, j’étais hors d’haleine, la sueur me ruisselait, je n’en pouvais plus. Quand j’étais baissé, mes battemens redoublaient, et le sang me montait à la tête avec tant de force, qu’il fallait bien vite me redresser. Contraint de me borner à des soins moins fatigans, je pris entre autres celui du colombier, et je m’y affectionnai si fort que j’y passais souvent plusieurs heures de suite sans m’ennuyer un moment. Le pigeon est fort timide, et difficile à apprivoiser. Cependant je vins à bout d’inspirer aux miens tant de confiance qu’ils me suivaient partout, et se laissaient prendre quand je voulais. Je ne pouvais paraître au jardin ni dans la cour sans en avoir à l’instant deux ou trois sur les bras, sur la tête; et enfin, malgré le plaisir que j’y prenais, ce cortège me devint si incommode, que je fus obligé de leur ôter cette familiarité. J’ai toujours pris un singulier plaisir à apprivoiser les animaux, surtout ceux qui sont craintifs et sauvages. PARTIE I, LIVRE VI. 5g5 11 me paraissait charmant de leur inspirer une confiance que je n’ai jamais trompée. Je voulais qu’ils m’aimassent en liberté. J’ai dit que j’avais apporté des livres. J’en fis usage, mais d’une manière moins propre à m’in- struire qu’à m’accabler. La fausse idée que j’avais des choses me persuadait que pour lire un livre avec fruit il fallait avoir toutes les connaissances qu’il supposait, bien éloigné de penser que souvent l’auteur ne les avait pas lui-même, et qu’il les puisait dans d’autres livres à mesure qu’il en avait besoin. Avec cette folle idée j’étais arrêté à chaque instant, forcé de courir incessamment d’un livre à l’autre ; et quelquefois, avant d’être à la dixième page de celui que je voulais étudier, il m’eût fallu épuiser des bibliothèques. Cependant je m’obstinai si bien à cette extravagante méthode, que j’y perdis un temps 1 infini, et faillis à me brouiller la tête au point de ne pouvoir plus ni rien voir ni rien savoir. Heureusement je m’aperçus que j’enfilais une fausse route qui m’égarait dans un labyrinthe immense, et j’en sortis avant d’y être tout-à-fait perdu. Pour peu qu’on ait un vrai goût pour les sciences, la première chose qu’on sent en s’y livrant, c’est leur liaison, qui fait qu’elles s’attirent, s’aident, s’éclairent mutuellement, et que l’une ne peut se passer de l’autre. Quoique l’esprit humain ne puisse tout embrasser, et qu’il en faille toujours préférer une comme la principale, si l’on n’a quelque notion des autres, dans la sienne même on se trouve souvent dans l’obscurité. Je sentis que ce que j’avais entrepris était bon et utile en lui-même, qu’il n’y avait que la méthode à changer. Prenant d’abord VEncyclopédie , j’allais la divisant dans ses branches; je vis qu’il fallait faire tout le contraire, les 596 lîiS CONFESSIOKS. prendre chacune séparément, et les poursuivre ainsi jusqu’au point où elles se réunissent. Ainsi je , revins à la synthèse ordinaire; mais j’y revins en homme qui sait ce qu’il fait. La méditation me 1 tenait en cela lieu de connaissances, et une réflexion très-naturelle aidait à me bien guider. Soit que je vécusse où que je mourusse, je n’avais point de temps à perdre. Ne rien savoir à près de vingt- cinq ans, et vouloir tout apprendre, c’est s’engager à bien mettre le temps à profit. Ne sachant à quel point le sort ou la mort pouvait arrêter mon zèle, je voulais, atout événement, acquérir des idées de toutes choses, tant pour sonder mes dispositions naturelles que pour juger par moi-même de ce qui j méritait le mieux d’être cultivé. j Je trouvai dans l’exécution de ce plan un autre 1 avantage auquel je n’avais pas pensé; celui de . mettre beaucoup de temps à profit. Il faut que je j ne sois pas né pour l’étude; car une longue application me fatigue à tel point qu’il m’est impossible de m’occuper une demi-heure de suite avec force du même sujet, surtout en suivant les idées d’autrui; car il m’est arrivé quelquefois de me livrer plus long-temps aux miennes, et même avec assez de succès. Quand j’ai suivi quelques pages d’un auteur qu’il faut lire avec application, mon esprit l’abandonne et se perd dans les nuages. Si je m’obstine, je m’épuise inutilement; les éblouissemens me prennent, je ne vois plus rien. Mais que des sujets dilfércns se succèdent, même sans interruption, .l’un me délasse de l’autre, et, sans avoir besoin de relâche, je les suis plus aisément. Je mis à profit cette observation dans mon plan d’études, et je les entremêlai tellement, que je m’occupais tout le jour et ne me fatiguais point. Il est vrai que les PARTIE I, LIVRE VI. 3g? soins champêtres et domestiques faisaient des diversions utiles; mais dans ma ferveur croissante je trouvai bientôt le moyen d’en ménager encore le temps pour l’étude, et de m’occuper à la fois de deux choses, sans songer que chacune en allait moins bien. Dans tant de menus détails qui me charment et dont j’excède souvent mon lecteur, je mets pourtant une discrétion dont il ne se douterait guère si je n’avais soin de l’en avèrtir. Ici, par exemple, je me rappelle avec plaisir tous les différens essais que je fis pour distribuer mon temps de façon que j’y trouvasse à la fois autant d’agrément et d’utilité qu’il était possible; et je puis dire que ce temps où je vivais dans la retraite, et toujours malade, fut celui de ma vie où je fus le moins oisif et le moins ennuyé. Deux ou trois mois se passèrent ainsi à tâter la pente de mon esprit, et à jouir, dans la plus belle saison de l'année et dans un lieu qu’elle rendait enchanté, du charme de la vie dont je sentais si bien le prix, de celui d’une société aussi libre que douce, si l’on peut donner le nom de société à une aussi parfaite union, et de celui des belles connaissances que je me proposais d’acquérir; car c’était pour moi comme si je les avais déjà possédées; ou plutôt c’était mieux encore, puisque le plaisir d’apprendi'e entrait pour beaucoup dans mon bonheur. Il faut passer sur ces essais qui tous étaient pour moi des jouissances, mais trop simples pour pouvoir être expliquées. Encore un coup, le vrai bon heur ne se décrit pas, il se sent, et se sent d’autant mieux qu’il peut le moins se décrire, parce qu’il ne résulte pas d’un recueil de faits, mais qu’il est un état Je me répète souvent, 5g8 1ES CONFESSIONS, mais je me répéterais bien davantage si je disais la même chose autant de fois qu’elle me vient dans l’esprit. Quand enfin mon train de vie souvent changé eut pris un cours uniforme, voici à peu près quelle en fut la distribution. Je me levais tous les matins avant le soleil. Je montais par un verger voisin dans un très-joli chemin qui était au-dessus de la vigne et suivait la côte jusqu’à Chambéri. Là, tout en me promenant, je faisais ma prière, qui ne consistait pas en un vain balbutiement de lèvres, mais dans une sincère élévation de cœur à l’auteur de cette aimable nature dont les beautés étaient sous mes yeux. Je n’ai jamais aimé à prier dans la chambre il me semble que les murs et tous ces petits ouvrages des hommes s’interposent entre Dieu et moi. J’aime à le contempler dans ses œuvres, tandis que mon cœur s’élève à lui. Mes prières étaient pures, je puis le dire, et dignes d’être exaucées. Je ne demandais pour moi et pour celle dont mes vœux neme séparaient jamais, qu’une vie innocente et tranquille, exempte du vice, de la douleur, des pénibles besoins, la mort des justes et leur sort dans l’avenir. Du reste cet acte se passait plus en admiration et en contemplation qu’en demandes, et je savais qu’auprès du dispensateur des vrais biens, le meilleur moyen d’obtenir ceux qui nous sont nécessaires est moins de les demander que de les mériter. Je revenais, en me promenant, par un assez grand tour, occupé à considérer avec intérêt et volupté les objets champêtres dont j’étais environné, les seuls dont l’œil et le cœur ne se lassent jamais. Je regardais de loin s’il était jour chez maman quand je voyais son contrevent ouvert, je tressaillais d’aise et j’accourais; s’il était fermé, PARTIE I, LIVRE VI. 5qÇ j’en Irais au jardin en attendant qu'elle fût réveillée, m’amusant à repasser ce que j’avais appris la veille ou à jardiner. Le contrevent s’ouvrait, j’allais l’embrasser dans son lit souvent encore à moitié endormie ; et cet embrassement, aussi pur que tendre, tirait de son innocence même un charme qui n’est jamais joint à la volupté des sens. Nous déjeunions ordinairement avec du café au lait. C’était le temps de la journée où nous étions le plus tranquilles, où nous causionsle plus à notre aise. Ces séances, pour l’ordinaire assez longues, m’ont laissé un goût vif pour les déjeuners jet jejpré- fère infiniment l’usage d’Angleterre et de Suisse, où le déjeuner est un vrai repas qui rassemble tout le monde, à celui de France où chacun déjeune seul dans sa chambre, ou le plus souvent ne déjeune point du tout. Après une heure ou deux de causerie, j’allais à mes livres jusqu’au dîner. Je commençais par quelque livre de philosophie, comme la Logique de Port-Royal, Y Essai de Locke, Mallebranche, Leibnitz, Descartes, etc. Je m’aperçus bientôt que tous ces auteurs étaient entre eux en contradiction presque perpétuelle, et je formai le chimérique projet de les accorder, qui me fatigua beaucoup et me fit perdre bien du temps. Je me brouillais la tête, et je n’avançais point. Enfin, renonçant encore à cette méthode, j’en pris une infiniment meilleure, et à laquelle j’attribue tout le progrès que je puis avoir fait, malgrémon défaut de capacité; car il est certain que j’en-eus toujours Lort peu pour l’étude. En lisant chaque auteur je me fis une loi d’adopter et suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes ni celles d’un autre, et sans disputer avec lui. Je me dis Commençons par 'me faire un magasin d’idées vraies ou fausses, 00 LES C05FESSI0KS. mais nettes, en attendant que ma tète en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir. Cette méthode n’est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m’a réussi dans l’objet de m’instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactementque d’après autrui, sans réfléchir, pour ainsi dire, et presque sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fonds d’acquis pour me suffire à moi-mème et penser sans le secours d’aulrui. Alors, quand les voyages et les affaires m’ont ôté les moyens de consulter les livres, je me suis amusé à repasser et comparer ce que j’avais lu, à peser chaque chose à la balance de la raison, et à juger quelquefois mes maîtres. Pour avoir commencé tard à mettre en exercice ma faculté judiciaire, je n’ai pas trouvé qu’elle eût perdu sa vigueur, et quand j’ai publié mes propres idées, on ne m’a pas accusé d’être un disciple servile, et de jurer in verba magistri. Je passais de là à la géométrie élémentairè, car je n’ai jamais été plus loin , m’obstinant à vouloir vaincre mon peu de mémoire à force de revenir cent et cent fois sur mes pas , et de recommencer incessamment la même marche. Je ne goûtai pas celle d’Euclide, qui cherche plutôt la chaîne des démonstrations que la liaison des idées ; je préférai la Géométrie du P. Lami, qui dès lors devintuu de mes auteurs favoris, et dont je relis encore avec plaisir les ouvrages. L’algèbre suivait, et ce fut toujours le P. Lami que je pris pour guide quand je fus plus avancé, je pris la Science du calcul du P. Reyneau, puis son Analyse démontrée, que je n’ai fait qu’effleurer. Je n’ai jamais été assez loin pour bien sentir l’application de l’algèbre à la géométrie. Je n’aimais point cette manière d’opé- PABT1E I, VI. 401 ver sans voir ce qu’on fait; et il me semblait que résoudre un problème de géométrie par les équations, c’était jouer un air en tournant une manivelle. La première fois que je trouvai par le calcul que le carré d’un binôme était composé du carré de chacune de ses parties et du double produit de l’une par l’autre, malgré la justesse de nia multiplication je n’en voulus rien croire, jusqu’à ce que j’eusse fait la figure. Ce n’était pas que je n’eusse un grand goût pour l’algèbre en n’y considérant que la quantité abstraite; mais appliquée à l’étendue, je voulais voir l’opération sur les lignes r autrement je n’y comprenais plus rien. Après cela venait le latin. C’était mon étude la plus pénible, et dans laquelle je n’ai jamais fait de grands progrès. Je me mis d’abord à la Méthode, latine de Port Royal, niais sans fruit. Ces vers ostrogots me faisaient mal au cœur et ne pouvaient entrer dans mon oreille. Je me perdais dans ces foules de règles, et en apprenant la dernière, j’oubliais tout ce qui avait précédé Une étudede mots, n’est pas ce qu’il faut à un homme sans mémoire, et c’était précisément pour forcer ma mémoire à prendre de la capacité que je m’obstinais à celte étude. Il fallut l’abandonner à la fin. J’entendais assez la construction pour pouvoir lire un auteur facile à l’aide d’un dictionnaire. Je suivis cette route, et je m’en trouvai bien. Je m’appliquai à la traduction, non par écrit, mais mentale, et je m’en tins là. A force de temps et d’exercice je suis par - venu à lire assez couramment les auteurs latins, mais jamais à pouvoir ni parler ni écrire dans cette langue; ce qui m’a souvent mis dans l’embarras quand je me suis trouvé, je ne sais comment, enrôlé parmi les gens de autre inconvénient i. * 17 LES CONFESSIONS. 4oa conséquent à cette manière d’apprendre est que je n’ai jamais su la prosodie, encore moins les règles delà versification. Désirant pourtant de sentir l’harmonie de la langue en verset eh prose, j’ai fait bien des efforts pour y parvenir; mais je suis convaincu que sans maître la chose est presque impossible. Ayant appris la composition du plus facile de tous les vers qui est l’hexamètre, j’eus la patience de scander presque tout Virgile-, et d’y marquer les pieds et la quantité; puis, quand j’étais en doute si une syllabe était longue ou brève, c’était mon Virgile que j’allais consulter. On sent que cela me faisait faire bien des fautes, à cause des altérations permises par les règles de la versification. Mais s’il y a de l’avantage à étudier seul, il y a aussi de grands inconvéniens, et surtout une peine incroyable. Je sais cela mieux que qui que ce soit. Avant midi je quittais mes livres; et, si le dîner n’était pas prêt , j’allais faire visite âmes amis les pigeons, ou travailler au jardin en attendant l’heure. Quand je m’entendais appeler j’accourais fort content, et muni d’un grand appétit car c’est encore une chose à noter que, quelque malade que je puisse être, l’appétit ne me manque jamais. Nous dînions très-agréablement, en causant de nos affaires, en attendant que maman pût manger. Deux ou trois fois la semaine , quand il faisait beau, nous allions derrière la maison prendre le café dans un cabinet frais et touffu que j’avais garni de houblon, et qui nous faisait grand plaisir durant la chaleur; nous passions là une petite heure à visiter nos légumes , nos fleurs , à des entretiens relatifs à notre manière de vivre, et qui nous en faisaient mieux sentir la douceur. J’avais une autre petite famille au bout du jardin c’étaient des abeilles. Je ne man- ïautie i, uvb£ vi. 4o3 quais guère, et souvent maman avec moi, d’aller leur rendre visite ; je m’intéressais beaucoup à leur ouvrage ; je m’amusais infiniment à les voir revenir de lapicorée, leurs petites cuisses quelquefois si chargées,, qu’elles avaient peine à marcher. Les premiers jours la curiosité me rendit indiscret , et elles me piquèrent deux ou trois fois; mais ensuite nous fîmes si bien connaissance, que, quelque près que je vinsse, elles me laissaient faire, et quelque pleines que fussent les ruches, prêtes à jeter leur essaim, j’en étais quelquefois entouré, j’en avais sur les mains, sur le visage, sans qu’aucune me piquât jamais. Tous les animaux se défient de l’homme, et n’ont pas tort; mais sont-ils sûrs une fois qu’il ne leur veut pas nuire, leur confiance devient sigrande, qu’il faut être plus que barbare pour en abuser. Je retournais à mes livres; mais mes occupations .de l’après-midi devaient moins porter le nom de travail et d’étude, que de récréation et d’amusement. Je n’ai jamais pu supporter l’application du cabinet après mon dîner, et en général toute peine me coûte durant la chaleur du jour. Je m’occupais pourtant, mais sans gêne et presque sans règle, à lire sans étudier. La chose que je suivais le plus exactement était Thistoire et la géographie; et comme cela ne demandait point de contention d’esprit, j’y lis autant de progrès que le permettait mon peu de mémoire. Je voulus étudier le P. Pétau, et je m’enfonçai dans les ténèbres de la chronologie; mais je me dégoûtai de la partie critique qui n’a ni fond ni rive, et je m’alfectionnai par préférence à l’exacte mesure des temps et à la marche des corps célestes. J’aurais même pris du goût pour l’astronomie si j’avais eu des instrumens; mais il fallut me contenter de quelques élémehs pris dans 4ü4 IES COKFESSIORS. des livres, et de quelques observations grossières faites avec une lunette d’approche, seulement pour connaître la situation générale du ciel car ma vue courte ne me permet pas de distinguer à yeux nus assez nettement les astres. Je me rappelle à ce sujet une aventure dont le souvenir m’a souvent fait rire, J’avais acheté un planisphère céleste pour étudier les constellations. J’avais attaché ce planisphère sur un châssis, et, les nuits où le ciel était serein, j’allais dans le jardin poser mon châssis sur quatre piquets de ma hauteur, le planisphère tourné en dessous ; et. pour l’éclairer sans que le vent soufflât ma chandelle , je la mis dans un seau à terre entre les quatre piquets puis regardant alternativement le planisphère avec mes yeux et les astres avec ma lunette, je m’exercais à connaître les étoiles et à discerner les constellations. Je crois avoir dit que le jardin de M. Noiret était en terrasse; on voyait du chemin tout ce qui s’y faisait. Un soir, despaysans, passantassez tard,mevirent, dans un grotesque équipage, occupé à mon opération. La lueur qui donnait sur mon planisphère, et dont ils ne voyaient pas la cause, parce que la lumière était cachée à leurs yeux par les bords du seau, ces quatre piquets, ce grand papier barbouillé de ligures, ce cadre et le jeu de ma lunette qu’ils voyaient aller et venir, donnaient à cet obiet un air de grimoire qui les effraya. Ma parure n’était pas propre à les rassurer, un chapeau clabaud par-dessus mon bonnet, et un pet-en-l’air ouaté de maman, qu’elle m’avait obligé de mettre, offraient à leurs yeux l’image d’un vrai sorcier; et, comme il était près de minuit, ils ne doutèrent point que ce ne fût le commencement du sabbat. Feu curieux d’en voir davantage, ils se sauvèrent PARTIE 'I, LIVRE VI. /jo5 très-alarmés, éveillèrent leurs voisins pour leur conter leur vision, et l’histoire courut si bien, que le lendemain chacun sut dans le voisinage que le sabbat se tenait chez M. Noiret. Je ne sais ce qu’eût produit enfin cette rumeur, si l’un des paysans témoins de mes conjurations n’en eût le même jour porté sa plainte à deux jésuites qui venaient nous voir, et qui, sans savoir de quoi il s’agissait, les désabusèrent par provision. Ils nous contèrent l’histoire, je leur en dis la cause, et nous rîmes beaucoup. Cependant il fut résolu, crainte de récidive, que j’observerais désormais sans lumière, et que j’irais consulter le planisphère dans la maison. Ceux qui ont lu dans les Lettres de la montagne ma magie de Venise, trouveront, je m’assure, que j’avais de longue main une grande vocation pour être sorcier. Tel était mon train de vie aux Charmettes, quand je n’étais occupé d’aucuns soins champêtres, car ils avaient toujours la préférence; et dans ce qui n’excédait pas mes forces je travaillais comme un paysan mais il est vrai que mon extrême faiblesse ne me laissait guère sur cet article que le mérite de la bonne volonté. D’ailleurs je voulais faire à la fois deux ouvrages, et par cette raison je n’en faisais bien aucun. Je m’étais mis en tête de me donner par force de la mémoire, je m’obstinais à vouloir beaucoup apprendre par cœur. Pour cela je portais toujours avec moi quelque livre qu’avec une peine incroyable j’étudiais et repassais tout en travaillant. Je ne sais pas comment l’opiniâtreté de ces vains efforts ne m’a pas enfin rendu stupide. Il faut que j’aie appris et rappris bien vingt fois les Eglogues de Virgile , dont je ne sais pas un seul mot. J’ai perdu et dépareillé des mul- LES CO5FESSI0KS. 4o6 titude de livres par l’habitude que j’avais d’en porter partout avec moi, au colombier , au jardin , au verger, à la vigne. Occupé d’autre chose, je posais mon livre au pied d’un arbre ou sur la haie ; partout j’oubliais de le reprendre, et souvent au bout de quinze jours je le retrouvais pouri ou rongé des fourmis et des limaçons. Cette ardeur d’apprendre devint une manie qui me rendait comme hébété , tout occupé que j’étais sans cesse à marmotter quelque chose entre mes dents. Les écrits de Port-Royal et de l’Oratoire, étant ceux que je lisais le plus fréquemment, m’avaient rendu demi-janséniste, et, malgré toute ma confiance, leur dure théologie m’épouvantait quelquefois. La terreur de l’enfer, que jusque-là j’avais très-peu craint, troublait peu à peu ma sécurité ; et si maman ne m’eût tranquillisé l’âme, cette effrayante doctrine m’eûtenfintout-à-faitbouleversé. Mon confesseur, qui était aussi le sien, contribuait aussi pour sa part à me maintenir dans une bonne assiette. C’était le P. Ilémet, jésuite, bon et sage vieillard, dont la mémoire me sera toujours en vénération. Quoique jésuite, 11 avait la simplicité "d’un enfant ; et sa morale , moins relâchée que douce, était précisément ce qu’il me fallait pour balancer les tristes impressions du jansénisme. Ce bon homme, et son compagnon le P. Coppier, venaient souvent nous voir aux Charmettes, quoique le chemin fût fort rude, et assez long pour des gens de leur âge. Leurs visites me faisaient grand bien que Dieu veuille le rendre à leurs âmes ! car ils étaient trop vieux alors pour que je les présume encore en vie aujourd’hui. J’allais aussi les voir à Chambéri ; je me familiarisais peu à peu avec leur maison leur bibliothèque était à mon TAntre K, toviÆ vi. 4°7 service. Le souvenir de cet heureux temps se lie avec celui des jésuites au point de me faire aimer l’un par l’autre ; et quoique leur doctrine m’ait toujours paru dangereuse, je n’ai jamais pu trouver en moi le pouvoir de les haïr sincèrement. Je voudrais savoir s’il passe quelquefois dans les cœurs des autres hommes des puérilités pareilles à celles qui passent quelquefois dans le mien. Au milieu de mes études et d’une vie innocente autant qu’on la puisse mener, et malgré tout ce qu’on m’avait pu dire, la peur do l’enfer m’agitait encore. Souvent je me demandais En quel état suis-je ? si je mourais à l’instant même, serais-je damné ? Selon mes jansénistes , la chose est indubitable ; mais, selon ma conscience, il me paraissait que non. Toujours craintif et flottant dans cette cruelle incertitude, j’avais recours^ pour en sortir, aux expédiens les plus risibles , et pour lesquels je ferais volontiers enfermer un homme si je lui en voyais faire autant. Un jour, rêvant à ce triste sujet, je m'exercais machinalement à lancer des pierres contre les troncs des arbres, et cela avec mon adresse ordinaire , c’est-à-dire sans presque jamais en toucher aucun. Tout au milieu de ce bel exercice je m’avisai de m’en faire une espèce de pronostic pour calmer mon inquiétude. Je me dis Je m’en vais jeter cette pierre contre l'arbre qui est vis-à-vis de moi ; si je le touche, signe de salut ; si je le manque, signe de damnation. Tout en disant ainsi je jette ma pierre d’une main tremblante et avec un horrible battement de cœur, mais si heureusement qu’elle va frapper au beau milieu dé l’arbre; ce qui véritablement n’était pas difficile, car j’avais eu soin de le choisir fort gros et fort près. Depuis lors je n’ai plus douté de mon LT',S COXFESSIOKS. 4o8 salut. Je ne sais, en me rappelant ce trait,'si je dois rire ou gémir sur moi-même. Vous autres grands hommes, qui riez sûrement, félicitez-vous, mais n’insultez pas à ma misère , car je vous jure que je la sens bien. Au reste ces troubles, ces alarmes, inséparables peut-être de la dévotion, n’étaient pas un état permanent; communément j’étais assez tranquille, et l’impression que l’idée d’une mort prochaine faisait sur mon âme était moins de la tristesse qu’une langueur paisible, et qui même avait ses douceurs. Je viens de retrouver, parmi de vieux papiers, une espèce d’exhortation que je me faisais à moi- I même, et où je me félicitais de mourir à l’âge où j l’on trouve assez de courage en soi pour envisager j la mort, et sans avoir éprouvé de grands maux ni de corps ni d’esprit durant ma vie. Que j’avais J bien raison ! un pressentiment me faisait craindre de vivre pour souffrir. Il semblait que je prévoyais j le sort qui m’attendait sur mes vieux jours. Je n’ai jamais été si près de la sagesse que durant Cette ! heureuse époque. Sans grands remords sur le passé, délivré des soucis de l’avenir , le sentiment qui dominait constamment dans mon âme était de jouir du présent. Les dévots ont pour l’ordinaire une petite sensualité très-vive qui leur fait savourer avec délices les plaisirs innocens qui leur sont j permis les mondains leur en font un crime, je ne sais pourquoi, ou plutôt je le sais bien c’est qu’ils envient aux autres la jouissance des plaisirs [ simples dont eux-mêmes ont perdu le goût. Je ; l’avais ce goût, et je trouvais charmant de le satisfaire en sûreté de conscience. Mon cœur, neuf encore, se livrait à tout avec un plaisir d’enfant, ou plutôt, j’osé le dire, avec un plaisir d’ange ; , ' PARTIE I , 1IVRE VI. 4of car, en vérité, ces tranquilles jouissances ont l’avant-goût de t elles du -paradis. Des dîners faits sur l’herbe à Montagnole , des soupers sous le berceau , la récolte des fruits, les vendanges, les veillées à teiller avec nos gens , tout cela, faisait pour nous autant de fêtes auxquelles maman prenait le même plaisir que moi. Des promenades plus solitaires avaient un charme plus grand encore, parce que le cœur s’épanchait plus en liberté. Nous en fîmes une , entre autres, qui fait époque dans ma mémoire. Un jour de Saint-Louis, dont maman portait le nom , nous partîmes ensemble et seuls de bon matin après la messe qu’un carme était venu nous dire à la pointe du jour dans une chapelle de la maison. J’avais proposé d’aller parcourir la côte opposée à celle où nous étions, et que nous n’avions point visitée encore. Nous avions envoyé nos provisions d’avance, car la course devait durer tout le jour. Maman, quoique un peu ronde et grasse, ne marchait pas mal nous allions de colline en colline et de bois en bois, quelquefois au soleil et souvent à l’ombre, nous reposant de temps en temps , et nous oubliant des heures entières , causant de nous, de notre union, de la douceur de notre sort, et faisant pour sa durée des vœux qui ne furent pas exaucés. Tout semblait conspirer au bonheur de cette journée. Il avait plu depuis peu ; point de poussière , et des ruisseaux bien courans ; un petit vent frais agitait les feuilles ; l’air était pur, l’horizon sans nuages ; la sérénité régnait au ciel comme dans nos cœurs. Notre dîner fut fait chez un paysan, et partagé avec sa famille qui nous bénissait de bon cœur. Ces pauvres Savoyards sont si bonnes gens ! Après le dîner nous gagnâmes l’ombre sous de grands arbres, où, tandis que j’a- i. 18 4-ÎO ItS massais des brins de bois sec pour faire notre café, maman s’amusait à herboriser parmi les broussailles , ét avec les fleurs du bouquet que chemin faisant jè lui avais ramassé elle me fit remarquer dans leur structure mille choses curieuses' qui m’amusèrent beaucoup, ét qui devaient me donner du goût pour la botanique mais le moment n’était pas venu, j’étais distrait par trop d’autres études. IJn e idée qui vint me frapper fit diversion aux fleurs et aux situation d’âme où je me trouvais, tout ce que nous avions dit et fait ce jour-là, tous les objets quim’avaientfrappé, me rappelèrent l’espèce de rêve que tout éveillé j’avais fait à Ànneci sept ou huit ans auparavant, et dont j’ai rendu compte en son lieu. Les rapports en étaient si frappans qu’en y pensant j’ên fus ému jusqu’aux larmes. Dans un transport d’attendrissement j’embrassai cette chère amie. Maman, maman, lui dis-je avec passion , ce jour m’a été promis dépuis long-temps , et je ne vois rien au delà mon bonheur, grâce à vous , est à son comble ; puisse-t-il ne pas décliner désormais ! puisse-t-il durer aussi long-temps que j’eri conserverai le goût! il ne finira qu’avec moi. Ainsi coulèrent mes jours heureux, et d’autant plus heureux que , n’apercevant rien qui les dût troubler, jé n’envisageais èn’effet leur fin qu’avec la mienne. Ce n’était pas que la source de mes soucis fût absolument tarie, mais je lui voyais prendre un autre cours que je dirigeais de mon mieux sur des objets utiles, afin qu’elle portât son remède avec elle. Maman aimait naturellement la Campagne, et ee goût ne s’attiédissait pas avec moi. Peu à peu elle prit celûi dès soins champêtres elle âimait à faire valoir les terres, et elle avait sur cela des connaissances dont elle faisait usage avec PARTIE I, LIVRE VI. 4ll plaisir. Non contente de ce qui dépendait de la maison qu’elle avait prise, elle louait tantôt un champ, tantôt un pré; enfin, portant son humeur entreprenante sur des objets d’agriculture, aulieu' de rester oisive dans sa maison, elle prenait le train de devenir bientôt une grosse fermière. Je n’aimais pas trop à la voir ainsi s’étendre, et je m’y opposais tant que je pouvais, bien sûr qu’elle serait toujours trompée, et que son humeur libérale et prodigue porterait toujours la dépense au delà du. produit. Toutefois je me consolais en pensant que ce produit du moins ne serait pas nul, et lui aiderait à vivre. De toutes les entreprises qu’elle pouvait former, celle-là me paraissait la moins ruineuse; et, sans y envisager comme elle un objet de profit, j’y envisageais une occupation continuelle qui la garantirait des mauvaises affaires et des escrocs. Dans cette idée, je désirais ardemment do recouvrer autant de force et de santé qu’il m’en fallait pour veiller à ses affaires, pour être piqueur de ses ouvriers ou son premier ouvrier ; et naturellement l’exercice que cela me faisait faire, m’arrachant souvent à mes livres et me distrayant sur mon état, devait le rendre meilleur. L’hiver suivant, Barillot, revenant d’Italie, m’apporta quelques livres, entre autres le Bontêmpi et la Carteila per musica du P. Banchieri, qui me donnèrent du goût pour l’histoire de la musique et pour les recherches théoriques de ce bel art. Barillot resta quelque temps avec nous ; et, comme j’étais majeur depuis plusieurs mois, il fut convenu que j’irais le printemps suivant à Genève redemander le bien de ma mère, ou du moins la part qui m’en revenait, en attendant qu’on sût ce que mon frère était devenu. Cela s’exécuta comme il avait été 4 1 a ies cosrEssioss. résolu. J’allai à Genève, mon père y vin! de son côté. Depuis long-temps il y revenait sans qu’on; lui cherchât querelle, quoiqu’il n’eût jamais purgé son décret mais, comme on avait de l’estime pour son courage et du respect pour sa probité, on feignait d’avoir oublié son affaire; et les magistrats, occupés du grand projet qui éclata peu après *, ne voulaient pas effaroucher avant le temps la bourgeoisie , en lui rappelant mal à propos leur ancienne partialité. Je craignais qu’on ne me fit des difficultés sur mon changement de religion; l’on n’en fit aucune- Les lois de Genève sont à cet égard moins dures que celles de Berne, où quiconque change de religion perd non-seulement son état, mais son bien. Le mien ne me fut donc pas disputé, mais se trouva, je ne sais comment, réduit à très peu de chose. Quoiqu’on fût à peu près sûr que mon frère était mort, on n’en avait aucune preuve juridique. Je manquais de titres suffisans pour réclamer sa part, et je la laissai sans regret pour aider à vivre à mon père, qui en a joui tant qu’il a vécu. Sitôt que les formalités de justice furent faites, et que j’eus reçu mon argent, j’en mis quelque partie en livres, et je volai porter le reste aux pieds de maman. Le cœur me battait de joie durant la route ; et le moment où je déposai cet argent dans ses mains me fut mille fois plus doux que celui où il entra dans les miennes. Elle le reçut avec celte simplicité des belles âmes qui, faisant ces choses-là sans effort, les * Le 8 mai 1^38, le marquis de Lautrec, ambassadeur de France, et les députés de Zurich et de Berce, termi- nèrent les différens qui existaient depuis cpielques années entre les magistrats et les citojens de Genève. Il est probable que veut parler de cet e'vénement. PARTIE I, 1IVRE VI. 4*^ voient sans admiration. Cet argent fut employé presque tout à mon usage, et cela avec une égale sinv plicité. L’emploi en eût exactement été le même s’il lui fût venu“d’autre part. Cependant ma santé ne se rétablissait point je dépérissais au contraire à vue d’œil ; j’étais pâle comme un mort, et maigre comme un squelette; mes battemens d’artères étaient terribles, mes pal 1 pitationsplus fréquentes, j’étais continuellement oppressé; et ma faiblesse enfin devint telle que j’avais peine à me mouvoir; je ne pouvais presser le pas sans étouffer, je ne pouvais me baisser sans avoir des vertiges, je ne pouvais soulever le plus léger fardeau j’étais réduit à l’inaction la plus tourmentante pour un homme aussi remuant que moi. Il est certain qu’il se mêlait â tout cela beaucoup de'vapeurs. Les vapeurs sont la maladie desgensheureux; c’était la mienne les plcursque je versais souvent sans raison de pleurer, les frayeurs vives au bruit d’une feuille ou d’un oiseau, l’inégalité d’humeur dans le calme de la plus douce vie, tout cela marquait cet ennui du bien-être qui fait pour ainsi dire extravaguer la sensibilité. Nous sommes si peu faits pour être heureux ici-bas, qu’il faut nécessairement que l’aine ou le corps souffre quand ils ne souffrent pas tous deux, et que le bon élat de l’un gâte presque toujours celui dè l’autre. Quand j’aurais pu jouir délicieusement de la vie, ma machine en décadence m’eti empêchait sans qu’on pût dire où la cause du mal avait son siège. Dans la suite , malgré le déclin des ans , malgré des maux très-réels et très graves, mon corps semblait avoir repris des forces pour mieux sentir mes malheurs ; et maintenant que j’écris ceci, infirme et presque sexagénaire, accablé de 4 l 4 1ES CONFESSIONS, douleurs de toute espèce, je me sens pour souffrir plus de vigueur et de vie que je n’en eus pour jouir à la fleur de mon âge et dans le sein du plus vrai bonheur. Pour m’achever, ayant fait entrer un-peu de physiologie dans mes lectures, je m’étais mis à étudier l’anatomie; et passant en revue la multitude et le jeu des pièces qui composaient ma machine? je m’attendais à sentir détraquer tout cela vingt fois le jour loin d’être étonné de me trouver mourant , je l’étais que .je pusse encore vivre , et je ne lisais pas la description d’une maladie que je ne crusse être la mienne. Je suis sûr que si je n’avais pas été malade, je le serais devenu par cette fatale étude. Trouvant dans chaque maladie des symptômes de la mienne, je croyais les avoir toutes ; et j’en gagnai par-dessus une bien plus cruelle encore, dont je m’étais cru délivré; la fantaisie de guérir. C’en est une difficile à éviter quand on se met à lire des livres de médecine. A force de cherr cher, de réfléchir, de comparer, j’allai m’imaginer q,u,e la base de mon mal était un polype au cœur; et Salomon lui-mêine parut frappé de cette idée. Raisonnablement je devais partir de cette opinion pourme confirmer dans ma résolution précédente. Je ne lis point ainsi; je tendis tous le,s ressorts de mon esprit pour chercher comment on pouvait guérir d’un polype au cœur, résolu d’entreprendre cette merveilleuse cure. Pans un voyage qu’Anet avait fait à Montpellier pour aller voir le jardin des plantes et le démonstrateurs}.- Sauvages, on lui avait dit que M. Fizes avait guéri un pareil polype. Il n’en fallut pas davantage pour m’inspirer le désir d’aller consulter SL Fizes. L’espoir dp guérir pie fait retrouver du courage et des forcer PARTIE I, EïVIVE VI. /jl5 pour entreprendre ce voyage l’argent venu de Genève en fournit le moyen. Maman, loin de m’en détourner, m’y exhorte; et me voilà parti pour Montpellier. Je n’eus pas besoin d’aller chercher si loin le médecin qu’il me fallait. Le cheval me fatiguant trop, j’avais pris une chaise à Grenoble. À Moirans cinq ou six autres chaises arrivèrent à la file après la mienne. Pour le coup c’était vraiment l’aventure des brancards. La plupart de ces chaises , étaient le cortège d’une nouvelle mariée appelée madame du Colombier. Avec elle était une autre femme appelée madame de Lamage , moins jeune et moins belle que madame du Colombier, et qui de Romans , où s’arrêtait celle-ci, devait poursuivre sa route ju squ’au bourg Saini-Ândéol près le Pont-Saint-Esprit. Avec la timidité qu’on méconnaît, on s’attend que la connaissance ne fut pas sitôt faite avec des femmes brillantes , et la suite qui les entourait mais enfin suivant la même route, logeant dans les mêmes auberges, et, sous peine de passer pour un loup-garou, forcé de me présenter à la même table, il fallait bien que cette connaissance se fît. Elle se fit donc, et même plus tôt que je n’aurais voulu; car toulcefracas ne convenait guère à un malade de mon humeur. Mais la curiosité rend ces coquines de femmes si insinuantes que, pour parvenir à connaître un homme, elles commencent par lui tourner la tête. Ainsi arriva de moi. Madame du Colombier, trop entourée de ses jeunes roquets, n’avait guère le temps de m’agacer ; et d’ailleurs ce n’en était pas la peine, pujsquè nousallions nousquitter. Mais madamedeLarnage, moins obsédée, avait des provisions à faire pour sa route voilàmadame de Larnage qui m’entreprend, LES CONFESSIONS. 4*6 et adieu le pauvre Jean-Jacques, ou plutôt adieu la fièvre, les vapeurs, le polype; tout part auprès d’elle, hors certaines palpitations qui me restèrent, et dont elle ne voulait pas me guérir. Le mauvais état de ma santé fut le premier texte de notre connaissance. On voyait que j’étais malade on savait que j’allais à Montpellier; et il faut que mon air et mes manières n’annonçassent pas un débauché, car il fut clair dans la suite qu’on ne m’avait pas soupçonné d’y aller faire un tour de casserole. Quoique l’état de maladie ne soit pas pour un homme une grande recommandation près des dames, il me rendit toutefois intéressant pour celles-ci. Le matin elles envoyaient savoir de mes nouvelles, et m’inviter à prendre le chocolat avec elles; elles s’informaient comment j’avais passé la nuit. Une fois selon ma louable coutume de parler sans penser, je répondis que je ne savais pas. Cette réponse leur lit croire que j’étais fou; elles m’examinèrent davantage, et cctexamen ne me nuisit pas. J’entendis une fois madame du Colombier dire à son amie Il manque de monde, mais il est aimable. Ce mot me rassura beaucoup, et fit que je le devins en effet. En se familiarisant il fallait parler de soi, dire d’où l’on venait, qui l’on était. Cela m’embarrassait; car je sentais très-bien que parmi la bonne compagnie et avec des femmes galantes ce mot de nouveau converti m’allait tuer. Je ne sais par quelle bizarrerie je m’avisai de passer pour Anglais. Je me donnai pour jacobite, on me prit pour tel ; je m’appelai Dudding, et l’on m’appela M. Dudding. Un njaudit marquis de Torignan qui était là malade ainsi que moi, vieux au par-dessus, et d’assez mauvaise humeur, s’avisa de lier conversation avec M. Dudding. Il me parla du roi Jacques, du pré- fARTIE I, LIVRE VI. 4 1 7 fendant, de l’ancienne cour de Saint-Germain. J’étais sur les épines je ne savais de tout cela que le peu que j’en avais lu dans le comte Hamilton et dans les gazettes ; cependant je fis de ce peu si bon usage que je me tirai d’affaire heureux qu’on ne se fût pas avisé de me questionner sur la langue anglaise dont je ne savais pas un seul mot. Toute la compagnie se convenait et voyait à regret le moment de se quitter. Nous faisions des journées de limaçon. Nous nous trouvâmes un dimanche à Saint-Marcellin madame de Larnage voulut aller à la messe ; j’y fus avec elle. Je me comportai comme j’ai toujours fait à l’église. Gela faillit à gâter mes affaires. Sur ma contenance modeste et recueillie, elle me crut dévot, et prit de moi la plus mauvaise opinion du monde, comme elle me l’avoua deux jours après. II me fallut ensuite beaucoup de galanterie pour effacer cettemauvaise impression; ou plutôt madame de Larnage , en femme d’expérience, et qui ne se rebutait pas aisément, voulut bien courir les risques de ses avances pour voir comment je m’en tirerais. Elle m’en fit beaucoup, et de telles, que, bien éloigné de présumer de ma figure, je crus qu’elle se moquait de moi. Sur cette folie il n’y eut sorte de bêtises que je ne fisse c’était pis que le marquis du Legs. Madame de Larnage tint bon , me fit tant d’agaceries et me dit des choses si tendres, qu’un homme beaucoup moins sot eût eu bien de la peine à prendre tout cela sérieusement. Plus elle en faisait, plus elle me confirmait dans mon idée; et ce qui me tourmentait davantage était qu’à bon compte je me prenais d’amour tout de bon. Je me disais et je lui disais' en soupirant Ah ! que tout cela n’est-il vrai ! je serais le plus heureux des hommes. Je crois que 4»8 CONFESSIONS. ma simplicité de novice ne fit qu’irriter sa fantaisie ; elle n’en voulut pas avoir le démenti. Nous avions laissé à Romans madame du Colombier et sa suite. Nous continuions notre route le plus lentement et le plus agréablement du monde, madame de Larnage, le marquis de Torignan et moi. M. de Torignan, quoique malade et grondeur, était un assez bon homme, mais qui n’aimait pas trop à manger son pain à la fumée du rôti. Madame de Larnage cachait si peu le goût qu’elle avait pour moi, qu’il s’en aperçut plus tôt que moi-même ; et ses sarcasmesmalins auraient dû me donner aumoins la confiance que je n’osais prendre aux bontés de Ta dame, si, par un travers d’esprit dont moi seul étais capable, je ne m’étais imaginé qu’ils s’entendaient pour me persifïler. Cette sotte idée acheva de me renverser la tête , et me fit faire le plus plat personnage dans une situation où mon cœur, étant réellement pris, m’en pouvait dicter un assez brillant. Je ne conçois pas comment madame de Larnage ne se rebuta pas de ma maussaderie , et ne me congédia pas avec le dernier mépris. Mais c’était une femme d’esprit, qui savait discerner son monde, et qui voyait bien qu’il y avait plus de bêtise que de tiédeur dans mes procédés. Elle parvint enfin à se faire entendre, ce ne fut pas sans peine. A Valence nous étions arrivés pour dîner, et selon notre louable coutume , nous y passâmes le reste du jour. Nous étions logés hors de la ville à Saint-Jacques ; je me souviendrai toujours de cette auberge, ainsi que de la chambre que madame de Larnage y occupait. Après le dîner elle voulut se promener. Elle savait que Torignan n’était pas allant c’était le moyen de se ménager Un tête-à-tête dont elle ayait bien résolu de tirey » je partis de Savoie avec mon système de musique, comme autrefois j’étais parti de Turin avec ma fontaine de héron. Telles ont été les erreurs et les fautes de ma jeunesse. J’en ai narré l’histoire avec une fidélité dont mon cœur est content. Si dans la suite j’honorai mon âge mûr de quelques vertus, je les aurais dites avec la même franchise ; et c’était mon dessein. Mais il faut m’arrêter ici. Le temps peut lever bien des voiles. Si ma mémoire parvient à la postérité, peut-être un jour elle apprendra ce que j’avais à dire ; alors on saura pourquoi je me tais. FIV DE U. I'" PARTIE DES CONFESSIONS LT DD PREMIER YOEDME. sms mâs&m NOTES DES NOUVEAUX EDITEURS. les deux jioles suivantes nous ont paru devoir être renvoyées à ta fine de ce volume, soit à cause Je leur étendue, soit parce que la matière qu’on y traite étant générale , embrasse l’ensemble des six premiers livres des Confessions. La première est relative à l’éducation et aux études de Jeau-Jacques, et la seconde à la chrouologie des faits renfermés daus cette première partie. Les lecteurs pour lesquels ces deux articles n’auraient qu’un médiocre intérêt peuvent se dispenser de lire ces notes. C’est dans ce but qu’elles sont isolées et que nous eu énonçons l’objet. i I. Sur Véducation de Rousseau. C’est une curiosité raisonnable que celle qui Tait rechercher par quels moyens un homme né dans l'obscurité , sans fortune , sans asile , abandonné à lui-mcme , s'expatriant dans son adolescence , changeant d’état et de culte , remplissant des emplois subalternes , s’élève tout à coup au-dessus des autres hommes excite l’enthousiasme, acquiert enfin une incontestable célébrité. Il y a deux choses distinctes que l’on confond quelquefois.,, et qu’il est nécessaire de séparer ce sont l’cducation et rinslruction. La naissance est un hasard, disait un philo- sophe du dix-huitième siècle ; l’éducation ne Test pas tout à-fait. Savez vous quel est le précepteur qui nous élèvç ? Le siècle , et la nation au milieu de laquelle on vient au monde. Tout ce qui nous environne nous élève, et Pin- stituteur est un infiniment petit méprisé par les bons cal- •u faut multiplier les hasards heureux. On ne prit pas ce soin envers Jean-Jacques. A peine adolescent, il erra sans protecteur et sans appui. Depuis Page de douze ans il ne reçut ni éducation ni instruction. Cette assertion ne mérite aucun développement, et n’a besoin d’autres preuves que celles qui résultent de la lecture de ses Confessions. Quant à l’instruction, il est bon de'remarquer qu’à l’époque où Jean-Jacques, on acquérait, dans la jeunesse, bien moins l’instruction proprement dite que l’instrument propre * U> KOTES. à se la procurer, Rousseau ne fut point élevé comme en autre. On le debarrasse des ; il sait lire sans Vavoir appris; il lit au moment où Ton apprend à lire. A six ans, U est ému en lisant, il verse des larmes ; il ne dort pas, il lit. A sept ans, Plutarque l’intéresse, il le dévore. Dans l’én- fance , à cette époque de la vie où les jeux, l’exercice J les ébats , les iis , la joie, la fatigue et le sommeil se partagent l’existence , où les facultés intellectuelles ne reçoivent encore aucun développement, celles de Jean-Jacques sont exercées. On offre h. son intelligence des alimens de toute espèce qui doivent nécessairement être en partie repousses , ou de'poser des germes que les circonstances feront naître plus tard, ou produire quelques fruits précoces. En général, l’instruction a lieu d’après un système on y fait concourir la raison, le plaisir, Pémulation. Dans celle de Rousseau Von ne suivit aucune méthode. Mai's s’il ne fut pas assujetti au cours ordinaire des études classiques , il n’en avait pas. moins lu de très-bonne heure, et lu avec fruit. Tout écri-. vain, sans instruction , ne peut être que médiocre, quel que soit son talent , parce Je style ne se forme que par la lec-. ture, parce qu’il est nécessaire d’avoir, pour écrire , une suite de connaissances positives que l’étude seule fait ac-L quérir , et auxquelles ne peuvent suppléer les plus beaux dons de la nature. Nous allons retracer, dans l’ordre chronologique , et d’après les renseigneraens qu’il nous donna lui-même, les lec-* turcs qu’il avait faites. En faisant cette revue , nous aurons l’occasion de remarquer les circonstances légères qui firent naître le germe de sa haine contre la plupart de nos insti-, tutions , et de l’opinion dominante qu’on voit régner dans, ses écrits. A six ans il lisait des romans avec son père; il y prenait un tel intérêt , que les nuits se passaient dans cette occupation A sept, 1 ''Histoire de l’Egliseet de VEmpire , parLesueur^ le Piscours de Bossuet sur VHistoire universelle; Plutarque DES NOUVEAUX ED ITEURS* 4^ 1 VHistoire de Venise par Nani ; Ovide, La Bruyère , Eon- tenelle et Molière. Il avait un goût particulier pour Plutarque. Il lisait ces divers auteurs a son père tandis que celui-ci se livrait au travail de l’horlogerie. • Pendant deux anne'es il est en peasion a Bossey, chez M. est puni sévèrement pour une faute qu’il n’a point commise. L’impression profonde qu’il en reçoit le décourage, et lui inspire l’horreur de l’injustice. Au retour, il passe deux à trois ans chez son oncle ; il y apprend le dessin ; il y étudie Euclide à onze ans. Après être resté quelque temps chez le greffier delà ville , on le met en apprentissage dans la boutique d’un graveur.. Là toutes ses études sont interrompues; mais l’ennui lui rend à la fin le goût de la lecture. Il s’y livre avec fureur , et lit toute espèce d’ouvrages. Quoique ces lectures se fissent sans choix, elles ramenaient cependant son cœur à des sen~ limens plus nobles que ceux que lui avaient donnés sonêîat, ajoutons, et l’abrutissement dans lequel le tenait sonmaître,, qui le frappait sans cesse. Rousseau ne désigne pas le genre d’ouvrages qu’il lut à. cette époque. Bons, médiocres, mauvais, tout était préférable à un travail manuel toujours accompagné de traite- mens cruels et de manières brutales. Il n’excepte que les livres obscènes, et pour lesquels il éprouvait du dégoût. On peut présumer que la boutique du libraire n’était composée que de romans. Le magasin étant épuisé, il se trouve dans un désœuvrement total. Alors son imagination lui retra'ce les situations qui l’avaient intéressé dans ses lectures., les lui rappelle en les variant, en les combinant ; il se les approprie devient un personnage dô roman, éprouve P amour des objets imaginaires , et cette facilité de s’en occuper le dégoûte de tout ce qui l’environne , et lui donne le goût de la solitude qui lui resta toujours depuis. 11 avait alors douze ans. Cette occupation a dû nécessairement exercer ses facultés intellectuelles, et les tenir dans une tension rarement interrompue. Il ne faut pas l'oublier. Ces rêveries, cet état 4^ NOTES ce vagabondage dans les espaces imaginants, n’étaient pii entièrement perdus pour l’instruction, puisque l’instrument qui sert à l’acquérir était toujours en activité. Ce qu'il lisait se classait sans, qu’il s’en aperçût et sans qu’il eût l’intention d’en tirer quelque fruit. Cet état dura jusqu’à près de seize ans vers le mois d’avril 1728 . Il sort alors de Genève ; il était au fait de l’bis- toire de son pays , puisqu’il avait le désir de connaître un descendant du cheidesfameux gentilshommes de la Cuiller . C’était M. de Pontverre , curé de Confignon, avec lequel il parle théologie. 11 en savait plus que-ce pasteur; d’où l’on voit que la lecture faite à sept ans n’était pas perdue. Il sort du presbytère pour arriver chez madame de Warcns , de laquelle ii devait, parla suite, recevoir une instruction étrangère à celle dont nous parlons* Nous devons noter son séjour, soit dans l’hospice ds catéchumènes deTurin, soit dans la ville même, parce qu ? il y soutint des thèses , des dissertations théologiques qui ajoutèrent à ses connaissances. L’abandon du culte de ses pères lui faisant éprouver des remords,il combattit , appelant à son secours S 1 Augustin, S 1 Grégoire, dont ii avait retenu des fragmens cités dans l’ouvrage de Lesueur qu’il avait lu à sept ans. Il étudie et passe en revue les dogmes à seize ans. Il sort de l’hospice après moins de trois mois de séjour. Il se lie avec M. Gaime , homme instruit, et précepteur des enfans du comte de Mellarède. Ils ont ensemble des entretiens sérieux qui ne furent pas sans fruit, puis que- la Profession de foi du vicaire savoyard en est en partie le résultat. Ils laissèrent dans l’esprit de Jean-Jacques des. germes qui se développèrent lentement , cette Profèssioip ayant été écrite plus de trente ans après, L’abbé de Gouvon veut lui enseigner le latin ; mais au lieu de profiter de ses leçons, il apprit et sut très - bien l’italien. Cet abbé lui montra comment i! fallait lire moins, avidement et avec plus de réflexion. DES NOUVEAUX* ÉDITEURS. 4^5» L’insfrucllon s’acquérait, comme ou voit, sans plan , sans- ordre , sans méthode ; mais enfin elle avait lieu. Il part de Turin à dix-huit ans. Il revient chez madame de Warens, y rédige des projets', met au net des mémoires, transcrit des recettes. Il Ht ensuite PufFendorf, le Spectateur , la Tîenriade ; causait avec elle de ses lectures , ou lisait près d'elle, et s'exercait à bien lire . Madame de "Warens avait l’esprit orné, connaissait là bonne littérature, en parlait fort bien. De pareils entretiens valaient ne étude. IJs lisaient ensemble La Bruyère, qui leur plaisait plus que La Rochefoucauld. M. D’Aubonne le prend pour un homme très-borné. Oh avait déjà , et Ton a meme encore depuis porté le meme jugement sur Jean-Jacques j il en explique la cause par la lenteur de penser jointe à ta vivacité d'esprit , et par la difficulté la plus incroyable avec laquelle ses idées s'arrangeaient dans sa tête. L’avis, de M. d’Aubonne fut d’en faire un curé de campagne. En conséquence de cette singulière décision , on le met au séminaire , ou il s’occupe particulièrement de musique. A Turin il avait pris pour cet art un goût qui se changea bientôt en une véritable passion. On le remit au latin qu’il n’a jamais bien su , ne pouvant apprendre avec des maîtres. Le peu qu'il saitil l'a appris seul. Il sort du séminaire sachant l’air ô^Âlphée etd'Àrèthuse, cantate de Clérambault, fruit de ses études pendant sa retraite. Pour mieux cultiver la musique , on le met en pension chez M. Le Maître, professeur de musique de la cathédrale d’Anneci. En y comprenant le temps qu’il avait passé au séminaire, il séjourna une année dans cette ville. Il accompagne M. Le Maître à Lyon, revient à Anneei, et n’y trouve plus madame de Warens, qui était partie pour Paris. Dans sa vingtième année , il fait un voyage à Fribourg , séjourne à Lausanne pour y montrer la musique ; passe- l’hiver à Neuchâtel, part pour Jérusalem avec un archimanr 454 notes drite pour lequel il harangue le sénat de Berne avec succès et sans timidité. C’est la seule fois qu’il parle en publie,. M. deBonac , ambassadeur de France , le relient à Soleure. Logé dans la chambre qu’avait habitée Jean-Baptiste Bous- seau, il en lit les couvres , et fait une cantate. On l’envoie à Paris pour être auprès de M. Godard , qui entrait fort jeune au service de France. Se croyant destiné pour l’état militaire, il ne rêve que batailles, remparts , gabions, batteries, etc. $ probablement il lut, quoiqu’il neledise pas, des ouvrages relatifs à cet art. Désappointé bientôt à son arrivée à Paris , oui! se trouve sans ressource,il en repart apres avoir fait une satire contre l’avarice du colonel Godard , et 5e dirige vers la Savoie pour y revoir madame de Warens. Il voyageait à pied par goût plus encore que par nécessite', rêvant, parcourant les espaces imaginaires, s’écartant de sa route, et s’égarant quelquefois. C’est dans ce voyage qu’il reçut une vive impression a laquelle on peut attribuer l’origine de sa haine contre lus oppresseurs du peuple. Le fait qu’il raconte liv. IV, de peu d’importance en lui-même, le frappe; la rigueur des lois fiscales qui punissaient sévèrement celui qui fraudait les droits le paysan cachait son vin a cause des aides , et son pain à cause de la taille j l’énorme disproportion qu’il y avait entre la peine et le délit, font naître dans Jean-Jacques un sentiment d’indignation qui doit éclater vingt ans après , et produire le Discours sur l } inégalité , etc.. ïl séjourne à Lyon , copie de la musique pour un moine , lit Gilblas avec plaisir , mais il n’était pas encore mûr ; il lui fallait encore des romans à grands sentimens. Il a souvent avec mademoiselle Du Châtelet des entretiens sensés, instructifs , plus propres, nous dit-il, à former un jeune homme que toute la pédantesque philosophie des livres. II rejoint madame de Warens. Depuis environ une année qu’il en était séparé , il n’avait, je ne dis pas fait aucune étude, excepté celle de la musique, mais fait de lecture suivie. DES NOUVEAUX ÉDITEURS. /S5 Il est placé comme secrétaire du cadastre, à Chambéri , en 1^33 , après quatre ou cinq ans de courses , de Jolies et de souffrances depuis sa sortie de Genève, Il prétend que du côté de l’esprit il était assez formé pour son âge , mais que le jugement ne Tétait guère. Depuis 1733 jusqu’en 1741, qu’il partit pour Paris , il arrive peu d’événemens. C’est dans ces précieux intervalles que son éducationmêlée et sans suite , ayant pî'is de la consistance, Va fait ce qu’il n’a plus cessé d’étre. Mais on va voir que cette remarque n’est fondée que pour les dernières années de cette époqne. Il travaille d’abord assidûment au cadastre. Il apprend seul, et bien par-cette raison , les mathématiques. Il dessine des fleurs, des paysages, y passe tout son temps; on est obligé de l’açracber a cette occupation, Son goût pour la musique augmente , mais ses progrès sont lents. Il meuble de gravures et de livres un cabinet, dans un jardin loué pour y mettre des plantes. Le 10 octobre 1733, la France ayant déclaré Ta guerre à fempereur d’Allemagne , les troupes françaises passèrent à Chambéri pour se rendre dans le Piémont. Rousseau sc passionne pour la France. Il lisait alors Tes grands capitaines de Brantôme il avait la tête pleine des Clisson r des Bayard, des Lautrec , et s’affectionnait à leurs descendons comme aux héritiers de leur mérite et de leur courage. L’intérêt qu’il prenait aux Français lui fait lire les gazettes. Le Traité de l’harmonie de Rameau lui tombe entre les mains ; il l’étudie, organise des concerts chez madame de Warens. Il est entièrement absorbé par la musique. Ce goût devient une fureur; et,'pour s.’y livrer, il se démet de son. emploi. En voyant cette conduite, ce goût constant qui nç se dément jamais, qui augmente sans cesse, auquel Jean-Jacques, sacrifie tout , qui ne croirait qu’il ne doit être question que d’itn musiçien, d’un compositeur, d’un homrnç de géçiç , 456 K0TB3 même si l’on veuf, d’un autre Mozart, ou plutôt d’un Grétri r mais enfin d’un homme qui, s’il doit jamais sortir de l'obscurité, n’y pourra parvenir que comme musicien ? La musique a, jusqu’à présent etplus tard, pendant les trente-huit premières années de sa carrière, été l’occupation la plus constante et la plus suivie. Il donne donc des leçons de musique. Voulant \t former , madame de Warens lui lait apprendre la danse et l’escrime t que Jean* Jacques abandonne bien vite et par dégoût. Parmi ses écoliers était M. de Conzié, gentilhomme sa-; voyard, qui heui'eusement n’avait aucune disposition pour la musique , de manière que les heures de leçon se passaient en lectures ; celle de la Correspondance de Frédéric et de. Voltaire, 'C\desLeUresanglaiseso\xphilosophiques de ce dernier les captive etles intéresse; eUedéveloppe dansRousseau le germe de littérature et de philosophie qui commençait à fermenter dans sa tête. Rien de ce qu y ècrivait Voltaire uel nous échappait,, dît Jean-Jacques; le goût que je prds à ces lectures m 1 inspira .le désir d'écrire avec élégance, et de tâcher d'imiter le Seau coloris de cet auteur y dont j'étais enchanté. Remarquons , la noble franchise de cet aveu fait! en 1767 long-temps après les traitemens injurieux de Voltaire contre Rousseau. Celui-ci ajoute que les Lettres philo-\ sophiques furent l'ouvrage qui Vattira le plus vers l'étude ,j et cegoût naissant ne s'éteignit plus depuis ce temps-là ; mais il se passa du temps encore avant qu’il s’y livrât. En 17^7 Rousseau fit un voyage à Genève pendant les troubles de cette ville. 11 y .vit le père et le fils MM. Ba- 1 xillot sortir delà même maison, chacun dans un parti armé contre l’antre , se trouver en présence. L’impression que lui fit ce spectacle ne s’effaça jamais. Il passe deux ou trois ans entre la musique, les raagis- k tères , les projets, les voyages ; cherchant à se fixer sans savoir à quoi, mais entraîné pourtant par degrés vers k l’étude , voyant des gens de lettres , entendant parler de littérature , se mêlant quelquefois d’en parler lui-mcmé T . DES NOUVEAUX EDITEURS. 4^7 et prenant plutôt le jargon des livres que la connaissance de leur conten u. Un Genevois fomente son émulation naissante par desnouvelles de la République des lettres, tirées de Baillet et de Colomiès. Un moine , professeur de physique à Chambéri, lui donne quelques notions de cette science. Ii lit avec fureur Cléveland, dont les malheurs imaginaires l’affectent plus que les siens. Sa passion pour la musique est momentanément interrompue par celle des échecs; elle fut telle qu’il s’enferma et enperdit le boire et le manger. Rétabli d’une maladie grave , il va demeurer aux Char* Mettes avec madame de Warens, dans l’automne de i*y 36 . Il a des entretiens instructifs avec le médecin Salomon , homme d’esprit, grand cartésien , qui parlait bien du système du monde. Il lit plusieurs ouvrages qui mêlaient la dévotion aux sciences , particulièrement ceux de V Oratoire et de Port-Royal. Il a relu souvent les Entretiens sur les sciences du P. Lami, Enfin il se sont entraîné vers l’étude avec une force irrésistible. Au printemps de 1767 , il emporte des livres aux Char- mettes , et songe à mettre de la méthode dans ses études. Voici les essais qu’il fit successivement avant d’en adopter une bonne; ils prouvent une patience incroyable, et peuvent éclairer dans la route qui conduit aux connaissances, en indiquant ce qu’il faut éviter autant que ce qu’il faut faire pour y parvenir. Le premier essai ne fut pas heureux. Croyant que pour lire un livre avec fruit, il était nécessaire d’avoir toutes les connaissances qu’il supposait, et que le plus souvent l’auteur était loin d’avoir, il était arrêté à chaque instant, forcé de recourir d’un livre à l’autre. Avant d’être à la dixième page de celui qu’il voulait étudier, il lui aurait fallu épuiser toute une bibliothèque ; il perdit un temps infini en s’obstinant à cette extravagante méthode qui faillit à \uibrouiller la tête t au point de ne pouvoir plus ni rien voir ni rien 453 KOTËS savoir. Heureusement il s'aperçut qu'il s'égarait dans un lar- byrinthe immense, dont il sortit avant d’y être tout-'a-fait perdu. Sentant qu’il y avait entre les sciences une liaison qui fait qu'elles s'attirent, s'aident, s'éclairent mutuellement , et que l'une ne peut se passer de l'autre , il vit que ce qu’il avait entrepris était bon et utile en lui-même , et qu'il n’y avait que la méthode à changer. Prenant d'abord Z’Encyclo- pédi e, j'allais, dit-il, la divisant dans ses branches. Je vis qu'il fallait faire tout le contraire, les prendre chacune séparément, et les poursuivre ainsi jusqu'au point où elles se réunissent. Ainsi je revins à la synthèse ordinaire, mais en homme quisait ce qu'il fait. S’apercevant qu’il travaillait mieux , et mettait plus de temps à profit en faisant succéder des sujets différens , que l’un le délassait de l’autre , il les entremêla tellement, qu’il s’occupait tout le jour sans se fatiguer. La méthode une fois trouvée, il fallait une distribution régulière de son temps. Elle fut l’objet de plusieurs essais pareillement infructueux. 11 partagea les heures de la journée entre 2a promenade, la conversation avec madame de Warens, et l’étude mais il prit encore une fausse route dans ses lectures. Il les commençait chaque jour par quelque livre de philosophie, comme la Logique de Port-Royal, l'Essai de Locke , Mallebranche, Leibnitz , Descartes, etc. Voyant ces auteurs souvent en contradiction , il forme le projet insensé de les mettre d’accord , $e fatigue, perd du temps et se brouille les idées. Enfin , y renonçant, il se fait un système auquel il attribue tout le progrès qu'il peut avoir fait , malgré son défaut de capacité, car il en eut toujours fort peu pour l’étude. En lisant chaque auteur il se fit une loi d’adopter et suivre ses idées sans y mêler les siennes, ni celles d’un autre , et sans disputer avec lui. Il se dit j Commençons par me faire un magasin d'idées vraies ou fausses , mais nettes , en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir. Il passa de là a la géométrie élémentaire, ne goûta point DES NOUVEAUX ÉDITEURS. 49 Celle d’Euclide, qui lui parut chercher plutôt la chaîne des démonstrations que la liaison des idées ; il lui préféra la Géométrie du P. Lami, qui fut son guide dans l’algèbre , et dont il a toujours lu les ouvrages avec plaisir. Plus avancé , il prit la Science du calcul du F*. Rcyneau , et son Analyse démontrée , qu’il ne fit qu’effleurer. Il n’a jamais été assez loin pour bien sentir l’application de l’algèbre k la géométrie , n ’aimant point cette mùnière d’opérer sans voir ce qu’on fait . Aux heures consacrées k ceS sciences , succédait l’étude du latin, pénible pour lui, et dans laquelle il n’a jamais fait de grands progrès. Il étudia , mais sans fruit, la méthode de Port-Royal, qu’il abandonna , se déterminant k lire un auteur latin à l’aide d’un dictionnaire , et k faire quelques traductions. Après dîner, ne pouvant supporter l’application du cabinet, il s’occupait, sans gène et presque sans règle , à lire sans étudier . Ce qu’il suivait le plus exactement était l’histoire et la géographie. Il voulut étudier le P. Pétau * et s’enfonça dans les ténèbres de la chronologie ; mais il Se dégoûta de la partie critique qui n’a ni fond ni rive, et préféra l’exacte mesure des tempsetia marche des corps Célestes. Mais il fut obligé, faute d’instrumens, de se contenter de quelques élémens d’astronomie pris dans les livres. Ces diverses études se faisaient dans sa vingt-cinquième année. N’ayant pas de me'moiTe, il s’était mis dans la tête de s’en donner par force. Il voulut apprendre par cœur Virgile, recommença vingt fois sans pouvoir s’en rappeler un seul vers. Dans l’hiver de 17^7, on lui apporte d’Italie des ouvrages sur la musique, qui lui donnèrent du goût pour l’histoire et pour les recherches théoriques de ce bel art. Ayant fait entrer un peu de physiologie dans sa lecture, il veut étudier l’anatomie etla croyait avoir toutes les maladies , et connaissant le jeu de toutes les pièces qui composent notre machine, et les risques qu’elles courent dans les moindres mouyemens , il croyait à chaque instant .460 K0XE5 qu’elles allaient se détraquer, tant son imagination se frappait vivement de l’objet dont il s’occupait. Le résultat de ses études en médecine fut de lui faire croire qu’il avait un polvpe au coeur, pour la guérison duquel il se rendit à Montpellier. C’est au retour de ce voyage qu’il remporta sur lui-meme une victoire dont il attribue la cause à l’étude qui luiJilpréférer son devoir à son plaisir. Il s’agit de la promesse qu’il avait faite a madame de Larnage d’aller la retrouver. Ilpassa loutdroitj non sans quelques soupirs , mais avec cette satisfaction qu’il goûtait pour la première fois , en se disant qu’il méritait sa propre estime . C’est la première obligation , dit-il, que f aie à P étude , qui m’avait appris à réfléchir , à comparer. Sitôt qu’il eut pris cette résolution ., il devint un autre homme , ne pensantqu’à régler désormais sa conduite sui' les lois delà vertu. Le sacrifice qu’il faisaitdc madame de Larnage à madame de Warens méritait d’être reconnu par cette dernière \ mais il trouve un rival qui avait pris sur cette femme l’empire et les droits de Rousseau. Qu’on juge de l’état de celui-ci par l’étendue du sacrifice qu’il croyait avoir fait. Cet événement est une époque intéressante de sa vie par la résolution qu’il prit de se vaincre encore. Laissons-le rendre compte lui-méme de cette circonstance Réduit à me chercher un sort indépendant d’elle , et m n’en pouvant même imaginer , je le cherchai tout en elle, m et l’y cherchai si parfaitement que je parvins presque a m’ouhlier moi-même. L’ardent dcsir de la voir heureuse absorbait toutes mes affections. Elle avait beau séparer son bonheur du mien , je le voyais mien en dépit d’elle. Ainsi commencèrent à germer avec mes malheurs les vertus dont la semence était aiffond de mon âme , que l’élude avait cultivées, et qui n’attendaient pour éclore que le ferment de l’adveTsUé. Le premier fruit de cette disposi- tion si désintéressée fut d’écarter de mon cœur tout sen- tiraent de haine et d’envie contre celui qui m’avait sup- planté.» DES NOUVEAUX ÉDITEURS. . 46i ÏI poussa la générosité au point de vouloir former son rival et travailler à son éducation , mais ce fut sans succès. Navré du changement de madame de Warens, il s’enferme avec ses livres. Ne pouvant ni se consoler ni se distraire , il forme le projet de quitter la maison ; projet que madame de Warens favorise. Il part pour faire à Lyon l’éducation des cnfans de M. de Mabli, y reste un an , et revient a Chain- béri. A peine eut-il resté une demi-heure près de sa maman qu'il sentit son ancien bonheur mort pour toujours . llvenait rechercher le passé qui n’étaitplus , et' ne pouvait renaître. Il appelle à scm'secours la lecture et l’étude son cabinet était sa seule distraction. Prévoyant la ruine prochaine de ma • dame de Warens, il rêve aux moyens de venir à son secours. Ne se sentant pas assez savant, et ne se croyant pas assez d’esprit pour briller dans la république des lettres et faire fortune par cette voie , il croit pouvoir y parvenir par la musique dont il avait fait une étude particulière. Trouvant les signes défectueux, il imagine dé les simplifier , croit réussir, et se met en route pour Paris avec son nouveau système c’était en i^4 1 • U avait vingt-neuf ans. Il devait rester encore dix ans dans l’obscurité. Telles sont les études que fit Jean-Jacques dans les trente premières années de sa vie. Dans cet espace de temps , il ne compose qu’une satire contre M. Godard, la seule qu’il ait jamais faite ; Narcisse, ou VAmant de lui-même 5 les Prisonniers de guerre', quelques autres pièces moins importantes, une Note pour l’éducation des enfans de M. de Mabli. Il y a loin de là à Émile , aux Discours sur les sciences, sur Vinégalité des conditions , à la Nouvelle Héloise. Apprenti greffier? graveur, laquais, valet de chambre , séminariste , interprète d’un archimandrite, secrétaire du cadastre, maître de musique, précepteur telles sont les professions qu’exerça tour à tour , en les séparant par des intervalles consacrés à des occupations de son choix , à des courses , à la paresse , à des promenades , à des lectures , celui qui deyait un jour , sans cesser d’être le jouet de Ja ifiX HOTES fortune , forcer les mères à remplir le plus’saint de leurs devoirs; apprendre à l’homme à ne compter que sur son travail et son industrie ; se voir demander des lois pour iine nation brave, généreuse , victime du plus fort, dont elle a subi le joug humiliant ; donner à la morale un charme inconnu, faire enfin une révolution dans l’éducation , dans les mœurs, dans les arts , dans la politique. II. Chi'onologie . Nos observations à ce sujet portent plus particulièrement sur les faits contenus dans le cinquième Livre , dans lequel il y a des transpositions d’événeinens qu’il n’est pas inutile défaire remarquer, sans toutefois altérer le texte ni l’ordre suivi par Jean-Jacques. Il a d’ailleurs soin de prévenir et de répéter qu’il écrit de mémoire , et témoigne le regret den’avoir pas fait de récitdes événemens est exact quant aux circonstances, mais iis ne sont pas toujours à leur place. Il est de notre devoir de rectifier les erreurs si nous en trouvons les moyens. Ces moyens, Rousseau nous les donne quelquefois lui-même , soit par sa correspondance , soit en rattachant un fait à une époque connue avec précision, et qui, par là , donne à ce fait une certitude de date au moyen de laquelle il devient facile de le classer. Voici l’ordre dans lequel 3 ean-Jacques présente les faits, et les observations auxquelles ils donnent lieu. i° Il lui semblé liv- V être arrivé en iy 32 à Chamhèri , ayant près de 21 ans . Cette manière de s’exprimer prouve qu’il conservait des doutes. Étant né le 28 juin 1712, il ne pouvait pas avoir près de 21 ans en 1732. Lorsqu’il eut un emploi dans le cadastre, ce fut en 1733. Il en fixe l’époque comme on va le voir. 2 En effet, dans les premiers temps qu’il occupait cet emploi, les troupes françaises passèrent par Chambéri pour se rendre enPiémont, d’après la déclaration de guerre du 10 octobre 1733 ; ce passage eut lieu à la fin de ce mais, et dans le mois reste environ deux ans sans sortir de DES NOUVEAUX ÉDITEURS. Chambéri , et comme secrétaire du cadastre ; ce qui nous mène a l’année i^55. 3° Nouvel accès de musique qui le dégoûte de son emploi. Il nous fournit une date en disant que les opéras de Rameau commençaient à faire du bruit . Or , le premier est de 1^33 Hippolite et Aride j\ il eut beaucoup de succès. Les concerts et la musique donnant à Jean-Jacques un dégoût invincible pour le travail du cadastre , il y renonce et quitte son emploi avec plus de joie qu’il n’en avait eu à le prendre il n’y avait pas deux ans. 4° Il donne des leçons, et les rapports qui s’établissent entre le maître et les dames de Chambéri , déterminent madame de Warens a lui d'onnerzme instruction qui lui manquait. 5° Il se détermine à apprendre la composition, et, pour y parvenir, se rend à Besançon, auprès de l’abbé Blanchard, habile compositeur 5 mais la saisie de sa malle le force à revenir sans avoir rien fait. Jusqu’ici l’on peut admettre cet ordre ; maisilest entièrement détruit par une lettre de Jean-Jacques ; c’est la seconde du recueil elle est datée de Besançon, le 29 juin 17 ^ 2 , Rousseau dit avoir été très-bien reçu par l’abbé Blanchard , qui lui a trouvé un talent merveilleux pour la composition . Mais comme l’abbé devait partir incessamment pour Versailles , il ne lui donna pas de leçons , et Jean - Jacques mande qu’il va retourner dans quelques jours à Chambéri., qu’il y enseignera la musique , pendant le terme de deux années. Il demande s’il y sera bien reçu, et s’il y trouvera des écoliers. Il ajoute que s’il n’y a pas pour lui de débouché à Chambéri , il prendra un autre parti , et parait disposé à suivre l’abbé Blanchard. On voit d’abord, d’après cette lettre , que Rousseau n’apprend point la composition , parce que l’abbé Blanchard devait partir , ensuite, que ce départ est la seule cause de son retour a Chambéri. Au contraire, d’après le récit qu’il fait dans ses Confes- 464 notes sions , c’est la saisie de sa malle qui le force à revenir $i?r ses pas; et, comme il avait des écolières , il ne pouvait écrire pour demander s’il eu aurait. La cause de cette saisie prouve bien que ce voyage se fit après avoir abandonné son emploi, puisque c’était un pamphlet prêté par un employé du cadastre qui fit confisquer cette malle. La supposition de l’erreur de date dans la lettre ne nous tire pas d’embarras; les circonstances n’étant pas les mêmes dans les Confessions , il faut nécessairement admettre plusieurs voyages à Besançon , quoique Rousseau ne parle que du dernier. Cette conjecture est autorisée par une autre lettre en date du 3 mars sans indication d’année, et dans laquelle il est question d’un voyage à Besançon , dont les détails n’ont point de rapport avec aucun des deux autres , et dont il paraît avoir été fort mécontent. Remarquons que , dans cette même lettre il invite madame de Warens a le venir voir a la campagne, en le prévenant plusieurs mois d'avance, afin qu’il se prépare à la bien recevoir. Or le récit de l’auteur fait voir qu’il n’a pu commencer à recevoir à la campagne quelorsqu’ilhabital’Hermitage, plusdevingt ans après l’époque dont nous nous occupons. Les de'taüs. contenus dans cette première partie ne permettent pas de supposer une lacune qui se rapporterait au séjour de Jean- Jacques dans une campagne, séjour qu’il aurait été loin d’oublier. Nous reviendrons sur cette lettre dans la Correspondance. 3 e La paix étant faite i^35 , il chante un morceau de l’opéra de Jephié , qui était alors dans sa nouveauté. Or, Jephté , annoncé pour le 28 février 1^52 , et représenté le 4 mars suivant avec beaucoup de succès , ne pouvait plus être dans sa nouveauté en i^35. Cependant il faut rappeler que le cardinal de Noailles , choqué de voir mettre sur la scène de l’opéra des sujets tirés de l’histoire sacrée et Jephté était ta première tentative en ce genre, eut assez decrédit pour en faire défendre les représentations. Elles furent reprises les années suivantes et l’on y fit même beaucoup de DES NOUVEAUX EDITEURS. ehangemens il faut supposer que Jean-Jacques parle de l’une de ces reprises. 4 ° La Correspondance de Voltaire paraîtrait , d’apres le texte de Jean-Jacques , avoir précédé les Lettres philosophiques, qui, d’après les recherches deM. Beuchot , furent publiées pour la première fois en i^ 3 i , tandis que la Correspondance ne parut qu’en 1745 , dérobée par une femme de chambre de madame Du Châtelet qui la renvoya pour ce vol. Mais, avant cette année i^ 45 plusieurs lettres de Voltaire au Prince Royal de Prusse avaient été insérées dans les journaux de Hollande. Les V et VI e livres, des Confessions embrassent depuis l’année 1^32 jusqu’à i J et Jean-Jacques, plaçant dans cet espace la lecture de la Correspondance de Voltaire avec Frédéric , et des Lettres philosophiques , ne pouvait connaître que les fragmens de cette correspondance contenus dans ces journaux ; mais il a pu lire les Lettres philosophiques , publiées au commencement de l’époque dont il est question. Jean-Jacques habita Chambéri depuis i^ 3 a jusqu’à la fin de l’été de 1^36 qu’il alla s’installer aux Charmettes avec madame de Warens. En septembre 1737 , il fit un voyage à Montpellier pour se guérir d’un polype qu’il croyait avoir au cœur. Il en revint au mois de mars 1738, trouva près de madame de Warens un rival qu'elle lui préférait. Le chagrin qu’il en éprouva le fit aller passer un an à Lyon. Enfin , en 1741, il se rendit à Paris, y vécut ignoré du public jusqu’en 1750 , que son Discours contre les sciences et les arts fut couronné par l’académie de Dijon. TïHt DES KOTES, TABLE DES MATIÈRES Contenues dans ce Volume. Pag. Avertissement des nouveaux Editeurs . .... ..... v Eloge de Rousseau , ou Examen critique de sa pki - losaphie y de ses opinions 9 de ses ouvrages ; parM. le comte d’Escherny . 3 LES CONFESSIONS DE ROUSSEAU 7 3 Nc/tice surla premiebe partie des Confessions, parles nouveaux Editeurs . I r PARTIE. Livre i er ...... ... . 81 Livre ii. ........ . i35 Livre iii. Livre iv ........... . .254 Livre v...314 Livre vi. 383 Notes des nouveaux éditeurs ..449 Rvtv.^îy .îauiîp'^i mtni' B£à32ïâsa2E*! àiatui »»' mm t⣠r 9471 m cq Jism^uqse qoi4r z \ \ riiS 1 A }M0Më0 ïSïM?S5 t-ajcr Üés* ir >'* V" PER R ON N EAU. j-j. rouss PEINT PAR LUI-MÊME; Ses Confessions, avec des notes nouvelles ; Rousseau juge de Jean - Jacques, ou ses Dialogues ; ses Lettres à M. le président de Malesherbes ; les Rêveries du Promeneur solitaire; ses Lettres à M. le pasteur Vernes; un Nouveau Supplément à ses Mémoires et un Appendice. Augmentés de VEloge de Jean'Jacques Rousseau, ou Examen de sa philosophiede ses opinions, de ses ouvrages, par M. le comte d'Escherny ; d’un avertissement des nouveaux éditeurs ; de notes curieuses relatives a la personne de Jean-Jacques, et de plusieurs pièces inédites ou peu connues de ce philosophe. PAR M. *** Avec un beau portrait de Rousseau, un fac simile de son écriture, et cinq jolies gravures. TOME II. A PARIS CHEZ ALEXIS EYMERY, LIBRAIRE, RUE MAZARINE , N° 5o. •' \ i k r - r •*V- k * NOTICE SUR IA SECONDE PARTIE DES CONFESSIONS. PAR LES NOUVEAUX ÉDITEURS. Cette seconde et dernière partie des Confessions présente Jean-Jacques depuis l’année i? 4 a jusque dans les premiers jours de novembre 1765 que , chassé de l’fle S' Pierre, il partit de Bienne pour se rendre à Strasbourg, d’où il obtint la permission de venir à Paris. Après un séjour d’environ six semaines dans cette capitale, il passe en Angleterre avec David Hume. Dans cet espace de vingt-trois années, quinze sont consacrées aux travaux de Jean-Jacques. Dès son début, en 1 y 5 o, il parut avec éclat dans le inonde littéraire, par le discours couronné à l’académie de Dijon. Sa gloire ne fit qu’augmenter pendant quelque temps. Il occupa bientôt parmi nos premiers écrivains un rang que la postérité lui a conservé. Une circonstance remarquable, en ce qu’elle fit passagèrement de Jean-Jacques un autre homme, c’est le rôle qu’il joua comme secrétaire d’ambassade â Venise. Une fermeté de caractère, un sentiment des convenances, un esprit de conduite, des talens pour la diplomatie, lui concilièrent tous les suffrages. La sottise et l’injustice de AI. de Montaigu lui fermèrent une carrière dans laquelle 6 NOTICE DES NOUVEAUX EDITEURS. il aurait obtenu des succès, mais qui nous aurait privés d’ Emile, d'Héloïse, etc. Dans ce qui précède eette époque, ou ce qui la suivit, on ne trouve rien de la vie de Rousseau qui ait quelque analogie avec la conduite qu’il tint pendant dix- huit moisi Cette seconde partie est, à proprement parler, l’histoire littéraire de l’auteur, et sous ce rapport, elle ne peut qu’être du plus grand intérêt ; mais, de plus, elle offre encore^ comme dans la première, des descriptions, des tableaux, des observations dans lesquels on reconnaît Jean-Jacques. Y. D. M. LES CONFESSIONS DE ROUSSEAU. SECONDE PARTIE. LIVRE SEPTIÈME. A près deux ans de silence et de patience , malgré mes résolutions, je reprends la plume. Lecteur, suspendez votre jugement sur les raisons qui m’y forcent vous n’en pouvez juger qu’après m’avoir hr. On a vu s’écouler ma paisible jeunesse dans une vie assez égale, assez douce, sans de grandes traverses ui de grandes prospérités. Celte médiocrité fut en grande partie l’ouvrage démon naturel ardent, mais faible, moins prompt encore à entreprendre que facile à décourager, sortant du repos par secousses, maisyrentrantparlassitudeetp rgoût,ct qui, me ramenant toujours, loin des grandes vertus et plus loin des grands vices, à la vie oiseuse et tranquille pour laquelle je me sentais né, ne m’a jamais permisd’aller à rien de grand, soit en bien soit en mal. Quel tableau différent j’aurai bientôt à tracer ! Le sort, qui durant trente ans favorisa mes penebans, les contraria durant les trente autres ; et, de cette opposition continuelle entre ma situation 2 . 1 ils 8 et mes inclinations, on verra naître îles fautes énormes, des malheurs inouïs, et toutes les vertus, excepté la force , qui peuvent honorer l’adversité. Ma première partie a été toute écrite de mémoire, et j’y ai dû faire beaucoup d’erreurs. Forcé d’écrire la seconde de mémoire aussi , j’y en ferai probablement beaucoup davantage. Les doux souvenirs de mes beaux ans , passés avec autant de simplicité que d’innocence, m’ont laissé mille impressions charmantes que j’aime sans cesse à me rappeler. On verra bientôt combien sont différons ceux du reste de ma vie. Les rappeler , c'est en renouveler 1 amertume. Loin d’aigrir celle île ma situation par ees tristes retours, je les écarte autant qu’il m’est possible , et souvent j’y réussis au point de ne les pouvoir plus retrouver au besoin. Cette facilité d’oublier les maux est une consolation que le ciel m’a ménagée dans ceux que le sort devait u n jour accumuler sur moi. Ma mémoire, qui me retrace uniquement les objets agréables, est l’heureux contre-poids de mon imagination effarouchée , qui ne me fait prévoir que de cruels avenirs. Tous les papiers que j’avais rassemblés pour suppléer à ma mémoire et me guider dans cette entreprise, passés en d'autres mains , ne rentreront plus dans les miennes. Je n'ai qu'un guide fidèle sur lequel je puisse compter; c’cst la chaîne des sentimens qui ont marqué la succession de mon être , et dont l’impression ne s’efface point de mon cœur. Ces sentimens me rappelleront assez les évé- nemens qui les ont fait naître, pour pouvoir me flatter de les narrer fidèlement et s’il se trouve quelque omission, quelque transposition de faits on de dates, ce qui ne peut avoir lieu qu'en choses indifférentes et qui rn’ont fait peu d’impression, il PARTIE II, LlVaï VI!. Q reste, assei de moiramcns de chaque Tait pour le remettre aisément à sa place dans l’ordre de ceux que j’aurai marqués. Il y a cependant, et très-heureusement, un intervalle de six à sept ans dont j 'ai des renseigne- mens sûrs dans un recueil transcrit de lettres dont les originaux sont dans les mains de JI. du Pcyron. Ce recueil, qui finit en 1760, comprend tout lo temps ! mon séjour à 1 Hermitage , et de ma grande brouillerie avec mes soi-disant amis époque mémorable dans ma vie , et qui tut la source de tous mes autres malheurs. A l’égard des lettres originales plus récentes qui peuvent me rester , et qui sont en très-petit nombre , au lieu de les transcrire à la suite du recueil , trop volumineux pour que je puisse espérer de le soustraire à la vigilance de mes Argus , je les transcrirai dans cet écrit môme, lorsqu'elles me paraîtront fournir quelque éclaircissement sur la vérité des faits, soit à mon avantage , soit à ma charge car je n’ai pas peur que le lecteur oublie que je fais mes confessions , pour croire que je fais mon apologie ; mais après l’exposition de mon projet, il ne doit pas non plus s'attendre que je taise la vérité lorsqu'elle parle en ma faveur. Au reste cette seconde partie n’a que cette même vérité de commun avec la première , ni d’avantagu sur elle que par l’importance des choses. A cela près , elle ne peut que lui être inférieure en tout. J’écrivais la première avec plaisir, avec complaisance , h mon aise , à AVootton ou dans le chdtcau de Trie * tous les souvenirs que j'avais à me * Trie, château qui appartenait au prince de Conli j il n’en reste qu’une tour et des ruines. Le village est situe quinze lieues de Paris, près de Gisors, 10 CONFESSIONS. rappeler étaient pour moi autant de nouvelles jouissances. J'y revenais sans cesse avec un nouveau plaisir, et je pouvais tourner mes descriptions sans gène jusqu’à ce que j’en fusse content. Aujourd’hui ma mémoire et ma tête affaiblies me rendent presque incapable de tout travail ; je ne m’occupe de celui-ci que par force, et le cœurserré de détresse. Il ne m’offre que malheurs, trahisons , perfidies, que souvenirs attristons et déchirons. Je voudrais pour tout au monde pouvoir ensevelir dans la nuit îles temps ce que j’ai à dire ; et forcé de parler malgré moi, je suis réduit encore à me cacher, à ruser, à tâcher de donner le change, à m’avilir aux choses pour lesquelles j’étais le moins né les planchers sous lesquels je suis ont des yeux , les murs qui m'entourent ont des oreilles ; environné d’espions et de surveillons malveillans et vi- gilans , inquiet et distrait, je jette à la hâte et furtivement sur le papier quelques mots interrompus qu’à peine j’ai le temps de relire, encore moins de corriger. Je sais que , malgré les barrières immenses qu’on entasse autour de moi, l’on craint toujours que la vérité ne s’échappe par quelque fissure. Comment m’y prendre pour la faire percer ? Je le tente avec peu d’espoir de succès. Qu’on juge si c’est là de quoi faire des tableaux agréables et leur donner un coloris bien attrayant. J’avertis donc ceux qui voudront commencer cette lecture que rien en la poursuivant ne peut les garantir de l'ennui, si ce n’est le désir d’achever de connaître un homme, et l’amour pur de la justice et delà vérité. Je me suis laissé , dans ma première partie, partant à regret pour Paris, déposant mon cœur aux Charmettes , y fondant mon dernier château en Espagne, projetant d’y rapportai 1 un jour aux PARTIE II, LIVRE VII. Il pieds de maman , rendue à elle-même , les trésors on avait vu la douce Godefroi, on connaissait le bon I’arisot. J’avais obligation à tous ces honnêtes gens. Dans la suite je les négligeai tous; non certainement par Ingratitude, mais par celte invincible paresse qui m’en a souvent donné l’air. Jamais le sentiment de leurs services n’est sorti de mon cœur ; mais il m’en eût moins coûté de leur prouver ma reconnaissance que delà leur témoigner , et l’exactitude à écrire a toujours été au-dessus de mes forces. J’ai donc'gardé le silence et j'ai paru les oublier. Parisot et Perriehon n’y ont pas même fait attention , et jo lésai toujours trouvés les mêmes; mais en verra, vingt ans après, dans M. Bordes, jusqu'où l’amour- propre d’un bel esprit peut porter la vengeance lorsqu’il se croit négligé. Avant de quitter Lyon, je ne dois pas oublier une aimable personne que j’y revis avec [dus de plaisir que jamais, et qui laissa dans mon cœur des souvenirs bien tendres. C’est mademoiselle Serre, dont j’ai parlé dans ma première partie , et avec laquelle j’avais renouvelé connaissance tandis que j’étais chez M. de Mabli. A ce voyage , ayant plus de loisir, je la vis davantage , mon cœur se prit, et très-vivement. J’eus quelque lieu de penser que le sien ne m’était pas contraire ; mais elle m’accorda une confiance qui m’ôta la tentation d’en abuser. Elle n’avait rien ni moi non plus; nos situations étaient trop semblables pour que nous pussions nous unir, et, dans les vues qui m’occupaient, j’étais bien éloigné de songer au mariage. Elle m’apprit qu’un jeune commerçant, appelé M. Genève, paraissait vouloir s’attacher à elle. Je le vis chez elle une fois ou deux; il me parut honnête homme, il passait pour l’être. Persuadé qu’elle CONFESSIONS* >4 serait heureuse avec lui, je désirais qu’il l’épousât, comme il a fait dans la suite ; et pourne pas troubler leurs innocentes amours je me hâtai de partir , faisant pour le bonheur de cette charmante personne des vœux qui n’ont été exaucés ici-bas que pour un temps, hélas ! bien court ; car j’appris dans la suite qu’elle était morte au bout de deux ou trois ans de mariage. Occupé de mes tendres regrets durant toute ma route , je sentis, et j’ai souvent senti depuis lors en y repensant, que si les saçri- fices qu’on fait au devoir et à la vertu coûtent à faire, on en est bien payé par les doux souvenirs qu’ils laissent au fond du cœur. Autant à mon précédeut voyage j’avais- vu Paris par son côté défavorable , autant à celui-ci je le vis par son côté brillant non pas toutefois quant à mon logement; car, sur une adresse que m’avait donnée M. Bordes, j'allai loger â l’hôtel Saint-Quentin , rue des Cordiers , proche la Sorbonne, vilaine rne, vilain hôtel, vilaine chambre, mais où cependant avaient logé des hommes de mérite, tels que Grosset, Bordes,les abbés de Mabli, de Condillac, et plusieurs autres dont malheureusement je n’y trouvai plus aucun. Mais j’y trouvai un M. de Bonnefond, hobereau boiteux, plaideur, faisant le puriste, auquel je dus la connaissance de M. Roguin, maintenant la doyen de mes amis, et par lui celle du philosophe Diderot, dont j’aurai beaucoup à parler dans la suite. J’arrivai à Paris dans l’automne de 174 1 s avec quinze louis d’argent comptant, ma comédie de Narcisse, et mon projet de musique, pour toute ressource, et ayant par conséquent peu de temps à perdre pour tâcher d’en tirer parti. Je me pressai de faire valoir mes recommandations. Un jeune. PARTIE II, LIVRE VII. l5 homme qui arrive à Paris avec une figure passable, et qui s’annonce par des talens, est assuré d’être accueilli.. Je le fus, cela me procura des agrémens sans me mener à grand’chose. De toutes les personnes à qui je fus recommandé, il n’y en eut que trois qui me furent utiles; savoir, M. Da- mesin, gentilhomme savoyard, alors écuyer et, je crois, favori de madame la princesse de Carignan ; M. deBoze, secrétaire de l’académie des inscriptions et garde des médailles du cabinet du roi ; et le P. Castel, jésuite, auteur du clavecin oculaire. M. Damcsin pourvut au plus pressé, par deux connaissances qu’il me procura; l’une, de M. de Gasc, président à mortier au parlement de Bordeaux, et qui jouait très-bien du violon; l’autre de M. l’abbé de Léo», qui logeait alors en Sorbonne, jeune seigneur très-aimable, qui mourut à la fleur de son âge après avoir brillé quelques instans dans le monde sous le nom de chevalier de Rohan. L’un et l’antre eurent la fantaisie d’apprendre la composition. Je leur en donnai quelques mois de leçons qui soutinrent un peu ma bourse tarissante. L’abbé de Léon me prit en amitié et voulait m’avoir pour son secrétaire mais il n’était pas riche et ne put m’offrir en tout que huit cents francs, que je refusai bien à regret, mais qui ne pouvaient me suffire pour mon logement, ma nourriture et mon entretien. M. de Boze me reçut fort bien. Il aimait le savoir, il en avait; mais il était un peu pédant. Madame de Boze aurait été sa fille; elle était brillante et petite maîtresse. J’y dînais quelquefois; on 11e saurait avoir l’air plus gauche et plus sot que je l’avais vis-à-vis d’elle. Son maintien dégagé m’intimidait et rendait le mien plus plaisant. Quand LES CONFESSIONS. 16 elle me présentait une assiette, j’avançais ma fourchette pour piquer modestement un petit morceau de ce qu’elle m’offrait ; de sorte qu’elle rendait à son laquais l’assiette qu’elle m’avait destinée , en se tournant pour que je ne la visse pas rire. Elie ne se doutait guère que dans la tète de ce campagnard il ne laissait pas d’y avoir quelque esprit. M. de Boze me présenta à M. de Réaumur, son ami, qui venait dîner chez lui tous les vendredis, jours d’académie îles sciences. Il lui parla de mon projet, et du désir que j’avais de le soumettre à l’examen de l'académie. M. de Réaumur se chargea de la proposition, qui fut agréée. Le jour donné je fus introduit et présenté par R1. de Réaumur; et le même jour, 2 a août i?4 a » j’eus l’honneur de lire à l’académie le mémoire que j’avais préparé pour cela. Quoique cette illustre assemblée fût assurément très-imposante , j’y fus beaucoup moins intimidé que devant madame de Boze, et je me tirai passablement de ma lecture et de mes réponses. Le mémoire réussit, et m’attira des complimens qui me surprirent au-, tant qu’ils me flattèrent, imaginant à peine que , devant une académie , quiconque n’en était pas pût avoir le sens commun. Les commissaires qu’on me donna furent MM. de Mairan, Hellot, et de Fouchi ; tous trois gens de mérite assurément, mais dont pas un ne savait la musique , assez du moins pour être en étal de juger de mon projet. Durant mes conférences avec ces messieurs, je me convainquis, avec autant de certitude que de surprise, que si quelquefois les savans ont moins de préjugés que les autres hommes, ils tirnnent en revanche encore plus fortement à ceux qu’ils ont. Quelque faibles , quelque fausses que fussent la plupart de leurs objections, et quoique j’y répon- riBTIE II, L1V11E VIT. 17 disse timidement, je l’avoue, et en mauvais termes, mais par des raisons péremptoires , je ne vins pas une seule fois à bout de me faire entendre et de les contenter. J’étais toujours ébahi de la facilité avec laquelle, à l’aide de quelques phrases sonores, ils me réfutaient sans m’avoir compris. Ils déterrèrent, je ne sais où, qu’un moine, appelé le P. Souhaitli, avait jadis imaginé de noter la gamme par chiffres. C’en fut assez pour prétendie que mon système n’était pas neuf. Et passe pour cela car, bien que je n’eusse jamais ouï parler du P. Souhaitti, et bien que sa manière d’écrire notesduplain-chant, sans même songeraux octaves, ne méritât en aucune sorte d’entrer en parallèle avec ma simple et commode invention pour noter aisément par chiffres toute musique imaginable, clefs, silences, octaves, mesures, temps, et valeur des notes, choses auxquelles- Souhaitti n’avait pas même songé; il était néanmoins très-vrai de dire que, quant à l'élémentaire- expression des sept notes, il en était le premier inventeur. Mais, outre qu’ils donnèrent à cette invention primitive plus d’importance qu’elle n’en avait, ils ne s’en tinrent pas là ; et sitôt qu’ils voulurent parler du fond du système, ils ne firent plus que déraisonner. Le plus grand avantage du mien était d’abroger les transpositions et les clefs, en sorte que le même morceau se trouvait noté et transposé à volonté dans quelque ton qu’on voulût, au moyen du changement supposé d’une seule lettre initiale à la tête de l’air. Ces messieurs avaient ouï dire aux croque-sol de Paris que la méthode d’exécuter par transposition ne valait rien. Ils partirent de là pour tourner en invincible objection contre mon système son avantage le plus marqué, et ils décidèrent que ma noie étaitbonne pour la vocale, et mauvaise pour l8 LES CONFESSIONS. l’instrumentale ; au lieu le décider, comme ils l’auraient dû, qu’elle était bonne pour la vocale, et meilleure pour l’instrumentale. Sur leur rapport, l’académie m’accorda un certificat plein de très-beaux complimens, à travers lesquels on démêlait, pour le fond, qu’elle ne jugeait mon système ni neuf ni utile. Je ne crus pas devoir orner d’une pareille pièce l’ouvrage intitulé Dissertation sur ta musique moderne, par lequel j’en appelais au public. J’euslieuderemarqueren cette occasion combien, même avec un esprit borné, la connaissance unique mais profonde de la chose est préférable , pour en bien juger, à toutes les lumières que donne la culture des sciences lorsqu’on n’y a pas joint l’étude particulière de celle dont il s’agit. La seule objection solide qu’il y eût à faire à mon système y fut faite par Rameau. A peine le lui eus-je expliqué, qu’il en vit le côté faible. Vos signes, dit-il, sont très-bons,' en ce qu’ils déterminent simplement et clairement les valeurs , en ce qu’ils représentent nettement les intervalles et montrent toujours le simple dans le redoublé mais ils sont mauvais en ce qu’ils exigent pour chaque intervalle une opération de l’esprit, qui ne peut suivre la rapidité de l’exécution. La position de nos notes, continua-t-il , se peint à l’œil sans le concours de cette opération. Si deux notes, l’une très-haute, l’autre très-basse, sont jointes par une tirade de notes intermédiaires, je vois du premier coup d’œil que l’une est jointe à l’autre par degrés conjoints ; mais , pour m’assurer chez vous de cette tirade, il faut nécessairement que j’épelle tous vos chiffres l’un après l’autre ; le coup d’œil ne peut suppléer à rien. L’objection me parut sans réplique, et j’en convins à l’instant. Quoiqu’elle soit simple et frappante, il n’y a qu’uns PARTIE II, LIVRE Vit. 19 grande pratique de l’art qui puisse la suggérer et il n’est pas étonnant qu’elle ne soit venue à aucun académicien ; mais il l’est que tous ces grands savans qui savent tant de choses, sachent si peu que chacun ne devrait juger que de son métier. Mes fréquentes visites à mes commissaires et à d'autres académiciens me mirent à portée de faire connaissance avec tout ce qu’il y avait à Paris de plus distingué dans la littérature ; et par là cette connaissance se trouva toute faite lorsque je me vis dans la suite inscrit tout d’un coup parmi eux. Quant à présent, concentré dans mon système de musique, je m’obstinais à vouloir par lui, faire une révolution dans cet art, et parvenir de la sorte à une célébrité qui, dans les beaux-arts, se conjoint toujours à Paris avec la fortune. Je m’eufermai dans ma chambre et travaillai deux ou trois mois avec une ardeur inexprimable à refondre dans un ouvrage destiné pour le public, le mémoire que j’avais lu à l’académie. La difficulté fut de trouver un libraire qui voulût §e charger de mon manuscrit, vu qu’il y avait quelque dépense à faire pour les nouveaux caractères, que les libraires ne jettent pas leurs écus à la tète des débutans , et qu’il me semblait cependant bien juste que mon ouvrage me rendît le pain que j’avais mangé en l’écrivant. Bonnefond me procura Quillau le père, qui fit avec moi un traité à moitié profit, sans compter le privilège que je payai seul. Tant fut opéré par ledit Quillau, que j’en fus pour mon privilège et 11’ai tiré jamais un liard de cette édition , qui vraisemblablement eut un débit médiocre , quoique l’abbé des Fontaines m’eût promis de la faire aller, et que les autres journalistes en eussent dit assez de bien. LKS COÎIFÏSSIOKS. in Le plus grand obstacle à l’essai de mon système était la crainte [ue, s’il n’était pas admis, on ne perdît le temps qu’on mettrait à l’apprendre. Je disais à cela que la pratique de ma note rendait les idées si claires, que, pour apprendre la musique par les caractères ordinaires, on gagnerait encore beaucoup de temps à commencer par les miens. Pour en dofhicr la preuve par l’expérience, j’enseignai gratuitement la musique à une jeune Américaine appelée mademoiselle des Roulins, dont M. Roguin m’avait procuré la connaissance en trois mois elle fut en état de déchiffrer sur ma note quelque musique que ce fût, et même de chanter à livre ouvert, mieux que moi-méme, toute celle qui n’était pas fort chargée de difficultés. Ce succès fut frappant, mais ignoré. Un autre en aurait rempli les journaux ; mais , avec quelque talent pour trouver des choses utiles , je n'en eus jamais pour les faire valoir. Voilà comment ma fontaine de héron fut encore cassée ; mais cette seconde fois j’avais trente ans, -j’étais homme fait, et je me trouvais sur le pavé de Paris où l’on ne vit pas pour rien. Le parti que je pris dans celte extrémité n’étonnera que ceux qui n’auront pas bien lu ma première partie. Je venais de me donner des mouvemens aussi grands qu’inutiles; j’avais besoin de reprendre haleine. Au lieu de me livrer au désespoir, je me livrai tranquillement à ma paresse et aux soins de la Providence; et, pour lui donner le temps de faire son œuvre, je me mis à manger, sans me presser, quelques louis qui me restaient encore, réglant la dépense de mes nonchalans plaisirs sans la retrancher, n’allant plu» au café que de deux jours l’un , et au spectacle que deux fois la semaine. A l’égard al TARHE II , LIVRE VIT. de 1.» dépense des filles, je n’eus aucune réforme à y faire , n’ayant de ma vie mis un sou à cet usage, si ce n’est une seule fois, dont j’aurai bientôt à parler. La sécurité, la volupté, la confiance avec laquelle je me livrais à cette vie indolente et solitaire, que je n’avais pas de quoi faire durer trois mois , est une des singularités de ma vie et une des bizarreries de mon humeur. L'extrême besoin que j’avais qu’on s’occupât de moi était précisément ce qui m’ôtait le courage de me montrer; et la nécessité de faire des visites me les rendit insupportables, au point que je cessai même de voir les académiciens et autres gens de lettres avec lesquels j’étais déjà faufilé. Marivaux , l’abbé de Mabli , Fontenelle , furent presque les seuls chez qui je continuai d’aller quelquefois. Je montrai même au premier ma comédie de Narcisse. Elle lui plut, et il eut la complaisance de la retoucher. Diderot, plus jeune qu’eux, était à peu près de mon âge. 11 aimait la musique ; il en savait la théorie; nous en parlions ensemble il me parlait aussi de ses projets d’ouvrages. Cela forma bientôt entre nous des liaisons plus intimes, qui ont duré quinze ans, et qui probablement dureraient encore, si malheureusement, et bien par sa faute , je n’eusse été jeté dans son même métier. On n’imaginerait pas à quoi j’occupais ce court et précieux intervalle qui me restait encore avant d’être forcé de mendier mon pain à étudier par cœur des passages de poètes que j’avais appris cent lois, et autant de fois oubliés. Tous les matins, vers les dix heures , j’allais me promener au Luxembourg un Virgile et un Rousseau dans ma poche ; et là, jusqu’à l’heure du dîner, je remémorais Ü3 CONFESSIONS. tantôt une ode sacrée et tantôt une bucolique, sans me rebuter de ce qu’en repassant celle du jour je ne manquais pas d’oublier celle de la veille. Je me rappelais qu’après la défaite de Nicias à Syracuse les Athéniens prisonniers gagnaient leur vie à réciter les poèmes d’Homère. Le parti que je tirai de ce trait d’érudition pour me prémunir contre la misère fut d’exercer mon heureuse mémoire à retenir tous les poètes par cœur. J’avais un autre expédient non moins solide dans les échecs , auxquels je consacrais régulièrement , au café de Maugis, les après-midi des jours que je n’allais pas au spectacle. Je fis, là, connaissance avec M. de Légal - , avec un M. Husson , avec Pliilidor , avec tous les grands joueurs d’échecs de ce temps-là, et n’en devins pas plus habile. Je ne doutai pas cependant que je ne devinsse à la fin plus fort qu’eux tous , et c’en était assez selon moi pour me servir de ressource. De quelque folie que je m’engouasse, j’y portais toujours la même manière de raisonner. Je me disais Quiconque prime en quelque chose est toujours sûr d’être recherché , primons donc, n’importe en quoi; je serai recherché ; les occasions se présenteront, et mon mérite fera le reste. Cet enfantillage n’était pas le sophisme de ma raison , c’était celui de mon indolence. Effrayé des grands et rapides efforts qu’il aurait fallu faire pour m’évertuer, je tâchais de flatter ma paresse , et je m’en voilais la honte par des argumens dignes d’elle. .l’attendais ainsi fin de mon argent; et je crois que je serais arrivé au dernier sou sans m’en émouvoir davantage, si le P. Castel, que j’allais voir quelquefois en allant au café, ne m’eût arraché de ma léthargie. Le P. Castel était PARTIE II , LIVRE VII. 23 fou, mais bon homme au demeurant il était fâché de me voir consumer ainsi sans rien faire. Puisque les musiciens, me dit-il, puisque les savans ne chantent pas à votre unisson , changez de corde, et voyez les femmes. Vous réussirez peut-être mieux de ce côté-là. J’ai parlé île vous à madame de Beu- zen val ; allez la voir de ma part. C’est une bonne femme qui verra avec plaisir un pays de son fils et de son mari. Vous verrez chez elle madame de Broglie sa fille, qui est une femme d’esprit. Madame Dupin en est une autre à qui j’ai aussi parlé de vous portez-lui votre ouvrage ; elle a envie de vous voir, et vous recevra bien. O11 ne fait rien dans Paris que par les femmes. Ce sont comme des courbes dont les sages sont les asiinptotes ; ils s’en approchent sans cesse, mais ils n’y touchent jamais. Après avoir long-temps remis d’un jour à l’autre l’exécution de ces terribles corvées, je pris enfin courage, et j’allai voir madame de Beuzenval. Elle me reçut avec bonté. Madame de Broglie étant entrée dans sa chambre, elle lui dit Ma fille, voilà M. Rousseau dont le P. Castel nous a parlé. Madame de Broglie me fit compliment sur mon ouvrage, et, me menant à son clavecin , me fit voir qu’elle s’en était occupée. Voyant à sa pendule qu’il était près d’une heure, je voulus m’en aller. Madame de Beuzenval me dit Vous êtes loin de votre quartier, restez; vous dînerez ici. Je ne me fis pas prier. Un quart d’heure après, je compris par quelque mot que le dîner auquel ellem’invitaitétait celui de son office. Madame de Beuzenval était une très-bonne femme, mais bornée ; et, trop pleiue de son illustre noblesse polonaise , elle avait peu d’idée des égards qu’on doit aux talens. Elle me jugeait même en cette occasion sur mou maintien plus que sur mon équi- CONFESSIONS. - f .âge, qui, quoique très-simple, était fort propre, et n’annonçait point du tout un homme fait pour dîner à l’oflicc. J’en avais oublié le chemin depuis trop long-temps pour vouloir le rapprendre. Sans laisser voir tout mon dépit, je dis à madame de Ileuzenval qu’une petite affaire qui me revenait en mémoire me rappelait dans mon quartier, et je voulus partir. Madame de Broglie s’approcha de sa mère ,et lui dit à l’oreille quelques mots qui firent effet. Madame de Beuzenval se leva pour me retenir, et médit Je compte que c’est avec nous que vous nous ferez l’honneur de dîner. Je crus que faire le fier eût élé faire le sot, et je resJai. D’ailleurs la bonté de madame de Broglie m’avait touché, et me la rendait intéressante. Je fus fort aise ^ de dîner avec elle, et j’espérai qu’en me connaissant davantage elle n’aurait pas regret à m’avoir procuré cet honneur. M. le président de Lamoignon, grand ami de la maison , y dîna aussi. Il avait, ainsi que madame de Broglie, ce petit jargon de Paris, tout en petils mots, tout en petites allusions fines. 11 n’y avait pas là de quoi briller pour le pauvre Jean-Jacques. J’eus le bon sens de ne vouloir pas faire le gentil malgré Minerve, et je me tus. Heureui si j’eusse été toujours aussi sage 1. je ne serais pas dans l’abîme où je suis aujourd’hui. J’étais désolé de ma lourdiso, et de ne pouvoir justifier aux yeus île madame de Broglie ce qu’elle avait fait en ma faveur. Après le dîner je m’avisai de ma ressource ordinaire. J’avais dans ma poche une épître en vers écrite à Parisot pendant mon séjour à Lyon. Ce morceau ne manquait pas de chaleur; j’en mis dans 1 a façon de le réciter, et je les fis pleurer tons Uccs- Soit vanité, soit, vérité dans me» inlerpré- FAUT EK H , LIVRE VU. 3 5 tâtions, je crus voir que les regards de madame de Broglie disaient à sa mère, lié bien, maman! avais-je tort de vous dire que cet homme était plus fait pour dîner avec vous qu’avec vos femmes? Jusqu’à ce moment j’avais eu le cœur un peu gros ; mais après m’ètre ainsi vengé, je lus content. Madame dellroglie, poussant un peu trop loin le jugement avantageux qu’elle avait porté de mot , crut que j’allais faire sensation dans Paris, et devenir un homme à bonnes fortunes. Pour guider mon inexpérience, elle me donna les Confessions dit comte de ***. Ce livre, me dit-elle, est un Mentor dont vous aurez besoin dans le monde. Vous ferez bien de le consulter quelquefois. J’ai gardé plus de vingt ans cet exemplaire avec reconnaissance pour la main dont il me venait, mais riant quelquefois de .l’opinion que paraissait avoir celte dame de mon mérite galant. Du moment que j’eus lu cet ouvrage je désirai d’obtenir l’amitié de l’auteur. Mon penchant m’inspirait très-bien; c’est le seul ami vrai que j’aie eu parmi les gens de lettres i}. Dès lors j’osai compter que madame la baronne de Beuzenval et madame la marquise de lîroglie, prenant intérêt à moi, ne me laisseraient pas longtemps sans ressource; et je ne me trompai pas. i Je l’ai cru si long-temps et si parfaitement, que c’est à lui que depuis mon retour à Paris je confiai le manuscrit de mes Confessions. défiant Jean-Jacques n’a jamais pu croire à la perfidie et à la fausseté qu’après en avoir été la victime. u4u heu de celle note il y a simplement dans le manuscrit autographe Voilà ce que j’aurais pensé .toujours a jr n’étais jamais revenu à Paris. » 3 PARTIE II , LIVRE Vit. 2JJ > M. de Francueil me prenait en amitié je travail- e lais avec lui ; nous commençâmes ensemble un cours de chimie chez Rouelle. Pour me rapprocher de lui, " je quittai mon hôtel Saint-Quentin, et vinsme loger e au jeu de paume de la rue Verdelet, qui donne dans la rue Plâtrière, où logeait M. Dupin. Là, par il la suite d’un rhume négligé, je gagnai une fluxion ü de poitrine dont je faillis mourir. J’ai eu souvent '• durant ma jeunesse de ces maladies inflammatoires, pleurésies , et surtout des csquinancies auxquelles 8 j’étais très-sujet, dont je ne tiens pas ici le registre, c et qui toutes m’ont fait voir la mort d’assez près il pour me familiariser avec son image. Durant ma ù convalescence, j’eus le temps de réfléchir sur mon ' état, et de déplorer ma timidité, ma faiblesse et s- mon indolence , qui, malgré le feu dont je me sen- ie tais embrasé, me laissaient languir dans l’oisiveté it d’esprit, toujours à la porte de la misère. La veille 1 - du jour où j’étais tombé malade, j’étais allé à un t- opéra de Royer qu’on donnait alors, et dont j’ai ouïe blié le titre. Malgré ma prévention pour les talen» lit des autres, qui m’a toujours fait défier des miens , r- je ne pouvais m’cmpôcher de trouver cette musique ai faible, sans chaleur, sans invention. J’osais quel- ir quefois me dire, il me semble que je ferais mieux f- que cela. Mais la terrible idée que j’avais de lacom- rs position d’un opéra, et l’importance que j’entendais î- donner par les gens de l’art à cette entreprise, m’en il. rebuiaient à l’instant môme, et me faisaient rougir 1e d’oser y songer. D’ailleurs, où trouver quelqu'un Jà qui voulût me fournir des paroles , et prendre la et peine de les tourner à mon gré? Ces idées de musique le et d’opéra me revinrent durant ma maladie ; et, oi dans le transport de ma fièvre, je composais des vers, des chants, des duo, des chœurs. Je suis 5o CONFESSIONS, certain d’avoir fait deux ou trois morceaux di prima inlenzione , dignes peut-être de l’admiration des maîtres, s’ils avaient pu les entendre exécuter. O si l’on pouvait tenir registre des rêves d’un fiévreux, quelles grandes et sublimes choses on verrait sortir quelquefois de son délire ! Ces sujets de musique et d’opéra m’occupèrent j encore pendant ma convalescence, mais plus tran- , quillement. A force d’y penser, et même malgré moi, ; je voulus en avoir le cœur net, et tenter de faire à t l’œstre poétique et musical, je composai rapidement i- en sept ou huit heures la meilleure partie de mon 1, acte. Je puis dire que mes amours pour la princesse à de Ferrare car j’étais Le Tasse pour lors , et mes lit nobles et fiers sentimens vis-à-vis de son injuste is frère, me donnèrent une nuit cent fois plus débet cieuse que je ne l’aurais trouvée dans les bras de iu la première beauté de l’univers. Il ne resta le matin h- dans ma tète qu’une bien petite partie de ce que iir j’avais fait; mais ce peu, presque effacé par la lassi- t, tude et le sommeil, ne laissait pas de marquer encore e, l’énergie des morceaux dont il offrait les débris, et Pour cette fois je ne poussai pas fort loin ce tra- nt vail, en ayant été détourné par d’autres affaires, lu Tandis que je m’attachais à la maison Dupin, madame de Beuzenval et madame de Broglie, que je li-, continuai de voir quelquefois, ne m’avaient pas n, oublié. M. le comte de Montaigu, capitaine aux ts gardes, venait d’èlre nommé ambassadeur à Venise, m C’était un ambassadeur de la façon de Barjac *, ut auquel il faisait très-assidûment la cour. Son frère ;e t le chevalier de Montaigu, gentilhomme de la man- M che de monseigneur le dauphin, était de la con- naissance de ces deux dames, et de celle de l’abbé ,j. Alari, de l’académie française, que je voyais aussi té quelquefois. Madame de Broglie, sachant que le e ,nouvel ambassadeur cherchait un secrétaire, me la -— - - V6 * Valet-dc-chambrc du cardinal de Fleuri. 2 . 3 LES CONFESSIONS. 3a proposa. Nous entrâmes en pourparler. Je deman- i lais cinquante louis d’appointement, ce qui était i bien peu dans une place où l’on est obligé de tigu- i rer. Il ne voulait me donner que cent pistoles, et ] que je fisse le voyage à mes frais. La proposition i était ridicule. Nous ne pûmes nous accorder. M. de i Francueil, qui faisait tous ses efforts pour me re- i tenir, l’emporta. Je restai, et M. de Slontaigu 3 partit , emmenant un autre secrétaire, nommé t M. Follau, qu’on lui avait donné au bureau des 1 affaires étrangères. A peine furent-ils arrivés à Ve- I nise qu’ils se brouillèrent. Follau, voyant qu’il avait 1 affaire à un fou, le planta là ; et M. de Montaigu, n’ayant qu’un petit abbé, appelé de Binis, qui 1 écrivait sous le secrétaire, et 11’était pas en état d’en , remplir la place, eut recours à moi. Le chevalier t son frère, homme d’esprit, me tourna si bien, me faisant entendre qu’il y avait des droits attachés à la » place de secrétaire, qu’il me fit accepter les mille fr. Ij J’eus vingt louis pour mon voyage, et je partis. je A Lyon j’aurais bien voulu prendre la route J du Mont-Cénis pour voir en passant ma pauvre p maman; mais je descendis le Rhône, et fus m’en- à barquer à Toulon pour Gènes , tant par raison. e d’économie, que pour prendre un passe-port de la M. de Mirepoix qui commandait alors en Provence, 11 et à qui j’étais adressé. M. de Montaigu, ne pou- di vant se passer de moi, m’écrivait lettre sur lettre pour presser mon voyage. Un incident le retarda, n C'était le temps de la peste de Messine. La flotte p anglaise y avait mouillé, et visita la felouque sur cl laquelle j’étais. Cela nous assujettit, en arrivant à gt Gènes après une longue et fatigante traversée, à une là quarantaine de vingt-un jours. On donna le choix gu aux passagers de la faire à bord, ou au lazaret, pr PARTIE II, LIVRE VII. 3 ”' - flans lequel on nous prévint que nous ne trouve- it rions que les quatre murs, parce qu’on n’avait pas i- encore eu le temps de le meubler. Tous choisirent t la felouque. L’insupportable chaleur, l’espace n étroit, l’impossibilité d’y marcher, la vermine, >e me firent préférer le lazaret, à tout risque. Je fus conduit dans un grand bâtiment à deux étages ;u absolument nu, où je ne trouvai ni fenêtre, ni lit, îé ni table, ni chaise, pas même un escabeau pour es m’asseoir, ni une botte de paille pour me coucher, e- On m’apporta mon manteau , mon sac de nuit, lit mes deux malles ; on ferma sur moi de grosses 1, portes à grosses serrures, et je restai là, maître de ui me promener à mon aise de chambre en chambre en et d’étage en étage, trouvant partout la même soli- iei tude et la même nudité. ne Tout cela ne me fitpas repentir d’avoir choisi le la- U zaret plutôt que la felouque, et, comme un autre Ro- fr. binson, je me mis à m’arranger pour mes vingt-un 5. jours comme jjaurais pu faire pour toute ma vie. lit J’eus d’abord l’amusement d’aller à la chasse aux ire poux que j'avais gagnés dans la felouque. Quand, n- à force de changer de linge et de hardes, je me fus soi enfin rendu net, je procédai à l’ameublement de & la chambre que je m’étais choisie. Je me fis un bon c e matelas de mes vestes et de mes chemises, des 3 ij. draps de plusieurs serviettes que je cousis, une cou- tto verture de ma robe de chambre, un oreiller de mon da manteau. Je me fis un siège d’une malle posée à jtli plat, et une table d’une autre que je mis sur s champ. Je tirai du papier, une écritoire; j’arran- iti geai en manière de bibliothèque une douzaine de un' livres que j’avais. Bref, je m’accommodai si bien, loi u ’à l’exception des rideaux et des fenêtres j’étais ret Presque aussi commodément à ce lazaret qu’à mon 34 LL S CONFESSIONS. jeu de paume de la rue Verdelet. Mes repas étaient servis avec beaucoup de pompe deux grenadiers, la baïonnette au bout du fusil, les escortaient; Pes- calier était ma salle à manger, le haut du pallier me servait de table, la marche inférieure me servait de siège; et, quand mon dîner était servi, l’on sonnait, en se retirant, une clochette pour m’avertir de me mettre à table. Entre mes repas, quand je ne lisais ni n’écrivais, ou que je 11e travaillais pas à mon ameublement, j’allais me promener dans le cimetière des protestans, qui me servait de cour, ou je montais dans une lanterne qui donnait sur le port, et d’où je pouvais voir entrer et sortir les navires. Je passai de la sorte quatorze jours; et j’y aurais passé la vingtaine sans m’ennuyer un moment, si M. de Jonville, envoyé de France, à qui je fis parvenir une lettre vinaigrée, parfumée et demi-brûlée, n’eût fait abréger mon temps de huit jours je les allai passer chez lui, et je me trouvai mieux, je l’avoue, du gîte de sa maison que de celui du lazaret. Il me fit force caresses. Dupont son secrétaire était un bon garçon, qui me mena, tant à Gênes qu’à la campagne, dans plusieurs maisons où l’on s’amusait assez ; et je liai avec lui connaissance et correspondance, que nous entretînmes fort long-temps. Je poursuivis agréablement ma route à travers la Lombardie; je vis Milan, Vérone , Bresse, Padouc; et j’arrivai enfin à Venise, impatiemment attendu par M. l’ambassadeur. . Je trouvai des tas de dépêches tant de la cour que des autres ambassadeurs , dont il n’avait pu lire ce qui était chilfré, quoiqu’il eût tous les chiffres nécessaires pour cela. N’ayant travaillé dans aucun bureau, ni vu de ma vie un chiffre de ministre, je craignis d’abord d’être embarrassé ; mais je trouvai rAEÎIÎ n, LIVRE VIT. que rien n’était plus simple ; et en moins de huit jours j’eus déchiffré le tout, qui assurément n’en valait pas la peine; car outre que l’ambassade de Venise est toujours assez oisive, ce n’était pas a ce pauvre homme qu’on eût voulu confier la moindre négociation. Il s’était trouvé dans un grand embarras jusqu’à mon arrivée, ne sachant ni dicter ni écrire lisiblement. Je lui étais très-utile; il le sentit, et me traita bien. Un autre motif l’y portait encore. Depuis M. de Froulai son prédécesseur, dont la tête s’était dérangée, le consul de France, appelé M. Le Blond, était resté chargé des affaires de l’ambassade; et, depuis l’arrivée de M. do, M'ontaigu, il continuait de les faire jusqu’à ce qu’il l’eût mis au fait. M. de Montaigu, jaloux qu’un'autre fît son métier, quoique lui-même n’y entendît rien, prit en guignon le consul; et, sitôt que je fus arrivé, il lui ôta les fonctions de secrétaire d’ambassade pour me les donner. Elles étaient inséparables du titre; il me dit de le prendre- Tant que je restai près de lui, jamais il n’envoya que moi sous ce titre au sénat et chez son confèrent; et dans le fond il était fort naturel qu’il aimât mieux avoir pour secrétaire d’ambassade un homme à lui qu’un consul ou un commis des bureaux nommé par la cour. Cela rendit ma situation assez agréable, et empêcha ses gentilshommes, qui étaient Italiens, ainsi que ses pages et la plupart de scs gens, de me disputer la primauté dans sa maison je me servis avec succès de l’autorité qui y était attachée pour maintenir son droit de liste, c’est-à-dire, la franchise de son quartier contre les tentatives qu’on fit plusieurs fois pour l’enfreindre et auxquelles ses officiers vénitiens n’avaient garde de résister. Mais aussi je ne souffris jamais qu’il s’y réfugiàtdes bandits, 36 LIS CONFESSIONS, quoiqu’il m’en eût pu revenir des avantages dont son excellence n’aurait pas dédaigné sa part. Elle osa même la réclamer sur les droits du secrétariat, qu’on appelait la chancellerie. On était en guerre, il ne laissait pas d’y avoir bien des expéditions de passe-ports. Chacun de ces passe-ports payait un sequin au secrétaire qui l’expédiait et le contresignait. Tous mes prédécesseurs s’étaient fait payer indistinctement ce sequin tant des Français que des étrangers. Sans être Français, je trouvai cet usage injuste, et je l’abrogeai pour les Français mais j’exigeai si rigoureusement mon droit de tout autre, que le marquis Scotti, frère du favori de la reine n’îispagne, m’ayant fait demander un passe-port sans m’envoyer le sequin, je le lui fis demander, hardiesse que le vindicatif Italien n’oublia pas. Dès qu’on sut la réforme que j’avais faite dans la taxe îles passe-ports, il ne se présenta plus pour en avoir que des foules de prétendus Français, qui, dans des baragouins abominables, se disaient, l’un Provençal, l’autre Picard, l’autre Bourguignon. Comme j’ai l’oreille assez fine, je n’en fus guère la dupe; et je doute qu’un seul Italien m’ait souillé mon sequin. J’eus la bêtise de dire à M. de Montaigu, qui ne savait rien de rien, ee que j’avais fait. Ce mot de sequin lui fit ouvrir les oreilles; et sans médire son avis sur la suppression de ceux des Français, il prétendit que j’entrasse en compte avec lui sur les autres, me promettant des avantages équivalens. Plus indigné de cette bassesse qu'affecté par mon intérêt, je rejetai hautement sa proposition; il insista, je m’échauffai Non, monsieur, lui dis-je très-vivement, que votre excellence garde ce qui est à elle et me laisse ce qui est à moi, je ne lui en céderai jamais un sou. Voyant qu’il ne gagnerait rien par cette voie, il en PARTIE II , LIVRE VU. $7 prit une autre, et n’eut pas honte de me dire que puisque j’avais lesprofits de sa chancellerie, il était juste que j’en fisse les frais. Je ne voulus pas chicaner sur cet article; et depuis lors j’ai fourni de mon argent, encre, papier, cire, bougie, nompareille, et tout le reste, sans qu’il m’en ait jamais remboursé un liard. Cela ne m’empôcha pas de faire une petite part du produit des passe-ports à l’abbé de Binis, bon garçon, et bien éloigné de prétendre à rien de semblable. S’il était complaisant envers moi, je n’étais pas moins honn été envers lui, et nous avons toujours bien vécu ensemble. Sur l’essai de ma besogne, je la trouvai, moins embarrassante que je n’avais craint pour un homme sans expérience, auprès d’un ambassadeur qui n’en avait pas davantage, et dont, pour surcroît, l’ignorance et l’entêtement contrariaient comme à plaisir tQUt çç que le bon sens et quelques lumières m’inspiraient de bien pour son service et celui du roi. Ce qu’il fit de plus raisonnable fut de se lier avec le marquis Mari, ambassadeur d’Espagne, homme adroit et fin, qui l’eût mené par le nez s’il eût Voulu; iîluîS oui > vu l’union d’intérêt des deux cou- ’ ronnes, le conseillai! assez bien, si l’autre n’eût gâté ses conseils, en fourrant toujours du sien dans leur exécution. La seule chose qu’ils eussent à faire de concert, était d’engager les Vénitiens à maintenir la neutralité. Ceux-ci ne manquaient pas de protester de leur fidélité à l’observer, tandis qu’ils fournissaient publiquem,’Ut des munitions aux troupes autrichiennes et même a?* recrues , sous prétexte de désertion. M. de Monlaigu, qui, je crois, voulait plaire à la république, ne manquait pas aussi, malgré mes représentations, de me faire assurer dans toutes ses dépêches, qu’elle n’cnlYein- LES COXFESSIOSS. 58 irait jamais la neutralité. L’entêtement et la stupidité de ce pauvre homme me faisaient écrire et faire à tout moment des extravagances dont j’étais bien forcé d’être l’agent puisqu’il le voulait, mais qui me rendaient quelquefois mon métier insupportable et même presque impraticable. Il voulait absolument que la plus grande partie de sa dépêche au roi et de celle au ministre fût en chiffres, quoique l’une et l’autre ne contînt absolument rien qui demandât cette précaution. Je lui représentai qu’entre le vendredi qu’arrivaient les dépêches de la cour, et le samedi que partaient les nôtres, il n’y avait pas assez de temps pour l’employer à tant 1e chiffres et à la forte correspondance dont j’étais chargé par le même courrier. Il trouva à cela un expédient admirable ; ce fut de faire dès le jeudi la réponse aux dépêches qui devaient arriver le lendemain. Cette idée lui parut si heureusement trouvée, que, quoi que je pusse lui dire sur l’impossibilité, sur l’absurdité de son exécution, il en fallut passer par là, et, tout le temps que j’ai demeuré chez lui, après avoir tenu note de quelques mots qu’il me disait dans la semaine à la volée, ei de quelques nouvelles triviales que j’allais écumant par-ci par-là, muni de ces uniques matériaux, je ne manquais jamais le jeudi matin de lui porter le brouillon des dépêches qui devaient partir le samedi, sauf quelques additions ou corrodions à faire sur celles qui devaient venir le vendredi, et auxquelles les nôtres servaient de réponses. Il avait un autre tic fort plaisant, et qui donnait à sa correspondance un ridicule difficile à imaginer; c’était de renvoyer chaque nouvelle à sa source, au lieu Te lui faire suivre son cours. Il marquait à M. Ame- lot les nouvelles de la cour, à M. de Maurepas PARTIE II, LIVRE vil. cxj celles cependant n'est plus vrai. Véronèse, leui père, s’était engagé pour la troupe italienne, et, après avoir reçu deux mille francs pour son voyage, au lieu de partir , il s’était tranquillement mis à Venise au théâtre de i, où Coralline, tout enfant qu’elle était encore, attirait beaucoup de monde. M. le due de Gesvres, comme premier gentilhomme de la chambre, écrivit à l’ambassadeur pour réclamer le père et la fille. M. de Montaigu me donna la lettre et, pour toute instruction, me dit, Voyez cela. J’allai chez M. Le Blond le prier de parler au patricien à qui appartenait le théâtre de Saint-Luc , et qui était, je crois, un Zustiniani, afin qu’il renvoyât Véronèse, qui était engagé au service du roi. Le Blond, qui .ne so souciait pas trop de la commission , la fit mal. Zustiniani battit la campagne, et Véronèse ne fut point renvoyé. J’étais piqué. L’on était en carnaval; aySPt pris la bahutte et le masque, je me fis mener au palais Zusliniani. Tous ceux qui virent entrer ma gondole avec la livrée de l’ambassadeur furent frappés Venise n’avait jamais vu pareille chose. J’entre, je me fais annoncer sous le nom d'una siora Marchera. Sitôt que je fus introduit, j’ôtai mon masque et je me nommai. Le sénateur pâlit, et resta stupéfait. Monsieur, lui dis-je, c’est à regret que j’importune votre Éminence de ma visite; mais vous avez à votre théâtre de Saint-Luc un homme nommé \ éronèse qui est engagé au service du roi, et qu’on vous a fait demander inutilement je viens le réclamer au nom de sa majesté. Ma courte i le suis en doute si ce n’était point Saint-Samuel. Les noms propres m’échappent absolument. Cette note n’est point dans le manuscrit autographe. /ja tes coxtEsstoxs* harangue fit effet. A peine étais-je parti, que mon homme courut rendre compte de son aventure aux inquisiteurs d’état, qui lui lavèrent la tète. Vérotièse fut congédié dès le jour même. Je lui fis dire que s’il ne partait dans la huitaine, je le ferais arrêter, et il partit. Dans une autre occasion, je tirai de peine un capitaine de vaisseau marchand, par moi seul et presque sans le concours de personne. Il s’appelait le capitaine Olivet de Marseille. Son équipage avait pris querelle avec des l'selavons au service de la république; il y avait eu des voies de fait, et le vaisseau avait été mis aux arrêts avec une telle sévérité, que personne , excepté le seul capitaine, n’y pouvait aborder ni en sortir sans permission. Il eut recours à l’ambassadeur qui l’envoya promener il fut au consul, qui lui dit que ce n’était pas une affaire do commerce, et qu’il ne pouvait s’en mêler ; ne sachant plus que faire, il revint à moi. Je représentai à M. de Montaigu qu’il devait me permettre de donner sur cette affaire un mémoire au sénat ; je ne me rappelle pas s’il y consentit et si je présentai le mémoire, mais je me rappelle bien que, mes démarches n’aboutissant à rien, et l’embargo durant toujours, je pris un parti qui me réussit. J’insérai la relation de cette affaire dans une dépêche à M. de Maurepas, et j’eus même assez de peine à faire consentir M. de Montaigu à passer cet article. Je savais que nos dépêches, sans valoir trop la peine d’être ouvertes, l’étaient à Venise. J’en avais la preuve dans les articles que j’en trouvais mot pour mot dans la gazette infidélité dont j’avais inutilement porté l’ambassadeur à se plaindre. Mon objet, en parlant de cette vexation dans la dépêche, était de tirer parti de leur PARTIE II, VII. 4^ curiosité pour leur faire peur, et les engager à délivrer le vaisseau ; car s’il eût fallu attendre pour cela la réponse de la cour, le capitaine était ruiné avant qu’elle fût venue. Je fis plus ; je me rendis au vaisseau pour interroger l’équipage. Je pris avec moi l’abbé Patizel, chancelier du consulat, qui ne vint qu’à contre-cœur, tant ces pauvres gens craignaient tous de déplaire au sénat. Ne pouvant monter à bord à cause de la défense, je restai dans ma gondole, et j’y dressai mon verbal, interrogeant à haute voix et successivement tous les gens de l’équipage, et dirigeant mes questions de manière à tirer des réponses qui leur fussent avantageuses. Je voulus engager Patizel à faire les interrogations et le verbal lui-mème, ce qui en effet était plus de son métier que du mien il n’y voulut jamais consentir, et ne dit pas un seul mot. Cette démarche, un peu hardie, eut cependant un heureux succès, et le vaisseau fut délivré longtemps avant la réponse du ministre. Le capitaine voulut me faire un présent. Sans me fâcher je lui dis , en lui frappant sur l’épaule Capitaine Olivet, crois-tu que celui qui ne reçoit pas des Français un droit de passe-port qu’il trouve établi, soit homme à leur vendre la protection du roi? 11 voulut au moins me donner sur son bord un dîner que j’acceptai, et où je menai le secrétaire d’ambassade d’Espagne, nommé Carrio, homme de mérite et très-aimable, qu’on a vu depuis secrétaire d’ambassade à Paris et chargé des affaires, avec lequel je m’étais intimement lié à l’exemple de nos ambassadeurs. Heureux si, lorsque je faisais avec le plus parfait désintéressement tout le bien que je pouvais faire, j’avais su mettre assez d’ordre et d’attention dans les tous ccs menus détails pour n’en être pas moi-même la dupe, et servir les autres à mes dépens ! Mais dans des places comme celle n distribue aux spectateurs, et où les auteurs sont toujours nommés, il n’y eut de nommé que Voltaire; et Rameau aima mieux que son nom fût supprimé que d’y voir associer le mien. Sitôt que je fus en état de sortir, je voulus aller chez M. le duc de Richelieu il n’était plus temps. 11 venait de partir pour Dunkerque, où il devait commander le débarquement destiné pour l’É- cosse. A son retour je me dis, pour autoriser ma paresse, qu’il était trop tard. Ne l’ayant plus revu depuis lors, j’ai perdu l'honneur que méritait mon ouvrage, l’honoraire qu’il devait me produire; et mon temps, mon travail, mon chagrin, ma maladie et l’argent qu’elle me coûta, tout cela fut à mes frais, sans me rendre un sou de bénéfice ou plutôt de dédommagement. Il m’a cependant toujours paru que M. de Richelieu avait naturellement de l’inclination pour moi, et pensait avantageusement de mes talens; mais mon malheur et madame de La Poplinière empêchèrent tout l’effet de sa bonne volonté. Je ne pouvais rien comprendre à l’aversion de cette femme, à qui je m’étais efforcé de plaire, et à qui je faisais assez régulièrement ma cour. Gauf- fecourt m’en expliqua les causes D’abord, me dit- il, son amitié pom-Rameau, dont elle est la prôneuse en titre, et qui ne veut souffrir aucun concurrent, et de plus un péché originel qui vous damne auprès d’elle, et qu’elle ne vous pardonnera jamais, c’est d’étre Genevois. Là -dessus il m’expliqua que l’abbé Hubert qui l’était, et sincère ami de M. de La Poplinière, avait fait seseffortspourl’empôchcr d’épouser celte femme qu’il connaissait bien, et qu’après le mariage elle lui avait voué une haine implacable, ainsi qu’à tout les Genevois. Quoique La Poplinière LES CONFESSIONS. 92 ajouta-t-il, ait de l’amitié pour vous, et que je le sache, ne comptez pas sur son appui. Il est amoureux de sa femme; elle vous hait, elle est méchante, elle est adroite; vous ne ferez jamais rien dans celte maison. Je me le tins pour dit. Ce même Gaulfecourt me rendit à peu près dans le même temps un service dont j’avais grand besoin. Je venais de perdre mon vertueux père, âgé d’environ soixante ans. Je sentis moins cette perte que je n’aurais fait en d’autres temps où les embarras de ma situation m’auraient moins occupé. Je n’avais point voulu réclamer de son vivant ce qui restait du bien de ma mère, et dont il tirait le petit revenu. Je n’eus plus là-dessus de scrupule après sa mort. Blais le défaut de preuve juridique de la mort de mon frère faisait une difficulté que Gauffecourt se chargea de lever, et qu’il leva en effet par les bons offices de l’avocat de Lolme. Comme j’avais le plus grand besoin de cette petite ressource, et que l’événement était douteux, j’en attendais la nouvelle définition avec la plus vive impatience. Un soir, en rentrant chez moi, je trouvai la lettre qui devait contenir cette nouvelle, et je la pris pour l’ouvrir avec un tremblement d’impatience dont j’eus honte au dedans de moi. Eh quoi ! me dis-je avec dédain, Jean-Jacques se laissera-t-il subjuguer à ce point par l’intérêt et par la curiosité? Je remis sur-le-champ la lettre sur ma cheminée. Je me déshabillai, me couchai tranquillement, dormis mieux qu’à mon ordinaire, et me levai le lendemain assez tard sans plus penser à ma lettre. En m’habillant je l’aperçus, je l’ouvris sans me presser, j’y trouvai une lettre-de-change. J’eus bien des plaisirs à la fois; mais je puis jurer que le plus vif fut celui d’avoir su me vaincre. J’aurais vingt traits PARTIE II , LIVRE VII. g3 pareils à citer en ma vie, mais je suis trop pressé pour pouvoir tout dire. J’envoyai une petite partie de cet argent à ma pauvre maman, regrettant avec larmes l’heureux temps où j’aurais mis le tout à ses pieds. Toutes ses lettres se sentaient de sa détresse. Elle m’envoyait des tas de recettes et de secrets dont elle prétendait que je fisse ma fortune et la sienne. Déjà le sentiment de sa misère lui serrait le cœur et lui rétrécissait l’esprit. Le peu que je lui envoyai fut la proie des fripons qui l’obsédaient. Elle ne profita de rien. Cela me dégoûta de partager mon nécessaire avec ces misérables, surtout après l’inutile tentative que je fis pour la leur arracher, comme il sera dit ci-après. Le temps s’écoulait, et l’argent avec lui. Nous étions deux, et même quatre, et, pour mieux dire, nous étions sept ou huit. Car, quoique Thérèse fût d’un désintéressement qui a peu d’exemples, sa mère n’était pas comme elle. Sitôt qu’elle se vit un peu remontée par mes soins, elle fit venir toute sa famille pour en partager le fruit. Sœurs, fils, filles, petites-filles, tout vint, hors sa fille aînée, marié au directeur des carosses d’Angers. Tout ce que je faisais pour Thérèse était détourné par sa mère eu faveur de ces affamés. Comme je n’avais pas affaire à une personne avide, et que je n’étais pas subjugué par une passion folle, je ne faisais pas des folies. Content de tenir Thérèse honnêtement, mais sans luxe, à l’abri des pressans besoins, je consentais que ce qu’elle gagnait par son travail fût tout entier au profit de sa mère, et je ne me bornais pas à cela ; mais, par une fatalité qui me poursuivait, tandis que maman était en proie à ses croquans, Thérèse était en proie à sa famille; et je ne pouvais rien faire d’aucun côté qui profitât à celle pour qui g4 T'ES CONFESSIONS. je l’avais destiné. Il était singulier que la cadette des enfans de madame Le Vasseur, la seule qui n’eût point été dotée, était la seule qui nourrissait •son père et sa mère, et qu’après avoir été long-temps battue par ses frères, par ses sœurs, même par ses nièces, cette pauvre fille en était maintenant pillée sans qu’elle pût mieux se défendre de leurs vols que de leurs coups. Une seule de ses nièces, appelée Golon, était assez aimable, et d’un caractère assez doux, quoique gâtée par l’exemple et les leçons des autres. Comme je les voyais souvent ensemble, je leur donnais les noms qu’elles s’entre- donnaient j’appelais la nièce ma nièce, et la tante ma, tante. Toutes deux m’appelaient leur oncle. De là le nom de tante duquel j’ai continué d’appeler Thérèse, et que mes amis répétaient quelquefois en plaisantant. On sent que dans une pareille situation je n’avais pas un moment à perdre pour tâcher de m’en tirer. Jugeant que M. de Richelieu m’avait oublié, et n’espérant plus rien du côté de la cour, je fis quelques tentatives pour faire passer à Paris mon opéra; mais j’éprouvai des difficultés qui demandaient bien du temps pour les vaincre-, et j’étais de jour en jour plus pressé. Je m’avisai -de présenter ma petite comédie de Narcisse aux Italiens elle y fut reçue, et j’eus les entrées, qui me firent grand plaisir. Mais ce fut tout. Je ne jyis jamais parvenir à faire jouer ma pièce; et, ennuyé de faire ma cour à des comédiens, je les plantai là. Je revins enfin au dernier expédient qui me restait, •et le seul que j’aurais dû prendre. En fréquentant la maison de M. de La Poplinière, je m’étais éloigné de celle de M. Dupin. Les deux dames, quoique parentes, étaient mal ensemble, et ne se voyaient point. Il n’y avait aucune société entre les deux PARTIE II, LIVRE VH. 1. de Besse, M. de Forcade, et d’autres dont j’ai oublié les noms. Enfin l’on y voyait des gens de mise de tous les états, excepté des abbés et des gens de robe que je n’y ai jamais vus, et c’était une convention de n’y en point introduire. Cette table assez nombreuse était très- gaie sans être bruyante, et l’on y polissonnait beaucoup sans grossièreté. Le*vieux commandeur, avec tous ses contes gras quant à la substance, ne perdait jamais sa politesse de la vieille cour, et jamais un mot de gueule ne sortait de sa bouche qu’il ne fût si plaisant, que des femmes l’auraient pardonné. Son ton servait de règle à toute la table ; i Çc fut à ce M. Ancelet. que je donnai une petite comédie de ma façon, intitule'e les Prisonniers de guerre, que j’avais faite après les désastres des Français en Bavière et en Bohême, et que je n’osai jamais avouer ni montrer , et cela par la singulière raison que jamais le roi, ni la France, ni les Français , ne furent peut • être mieux loués ni de meilleur cœur que dans cette pièce, et que, républicain et frondeur en titre, je n’osais m’avouer panégyriste d'une nation dont toutes les maximes étaient contraires aux miennes. Plus navré des malheurs de la France que les Français mêmes, j’avais peur qu’on ne taxât de flatterie et de lâcheté les marques d’un sincère attachement dont j’ai dit l’époque et la cause dans ma première partie , et que j’étais honteux de montrer. Cette note n’est point dans le manuscrit autographe déposé aux archives nationales. PARTIE II, IlVRE VIT. 99i tous ces jeunes gens contaient leurs aventures galantes avec autant de licence que de grâce, et les- contes de filles manquaient d’autant moins, que le magasin était à la porte ; car l’allée qui menait chez madame La Selle était la même où était la boutique de la Duchapt, célèbre marchande de modes, qui avait alors de très-jolies filles, avec lesquelles tous nos messieurs allaient causer avant ou après dîner. Je m’y serais amusé comme les autres, si j’eusse été plus hardi. Il ne fallait qu’entrer comme eux ; je n’osai jamais. Quant à madame La Selle , je continuai d’y aller manger assez souvent après le départ d’Altuna. J’y apprenais des foules d’anecdotes très-amusantes, et j’y pris aussi peu à peu, non, grâce au ciel, jamais les moeurs, mais les maximes que j’y vis établies. D’honnêtes personnes mises à mal, des maris trompés, des femmes séduites, des accouchemens clandestins , étaient là les textes les plus ordinaires; et celui qui peuplait le mieuxles Enfans-Trouvés était toujours le plus applaudi. Cela me gagna; je formai ma façon de penser sur celle que je voyais en règne chez des gens très-aimables, et dans le fond très- honnêtes gens, et. je me dis Puisque c’est l’usage du pays, quand on y vit on peut le suivre ; voilà l’expédient que je cherchais. Je m’y déterminai gaillardement, sans le moindre scrupule; et le seul que j’eus à vaincre fut celui de Thérèse, à qui j’eus toutes les peines du monde à faire adopter cct unique moyen de sauver son honneur. Sa mère, qui de plus craignait ce nouvel embarras de marmaille , étant venue à mon secours, elle se laissa vaincre. On choisit une sage-femme prudente et sûre, appelée mademoiselle Gouin, pour lui confier ce dépôt; et, quand le temps fut venu, Thérèse IES CONFESSIONS. 100 fut menée par sa mère chez la Gouin à la pointe Saint-Eustache. J’allai l’y voir plusieurs fois, et je lui portai un chilfre que j’avais fait à double sur deux cartes , dont une fut mise dans les langes de l’enfant, et il fut déposé par la sage-femme au bureau des Enfans-Trouvés, dans la forme ordinaire. L’année suivante , même inconvénient et même expédient, au chiffre près, qui fut négligé. Pas plus de réflexion de ma part, pas plus d’approbation de celle de la mère ; elle obéit en gémissant. On verra successivement toutes les vicissitudes que cette fatale conduite a produites dans ma façon de penser, ainsi que dans ma destinée. Quant à présent, tenons-nous à cette première époque. Ses suites, aussi cruelles qu’imprévuès, 11e me forceront que trop d’y revenir. Je marque ici celle de ma première connaissance avec madame d’Épinai, dont le nom reviendra souvent dans ccs mémoires. Elle s’appelait mademoiselle de Clavelles, et venait d’épouser M. d’Épinai , fils de M. de La Live de Bellcgarde , fermier général. Son mari était musicien, ainsi que M. de Francueil. Elle était musicienne aussi, et la passion de cet art mit entre ces trois personnes une grande intimité. M. de Francueil m’introduisit chez madame d’Épinai ; j’y soupais quelquefois avec lui. Elle était aimable, avait de l'esprit, des talens c’était assurément une bonne connaissance . à faire. Mais elle avait une amie a ppelée mademoiselle d’Ette , qui passait pour méchante, et qui vivait avec le chevalier de Valori qui ne passait pas pour bon. Je crois que le commerce de ces deux personnes fit tort à madame d’Epinai, à qui la nature avait donné , avec un tempérament très- exigeant, des qualités excellentes pour en régler ou 1 ÏABT1* H, tlVR* VU. 101 racheter les écarts. AI. de Francueil lui communiqua une partie de l’amitié qu’il avait pour moi, et m’avoua ses liaisons avec elle , dont, par cette raison , je ne parlerais pas ici, si elles ne fussent devenues publiques au point de n’ètre pas même cachées à M. d’Épinai. M. de Francueil me fit même sur cette dame des coufideuces bien singulières , qu’elle ne m’a jamais faites elle-même, et dont elle ne m’a jamais cru instruit, car je n’en ouvris ni n’en ouvrirai de ma vie la bouche ni à elle , ni à qui que ce soit *. Toute cette confiance de part et d’autre rendait ma situation très-embarrassante, surtout avec madame de Francueil, qui me connaissait assez pour ne pas se défier de moi, quoiqu’en liaison avec sa rivale. Je consolais de mon mieux cette pauvre femme, à qui son mari ne rendait assurément pas l’amour qu’elle avait pour lui. J’écoulais séparément ces trois personnes; je gardais leurs secrets avec la plus grande fidélité, sans qu’aucune des trois m’en arrachât jamais aucun de ceux des deux autres, et sans dissimuler à chacune des deux femmes mon attachement pour sa rivale. Madame de Francueil, qui voulait se servir de moi pour bien des choses, essuya des refus formels; et madame d’Épinai m’ayant voulu charger une fois d’une lettre pour Francueil, non-seulement en reçut un pareil, mais encore une déclaration très-nette que si elle voulait me chasser pour jamais de chez elle , elle n’avait qu’à me faire une seconde fois pareille proposition. Il faut rendre * Ce secret si bien garde n’en est plus un aujourd’hui , grâces à la correspondance de madame d’Épinai, publiée au commencement de 1818; il s’agit d T une maladie trans- inioe du mari par l’intermédiaire de sa femme à M. de Frau- cucil , qui faillit en mourir. Ï02 ÏES CONFESSIONS, justice à madame d’Épinai. Loin que ce procédé parût lui déplaire, elle. en parla à Francueil avec éloge , et ne m’en reçut pas moins bien. C’est ainsi que dans des relations orageuses entre trois personnes que j’avais à ménager, dont je dépendais en quelque sorte , et pour qui j’avais de l’attachement, je conservai jusqu’à la fin leur amitié, leur estime , leur confiance, en me conduisant avec douceur et complaisance, mais toujours avec droiture et fermeté. Malgré ma bêtise et ma gaucherie, madame d’Épinai voulut me mettre des amuse- mens de la Chevrette, château près de Saint-Denis, appartenant à M. de Bellegarde. II y avait un théâtre où l’on jouait souvent des pièces. On me chargea d’un rôle que j’étudiai six mois sans relâche , et qu’il fallut me souiller d’un bout à l’autre à la représentation. Après cette épreuve, on ne me donna plus de rôle *. En faisant la connaissance de madame d’Epinai, je fis aussi celle de sa belle-sœur, mademoiselle de Bellegarde , qui devint bientôt comtesse de Houdetot. La première fois que je la vis elle était à la veille de son mariage ; elle me fit voir l’appartement qu’on lui préparait, et me causa long-temps * La pièce que l’on joua était l’Engagement téméraire , par Jean-Jacques. Elle eut , dit madame d’Epinai dans ses Mémoires , un grand succès ; je doute qu’elle pût réussir au théâtre , mais c’est l’ouvrage d’un homme de beaucoup d’esprit et peut-être d’un homme singulier. Il est probable que Rousseau exagère ici sa gaucherie, car mademoiselle d’Ette, qui était fort méchante , dans une lettre an chevalier de Valori , à qui elle rendait compte des plaisirs de la Chevrette dit, en parlant delà manière dont la pièce fut jouée Les hommes ne sont pas aussi excellens que les Jetâmes,• mais ils ne gâtent vien. 100 PARTIE II , LIVRE VII. avec cetle familiarisé charmante qui lui est naturelle. Je la trouvai très-aimable, mais j’étais bien .éloigné de prévoir que cette jeune personne ferait un jour le destin de ma vie , et m’entraînerait, quoique bien innocemment, dans l’abîme où je suis aujourd’hui. Quoique je n’aie pas parlé de Diderot depuis mon retour de Venise, non plus que de mon ami M. Roguin, je n’avais pourtant négligé ni l’un ni l’autre , et je m’étais surtout lié de jour en jour plus intimement avec le premier. Il avait une Nanette, ainsi que j’avais une Thérèse; c’était entre nous une conformité de plus. Mais la différence était que ma Thérèse, aussi bien tout au moins de figure que sa Nanette, avait une humeur douce et un caractère aimable , fait pour attacher un honnête homme ; au lieu que la sienne, pie- grièche et liarengère, ne montrait rien aux yeux des autres qui pût racheter la mauvaise éducation. Il l’épousa toutefois ce fut fort bien fait s’il l’avait promis. Pour moi, qui n'avais rien promis de semblable , je ne me pressai pas de l’imiter. Je m’étais aussi lié avec l’abbé de Condillac, qui n’était rien, non plus que moi, dans la littérature, mais qui était fait p our devenir ce qu’il est-aujourd’hui. Je suis le premier peut-être qui ai vu sa portée, et qui l’ai estimé ce qu’il valait. 11 paraissait aussi se plaire avec moi ; et tandis qu’enfermé dans ma chambre, rue Jean - Saint - Denis près l’opéra, je faisais mon acte d 'Hésiode, il venait quelquefois dîner avec moi tète à tète en pique- nique. Il travaillait alors à Y Essai sur l’origine des connaissances humaines , qui est son premier ouvrage. Quand il fut achevé, l’embarras fut de trouver un libraire qui voulût s’en charger. Les A. $ CES COXrzSSIONS. io4 libraires de Paris sont arrogans et durs pour tout homme qui commence; et la métaphysique, alors très-peu à la mode, n’offrait pas un sujet bien attrayant. Je parlai à Diderot de Condillac et de son ouvrage ; je leur fis faire connaissance. Ils étaient faits pour se convenir, ils se convinrent. Diderot engagea le libraire Durand à prendre le manuscrit de l’abbé, et ce grand métaphysicien eut de son premier livre, et presque par grâce, cent écus qu’il n’eut peut-être pas trouvés sans moi. Comme nous demeurions dans des quartiers fort éloignés les uns des autres, nous nous rassemblions tous trois une fois la semaine au Palais- Royal, et nous allions dîner ensemble à l’hôtel du Panier fleuri. Il fallait que ces petits dîners hebdomadaires plussent extrêmement à Diderot, car lui, qui manquait presque à tous ses rendez-vous, fussent-ils même avec des femmes, ne manqua jamais à aucun de ceux-là. Je formai là le projet d’une feuille périodique intitulée le Persifleur, que nous devions faire alternativement Diderot et moi. J’en esquissai la première feuille, et cela me fit faire connaissance avec d’Alembert, à qui Diderot en avait parlé. Des événemens imprévus nous barrèrent, et ce projet en demeura là. Ces deux auteurs venaient d’entreprendre le Dictionnaire encyclopédique , qui ne devait d’abord être qu’une espèce de traduction de Chambers, semblable à peu près à celle du Dictionnaire de médecine de James, que Diderot venait d’achever. Celui-ci voulut me faire entrer pour quelque chose dans celte seconde entreprise, et me proposa la partie de la musique, que j’acceptai et que j’exe- cutai très à la hâte et très-mal dans les trois mois qu’il m’avait donnés, comme à tous les auteurs PABT1E II, LIVRE Vil. 10 > qui levaient concourir à celte entreprise. Mais je fus le seul qui fut prêt au terme prescrit. Je lui remis mon manuscrit que j’avais fait mettre au net par un laquais de M. de Francueil, appelé Dupont, qui écrivait très-bien, et à qui je payai dixécus tirés de ma poche et qui ne m’ont jamais été remboursés. Diderot m’avait promis, de la part des libraires, une rétribution dont il ne m’a jamais reparlé, ni moi à lui. Cette entreprise de VEncyclopédie fut interrompue par sa détention. Les Pensées philosophiques lui avaient attiré quelques chagrins, qui n’eurent poiut de suite. 11 n’en fut pas de même de la Lettre sur ies A veugles , qui n’avait rien de répréhensible que quelques traits personnels dont madame du Pré de Saint-Maur et M. de Réaumur furent choqués, et pour lesquels il fut mis au donjon de Yincennes. Rien ne peindra jamais les angoisses que me lit sentir le malheur de mon anti. Ma funeste imagination, qui porte toujours le mai au pis, s’effaroucha. Je le crus là pour le reste de sa vie. La tête faillit à m’en tourner. J’écrivis à madame de Pompadour, pour la conjurer de le faire relâcher ou d’obtenir qu’on m’enfermât avec lui Je n’eus aucune réponse à ma lettre elle était trop peu raisonnable pour être efficace, et je ne me Halte pas qu’elle ait contribué aux adoucissemens qu’on mit quelque temps après à la captivité du pauvre Diderot. Mais si elle eût duré quelque temps encore avec la même rigueur, je crois que je serais mort de désespoir au pied de ce malheureux don- J jon. Au reste, si ma lettre a produk peu d’effet, je ne m’en suis pas non plus beaucoup fait valoir, s car je n’en parlai qu’à très-peu de gens , et jamais à s Diderot lui-même. IES CONFESSIONS. 106 LIVRE HUITIÈME. J’Ai dû faire une pose à la fin du précèdent livre. Avec celui-ci commence, dans sa première origine, la longue chaîne de mes malheurs. Ayant vécu dans deux des plus brillantes maisons de Paris, je n’avais pas laissé, malgré mon peu d’entregent, d’y faire quelques connaissances. J’avais fait entre autres chez madame Dupin celle du jeune prince héréditaire de Saxe-Gotha et du baron de Thun son gouverneur. J'avais fait chez M. de La Poplinière celle de M. Stgui, ami du baron de Thun, et connu dans le monde littéraire par sa belle édition de Rousseau. Le baron nous invita, M. Segui et moi, d’aller passer un jour ou deux à Fontenai-sous-Bois *, où le prince avait une maison. Nous y fûmes. En passant devant Vin- cennes , je sentis à la vue du donjon un déchirement de cœur dont le baron remarqua l'effet sur mon visage. A souper, le prince parla de la détention de Diderot. Le baron, pour me faire parler, accusa le prisonnier d’imprudence j’en mis dans la manière impétueuse dont je le défendis. L’on pardonna cet excès de zèle à celui qu’inspire un ami malheureux, et l’on parla d’autre chose. Il y avait là deux allemands attachés au prince. L’un appelé M. Klupffell, homme de beaucoup d’esprit, *J Dons le manuscrit autographe dépose aux archives, Fontenai-aux-Roscs est désigné. Mais dans les éditions qui ont précédé celles qu'on a laites d'après ce manuscrit , on indique Fontcnai-sous-Iîois , village qui est contigu au bois de Vincennes , tandis que Fontenai aux-Roses est de l’autre côté de Paris , près Bjgneux. EARTIE II, LIVRE VIII. 1 07 était son chapelain , et devint ensuite son gouverneur après avoir supplanté le baron. L’autre était un jeune homme appelé M. Grimm, qui lui servait de lecteur en attendant qu’il trouvât quelque place, et dont l’équipage très-mince annonçait le pressant besoin de la trouver. Dès ce même soir Klupffell et moi commençâmes une liaison qui bientôt devint amitié. Celle avec le sieur Grimm n’alla pas tout- à-fait si vite. Il ne se mettait guère en avant, bien éloigné de ce ton avantageux que la prospérité lui donna dans la suite. Le lendemain à dîner l’on parla de musique; il en parla bien. Je fus transporté d’aise en apprenant qu’il accompagnait du clavecin. Après le dîner on fit apporter de la musique italienne. Nous musicâmes tout le jour au clavecin du prince, et ainsi commença cette amitié qui d’abord me fut si douce, enfin si funeste, et dont j’aurai tant à parler désormais. En revenant à Paris j’y appris l’agréable nouvelle que Diderot était sorti du donjon, et qu’on lui avait donné le château et le parc de Vincennes pour prison sur sa parole, avec la permission de voir ses amis. Qu’il me fut dur de n’y pouvoir courir à l’instant même ! mais, retenu deux ou trois jours chez madame Dupin par des soins indispensables, après trois ou quatre siècles d’impatience , je volai dans les bras de mon ami. Moment inexprimable! Il n’était pas seul. D’Alembert et le trésorier de la Sainte-Chàpellc étaient avec lui. En entrant je ne vis que lui, je ne fis qu’un saut, un cri, je collai mon visage sur le sien, je le serrai étroitement sans lui parler autrement que par mes pleurs et par mes sanglots; j’étouffais de tendresse et de joie. Son premier mouvement, après ce transport, fut de se tourner vers l’ecclésiastique et de LES C03FLSSI0KS. 108 lui dire Vous voyez, monsieur, comment m’aiment mes amis. Tout entier à mon émotion, je ne réfléchis pas alors à cette manière d’en tirer avantage. Mais en y pensant quelquefois depuis ce temps-là, j’ai toujours jugé qu’à la place de Diderot ce n’eût pas été là la première idée qui me serait venue. Je trouvai Diderot très-affecté de sa prison. Le donjon lui avait fait une impression terrible; et, quoiqu’il fût fort agréablement au château, et maître de ses promenades dans un parc qui n’est pas même fermé de murs, il avait besoin de la société de ses amis pour ne pas se livrer à son humeur noire. Comme j’étais assurément celui qui compatissait le plus à sa peine, je crus être aussi celui dont la vue lui serait la plus consolante, et tous les deux jours au plus tard, malgré des occupations très-exigeantes, j’allais, soit seul, soit avec sa femme, passer avec lui les après-midi. Cette année, i?49j l’été futd'une chaleur excessive. On compte deux lieues de Paris à Vincennes. Peu en état de payer des fiacres, à deux heures après midi j’allais à pied quand j’étais seul, et j’allais vite pour arriver plus tôt. Les arbres de la route, toujours élagués à la mode du pays, ne donnaient presque aucune ombre; et souvent, rendu de chaleur et de fatigue, je m’étendais par terre, n’en pouvant plus. Je m’avisai, pour modérer mon pas, de prendre quelque livre. Je pris un jour le Mercure de France, et tout en marchant et le parcourant, je tombai sur cette question, proposée par l’académie de Dijon pour le prix de l’année suivante Si le progris des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs? PARTIE II, VIII. I038 EES CONFESSIONS, imaginer d’autre cause, sinon que je porte le nom 1 d’un homme que son père a bien vilainement persécuté. ' On voit que, pour un copiste qui devait être 1 occupé de son métier du matin jusqu’au soir, j’a- . vais bien des distractions qui ne rendaient pas ma journée fort lucrative, et qui m’empêchaient d’être ' assez attentif à ce que je faisais pour le bien faire; 1 aussi perdais-je à effacer et gratter mes fautes, ou à 1 recommencerma feuille, plus de la moitié du temps ' qu’on me laissait. Cette importunité me rendait de jour en jour Paris plus insupportable, et me ' faisait rechercher la campagne avec ardeur. J’allai plusieurs fois passer quelques jours à Marcoussis, ' dont madame LeVasseur connaissaitle vicaire, che lequel nous nous arrangions tous, de façon qu’il ne c’en trouvait pas mal. Grimm y vint une fois avec nous i. Le vicaire avait de la voix, chantait bien; et, quoiqu’il ne sût pas la musique, il apprenait sa partie avec beaucoup de facilité et de précision. Nous y passions le temps à chanter mes trios de Chenonceaux. J’y en fis deux ou trois nouveaux sur des paroles que Grimm et le vicaiie bâtissaient tant bien que mal. Je ne puis m’empêcher de regretter ^ ces trios faits et chantés dans des momens de bien ^ douce joie, et que j’ai laissés à Wootton avec toute ma musique. Mademoiselle Duvenporl en a peut- être déjà fait des papillotes ; mais ils méritaient d’être ’ ' , g i Puisque j’ai néglige de raconter une petite mais mémo* ^ rable aventure que j’eus là avec ledit M. Grimm , un matin que nous devions aller dîner à la Fontaine de Saint • 1 drille, je n’y reviendrai pas; mais , en y repensant dans la 1 suite, j’en ai conclu qu’il couvait dèslors au fond deson coeur { le complot qu’il a exécuté depuis avec un si prodigieux suc- cès. Cette note n'est point dans le manuscrit autographe.; PARTIE II, LIVRE VIII. l3g conservés. Ce fut après quelqu’un de ces petits voyages, où j’avais le plaisir de voir la tante à son aise, bien gaie, et où je m’égayais fort aussi, que , e j’écrivis au vicaire fort rapidement et fort mal une épître en vers qu’on trouvera parmi mes papiers. a l’avais, plus près de Paris, un autre refuge fort , e de mon goût chez M. Mussard , mon compatriote, ,, mon parent et mon ami, qui s’était fait à Passi une ^ retraite charmante, où j’ai coulé de bien paisibles S momens. M. Mussard était un joaillier, homme de j t bon sens, qui, après avoir acquis dans son com- c merce une fortune honnête, et avoir marié sa fille jl à M. de Vahnalette, maître d’hôtel du roi, avait pris le sage parti de quitter sur ses vieux jours le négoce et les affaires, et de mettre un intervalle de ’ . tepos et de jouissance entre les tracas de la vie et ' la mort. Le bon homme Mussard, vrai philosophe , de pratique, vivait sans souci dans une maison très- ’ élégante qu’il s’était bâtie, et dans un très-joli jar- din qu’il avait planté de ses mains. En fouillant à e fond de cuve les terrasses de ce jardin, il trouva des coquillages fossiles, et il en trouva en si grande j quantité que son imagination exaltée ne vit plus que coquilles dans la nature, et qu’il crut enfin tout de ' bon que l’univers entier n’était que coquilles, dé- bris de coquilles, et qu’en un mot la terre entière n’était que du cron. Toujours occupé de cet objet et de ses singulières découvertes, il s’échauffa si bien sur ces idées qu’elles seraient vhfin tournées dans 0 . sa tète en système, c’est-à-dire en folie, si, très- ir. heureusement pour sa raison, mais bien malheu- u- rcuseinent pour ses amis, qui trouvaient chez lui h l’asile le plus agréable, la mort ne fût venue le leur enlever par la plus étrange et cruelle maladie. C’é- j lait uue tumeur dans l’estomac, toujours croissante, iES CONFESSIONS. i4o qui l’empêchait de manger, sans que, durant très- long-temps, on en trouvât la cause, et qui finit, après plusieurs années de souffrances, par le faire mourir de faim. Je ne puis me rappeler sans des serremens de cœur les derniers temps de ce pauvre et digne homme, qui, nous recevant encore avec tant de plaisir Lenieps et moi, les seuls amis que le spectacle des maux qu’il souffrait n’écarta pas de lui jusqu’à sa dernière heure; qui, dis-je, était réduit à dévorer des yeux le repas qu’il nous faisait servir, sans pouvoir humer à peine quelques gouttes d’un thé bien léger, qu’il fallait rejeter un moment après. Mais avant ces temps de douleurs, combien j’en ai ' possédiez lui d’agréables avec les amis d’élite qu’il. s’étailfails! A leur tête je mets l’abbé Prévôt, homme très-aimable et très-simple, dont le cœur vivifiait ses écrits dignes de l’immortalité, et qui n’avait rien dans la société du coloris qu’il donnait à ses ouvrages ; le médecin Procope, petit Esope à bonnes fortunes; Boulanger, le célèbre auteur posthume du Despotisme oriental , et qui, je crois, étendait, les systèmes de Mussard sur la durée du monde ; • en femme s, madame Denis, nièce de Voltaire, qui,, n’étant alors qu’une bonne femme, ne faisait pas encore du bel esprit ; madame Vanloo, non pas belle assurément, mais charmante, qui chantait comme un ange; madame de Valmalette elle-même, qui chantait aussi, et qui, quoique fort maigre , eû t été très-aimable, si elle en eût moins eu la prétention. Telle était à peu près la société de M. Mussard,qui m’aurait assez plu, si son téle-à-tète avec sa conchy- liomanie ne m’avait plu davantage; et je puis dire que, pendant plus de six mois, j'ai travaillé à son cabinet avec autant de plaisir que lui-même. Il y avait long-temps qu’il prétendait que pour PARTIE II , LIVRE VIII. T4 1 mon état les eaux de Passi me seraient salutaires , et qu’il m’exhortait à les venir prendre chez lui. Pour nie tirer un peu de la cohue, je me rendis à la fin, et je fus passer à Passi huit ou dix jours, qui me tirent plus de bien parce que j’étais à la campagne, que parce que j’y prenais les eaux. Mussard jouait du violoncelle , et aimait passionnément la musique italienne. Un soir nous en parlâmes beaucoup avant que de nous coucher, et surtout des opéré bujfe que nous avions vus l’un et l’autre en Italie, et dont nous étions tous deux transportés. La nuit, ne dormant pas, j’allai rêver comment on pourrait faire pour donner en France l’idée d’un drame de ce genre, caries amours de Ragonde n’y ressemblaient point du tout. Le matin, en me promenant et prenant leseaux, je fis quelques manières de vers très à la hâte, et j’y adaptai des chants qui me vinrent. Je barbouillai le tout dans une espèce de salon voûté qui était au haut du jardin, et au thé je ne pus m’empêcher de montrer ces essais à Mussard et à mademoiselle Duvernois, sa gouvernante, qui était une très-bonne et aimable 1111e. Les trois morceaux que j’avais esquissés étaient le premier monologue , J’ai perdu mon serviteur ; l’air du Devin, L’amour croit s’il s’inquiète; et le dernier duo, A jamais, Colin, je t’engage, etc. J’imaginais si peu que cela valût la peine d’être suivi, que, sans les applaudissemens et les encouragemens de l’un et de l’autre, j’allais jeter au feu mes chiffons et n’y plus penser, comme j’ai fait tant de fois de choses du moins aussi bonnes; mais ils m’excitèrent si bien, qu’en six jours mon drame fut écrit à quelques vers près, et toute ma musique esquissée, tellement que je n’eus plus à faire à Paris que ce qui était purement de remplissage; et j’achevai le tout 4a 1ES C0SFESSI0KS. avec une telle rapidité, qu’en trois semaines mes scènes furent mises au net et en état d’être représentées. Il n’y manquait que le divertissement, qui ne fut fait que long-temps après. Échauffé de la composition de cet ouvrage, j’avais une grande passion de l’entendre, et j’aurais donné tout au monde pour le voir représenter à ma fantaisie, à portes fermées, comme on dit que Lulli fit une fois jouer Armide pour lui seul. Comme il ne m’était possible d’avoir ce plaisir qu’avec le public, il fallait nécessairement, pour jouir de ma pièce, la faire passer à l’opéra. Malheureusement elle était dans un genre absolument neuf, auquel les oreilles n’étaient point accoutumées ; et d’ailleurs le mauvais succès des Muses galantes m’en faisait prévoir un pareil pour le Devin, si je le présentais sous mon nom. Duclos me tira de peine, et se chargea de faire essayer l’ouvrage en laissant ignorer l’auteur. Pour ne pas me déceler, je ne me trouvai pointé cette répétition, et les •petits violons 1 qui la dirigèrent ne surent eux-mêmes quel en était l’auteur qu’après qu’une acclamation générale eut attesté la bonté de l’ouvrage. Tous ceux qui l’entendirent en étaient enchantés, au point que, dès le lendemain , dans toutes les sociétés on ne parlait d’autre chose. M. deCuri, intendant des menus, qui avait assisté à la répétition , demanda l’ouvrage pour être donné à la cour. Duclos, qui savait mes intentions , jugeant que je serais moins i C’est ainsi qu’on appelait Rebel et Francœur , qui s’é- taient fait connaître dès leur jeunesse en allant toujours ensemble jouer du violon dans les maisons. Il y a tout simplement dans le manuscrit cité C’est ainsi qu’on a toujours désigné Rebel et Francœur. PARTIE H , LIVRE VIII. 45 le maître de ma pièce à la cour qu’à Paris, la refusa. Curi la réclama d’autorité ; Duclos tint bon , et le débat entre eux devint si vif, qu’un jour à l’opéra ils allaient sortir ensemble si on ne les eût séparés. On voulut s’adresser à moi, je renvoyai la décision de la chose à M. Duclos il fallut revenir à lui. M. le duc d’Aumont s’en mêla. Duclos crut enfin devoir céder à l’autorité, et la pièce fut donnée pour être jouée à Fontainebleau. La partie à laquelle je m’étais le plus attaché et où je m’éloignais le plus de la route commune était le récitatif le mien était accentué d’une façon toute nouvelle , et marchait avec le débit de la parole. On n’osa laisser cette horrible innovation ; on craignait qu’elle ne révoltât les oreilles moutonnières. Je consentis que Francueilet Jélyotte fissent un autre récitatif, mais je ne voulus pas m’en mêler. Quand tout fut prêt et le jour fixé pour la représentation, l’on me proposa le voyage de Fontainebleau pour voir au moins la dernière répétition. J’y fus avec mademoiselle Fel, Grinnn , et, je crois, l’abbé Raynal, dans une voiture de la cour. La répétition fut passable; j’en fus plus content que je ne m’y étais attendu. L’orchestre était nombreux , composé de ceux de l’opéra et de la musique du roi. Jélyotte faisait Colin, mademoiselle Fel Colette, Cuvillier le Devin; les choeurs étaient ceux de l’opéra. Je dis peu de chose ; c’était Jélyotte qui avait tout dirigé je ne voulus pas contrôler ce qu’il avait fait, et, malgré mon ton romain, j’étais honteux comme un écolier au milieu de tout cc monde. Le lendemain, jour de la représentation, j’allai déjeuner au café du grand commun. Il y avait là 2 . * 6 LES CONFESSIONS. l'il beaucoup le monde. On parlait de la répétition de la veille, et de la difficulté qu’il y avait eu d’y entrer. Un officier qui était là dit qu’il y était entré sans peine, conta au long ce qui s’y était passé , dépeignit l’auteur , rapporta ce qu’il avait l’ait, ce qu’il avait dit mais ce qui m’émerveilla de ce récit assez long, fait avec autant d’assurance que de simplicité, fut qu’il ne s’y trouva pas un seul mot de vrai. Il m’était très-clair que celui qui parlait si savamment de cette répétition n’y avait point été , puisqu’il avait devant les yeux, sans le connaître , cet auteur qu’il disait avoir tant vu. Ce qu’il y eut de plus singulier dans cette scène, fut l’effet qu’elle lit sur moi. Cet homme était d’un certain âge; il n’avait point l’air fat et avantageux ; sa physionomie annonçait un homme de mérite ; sa croix de Saint-Louis annonçait un ancien officier. Il m’intéressait malgré son impudence et malgré moi tandis qu’il débitait scs mensonges je rougissais , je baissais les yeux, j’étais sur les épines; je cherchais quelquefois en moi-méme s’il n’y aurait pas moyen de le croire dans l’erreur et de bonne foi. Enfin , tremblant que quelqu’un ne me reconnût et ne lui en fît l’alfront, je me hâtai d’achever mon chocolat sans rien dire, et baissant la tête en passant devant lui, je sortis le plus tôt qu’il me fut possible, tandis que les assistans péroraient sur sa relation. Je m’aperçus dans la rue que j’étais en sueur, et je suis sûr que, si quelqu’un m’eût reconnu et nommé avant ma sortie, on m’aurait vu la honte et l’embarras d’un coupable, par le seul sentiment de la peine que ce pauvre homme aurait à souffrir. Me voici dans un de ces momens critiques de ma vie où il est difficile de ne faire que narrer, parce qu’il est presque impossible que la narration même ! PARTIE II, LIVRE VIII. 14^ ne porle empreinte de censure ou d’apologie. J’essaierai toutefois de rapporter comment et sur quels motifs je me conduisis, sans y ajouter ni louanges ni blâme. J’étais ce jour-là dans le même équipage négligé qui m’était ordinaire, grande barbe et perruque assez mal peignée. Prenant ce défaut de décence pour un acte de courage , j’entrai de cette façon dans la même salle où devaient arriver une demi- heure après le roi, la reine, la famille royale et toute la cour. J’allai m’établir dans la loge où me conduisit M. de Curi, et qui était la sienne ; c’était une grande loge sur le théâtre, vis-à-vis la petite loge plus élevée où se plaça le roi avec madame de Pompadour. Environné de dames et seul d’homme sur le devant de la loge , je ne pouvais douter qu’on ne m’eût mis là précisément pour être en vue. Quand on eut allumé , me voyant dans cet équipage au milieu de gens tous excessivement parés, je commençai d’être mal à mon aise ; je me demandai si j’étais à ma place, si j’y étais mis convenablement , et, après quelques minutes d’inquiétude, je me répondis , Oui, avec une intrépidité qui venait peut-être plus de l’impossibilité de m’en dédire que de la force de mes raisons. Je me dis Je suis à ma place, puisque je vois jouer ma pièce, que j’3 r suis invité, que je ne l’ai faite que pour cela, et qu’après tout personne n’a plus de droit que moi-même à jouir du fruit de mon travail et de mes talens. Je suis mis à mon ordinaire, ni mieux , ni pis ; si je recommence à m’asservir à l’opinion dans quelque chose , m’y voilà bientôt asservi de rechef en tout. Pour être toujours moi- même, je ne dois rougir en quelque lieu que ce soit d’être mis selon l’état que j’ai choisi. Mou exté* i IES CONFESSIONS. 146 rieur est simple et négligé, mais non crasseux ni malpropre ; la barbe 11e l’est point en elle-même, puisque c’est la nature qui nous la donne, et que, selon les temps et les modes , elle est quelquefois même un ornement. On me trouvera ridicule,impertinent; eh ! que m’importe? Je dois savoir endurer le murmure et le blâme , pourvu qu’ils 11e soient pas mérités. Après ce petit soliloque je me raffermis si bien , que j’aurais été in trépide si j’eusse eu besoin de l’être. Mais soit effet de la présence du maître, soit naturelle disposition des cœurs, je n’aperçus rien que d’obligcalit et d’honnête dans la curiosité dont j’étais l’objet. J’en fus touché jusqu’à recommencer d’être inquiet sur moi-même et sur le sort de ma pièce , craignant d’effacer des préjugés si favorables qui semblaient ne chercher qu’à m’applaudir. J’étais armé contre leur raillerie; mais leur air caressant, auquel *e ne m’étais pas attendu, me subjugua si bien que je tremblais comme un enfant quand on commença. J’eus bientôt de quoi me rassurer. La pièce fut très-mal jouée quant aux acteurs, mais bien chantée et bien exécutée quant à la musique. Dès la première scène, qui véritablement est d’une naïveté touchante, j’entendis s’élever dans les loges un murmure de surprise et d’applaudissement, jusqu’alors inouï dans ce genre de pièces. La fermentation croissante alla bientôt au point d’être sensible dans toute l’assemblée, et, pour parler à la Montesquieu, d’augmenter son effet par son effet même. A la scène des deux petites bonnes gens, cet effet fut à son comble. On ne claque point devant le roi ; cela fit qu’on entendit tout la pièce et l’auteur y gagnèrent. J’entendais autour de moi un chuchotement de femmes qui me semblaient belles comme PARTIE II, LIVRE VIII. 147 des anges, et qui s’entredisaient à demi-voix Cela est charmant, cela est ravissant ; il n’y a pas un son là qui ne parle au cœur. Le plaisir de donner de l’émotion à tant d’aimables personnes m’émut moi- même jusqu'aux larmes, et je ne les pus contenir au premier duo, en remarquant que je n’étais pas le seul à pleurer. J’eus un moment de retour sur moi-même en me rappelant le concert de M. de Treytorens. Cette réminiscence eut l’effet de l’esclave qui tenait la couronne sur la tête des triomphateurs, mais elle fut courte; et je me livrai bientôt pleinement et sans distraction au plaisir de savourer ma gloire. Je suis pourtant sûr qu’en ce moment la volupté du sexe y entrait beaucoup plus que la vanité d’auteur; et sûrement, s’il n’y eût eu là que des hommes, je 11’aurais pas été dévoré comme je l’étais sans cesse du désir de recueillir de mes lèvres les délicieuses larmes que je faisais couler. J’aj vu des pièces exciter de plus grands transports d’admiration, mais jamais une ivresse aussi pleine, aussi douce, aussi touchante, régner dans un spectacle, et surtout à la cour, un jour de première représentation. Ceux qui ont vu celle - là doivent s’en souvenir ; car l’effet en fut unique. Le soir même, M. le duc d’Aumont me fit dire de me trouver au château le letidemain sur les onze heures, et qu’il me présenterait au roi. M. de Curi, qui me fit ce message, ajouta qu’il croyait qu’il s’agissait d’une pension, et que le roi voulait me l’annoncer lui-même. Croira-t-on que la nuit qui suivit une journée aussi brillante fut une nuit d’angoisse et de perplexité pour moi? Ma première idée, après celle de cette présentation, se porta sur un fréquent bc- ^8 LES CONFESSIONS. soin de sortir qui m’avait fait beaucoup souffrir le soir même au spectacle, et qui pouvait me tourmenter le lendemain quand je serais dans la galerie ou dans les appartemens du roi, au milieu de tous ces grands, attendant le passage de sa majesté. Cette infirmité était la principale cause qui me tenait écarté de tout cercle, et qui m’empêchait d’aller m’enfermer chez des femmes. L’idée seule de l’état où ce besoin pouvait me mettre était capable de me le donner au point de m’en trouver mal, à moins' d’un esclandre auquel j’aurais préféré la mort. Il n’y a que les gens qui connaissent cet état qui puissent juger de l’efTroi d’en courir les risques. Je me figurais ensuite devant le roi, présenté à sa majesté qui daignait s’arrêter et m’adresser la parole. C’était là qu’il fallait de la justesse et de la présence d’esprit pour répondre. Ma maudite timi- » dité, qui me trouble devant le moindre inconnu, m’aurait-elle quitté devant le roi de France, ou m’aurait-elle permis de bien choisir ce qu’il fallait dire? Je voulais, sans quitter l’air et le ton sévère que j’avais pris, me montrer toutefois sensible à l’honneur que me faisait un si grand monarque. Il fallait envelopper quelque grande et utile vérité dans une louange belle et méritée. Pour préparer d’avance une réponse heureuse, il aurait fallu prévoir juste ce qu’il pouriait me dire, et j’étais sûr après cela de ne pas retrouver en sa présence ce que j’aurais médité. Que deviendrais-jfe en ce moment, et sous les yeux de toute la cour, s’il allait m’échapper dans mon trouble quelqu’une de mes balourdises ordinaires? Ce danger m’alarma, m’ef fraya, me fit frémir au point de me résoudre à tout risque de ne m’y pas exposer. PARTIE II, VIII. *4g Je perdais, il est vrai, la pension qui m’était offerte en quelque sorte; mais je m’exemptais aussi du joug qu'elle m’allait imposer. Adieu la vérité, la liberté, le courage. Comment oser parler d'indépendance et de désintéressement? Il ne fallait plus qitp flatter ou me taire en recevant une pension encore, qui m’assurait qu’elle me serait payée ? Que de pas à faire ! que de gens à solliciter ! Il m’en coûterait plus de soins, et bien plus désagréables, pour la conserver que pour m’en passer. Je crus donc, en y renonçant, prendre un parti très-conséquent à mes principes, et sacrifier l’apparence à la réalité. Je dis ma résolution à Grimm, qui n’y opposa rien. Aux autres j’alléguai ma santé, et je partis le matin même. Mou départ fit du bruit, et fut généralement blâmé. Mes raisons ne pouvaient être senties par tout le monde; m’accuser d’un sot orgueil était bien plus tôt fait, et contentait mieux la jalousie de quiconque sentait en lui-même qu’il ne se serait pas conduit ainsi. Le lendemain Jélyotte m’écrivit un billet où il me détailla les succès de ma pièce, et l’engouement où le roi lui-même en était. Toute la journée , me marquait-fl, sa majesté ne cesse de chanter, avec la voix la plus fausse de son royaume J’ai perdu mon serviteur , j’ai perdu tout mon bonheur. Il ajoutait que, dans la quinzaine on devait donner une seconde représentation du Devin, qui constaterait aux yeux de tout le public le plein succès de la première. Deux jours après , comme j’entrais sur les neuf heures chez madame d’Épinai, où j’allais souper, je me vis croisé par un fiacre à la porte. Quelqu’un me fit signe de ce fiacre d’y monter, j’y monte c'était Diderot. Il me parla de la pension avec un I 5o LES CONFESSIONS. feu que, sur pareil sujet, je n’aurais pas attendu d’un philosophe. Il ne me fit pas un crime de n’avoir pas voulu être présenté au roi, mais il m’en fit un terrible de mon indifférence pour la pension. II me dit que, si j’étais désintéressé pour mon compte, il ne m’était pas permis de l’être pur celui de madame Le Vasseur et de sa fille; que je leur devais de ne négliger aucun moyen possible et honnête de leur donner du pain ; et, comme on ne pouvait pas dire après tout que j’eusse refusé cette pension, il soutint que, puisqu’on avait paru disposé à me l’accorder, je devais la solliciter et l’obtenir à quelque prix que ce fût. Quoique je fusse touché de son zèle, je ne pus goûter ses maximes, et nous eûmes à ce sujet une dispute très-vive, la première que j’aie eue avec lui ; et nous n’en avons jamais eu que de cette espèce, lui me prescrivant ce qu’il prétendait que je devais faire , et moi m’en défendant parce que je croyais ne le devoir pas. Il était tard quand nous nous quittâmes. Je voulus le mener souper chez madame d’Ëpinai, il ne voulut point ; et, quelque effort que le désir d’unir tous ceux que j’aime m’ait fait faire en divers temps pour l’engager à la voir, jusqu’à la mener à sa porte , qu’il nous tint fermée, il s’en est toujours défendu , ne parlant d’elle qu’en termes très-mé- prisans. Ce ne fut qu’après ma brouillerie avec elle et avec lui qu’ils se lièrent, et qu’il commença d’en parler avec honneur. Depuis lors Diderot et Grimm semblèrent prendre à tâche d’aliéner de moi les gouverneuses, leur faisant entendre que c’était mauvaise volonté de ma part si elles n’étaient pas plus à leur aise , et qu’elles ne feraient jamais rien avec moi. Ils tâ- ri-RTIE II, LIVRE VIII. l5l chaicnt de les engager à me quitter, leur promettant un regrat de sel, un bureau à tabac, et je ne sais quoi encore, par le crédit de madame d’Epi- nai. Ils voulurent même entraîner Duclos, ainsi que d’Holbach, dans leur ligue, mais le premier s’y refusa toujours. J’eus alors quelque vent de tout ce manège ; mais je ne l’appris bien distinctement que long-temps après, et j’eus souvent à déplorer le zèle aveugle et peu discret de mes amis, qui, cherchant à me réduire , incommodé comme j’étais , à la plus triste solitude , travaillaient dans leur idée à me rendre heureux par les moyens le» plus propres à me rendre en effet misérable. Le carnaval suivant, i?53, le Devintul joué à Paris ; et j’eus le temps, dans cet intervalle , d’en faire l’ouverture et le divertissement. Ce divertissement, tel qu’il est gravé, devait être en action d’un bout à l’autre, et dans un sujet suivi, qui, scion moi, fournissait des tableaux très-agréables. Mais quand je proposai celte idée à l’opéra, on ne m’entendit seulement pas, et il fallut coudre des chants et des danses à l’ordinaire cela fit que ce divertissement, quoique plein d’idées charmantes, qui ne déparent point les scènes, réussit très-médiocrement. J’ôtai le récitatif de Jélyotte, et je rétablis le mien tel que je l’avais fait d’abord et qu’il est gravé ; et ce récitatif, un peu francisé , je l’avoue , c’est-à-dire traîné par les acteurs, loin de choquer personne , n’a pas moins réussi que les airs, et a paru, même au public, tout aussi bien fait pour le moins. Je dédiai la " pièce à M. Duclos qui l’avait protégée, et je déclarai que ce serait ma seule dédicace. J’en ai pourtant fait une seconde avec son consentement; mais U a dd se tenir a. 7 IBS C0NTESS10SS. i5a encore plus honoré de cette exception que si je n’en > avais fait aucune. J’ai, sur cette pièce, beaucoup d’anecdotes sur lesquelles des choses plus importantes à dire ne me laissent pas le temps de m'étendre ici. j’y reviendrai peut-être un jour dans le supplément. Je n’en ^ saurais pourtant omettre une, qui peut avoir trait à tout ce qui suit. Je visitais un jour dans le cabinet du baron d’Holbach sa musique ; après en avoir parcouru de beaucoup d’espèces , il me dit, en me montrant un recueil de pièces de clavecin Voilà des pièces qui ont été composées exprès pour moi; elle sont pleines de goût, bien chantantes personne ne les connaît ni ne les verra que moi seul. Vous en devriez choisir quelqu’une pour l’insérer dans votre divertissement. Ayant dans la tète des sujets d’airs et de symphonies beaucoup plus que je n’en pouvais employer , je me souciais très- & peu des siens. Cependant il me pressa tant, que par complaisance je choisis une pastorellc que j’abrégeai, et que je mis en trio pour l’entrée des compagnes de Colette. Quelques mois après , et tandis qu’on représentait le Devin , entrant un jour chez Grimm , je trouvai du monde autour de son clavecin, d’où il se leva brusquement à mon arrivée. En regardant machinalement sur son pupitre, j’y vis ce même recueil du baron d’Holbach ouvert précisément à celte môme pièce qu’il m’avait pressé de prendre, en m’assurant qu’elle ne sorti- , rait jamais de ses mains. Quelque temps après je vis encore ce môme recueil, ouvert au môme endroit, sur le clavecin de M. d’Epinai, un jour qu’il avait musique chez lui. Grimm ni personne ne m’a jamais parlé de cet air; èt je n’en parlerais pas ici moi-même, si quelque temps après il ne s’était, ïmiE 11, LIVRE VIII. i5j répandu dans Paris un bruit, qui véritablement lie dura pas, que je n’étais pas l’auteur du Devin du, village. Comme je ne fus jamais un grand croque- notes, je suis persuadé que, sans mon Dictionnaire de musique , on aurait dit à la lin que je ne la savais pas i. Quelque temps avant qu’on donnât le Devin du village, il était arrivé à Paris des boulions italiens qu’on fit jouer sur le théâtre de l’opéra, sans prévoir l’effet qu’ils y allaient faire. Quoiqu’ils fussent détestables , et que l’orchestre , alors très-ignorant, estropiât comme à plaisir les pièces qu’ils donnèrent, elles ne laissèrent pas de faire à l’opéra français un tort qu’il n’a jamais réparé. La comparaison de ces deux musiques, entendues le même jour sur le même théâtre, déboucha les oreilles françaises ; il n’y en eut point qui pût endurer la traî- nerie de leur musique après l’accent vif et marqué de l’italienne sitôt que les bouffons avaient fini, tout s’en allait. On fut forcé de changer l’ordre, et de mettre les bouffons à la fin. On donnait Eglé , Pygmation, le Sylphe ; rien ne -tenait. Le seul Devin du village soutint la comparaison, et plut encore après la Serva padrona. Quand je composai mon intermède j’avais l’esprit rempli de ceux-là; ce furent ceux qui m’en donnèrent l’idée, et j’étais bien éloigné de prévoir qu’on les passerait en revue à côté de lui. Si j’eusse été un pillard , que de vols seraient alors devenus manifestes, et eombien on eût pris soin de ies faire sentir ! Mais rien on a eu beau faire, on n’a pas trouvé dans i Je ne prévoyais guère encore qu’on le dirait enfin , malgré le Dictionnaire. Cette note n’est point d*ns le ru*- nùscrit autographe. 154 ma musique la moindre réminiscence d’aucune autre; et tans mes chants, comparés aux originaux, se sont trouvés aussi neufs que le caractère de musique que j’avais créé. Si l’on eût mis Mon- donville ou Rameau à pareille épreuve, ils n’en seraient sortis qu’en lambeaux. Les bouffons firent à la musique italienne des Sectateurs très-ardens. Tout Paris se divisa en deux partis plus échauffés que s’il se fût agi d’une affaire d’état ou de religion. L’un, plus puissant, plus nombreux, composé des grands , des riches et des femmes, soutenait la musiquefrançaise ; l’autre, plus vif, plus fier, plus enthousiaste, était composé des vrais connaisseurs, desgensàtalens, des hommes de génie. Son petit peloton se rassemblait à l’opéra sous la loge de la reine. L’autre parti remplissait tout le reste du parterre et de la salle; mais son foyer principal était sous la loge du roi. Voilà d’ofi vinrent ces noms de partis, célèbres dans ce temps- là , de Coin du roi et de Coin de la reine. La dispute , en s’animant, produisit des brochures. Le coin du roi voulut plaisanter ; il fut moqué par le Petit prophète il voulut se mêler de raisonner ; il fut écrasé par la Lettre sur la musique franr çaise. Ces deux petits écrits, l’un de Grimin et l’autre de moi, sont les seuls qui survivent à cette querelle , tous les autres sont déjà morts. Mais le Petit prophète , qu’on s’obstina longtemps à m’attribuer malgré moi, fut pris en plaisanterie , et ne fit jamais la moindre peine à son auteur ; au lieu que la Lettre sur la musique fut prise au sérieux, et souleva contre moi toute la nation, qui se crut offensée dans sa musique. La description de l’incroyable effet de cette brochure serait digne de la plume de Tacite. C’était le temp* PAftïIE H , LIVRE VIII. * J 3 de la grande querelle du parlement et du clergé. Le parlement venait d’être exilé; la fermentation était au comble tout menaçait d’un prochain soulèvement. Ma brochure parut; à l’instant toutes les autres querelles furent oubliées on ne songea qu’au péril de la musique française , et il n’y eut plus de soulèvement que contre moi. Il fut tel, que la nation n’en est jamais bien revenue. A la cour, on ne balançait qu’entre la bastille et l’exil ; et la lettre de cachet allait être expédiée , si M. de Voyer n’en eût fait sentir le ridicule. Quand on lira que cette brochure a peut-être empêché une révolution dans l’état, on croira rêver. C’est pourtant une vérité bien réelle, que tout Paris peut encore attester , puisqu’il n’y a pas aujourd’hui plus de quinze ans de cette singulière anecdote. Si l’on n’attenta pas à ma liberté, l’on ne m’épargna pas du moins les insultes; ma vie même fut en danger. L’orchestre de l’opéra fit l'honnête complot de m’assassiner quand j’en sortirais. On me le dit; je n’en fus que plus assidu à l’opéra, et je ne sus que long-temps après que M. Ancelet, officier des mousquetaires, qui avait de l’amitié pour moi, avait détourné l’eiret du complot, eu me faisant escorter à mon insu à la sortie du spectacle. La ville venait d’avoir la direction de l’opéra. Le premier exploit du prévôt des marchands fut de m’ôter mes entrées, et cela de la façon la plus malhonnête qu’il put imaginer, c’est-à-dire, en me les faisantrefuserpubliqueinentàmon passage ; de sorte que je fus obligé de prendre un billet d’amphithéâtre pour n’avoir pas l’affront de m’eu retourner ce jour-là. L’injustice était d’autant plus criante, que le seul prix que j’avais mis à ma pièce, en la leur cédant, était mes entrées à perpétuité LES CONFESSIONS. l56 car, quoique ce fût un droit pour tous les auteurs, et que j’eusse ce droit à double titre, je ne laissai pas de le stipuler expressément en présence de M. Duclos. Il est vrai qu’on m’envoya pour mes honoraires, par le caissier de l’opéra, cinquante louis que je n’avais pas demandés ; mais outre que ces cinquante louis ne faisaient pas même la somme qui me revenait dans les règles , ce paiement n’avait rien de commun avec le droit d’entrées formellement stipulé, et .qui en était entièrement indépendant. Il y avait dans ce procédé une telle complication de brutalité et d’iniquité, que le public, alors dans sa plus grande animosité contre moi, ne laissa pas d’en être unanimement choqué; et tel qui m’avait insulté la veille, criait le lendemain tout haut dans la salle qp’il était honteux d’ôter ainsi les entrées à un auteur qui les avait si bien méritées , et pii pouvait même les réclamer pour deux. Tant est juste le proverbe italien, ch’ognun ama a giustizia in casa d’aitrui. Je n’avais là-dessus qu’un parti à prendre, c’était de réclamer mon ouvrage puisqu’on m’en ôtait le prix accordé. J’écrivis pour cet effet à M. d’Argen- son, qui avait le département de l’opéra, et je joignis à ma lettre un mémoire qui était sans réplique, et qui demeura sans réponse et sans effet, ainsi que ma lettre. Le silence de cet homme injuste me resta sur le cœur, et ne contribua pas à augmenter l’estime'très-médiocre que j’eus toujours pour son caractère et pour ses talens. C’est ainsi qu’on a gardé ma pièce à l’opéra, en me frustrant du prix pour lequel je l’avais cédée. Du faible au fort, ce serait voler; du fort au faible, c’est seulement s’approprier le bien d’autrui Quant au produit pécuniaire do cet ouvrage, EABTIE II, LIVRE VIII. i57 quoiqu’il ne m’ait pas rapporté le quart de ce qu’il aurait rapporté dans les mains d’un autre, il ne laissa pas d’être assez grand pour me mettre en état de subsister plusieurs années, et suppléer à la copie, qui allait toujours assez mal. J’eus cent louis du roi, cinquante de madame de Pompadour pour la représentation de Bette vite , où elle lit elle- même le rôle de Colin, cinquante de l’opéra, et cinq cents francs de Pissot pour la gravure, en sorte que cet intermède, qui ne me coûta jamais que cinq ou six semaines de travail, me rapporta presque autant d’argent, malgré mou malheur et ma balourdise, que m'en a depuis rapporté VEmile, qui m’avait coûté vingt ans de méditation et trois ans de travail mais je payai bien l’aisance pécuniaire où memit cettepièce, par les chagrins infinis qu’elle m’attira. Elle lut le germe des secrètes jalousies qui n’ont éclaté que long-temps après. Depuis son succès, je ne remarquai plus ni dans Diderot ni dans Griinm, ni dans aucun des gens de lettres de ma connaissance, cette cordialité, cette franchise, ce plaisir de me voir , que j’avais cru trouver en eux jusqu’alors. Dès que je paraissais chez le. baron, la conversation cessait d’être générale. On se rassemblait par petits pelotons, on se chuchotait à l’oreille, et je restais seul sans savoir avec qui parler. J’endurai long-temps ee choquant abandon ; et. voyant que madame d’Holbach , qui était douce et aimable, me recevait toujours bien, je supportai les grossièretés de son mari tant qu’elles furent supportables; mais un jour il m’entreprit sans sujet, sans prétexte, et avec une telle brutalité, devant Diderot, qui ne dit pas un mot, et devant Wargenc»!, qui m’a dit souvent depuis lors avoir admiré la douceur et la 1 â8 LES CONFESSIONS. modération de mes réponses, qu*en fin, chassé de chez lui par ce traitement indigne, j’en sortis, résolu de n’y plus rentrer. Cela ne m’empécha pas de parler toujours honorablement de lui et de sa maison ; tandis qu’il ne s’exprimait jamais sur mon compte qu’en termes outrageans, méprisans, sans me. désigner autrement que par ce petit cuistre, et sans pouvoir cependant articuler aucun tort d’aucune espèce que j’aie eu jamais avec lui, ni avec personne à laquelle il prît intérêt. "Voilà comment il finit par vérifier mes prédictions et mes craintes. Pour moi, je crois que mesdits amis m’auraient pardonné de faire des livres, et d’ex- cellens livres, parce que cette gloire ne leur était pas étrangère, mais qu’ils ne purent me pardonner d’avoir fait un opéra , ni les succès brillans qu’eut cet ouvrage, parce qu'aucun deux n’était en état de courir la même carrière, ni d’aspirer aux mêmes honneurs. Duclos seul, au-dessus de celte jalousie, parut augmenter encore d’amitié pour moi, et m’introdnisit chez mademoiselle Quinault, où je trouvai autant d’attentions, d’honnêtetés, de caresses, que j'avais trouvé peu de tout cela chez M. d’Holbach. Tandis qu’on jouait le Devin du village à l’opéra, il était aussi question de son auteur à la comédie française, mais un peu moins heureusement. N’ayant pu dans sept ou huit ans faire jouer mon Narcisse aux Italiens, je m’étais dégoûté de cc théâtre par le mauvais jeu -des acteurs dans le français, et j’aurais bien voulu avoir fait passer ma pièce aux Français plutôt que chez eux. Je parlai de ce désir au comédien Lanoue , avec lequel j’avais fait connaissance, et qui, comme on sait, était homme de mérite et auteur. Narcisse lui plut ; il se chargea PARTIE II, LIVRE VIII. > 5g de le faire jouer anonime , et en attendant, il me procura les entrées, qui me furent d’un grand agrément ; car j’ai toujours préféré le Théâtre Français aux deux autres. La pièce fut reçue avec applaudissement, et représentée sans qu’on en nommât l’auteur ; mais j’ai lieu de croire que les comédiens et bien d’autres ne l’igaoraient pas. Les demoiselles Gaussin etGrandval jouaient les rôles d’amoureuses; et, quoique l’intelligence du tout fût manquée à mon avis, on ne pouvait pas appeler cela une pièce absolument mal jouée. Toutefois je fus surpris et touché de l’indulgence du public, qui eut la patience de l’eut endre tranquillement d’un bout à l’autre, et d’en souffrir même une seconde représentation sa ns donner lemoindre signe d’impatience. Pour moi, je m’ennuyais tellement à la première, que je ne pus tenir jusqu’à la fin ; et, me réfugiant au café de Procope, qui était vis-à-vis, j’y trouvai Boissi et quelques autres , qui probablement, s’étaient ennuyés comme moi. Là je dis hautement mon peccavî , m’avouant humblement l’auteur de la pièce, et en parlant comme tout le monde en pensait. Cet aveu public de l’auteur d’une mauvaise pièce qui tombe fut fort admiré, et me parut très-peu pénible. J’y trouvai même un dédommagement d’amour-propre dans le courage avec lequel il fut fait, et je crois qu’il y eut en cette occasion plus d’orgueil à parler, qu’il n’y aurait eu de sotte honte à se taire. Cependant, comme ilétaitsûr que la pièce, quoique glacée à la représentation, soutenait la lecture, je la fis imprimer; et dans la préface, qui est un de mes bons écrits, je commençai de mettre à découvert mes principes un peu plus que je n’avais fait jusqu’alors. J’eus bientôt occasiou de les développer tout-à- iGû tïS CONFESSIONS* fait dans un ouvrage de plus grande importance ; car ce fut, je pense, en cette année 1^53 que parut le programme de l’académie de Dijon sur Y Origine de l’inégalité parmi les hommes. Frappé de cette grande question, je fus surpris que cette académie eût osé la proposer ; mais puisque enfin elle avait eu ce courage, je pouvais bien avoir celui de la traiter, et je l’entrepris. Pour méditer à mon aise ce grand sujet, je fis à Saint-Germain un voyage de sept ou huit jours avec Thérèse, notre hôtesse qui était une bonnefemme, et une de ses amies. Je compte ce voyage pour un des plus agréables de ma vie. Il faisait très-beau ces bonnes femmes se chargeaient des soins et de la dépense; Thérèse s’amusait avec elles, et moi, sans souci de rien , je venais m’égayer sans gêne aux heures des repas. Tout le reste du temps, enfoncé dans la forêt, j’y cherchais, j’y trouvais l’image des premiers temps, dont je traçais fièrement l’histoire je faisais main-basse sur les petits mensonges des hommes ; j’osais dévoiler à nu leur nature, suivre le progrès du temps et des choses qui l’ont défigurée et, comparant l’homme de l’homme avec l’homme naturel, leur montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source de ses misères. Mon âme, élevée par ces contemplations sublimes, s’osait placer auprès de la divinité; et, voyant de là mes semblables suivre dans l’aveugle route de leurs préjugés celle de leurs erreurs , de leurs malheurs , de leurs crimes , je leur criais d’une faillie voix qu’ils ne pouvaient entendre Insensés, qui vous plaignez sans cesse de la nature, apprenez que tous vos maux vous viennent de vous. De ees méditations résulta le Discours sur l’inégalité,, ouvrage qui fut plus du goût de Diderot PARTIE H, UVRE VI1T. *'>* que tous mes autres écrits , et pour lequel ses conseils me furent le plus utiles 1 , mais qui ne trouva dans toute l’Europe que peu de lecteurs qui l’entendissent, et aucun de ceux-là qui voulût en parler. Il avait été fait pour concourir au prix je l’envoyai donc, mais sûr d’avance qu’il ne l’aurait pas, et sachant bien que ce n’estpaspour des pièces de cette étoffe que sont fondés les prix des académies. Cette promenade et cette occupation firent du bien à mon humeur et à ma santé il y avait déjà plusieurs années que, tourmenté de ma rétention d’urine, je m’étais livré sans réserve aux médecins, qui , sans alléger mon mal, avaient épuisé mes forces et détruit mon tempérament. Au retour de Saint-Germain, je me trouvai plus de forces et me sentis beaucoup mieux. Je suivis cette indication; et, résolu de guérir ou mourir sans médecins et sans remèdes, je leur dis adieu pour jamais, et je me mis à vivre au jour la journée, restant coi quand je ne pouvais aller, et marchant i sitôt que j’en avais la force. Le train de Paris parmi les gens à prétention était si peu de mon goût; les t — 1 - Ci Dans le temps que j’écrivais ceci, je n’avais encoreaucun soupçon du grand complot de Diderot et de Gsimrn , sans quoi j’aurais aise'ment reconnu combien le premier abusait de ma confiance , pour donner a mes écrits ce ton dur et cet air noir qu’ils n’eurent plus quand il cessa de me diriger. Le morceau du philosophe qui s’argumente en se bouchant les oreilles pour s’endurcir aux plaintes des malheureux est de sa façon , et il m’en avait fourni d’autres plus forts encore que je ne pus me résoudre à employer. Mais attribuant uniquement cette humeure noire à celle quelui avait donnée le donjon de Vincennes, et dont on retrouve dans son Clairval une assez forte dose , il ne me vint jamais à l’esprit d’y soupçonner la moindre méchanceté. US CONFESSIONS. IÔ2 cabales îles gens de lettres, leurs honteuses querelles, leur peu de bonne foi dans leurs litres, leurs airs tranchans dans le monde, m’étaient si odieux, si antipathiques ; je trouvais si peu de douceur, d’ouverture de cœur, de franchise, dans le commerce même de mes amis, que, rebuté de cette vie tumultueuse , je commençais de soupirer ardemment après le séjour de la campagne; et, ne voyant pas que mon métier me permit de m’y établir, j’y courais du moins passer les heures que j’avais de libres. Pendant plusieurs mois, d’abord après mon dîner, j’allais me promener seul au bois de Boulogne , méditant des sujets d’ouvrages, et je ne revenais qu’à la nuit. Gauffecourt, avec lequel j’étais alors extrêmement lié, se voyant obligé d’aller à Genève pour son emploi, me proposa ce voyage. J’y consentis. Je n’étais pas alors assez bien pour me passer des soins de la gouverneuse. Il fut décidé qu’elle serait du voyage , que sa mère garderait la maison; et, tous nos arrangemens pris, nous partîmes tous trois ensemble le premier juin iy54- Je dois noter ce voyage comme l’époque de la première expérience qui, jusqu’à l’âge de quarante- deux ans que j’avais alors , ait porté atteinte au naturel pleinement confiant avec lequel j’étais né,, et auquel je m’étais toujours livré sans réserve et sans inconvénient. Nous avions un carrosse bourgeois , qui nous menait avec les mêmes chevaux à très-petites journées. Je descendais et marchais souvent à pied. A peine étions-nous à la moitié de notre route que Thérèse marqua la plus grande répugnance à rester seule dans la voiture avec Gauffecourt; et que, quand, malgré ses prières, je voulais descendre, elle descen dait et marchait aussi. PARTIE II, 1IVRE VIH. '6' Je la grondai long-temps de ce caprice, et même je m’y opposai tout-à-fait, jusqu’à ce qu’elle se vît forcée enfin à m’en déclarer la cause. Je crus réver, - je tombai des nues, quand j’appris que mon ami M. de GaulTecourt * , âgé de plus de soixante ans, podagre, impotent, usé de plaisirs et de jouissances, travaillait en secret depuis notre départ à séduire et corrompre une personne qui n’était plus ni belle ni jeune, qui appartenait à son ami ; et cela par les moyens les plus bas, les plus honteux, jusqu’à lui présenter sa bourse , jusqu’à tenter de l’émouvoir par la lecture d’un livre abominable , et par la vue des figures infâmes dont il était plein. Thérèse indignée lui lança une fois son vilain livre par la portière ; et j’appris que , le premier jour , m’étant allé coucher sans souper à cause d’une violente migraine , il avait employé tout le temps de ce tète-à-tète à des tentatives et des manœuvres plus dignes d’un satyre et d’un bouc, que d’un honnête homme auquel j’avais confié ma compagne et moi-même. Quelle surprise ! quel serrement de cœur tout nouveau pour moi! Moi, qui jusqu’alors avais cru l’amitié inséparable des sentimens aimables et nobles qui font tout son charme , pour la première fois de ma vie, je me vois forcé de l’allier au dédain , et d’ôter ma confiance et mon estime à un homme que j’aime et dont je me crois aimé ! Le malheureux me cachait sa turpitude ; * Mademoiselle d’Ltle, en rendant compte au chevalier h* Valori de jee qui se passe à la Chevrette , s’exprime ainsi Gautiecourt, ce basset sexagénaire, fait le doucereux auprès de l’indolente de Julty qui le persifle. C’csl un vrai basset. Je ne puis me faire à respecter un homme de son état qui joue la comédie, et qui n’a que quatre pieds de haut. 66 affermie par mon aversion pour la dispute et pour les partis. L’étude de l’homme et de l’univers m’avait montré partout les causes finales et l’intelligence qui les dirigeait. La lecture de la Bible, et surtout de l’évangile à laquelle je m’appliquais depuis quelques années, m’avait fait mépriser les basses et sottes interprétations que donnaient à Jésus-Christ les gens les moins dignes de l’entendre. En un mot, la philosophie, en m’attachant à l’essentiel de la religion, m’avait détaché de ce fatras de petites formules dont les hommes l’ont offusquée. Jugeant qu’il n’y avait pas pour un homme raisonnable deux manières d’être chrétien, je jugeais aussi que tout ce qui est discipline et forme était dans chaque pays du ressort des lois. De ce principe si sensé, si social, si pacifique, et qui m’a attiré de si cruelles persécutions, il s’ensuivait que, voulant être citoyen, je devais être protestant et rentrer dans le culte établi dans mon pays. Je m’y déterminai; je me soumis même aux instructions du pasteur de la paroisse où je logeais. Je désirai seulement de n’étre pas obligé de paraître en consistoire. L’édit ecclésiastique cependant y était formel ; on voulut bien y déroger en ma faveur ; et l’on nomma une commission de cinq ou six membres pour recevoir en particulier ma profession de foi. Malheureusement, le ministre Perdriau, homme aimable et doux avec qui j’étais lié, s’avisa de me dire qu’on se réjouissait de m’entendre parler dans cette petite assemblée. Cette attente m’efTraya si fort, qu’ayant étudié jour et nuit pendant trois semaines un petit discours que j’avais préparé, je me troublai lorsqu’il fallut le réciter, au point de n’en pouvoir pas dire un seul mot, et je fis dans cette conférence le rôle du plus sot écolier. Les commissaires parlaient pour PARTIE II, LIVRE VIII. lfi' moi, je répondais bêtement oui et non ensuite je fus admis à la communion et réintégré dans mes droits de citoyen, ayant été inscrit comme tel dans le rôle des gardes que paient les seuls citoyens et bourgeois, et ayant assisté à un conseil général extraordinaire pour recevoirle serment du syndic Mussard. Je fus si touché des bontés que me témoignèrent en cette occasion le conseil, le consistoire, et des procédés obligeans et honnêtes de tous les magistrats,ministresetcitoyens,que,pressé par le bon homme Delue qui m’obsédait sans cesse, et encore plus par mon propre penchant, je ne songeai à retourner à Paris que pour dissoudre mon ménage, mettre en règle mes petites affaires, placermadame Le Vasseur et son mari, ou pourvoir à leur subsis- tence, et revenir avec Thérèse m’établir à Genève pour le reste de mes jours. Cetle résolution prise, je fis trêve aux affaires sérieuses pourm’amuseraveemesamis jusqu’au temps démon départ. De fous ces amusemens, celui qui me plut davantage fut une promenade autour du lac, que je fis en bateau avec Deluc père, sa bru, ses deux fils, et ma Thérèse. Nous mîmes sept jours à cette tournée par le plus beau temps du monde. J’en gardai le vif souvenir des sites qui m’avaient frappé à l’autre extrémité du lac, et dont je fis la description quelques années après dans la Nouvelle Héloïse. Les principales liaisons que je fis à Genève, outre les Deluc dont j’ai parlé, furent le jeune ministre Vernes,que j’avais déjà connu à Paris, et dont j’au- gurais mieux qu’il n’a valu dans la suite; Al. Perdriau, alors pasteur de campagne, aujourd’hui professeur de belles-lettres, dont la société, pleine de douceur et d’aménité, me sera toujours regrettable, quoi- lG 8 1ES CONTESSKmS. I qu’il ait cru du bel air de se dé lac lie rdc moi; M. Jala- I bert, alors professeur de physique, depuis conseiller et syndic, auquel je lus mon Discours sur l’inégalité niais non pas la dédicace, et qui en parut transporté; le professeurLullinavec lequel jusqu’à ' sa mort je suis resté en correspondance, et qui m’avait même chargé d’emplettes de livres pour la bibliothèque ; le professeur Yemet, qui me tourna le dos comme tout le monde, après que je lui eus donné des preuves d’attachement et de confiance qui l’auraient dû toucher, si un théologien pouvait être touché de quelque chose ; Chappuis, commis et successeur deGauffecourt qu’il voulut supplanter pour les sels du Valais, et qui bientôt fut supplanté lui-même; Marcetde Mézières, ancien ami démon père et qui s’était aussi montré le mien, mais qui, après avoir jadis bien mérité de la patrie, s’étant fait auteur dramatique et prétendant aux deux-cents, changea de maximes et devintridieulcavantsamort. i- Slais celui de tous dont j’attendis davantage fut Moultou le fils, qui, pendant mon séjour àGenève, j fut reçu dans le ministère , auquel il a depuis re- j- noncé jeune homme de la plus grande espérance par ses talens, par son esprit plein de feu, que j’ai toujours aimé , quoique sa conduite à mon égard ait été souvent équivoque , et qu’il ait des liaisons ; avec mes plus cruels ennemis, mais qu’avec tout! cela je ne puis m’empêcher de regarder encore { comme appelé à être un jour le défenseur de nia mémoire, et le vengeur de son ami. c Au milieu de ces dissipations je 11e perdis ni le J goût ni l’habitude de mes promenades solitaires, et j j’en faisais souvent d’assez grandes sur les bords du j lac , durant lesquelles ma tête accoutumée au Ira-1 \ail ne demeurait pas oisive. Je digérais le plan déjà 1 tARTIE U, UVM VHt. 169 formé de mes Institutions politiques, dont j’aurai bientôt àparler; je méditais une Ilistoircdu Valais, un plan de tragédie en prose, dont le sujet n’était pas moins que Lucrèce, et dont je n’espérais pas moins que d’attérer les rieurs [ quoique j’osasse laisser paraître encore cette infortunée, quand elle ne le peut plus sur aucun théâtre français]. Je m’essayais en même temps sur Tacite, et je traduisis le premier livre de son Histoire, qu’on trouvera parmi mes papiers. Après quatre mois de séjour àGenève je retournai au mois d’octobre à Paris, et j’évitai de passer par Lyon pour ne pas me retrouver en roule avec Gauf- fecourt. Comme il entrait dans mes arrangemensde ne revenir à Genève que le printemps prochain, jg repris pendant l’hiver mes habitudes et mes occupations, dont la principale fut de voir les épreuves demon Discours sur l’inégalité, que je faisais imprimer en Hollande par le libraire Rey, dont je venais de faire la connaissance à Genève. Comme cet ouvrage était dédié à la république, et que celte dédicace pouvait ne pas plaire au conseil, je voulais attendre l’effet qu’elle ferait à Genève avunt que d’y retourner. Cet effet ne me fut pas favorable, et cette dédicace, que le plus pur patriotisme m’avait dictée, 11e fit que m’attirer des ennemis dans le conseil, et des jaloux dans la bourgeoisie. alors premier syndic, m’écrivit une lettre honnête, mais froide, qu’on trouvera dans mes recueils liasse A, n° 3 . Je reçus des particuliers, et entre autres des Deluc et de Jalabert, quelques complimens, et ce fut là tout; je ne vis point qu’aucun Genevois me sût un vrai gré du zèle de cœur qu'on sentait dans cet ouvrage. Cette indifférence scandalisa tous ceux qui la remarquèrent. Je me souviens que. 1^0 LES COKFESSIOÎtS. dînant un jour à Clichy, chez madame Dupin , avec MM. de Mairan et Crommelin, résidens delà république, le premier dit en pleine table que le conseil me devait un présent et des honneurs publics pour cet ouvrage, et qu’il se déshonorait s’il manquait à ce devoir. Crommelin, qui était un petit homme noir et bassement méchant, n’osarien répondre en ma présence ; mais il lit une grimace effroyable qui lit sourire madame Dupin. Le seul avantage que me procura cet ouvrage, outre celui d’avoir satisfait mon cœur, fut le titre de citoyen , qui me fut donné par mes amis, puis par le publie à leur exemple, et que j’ai perdu dans la suite pour l’avoir trop bien mérité. Ce mauvais succès ne m’aurait pourtant pas dér tourné d’exécuter ma retraite à Genève, si des motifs plus pirissans sur mon cœur n’y avaient concouru. M. d’Épinai, voulant ajouter une aile qui manquait à son château de la Chevrette, faisait une dépense immense pour l’achever. Étant allé voir un jour avec madame d’Épinai ces ouvrages, de sa maison d’Épinai, où nous étions alors, nous poussâmes notre promenade un quart de lieue plus loin jusqu’au réservoir des eaux du parc qui touchait la forêt de Montmorenci, et où était un joli potager , avec une très-petite loge fort délabrée qu’on appelait i’Hermitage. Ce lieu solitaire et très-agréable m’avait frappé, quand je le vis pour la première fois avant mon voyage de Genève. Il m’était échappé de dire dans mon transport Ah t madame, quelle 1 habitation délicieuse ! voilà un asile tout fait pour f moi. Madame d’Épinai ne releva pas beaucoup mon I discours ; mais, à ce second voyage, je fus tout surpris de trouver, au lieu de la vieille masure , une petite maison presque entièrement neuve, fort bien PARTIE 11 , LIVRE VHI. I J I distribuée et très-logeable pour un petit ménage de trois personnes. Madame d’Épinai avait fait faire cet ouvrage en silence et à peu de frais, en détachant quelques matériaux et quelques ouvriers de ceux du château. A ce second voyage, elle me dit , en voyant ma surprise Mon ours, voilà votre asile ; c’est vous qui l’avez choisi, c’est l’amitié qui vous l’offre; j’espère qu’elle vous ôtera la cruelle idée de vous éloigner de moi. Je ne crois pas d’avoir été de mes jours plus vivement, plus délicieuseinentému; je mouillai de pleurs la main bienfaisante de mon amie, et, si je ne fus pas vaincu dès cet instant même, je fus extrêmement ébranlé. Madame d’Épinai. qui ne voulait pas en avoir le démenti , devint si pressante, employa tant de moyens, tant de gens pour me circonvenir, jusqu’à gagner pour cela madame Le Vasseur et sa 1111e, qu’enfin elle triompha de mes résolutions. Renonçant au séjour de ma patrie, je résolus , je proinisd’habiterl’Her- mitage; et en attendant que le bâtiment fût sec, elle prit soin d’en préparer les meubles, en sorte que tout fut prêt pour y entrer le printemps prochain. line chose qui aida beaucoup à me déterminer, fut l’établissement de Voltaire auprès de Genève ; je compris que cet homme y ferait révolution, que j’irais retrouver dans ma patrie le ton , les airs , les mœurs qui me chassaient de Paris; qu’il me faudrait batailler sans cesse, et que je n’aurais d’autre choix dans ma conduite que celui d’être un pédant insupportable, ou un lâche et mauvais citoyen. La lettre que Voltaire m’écrivit sur mon dernier ouvrage me donna lieu d’insinuer mes craintes dans ma réponse ; l’effet qu’elle produisit les confirma. Dès lors je tins Genève perdue , et je ne me ira CONFESSIOSS. trompai pas. J’aurais dû peut-être aller faire tète à l’orage, si je m’en étais senti le talent. Maisqu’eussé- je fait seul, timide, et parlant très-mal, contre un homme arrogant, opulent, étayé du crédit des grands, d’une brillante faconde, et déjà l’idole des femmes et des jeunes gens? Je craignis d’exposer inutilement au péril mon courage; je n’écoutai quç mon naturel paisible, que l’amour du repos, qui, s'il me trompa, me trompe encore aujourd’hui sur le même article. En me retirant à Genève j’aurais pu ! m’épargnerdegrandsmalheurs à moi-même, mais je doute qu’avec tout mon zèle ardent et patriotique ; j’eusse rien fait de grand et d’utile pour mon pays. Tronchin, qui dans le même temps à peu près j fut s’établir à Genève, vint quelque temps après à J Paris faire le saltimbanque, et en emporta des ! trésors. A son arrivée il vint me voir avec le elle- valicr de Jaucourt. Madame d’Épinai souhaitait j fort de le consulter en particulier, mais la presse n’était pas facile à percer. Elle eut recours à moi. J’engageai Tronchin à l’aller voir. Ils commencèrent ainsi sous mes auspices des liaisons qu’ils resserrèrent ensuite à mes dépens. Telle a toujours été ma destinée sitôt que j’ai rapproché l’uu de l’autre deux amis que j’avais séparément, ils n’ont ; jamais manqué de s'unir contre moi. Quoique , dans le complot que formaient dès lors les Tron- chins d’asservir leur patrie, ils hissent tous me haïr mortellement, le docteur pourtant continua longtemps à me témoigner de la bienveillance. Il m’écrivit même après son retour à Genève pour me proposer la place de bibliothécaire honoraire. Mais mon parti était pris, et cette offre pe m’ébranla pas. Je retournai dans ce temps-là chez- M. d’Holbach. PARTIE II, LIVRE VIII. 1/5 L’occasion en avait été la mort de sa femme , arrivée, ainsi quecelle de madame de Francueil, durant mon séjour à Genève. Diderot, en me la marquant, me parla de la profonde affliction du mari. Sa douleur émut mon cœur. Je regrettais vivement moi-même cette aimable femme. J’écrivis sur ce sujet à M. d’Holbach il me répondit honnêtement. Cette triste circonstance me fit oublier tous ses torts; et lorsque je fus de retour de Genève, et qu’il fut de retour lui - même d’un tour de France qu’il avait fait pour se distraire , avec Grimm et d’autres amis , j’allai le voir, et je continuai jusqu’à mon départ pour l’Hermitage. Quand on sut dans sa coterie que madame d’Epinai, qu’il ne voyait point encore, m’y préparait un logement, les sarcasmes tombèrent sur moi comme la grêle , fondés sur ce qu’ayant besoin de l’encens et des amusemens de la ville, je ne soutiendrais pas la solitude seulement quinze jours. Sentant en moi ce qu’il en était, je laissai dire , et j’allai mon train. M. d’Holbach ne laissa pas de m'être utile i pour placer le vieux bon homme Le Vasseur qui avait plus de quatre-vingts ans , et dont sa femme, qui s’en sentait surchargée, ne cessait de me prier de la débarrasser. Il fut mis dans une maison de charité , où l’àge et le regret de se voir loin de sa famille le mirent au tombeau presque en arrivant. Sa femme et ses autres enfans le regrettèrent peu mais Thé- i Voici un exemple des tours que me joue nia mémoire Long-temps après avoir écrit ceci , je viens d’apprendre , en causant avec ma femme de son vieux bon homme de père , que ce ne fut point M. d’Holbach, mais M. deClienonceaux, alors un des administrateurs de l’Hôtel-Dicu, qui le lit placer. J’en avais si totalement perdu l’idée , et j’avais celle de M. d’Holbach si présente, que j’aurais juré pour ce dernier. 1 74 IBS CONFESSIONS. rèse, qui l’aimait tendrement, n’a jamais pu se consoler de sa perte, et d’avoir souffert que , si près de son terme, il allât si loin d’elle achever ses jours. J’eus à peu près dans le même temps une visite à laquelle je ne m’attendais guère, quoique ce fût une bien ancienne connaissance. Je parle de mon ami Venture, qui vint me surprendre un beau matin, lorsque je ne pensais à rien moins. Qu’il me parut changé ! Un autre homme était avec lui. Au lieu de ses anciennes grâces, je ne lui trouvai plus qu’un air crapuleux qui empêcha mon cœur de s’épanouir avec lui. Ou mes yeux n’étaient plus 1rs mêmes, ou la débauche avait abruti son esprit, ou tout son premier éclat tenait à celui de la jeunesse qu’il n’avait plus. Je Je vis presque avec indifférence, et nous nous séparâmes assez froidement. Mais quand il fut parti, le souvenir de nos liaisons me rappela si vivement celui de mes jeunes ans, si doucement, si pleinement consacrés à cette femme angélique, qui maintenant n’était guère moins changée que lui ; les petites anecdotes de cet heureux temps; la romanesque journée de Thoune, passée avec tant d’innocence et de jouissance entre ces deux charmantes filles, dont une main baisée avait été l’ünique faveur, et qui, malgré cela, m’avait laissé des regrets si vifs, si touchans , si durables; tous ces ravissans délires d’un jeune cœur,' que j’avais sentis alors dans toute leur force , et dont je croyais le temps pour jamais passé, toutes ces tendres réminiscences me firent verser des larmes sur ma jeunesse écoulée, et sur ses transports désormais perdus pour moi. Ah ! combien j’en aurais versé sur leur retour tardif et funeste , si j’avais prévu les maux qu’il m’allait coûter! PARTIE II, UVRE VIII. 1?» Avant de quitter Paris, j’eus pendant l’hiver qui précéda ma retraite, un plaisir bien selon mon cœur et que je goûtai dans toute sa pureté. Palissot, académicien de Nanci, connu par quelques drames, venait d’en donner un à Lunéville, devant le roi de Pologne. II crut app aremment faire sa cour en jouant dans ce drame un homme qui avait osé se mesurer avec le roi,la plume à la main. Stanislas, qui était généreux, et qui n’aimait pas la satire, fut indigné qu’on osât ainsi personnaliser en sa présence. M. le comte de Tressan écrivit, par l’ordre de ce prince, à d’Alembert et à moi, pour m’informer que l’intention de sa majesté était que le sieur Palissot fût chassé de son académie. Ma réponse fut une vive prière à M. de Tressan d’intercéder auprès du roi pour obtenir la grâce du sieur Palissot. La grâce fut accordée à ma sollicitation, et M. de Tressan, en me la marquant au nom du roi, ajouta que ce fait serait inscrit sur les registres de l’académie. Je répliquai que c’était moins accorder une grâce que perpétuer un châtiment. Enfin j’obtins, à force d’instances, qu’il ne serait fait mention de rien daus les registres, et qu’il ne resterait aucune trace publique de cette ati'aire. Tout cela fut accompagné, tant de la part du roi que de celle de M. de Tressan, de témoignages d’estime et déconsidération dont extrêmement flatté; et je sentis que l’estime des hommes qui en sont si dignes eux-mêmes, produit dans Pâme un sentiment bien plus doux et plus noble que celui de la vanité. J’ai transcrit dans mon recueil les lettres de M. de Tressan avec mes réponses, et l’on en trouvera les originaux dans la liasse A, n°’9, io et 11. Je sens bien que, si jamais ces mémoires par- 2. 8 1 76 IES C0XFESS10XS. viennent à voir le jour, je perpétue ici moi-même le souvenir d’un fait dont je voulais effacer la trace, mais j’en transmets bien d’autres malgré moi. Le grand objet de mon entreprise toujours présent à mes yeux, l’indispensable devoir de la remplir dans toute son étendue, ne m’en laisseront point détourner par de plus faibles considérations qui m’écarteraient de mon but. Dans l’étrange , dans l’unique situation où je me trouve, je me dois trop à la vérité pour devoir rien de plus à autrui. Pour me bien connaître, il faut me connaître dans tous mes rapports bons et mauvais. Mes confessions sont nécessairement liées avec celles de beaucoup de gens je fais les unes et les autres avec la même franchise en tout ce qui se rapporte à moi, ne croyant devoir à qui que ce soit plus de ménage- mens que je n’.en ai pour moi-même , et voulant toutefois en avoir beaucoup plus. Je veux être toujours juste et vrai, dire d’autrui le bien tant qu'il me sera possible, ne dire jamais que le mal qui me regarde, et qu’autant que j’y suis forcé. Qui est-ce qui, dans l’état où l’on m’a mis, a droit d’exiger de moi davantage? Mes Confessions ne sont point faites pour paraître de mon vivant ni de celui des personnes intéressées. Si j’étais le maître de ma destinée et de celle de cet écrit, il ne verrait le jour que long-temps après ma mort et la leur. Mais le* efforts que la terreur de la vérité fait faire à mes puissans oppresseurs, pour en effacer les traces, me forcent à faire, pour les conserver, tout ce que permettent le droit le plus exact et la plus sévère justice. Si ma mémoire devait s’éteindre avec mon plutôt que de compromettre personne, je souflri- rais un opprobrainjusteet passager sans murmure mais puisque enfin mon nom doit vivre et parvenu PARTIE II, LIVRE VIII. 177 à la postérité, je me dois de tâcher de transmettre avec lui le souvenir de l’homme infortuné qui le porta, tel qu’il fut réellement, et non tel que ses iniques ennemis travaillent sans relâche à le peindre. FIN DO LIVRE HUITIEME. I I 1E8 COXFESSIOÜS. >78 LIVRE NEUVIÈME. L’impatience, d’habiter la campagne ne me permit pas d’attendre le retour de la belle saison, et sitôt que mon logement fut prêt je me hâtai de m’y rendre, aux grandes huées de la coterie holba- chique, qui prédisait hautement que je ne supporterais pas trois mois de solitude, et qu’on me verrait dans peu revenir avec ma courte honte vivre comme eux à Paris. Pour moi qui, depuis quinze ans hors de mon élément, me voyais près d’y rentrer, je ne faisais pas même attention à leurs plaisanteries. Depuis que je m’étais, malgré moi, jeté dans le monde, je n’avais cessé de regretter mes chères Charmettes et la douce vie que j’y avais menée. Je me sentais fait pour la campagne et la retraite ; il m’était impossible de vivre heureux ailleurs à Venise, dans le train des affaires publiques, dans la dignité d’une espèce de représentation, dans l’orgueil des projets d’avancement; à Paris, dans le tourbillon de la grande société, dans la sensualité des soupers, dans l’éclat des spectacles , dans la fumée de la gloriole ; toujours mes bosquets, mes ruisseaux, mes promenades solitaires, venaient par leur souvenir me distraire, me contrister, m’arracher des soupirs et des désirs. Tous les travaux auxquels j’avais pu m’assujettir, tous les projets d’ambition qui par accès avaient animé mon zèle, n’avaient d'autre but que d’arriver un jour à ces bienheureux loisirs champêtres, auxquels en ce moment je me flattais de toucher. Sans m’être mis dans l’honnête aisance que j’avais cru seule pouvoir m’y conduire, je jugeais, par ma PARTIE II, LIVRE IX. 1?9 situation particulière, être en état le m’en passer, et pouvoir arriver au même but par un chemin tout contraire. Je n’avais pas un sou de rente, mais j’avais un nom, des talens; j’étais sobre, et je m'étais ôté les besoins les plus dispendieux, tous ceux de l'opinion. Outre cela, quoique paresseux, j’étais laborieux cependant quand je voulais l’être, et ma paresse était moins celle d’un fainéant que celle d’un homme indépendant qui ne sait travailler qu’à son heure. Mon métier de copiste de musique n’était ni brillant ni lucratif, mais il était sûr. On me savait gré dans le monde d’avoir eu le courage de le choisir. Je pouvais compter que l’ouvrage ne me manquerait pas, et il pouvait me suffire en bien travaillant. Deux mille francs qui me restaient du produit du Devin du village et de mes autres écrits me faisaient une avance pour n’étre pas à l’étroit, et plusieurs ouvrages que j’avais sur le métier me promettaient, sans rançonner les libraires, des supplémens suffisons pour travailler à mon aise, sans m’excéder, et même en mettant à profit les loisirs de la promenade. Mon petit ménage, composé de trois personnes, qui toutes s’occupaient utilement, n’était pas d’un entretien fort coûteux. Enfin mes ressources, proportionnées à mes besoins et à mes désirs, pouvaient raisonnablement me promettre une vie heureuse et durable dans celle que mon inclination m’avait fait choisir. J’aurais pu me jeter tout-à-fait du côté le plus lucratif, et au lieu d’asservir ma plume à la copie, la dévouer entière à des écrits qui, du vol que j’avais pris et que je me sentais en état de soutenir, pouvaient me faire vivre dans l’abondance, et mêifte dans l’opulence, pour peu que j’eusse voulu joindre des manœuvres d’auteur au soin de publier CONFESSIONS. l8o de bons livres. Mais, sans répéter ce que j'ai dit sur le même sujet, j’ajouterai seulement qu’écrire des livres pour avoir du pain eût bientôt étouffé mon génie et tué mon talent, qui était moins dans ma plume que dans mon cœur, et né uniquement d’une façon de penser élevée et fière, qui seule pouvait le nourrir. Rien de vigoureux, rien de grand ne peut partir d’une plume toute vénale. La nécessité, l’avidité peut-être, m’eût fait faire plus vite que bien. Si le besoin du succès ne m’eût pas fourré dans les cabales, il m’eût fait chercher à dire moins des choses utiles et vraies que des choses qui plussent à la multitude ; et, d’un écrivain distingué que je pouvais être, je n’aurais été qu’un barbouilleur de papier. Non, non; j’ai toujours senti que l’état d’auteur n’était, ne pouvait être illustre et respectable qu’autant qu’il n’était pas un métier. Il est trop difficile de penser noblement quand on ne pense que pour vivre. Pour pouvoir, pour oser dire de grandes vérités, il ne faut pas dépendre de son succès. Je jetais mes livres dans le public avec la certitude d’avoir parlé pour le bien commun , sans aucun souci du reste. Si l’ouvrage était rebuté, tant pis pour ceux qui n’en voulaient pas profiter. Pour moi, je n’avais pas besoin de leur approbation pour vivre. J’avais un métier qui pouvait me nourrir, si mes livres ne se vendaient pas ; et voilà précisément ce qui les faisait vendre. Ce fut le 9 avril 1^56 que je quittai la ville pour n’y plus habiter ; car je ne compte pas pour habitation quelques courts séjours que j’ai faits depuis tant à Paris qu’en d’autres villes, mais toujours de passage, ou toujours malgré moi. Madame d’Épinai vint nous prendre tous trois dans son carrosse .-son fermier vint charger mon petit bagage , et je fus PARTIE II, LIVRE IX. l8l installé dès le même jour. Je trouvai ma petite retraite arrangée et meublée simplement, mais proprement et même avec goût. La main qui avait donné ses soins à cet ameublement le rendait à mes yeux d’un prix inestimable, et je trouvais délicieux d’être l’hôte de mon amie, dans une maison de mon choix qu’elle avait faite exprès pour moi. Quoiqu’il fît froid et qu’il y eût même encore de la neige, la terre commençait à végéter; on voyait des violettes et des primevères ; les bourgeons des arbres commençaient à poindre, et la nuit même de mon arrivée fut marquée par le premier chant du rossignol, qui se lit entendre presque à ma fenêtre dans un bois qui touchait la maison. Après un léger sommeil, oubliant à mon réveil ma transplantation, je me croyais encore dans la rue de Grenelle, quand tout à coup ce ramage me fit tressaillir, et je m’écriai dans mon transport Enfin tous mes vœux sont accomplis ! Mon premier soin fut de me livrer à la délicieuse impression des objets champêtres dont j’étais entouré. Au lieu de commencer à m’arranger dans mon logement, je commençai par m’arranger pour mes promenades, et il n’y eut pas un sentier, pas un taillis, pas un bosquet, pus un réduit autour de ma demeure, que je n’eusse parcouru dès le lendemain. Plus j’examinais cette charmante retraite, plus je la sentais faite pour moi. Ce lieu solitaire plutôt que sauvage me transportait en idée an bout du monde il avait de ces beautés touchantes qu’on ne trouve guère auprès des villes ; et jamais, en s'y trouvant transporté tout à coup, on n’eût pu croire être à quatre lieues de Paris. Après quelques jours livrés à mon délire champêtre, je songeai à ranger mes paperasses et à régler LES CONFESSIONS» l8î mes occupations. Je destinai, comme j’avais toujours fait, mes matinées à la copie, et mes après- dînées à la promenade, muni de mon petit livre blanc et de mon crayon car n’ayant jamais pu écrire et penser à mon aise que suù dio, je n’étais pas tenté de changer de méthode, et je comptais bien que la forêt de Montmorenci, qui était presque à ma porte, serait désormais mon cabinet de travail. J’avais plusieurs écrits commencés; j’en fis la revue. J’étais assez magnifique en projets, mais, dans les tracas de la ville, l’exécution jusqu’alors avait marché lentement j’y comptais mettre un peu plus de diligence quand j’aurais moins de distraction. Je crois avoir assez bien rempli cette attente, et, pour un homme souvent malade, souvent à la Chevrette, chez madame d’Epinai, plus souvent importuné chez moi de curieux désœuvrés, et toujours occupé la moitié de ma journée à la copie, qu’on compte et mesure les écrits que j’ai faits durant les six ans que j’ai passés tant à l’Hermitage j qu’à Montmorenci; l’on trouvera, je m’assure, que si j’ai perdu mon temps, ce n’a pas été du moins ' dans l’oisiveté. Des divers ouvrages que j’avais sur le chantier, » celui que je méditais depuis plus long-temps, dont je m’occupais avec plus de goût, auquel je voulais travailler toute ma vie, et qui devait, selon moi, mettre le sceau à ma réputation, était mes Institutions politiques. Il y avait treize à quatorze ans que j’en avais conçu la première idée, lorsque, étant à Venise, j’avais eu quelque occasion de remarquer les défauts de ce gouvernement si vanlé. Depuis lors, mes vues s’étaient beaucoup étendues par l’étude historique de la morale. J’avais vu que tout tenait radicalement à la politique, et que, de PARTIE II, LIVRE IX. l83 quelque façon qu’on s’y prît, aucun peuple ne serait jamais que ce que la nature de son gouvernement le ferait être ainsi cette question du meilleur gouvernement possible me paraissait se réduire à celle-ci Quelle est la nature de gouvernement propre à former le peuple le plus vertueux, le plus éclairé, le plus sage, le meilleur enfin, à prendre ce mot dans son plus grand sens ? J’avais cru voir que cette question tenait de bien près à cette autre- ci, si même elle en était différente Quel est le gouvernement qui, par sa nature, se tient toujours le plus près de la loi? De là, qu’est-ce que la loi? et une chaîne de questions de cette importance. Je voyais que tout cela me menait à de grandes vérités, utiles au bonheur du genre humain, mais surtout à celui de ma patrie, où je n’avais pas trouvé, dans le voyage que je venais d’y faire, les notions des lois et de la liberté assez justes, ni assez nettes à mon gré ; et j’avais cru cette manière indirecte de les leur donner la plus propre à ménager l’amour-propre de ses membres, et à me faire pardonner d’avoir pu voir là-dessus un peu plus loin qu'eux* Quoiqu’il y eût déjà cinq ou six ans que je travaillais à cet ouvrage, il n’était encore guère avancé. Les livres de cette espèce demandent de la méditation , du loisir, de la tranquillité. Déplus, je faisais celui- là , comme on dit, en bonne fortune , et je n’avais voulu communiquer mon projet à personne, pas même à Diderot. Je craignais qu’il ne parût trop hardi pour le siècle et le pays où j’écrivais, et que l’effroi de mes amis i ne me gênât dans l’exécution. i C était surtout la sage sévéïité do Duclos qui m’inspirait cette crainte ; car pour Diderot, je ne Sais comment 4 FES CONFESSIONS, J’ignorais encore s’il serait fait à temps, et de manière à pouvoir paraître de mon vivant. Je voulais pouvoir sans contrainte donner à mon sujet tout ce qu’il me demandait ; bien sûr que, n’ayant point l’humeur satirique, et ne cherchant jamais d’applicar tion, je serais toujours irrépréhensible en toute équité. Je voulais user pleinement, sans doute, du droit de penser que j’avais par ma naissance, mais toujours en'respectant le gouvernement sous lequel j’avais à vivre, sans jamais désobéir à ses lois ; et très-attentif à ne pas violer le droit des gens, je ne prétendais pas non plus renoncer par crainte à ses avantages. J’avoue même qu’étranger et vivant en France je trouvais ma position très-favorable pour oser dire la vérité ; sachant bien que, continuant, comme je voulais faire, à ne jamais rien imprimer dans l’état sans permission, je n'y devais compte à personne de mes maximes et de leur publication partout ailleurs. J’aurais été bien moins libre à Genève même , où , dans quelque lieu que mes livres fussent imprimés, le magistrat avait droit d’épilo- guer sur leur contenu. Cette considération avait beaucoup contribué à me faire abandonner la résolution d’aller m’établir à Genève, et céder aux instances de madame d’Épinai. Je sentais, comme je l'ai dit dans l'Émile, qu’à moins d’être homme toutes mes conférences avec lui tendaient toujours à me rendre satirique et mordant plus que mon naturel ne me portait à l’être. Ce fut cela même qui inc détourna d le consulter sur une entreprise où je voulais mettre uniquement toute la force du raisonnement, sans aucun vestige d’humeur et de partialité. On peut juger du ton que j’avais pris dans cet ouvrage par celui du Contrat social, qui en est tiré. PARTIE U, LIVRE IX- ,î ' * d'intrigues, quand on veut consacrer ses livres au bien de la patrie, il ne faut pas les composer dans son sein. Ce qui me faisait trouver ma position plus heureuse était la persuasion où j’étais que le gouvernement de France, sans peut-être me voir de bon œil, se ferait un honneur, sinon de me protéger,. au moins de me laisser tranquille. C’était, ce me semblait, un trait de politique très-simple et cependant très - adroite , de se faire un mérite de tolérer ce qu’on ne pouvait empêcher ; puisque si l’on m’eût chassé de France, ce qui était tout ce qu’on avait droit de faire , mes livres n’auraient pas moins été faits , et peut-être avec moins de retenue au lieu qu’en me laissant en repos on gardait l’auteur pour caution de ses ouvrages, et, de plus , on effaçait des préjugés bien enracinés dans le reste de l’Europe, en se donnant la répu- I tation d’avoir un respect éclairé pour le droit des ! gens. Ceux qui jugeront sur l’événement que ma con- fiance m’a trompé , pourraient bien se tromper eux-mêmes. Dans l’orage qui m’a submergé, mes livres ont servi de prétexte, mais c’était à ma personne qu’on en voulait. On se souciait très-peu de l’auteur, mais on voulait perdre ; et le plus grand mal qu’on a trouvé dans mes écrits était l’honneur qu’ils pouvaient me faire. N’enjambons pas ici sur l’avenir. J’ignore si ce mystère , qui j en est encore un pour moi , s’éclaircira dans la suite de cet ouvrage au gré de certains lecteurs je sais seulement que, si mes principes manifestés avaient pu m’attirer les traitemens que j’ai soufferts, j’aurais tardé moins long-temps à en être la victime , puisque celui de tous mes écrits où ces 1 86 LES CONFESSIONS. principes sont développés avec le plus de hardiesse, pour ne pas dire d’audace, avait paru, avait fait son effet, même avant ma retraite à l’Hermitage, sans que personne eût songé, je ne dis pas à me chercher querelle, mais à empêcher seulement la publication de l’ouvrage en France, où il se vendait aussi publiquement qu’en Hollande. Depuis lors la Nouvelle Héloïse parut encore avec la même facilité, j’ose dire avec le même applaudissement; et ce qui semble presque incroyable , et qui pourtant est très-vrai, est que la profession de foi de cette même Héloïse mourante est exactement la même que celle du Vicaire Savoyard. Tout ce qu’il y a de hardi dans le Contrat Social était auparavant dans le Discours sur l’inégalité ; tout ce qu’il y a de hardi dans l'Émile était auparavant dans la Julie. Or ces choses hardies n’excitèrent aucune rumeur contre les deux premiers ouvrages ; ce ne sont donc pas elles qui l’excitèrent contre les derniers. Une autre entreprise à peu près du même genre, mais dont le projet était plus récent , m’occupait davantage en ce moment ; c’était l’extrait des écrits de l’abbé de Saint-Pierre, dont, entraîné par le fil de ma narration, je n’ai pu parler jusqu’ici. L’idée m’en avait été suggérée depuis mon retour de Genève par l’abbé de Mabli, non pas immédiatement, mais par- l’entremise de madame Dupin, qui avait une sorte d’intérêt à me la faire adopter. Elle était une des trois ou quatre jolies femmes de Paris dont lé vieux abbé de Saint-Pierre avait été l’enfant gâté , et si elle n’avait pas eu décidément la préférence, du moins elle l’avait partagée avec madame d’Aiguillon. Elle conservait pour la mémoire du bon homme un respect et une affection PARTIE II, LIVRE IX. 187 qui faisaient honneur à tous deux , et son amour- propre eût été flatté de voir ressusciter par son secrétaire les ouvrages morts-nés de son ami. Ces mêmes ouvrages ne laissaient pas d’être pleins d’excellentes choses, qui méritaient d’être mieux dites; et il est étonnant que l’abbé de Saint-Pierre, qui regardait ses lecteurs comme de grands enfans, leur parlât cependant comme à des hommes, en mettant si peu d’art à s’en faire écouter. C’était pour cela qu’on m’avait proposé ce travail, comme utile en lui - même , et comme très - convenable à un homme laborieux en manœuvre, mais paresseux comme auteur , qui trouvait la peine de penser très-fatigante , et aimait mieux, en choses de son goût, éclaircir et pousser les idées d’un autre que d’en créer. D’ailleurs, en ne me bornant pas à la fonction de traducteur, il ne m’était pas défendu de penser quelquefois par moi-même, et je pouvais donner telle forme à mon ouvrage, que bien d'importantes vérités y passeraient sous le manteau de l’abbé de Saint-Pierre , plus heureusement encore que sous le mien. L’entreprise au reste n’était pas légère il ne s’agissait pas moins que de lire, de méditer , d’extraire vingt-trois assomma ns volumes diffus , confus , pleins de redites, d’éternelles rabâclieries, et de petites vues courtes ou fausses, parmi lesquelles il"en fallait pêcher à la nage quelques-unes grandes, belles, et qui donnaient le courage de supporter ce pénible travail. Je l’aurais moi-même souvent abandonné si j’eusse honnêtement pu m’en dédire ; mais en recevant les manuscrits de l’abbé , que Saint-Lambert me fit donner par son neveu,le comte de Saint-Pierre, je m’étais en quelque sorte engagé d’en faire usage, et il fallait ou les rendre, ou LES COVFESSIOX*. 1S8 tâcher d’en tirer parti. C’était dans cette dernière intention que j’avais apporté ces manuscrits à l’IIermitage, et c’était là le premier ouvrage auquel je comptais donner mes loisirs. J’en méditais un troisième dont je devais l’idée à des observations faites sur moi-même, et je me sentais d’autant plus de courage à l’entreprendre que j’avais lieu d’espérer faire un livre vraiment utile aux hommes, et même un des plus utile» qu’on pût leur offrir, si l’exécution répondait dignement au plan que je m’étais tracé. L’on a remarqué que la plupart des hommes sont dans le cours de leur vie fort dissemblables à eux-mêmes, et semblent se transformer en des hommes tout différens. Ce n’était pas pour établir une chose aussi connue que je voulais faire un livre j’avaii un objet plus neuf et même plus important. C’était de marquer les causes de ces variations, et de m’attacher à celles qui dépendaient de nous , pour montrer comment elles pouvaient être dirigées par nous-mêmes pour nous rendre meilleurs et plus sûrs de nos actions. Car il est, sans contredit, plus pénible à l’honnête homme de résister aux désirs qu’il doit vaincre, que de prévenir, changer ou modifier ces mêmes désirs dans leur source, s’il était en état d’y remonter. Un homme tenté résiste une fois parce qu’il est fort, et succombe ne autre fois parce qu’il est faible ; s’il eût été le même qu’auparavant, il n’aurait pas succombé. En sondant en moi-même et en recherchant dans* les autres à quoi tenaient ces diverses manière* d’être, j’avais trouvé qu’elles dépendaient en grande partie de l’impression antérieure des objets exte - rieurs, et que, modifiés continuellement par nos; sens et par nos organes , nous portions, sans nout. ii, uvw, ix. î8 en apercevoir, dans nos idées, dans nos scntimens, dans nos actions mêmes, l’eflèt de ces modilica- tions. Les frappantes et nombreuses observations que j’avais recueillies étaient au-dessus de toute dispute; et, par leurs principes physiques, elles me paraissaient propres à fournir un régime extérieur qui, varié selon les cireonslances, pouvait mettre ou maintenir l’âme dans l’état le plus favorable à la vertu. Que d’écarts on sauverait à la Taison, que de vices on empêcherait de naître, si l’on savait forcer l’économie animale à favoriser l’ordre moral qu’elle trouble si souvent ! Les climats , les saisons , les sons, les couleurs , l’obscurité, la lumière, les élémens, les alimens, le bruit, le silence, le mouvement, le repos , tout agit sur notre machine, et sur notre âme par conséquent ; tout nous offre mille prises assurées pour gouverner dans leur origine les sentimens dont nous nous laissons dominer. Telle était l’idée-fond amen taie dont j’avais déjà jeté l’esquisse sur le papier, et dont j’espérais un effet d’autant plus sûr pour les gens bien nés, qui, aimant sincèrement la vertu, se défient de leur faiblesse, qu’il me paraissait aisé d’en faire un livre agréable à lire, comme il l’était à composer. J’ai cependant bien peu travaillé à cet ouvrage, dont le litre était la Morale sensitive. ou le Matérialisme du sage. Des distractions, dont on apprendra bientôt la cause, iu’empèchèrent de m’en occuper, et l’on saura aussi quel fut le sort de mon esquisse, qui tient au mien de plus près qu’il ne semblerait. Outre tout cela, je méditais depuis quelque temps un système d’éducation dont madame de Chenon- ceaux, que celle de son mari faisait trembler pour son fils, m’avait prié de m’occuper. L’autorité de igo ccnfessiosS. l’amitié faisait que cet objet, quoique moins de mon goût en lui-même, me tenait au cœur plus que tous les autres. Aussi, de tous les sujets dont je viens de parler, celui-là est-il le seul que j’aie conduit à sa fin. Celle que je m’étais proposée, en y travaillant , méritait, ce semble , à l’auteur une autre destinée. Mais n’anticipons pas ici sur ce triste sujet ; je ne serai que trop forcé d’en parler dans la suite de cet écrit. Tous ces divers projets m’offraient des sujets de méditation pour mes promenades car, comme je crois l’avoir dit, je ne puis de jour méditer qu’en marchant; sitôt que je m’arrête, je ne pense plus, et ma tête ne va qu’avec mes pieds. J’avais cependant eu la précaution de me pourvoir aussi d’un travail de cabinet pour les jours de pluie. C’était mon Dictionnaire demusiqac, dont lesmatériaux, I épars, mutilés, informes, rendaient l’ouvrage nécessaire à reprendre presque à neuf. J’apportais quelques livres dont j’avais besoin pour cela j’avais passé deux mois à faire l’extrait de beaucoup d’autres qu’on me prêtait à la bibliothèque du roi, et dont on me permit même d’emporter quelques-uns à l’Hermitage. Voilà mes provisions pour compiler au logis, quand le temps ne me permettait pas de sortir, et que je m’ennuyais de ma copie. Cet arrangement me convenait si bien, que j’en lirai parti tant à l’Hermitage qu’à Montmorenci, et même ensuite à Motiers, où j’achevai ce travail en en faisant d’autres, et trouvant toujours qu’un changement d’ouvrage est une véritable récréation. Je suivis assez exactement , pendant quelque temps, la distribution que je m’étais tracée , et je m’en trouvais très-bien ; mais, quand la belle saison ramena plus fréquemment madame d’Épinai à PARTIE II, IX. I9I Êpinaiet àla Chevrette,je trouvai que dessins, qui d’abord , ne me coûtaient pas, mais que je n’avais pas mis en ligne décompté, dérangeaient beaucoup mes autres projets. J’ai déjà dit que madame d’É- pinai avait des qualités très-aimables elle aimait bien ses amis, elle les servait avec beaucoup de. zèle ; et, n’épargnant pour eux ni son temps ni ses soins, elle méritait assurément bien qu’en retour ils eussent des attentions pour elle. Jusqu’alors j’avais rempli ce devoir sans songer que c’en était un ; mais enfin je compris que je m’étais chargé d’une chaîne dont l’amitié seule m’empêchait de sentir le poids j’avais aggravé ce poids par ma répugnance pour les sociétés nombreuses. Madame d’Épinai s’en prévalut pour me faire une proposition qui paraissait m’arranger, mais qui l’arrangeait davantage. C’était de me faire avertir toutes les fois qu’elle serait seule ou à peu près. J’y consentis, sans voir à quoi je m’engageais. Il s’ensuivit de là que je ne lui faisais plus de visite à mon heure, mais à la sienne, et que je n’étais jamais sûr de pouvoir disposer de moi-même un seul jour. Cette gêne altéra beaucoup le plaisir que j’avais pris jusqu’alors à l’aller voir. Je trouvai que toute celle liberté qu’elle m’avait tant promise, ne m’était donnée qu’à condition de ne m’en prévaloir jamais ; et,pourune fois ou deuxquej’en voulus essayer, il y eut tant de messages, tantde billets, tant d’alarmes sur ma santé, que je vis bien qu’il n’y avait que, l’excuse d’être à plat de lit qui pût me dispenser de courir à son premier mot. Il fallait me soumettre à ce joug ; je le fis, et même assez volontiers, pour un aussi grand ennemi de la dépendance, l’attachement sincère que j’avais pour elle m’empêchant en grande partie de sentir le lien qui s’y joignait. 2. * 8 tgt ro''fSssioNs. Elle remplissait ainsi tant bien que mal les vides que l’absence de sa cour ordinaire laissait dans ses amusemens. C’était pour elle un supplément bien mince , mais qui valait encore mieux qu’une solitude absolue qu’elle ne pouvait supporter. Elle avait cependant de quoi la remplir bien plus aisément, depuis qu’elle avait voulu tâter de la littérature, et qu’elle s’était fourré dans la tête de faire, bon gré' mal gré, des romans, des lettres, des comédies', des contes, et d’autres fadaises comme cela. Mais ce qui l’amusait était moins de les écrire que de les lire, et s’il lui arrivait de barbouiller de suite deux ou trois pages , il fallait qu’elle fût sûre au moins de deux ou trois auditeurs bénévoles, au bout de cet immense travail. Je n’av ais guère l’honneur d’être au nombre des élus qu’à la faveur de quelque autre. Seul, j’étais presque toujours compté pour rien en toute chose, et cela non-seulement dans la société de madame d’Epinai, mais dans celle de M. d’Hol- bacl, et partout où M. Grimm donnait le ton. Cette nullité m’accommodait fort partout ailleurs que dans le tête-à-tête, où je ne savais plus quelle contenance tenir, n’osant parler de littérature, dont il ne m’appartenait pas de juger, ni de galanterie, étant trop timide et craignant plus que la mort le ridicule d’un vieux galant; outre que cette idée ne me vint jamais près de madame d’Epinai, et ne m’y serait peut-être pas venue une seule fois en ma vie, quand je l’aurais passée entière auprès d’elle non que j’eusse pour sa personne aucune répugnance; au contraire, je l’aimais peut-être trop comme ami, pour pouvoir l’aimer comme amant. Je sentais du plaisir à la voir, à causer avec elle. Sa conversation, quoique assez agréable en cercle, était aride en particulier; la mienne, qui PARTIE II , LIVRE IX. içfî n’est pas plus fleurie, n’était pas pour elle d’un grand secours. Honteux d’un trop long silence, je m’évertuais pour relever l’entretien, et quoiqu’il me fatiguât souvent, il ne m’ennuyait jamais. J’étais fort aise de lui rendre de petits soins, de lui donner de petits baisers bien fraternels, qui ne me paraissaient pas plus sensuels pour elle c’était là tout. Elle était fort blanche, fort maigre; de la gorge comme sur ma main. Ce défaut seul eût suffi pour me glacer jamais mon cœur ni mes sens n’ont su trouver une femme dans quelqu’un qui n’eût pas des tétons; et d’autres causes, dont il est inutile de parler ici * , m’ont toujours fait oublier son sexe auprès d’elle. Ayant ainsi pris mon parti sur un assujettissement nécessaire, je m’y livrai sans résistance ; et le trouvai, du moins la première année , moins onéreux que je ne m’y serais attendu Madame d'É- pinai, qui d’ordinaire passait l’été presque entier à la campagne, n’y passa qu’une partie de celui-ci ; soit que ses affaires la retinssent davantage à Paris, soit que l’absence de Grimm lui rendît la Chevrette moins agréable. Je profitai des intervalles qu’elle n’y passait pas, ou durant lesquels elle y avait beaucoup de monde, pour jouir de ma solitude avec ma bonne Thérèse et sa mère, de manière à m’en bien faire sentir le prix. Quoique depuis quelques années j’allasse assez fréquemment à la campagne, c’était presque sans la goûter ; et ces voyages, toujours faits avec des gens à prétentions, toujours gâtés par la gêne, ne faisaient qu’aiguiser en moi le goût des plaisirs rustiques, dont je n’entrevoyais de plus près l’image que pour * Poy. la note de la page loi. ig4 les confessions. I mieux sentir leur privation. J’étais si ennuyé le salons, de jets d’eau, de bosquets, de parterres, et des plus ennuyeux montreurs de tout cela ; j’étais si excédé de brochures, de clavecin , de tri, de nœuds, de sots bons-mots, de fades minauderies, de petits conteurs, et de grands soupers, que, quand je lorgnais du coin de l’œil un simple pauvre buisson d’épines , une grange, une haie, un pré ; quand je humais, en traversant un hameau, la vapeur d’une bonne omelette au cerfeuil; quand j’entendais de loin le rustique refrain de la chanson des bisquières , je donnais au diable et le rouge et les falbalas et l’ambre; et, regrettant le dîner de la ménagère et le vin du cru , j’aurais de bon cœur paumé la gueule à monsieur le chef et à monsieur le maître, qui me faisaient dîner à l’heure où je soupe, souper à l’heure où je dors, mais surtout à messieurs les laquais, qui dévoraient des yeux mes morceaux, et, sous peine de mourir de soif, me vendaient le vin drogué de leur maître dix fois plus cher que je n’en aurais r payé de meilleur au cabaret. I Me voilà donc enfin chez moi, dans un asile agréable et solitaire , maître d’y couler mes jours dans cette vie indépendante, égale et paisible, pour laquelle je me sentais né. Avant de dire l’effet que cet état, si nouveau pour moi, fit sur mon m cœur, il convient d’en récapituler les affections secrètes, afin qu’on suive mieux dans sa cause le progrès de ces nouvelles modifications. J’ai toujours regardé le jour qui m’unit à ma Thérèse comme celui qui fixa mon être moral. J’avais besoin d’un attachement, puisque enfin celui qui devait me suffire avait été si cruellement rompu. La soi!' du bonheur ne s’éteint point dans PARTIE II, LIVRE IX. 1Q3 le cœur le l'homme. Maman vieillissait et s’avilissait ! 11 m’était prouvé qu’elle ne pouvait plus être heureuse ici-bas. Restait à chercher un bonheur qui me fût propre, ayant perdu tout espoir de jamais partager le sien. Je flottai quelque temps d’idée en idée et de projet en projet. Mon voyage de Venise m’eût jeté dans les affaires publiques , si l’homme avec qui j’allai me fourrer avait eu le sens commun. Je suis facile à décourager, surtout dans les entreprises pénibles et de longue haleine. Le mauvais succès de celle-ci me dégoûta de toute autre; et regardant, selon mon ancienne maxime, les objets lointains comme des leurres de dupe, je me déterminai à vivre désormais au jour la journée, ne voyant plus rien dans la vie qui me tentât de m’évertuer. Ce fut précisément alors que se fit notre connaissance. Le doux caractère de cette bonne fille me parut si bien convenir au mien , que je m’unis à elle d’un attachement à l’épreuve du temps et des torts, et que tout ce qui l’aurait dû rompre n’a jamais fait qu’augmenter. On connaîtra la force de cet attachement dans la suite, quand je découvrirai les plaies, les déchirures dont elle a navré mon cœur dans le fort de mes misères, sans que , jusqu’au moment où j’écris ceci, il m’en soit échappé jamais un seul mot de plainte à personne. Quand on saura qu’après avoir tout fait, tout bravé pour ne m’en point séparer, qu’après vingt- cinq ans passés avec elle, malgré le sort et les hommes, j’ai fini sur mes vieux jours par l’épouser, sans attente et sans sollicitation de sa part * , * Beaucoup de personnes oDlcru que Thérèse Le Vasseur 196 1ES CONFESSIONS, sans engagement ni promesse de la mienne , on croira qu’un amour forcené, m’ayant dès le premier jour tourné la tète, n'a fait que m’amener par degrés à la dernière extravagance ; et on le croira bien plus encore, quand on saura les raisons particulières et fortes qui devaient m’empêcher d’en jamais venir là. Que pensera donc le lecteur, quand je lui jurerai, dans toute la vérité, qu’il doit maintenant me connaître, que, du premier mo-^ ment que je la vis jusqu’à ce jour, je n’ai jamais senti la moindre étincelle d’amour pour elle , que n’avait jamais été mariée à Jean-Jacques. Voici le résultat de nos recherches à cet'égard Le comte d’Escherni, dans ses OEuvres philosophiques et littéraires , t- III , pag. 166, s’exprime ainsi Je sais très- positivement qu’ils n’étaient point mariés. Il n’avait contt tracté avecellc ni civilement, ni religieusement; il n’y avait euni contrat, ni bénédiction nuptiale il l’avait simplement nommée sa femme en sortant de table, et en présence de deux convives. C’était en Dauphiné. » Connaissant quelqu’un qui avait recueilli de M. Venant chez qui Jean- Jacques a logé de i^oàijy8, rue Plùtrière plusieurs particularités, je l’ai consulté sur cet objet. Voici un extrait de sa réponse t Thérèse voulut enfin devenir son épouse légitime, et sa volonté était toujours un ordre pour le philosophe, sur qui elle avait le plus grand empire. Il ne put résister , et voici comment s’effectua le mariage C’était en 1^68; Rousseau habitait alors la petite ville de Bourgoin en Dauphiné, et nè fréquentait guère que M. de Montcizet, qui connaissait sa position et les motifs qui le faisaient vivre incognito sous le nom de Renou. Un jour Jean-JacqueS le pria de l’accompagner dans une promenade qu'il fit avec mademoiselle LeVasseur. Us se rendirent tous Jes trois dans un bois voisin ; lorsqu'ils y furent bien enfoncés , Rousseau s’arrête , et après un instant de recueillement, il dit à mademoiselle Le Vasseur T^ous avez désiré que je devinsse votre époux eh bien ! c’est devant le ciel que , dès ce moment, ]é jure de vous reconnaître pour ma femme. Je prends à témoin PARTIE II 9 LIVRE IX. lÿ? je n’aï pas plus désiré de la posséder que madame* deWarens, etque les besoins des sens, quej’aisatis- faits auprès d’elle , ont uniquement été pour moî ceux du sexe , sans avoir rien de propre à l’individu? Il croira peut-être qu’autrement constitué qu’un autre homme je fus incapable de ressentir l’amour, puisqu’il n’entrait point dans les senti- mens qui m’attachaient aux femmes qui m’étaient les plus chères. Patience, à mon lecteur! le moment funeste approche où vous ne serez que trop bien désabusé. M. jD e Montcizet du serment que je fais , et qui me liera autant que si notre mariage eût été célèbre à Véglise , et par acte public. De retour à Bourgoin , M. de Montcizet , qui n’avait pas été pre'venu , témoigne sa surprise h Jean-Jacques sur cet engagement avec une femme peu digne de lui. Jean-Jacques répondit Je sens bien qu’ellen’est pas nécessaire à mon moral , mais elle me donne du bouillon parfait quand je suis malade . Thérèse , peu contente d’un mariage fait en plein air , en voulut un autre. Tl fallait un billet de confession de la part de Jean-Jacques ; il se le procura moyennant un bon souper , et la cérémonie eut lieu à Montmorenci ? en 1770. C’est lui-mème qui raconta ce trait à M. Venant, marchand mercier , rue Plâtrière , chez qui il logea , et avec lequel il vécut dans l’intimité pcndantles dernières annéesde sa vie. » Tels sont les renseignemens que nous nous sommes procurés; c’est au lecteur a peser l’autorité de M. Venant. La date coïncide avec l’époque désignée par Rousseau, qui ayant connu Thérèse en 17/p ,* et l’ayant épousée en 1770, avait effectivement passé vingt - cinq ans avec elle. Mais il contredit , dans une. circonstance importante, M. Venant v en disant qu’il a fait cet acte sans attente et sans sollicitation de la part de Thérèse ; ce qui cependant paraît peu vraisemblable. Du reste, Jean-Jacques pouvait croire que Rengagement qu’il contractait devant uu ou deux témoins y en présente 19 1ES COSFESSTO^Îf. Je me répété, on le sait; il le faut. Le premier de tous mes besoins, le plus grand , le plus fort, le plus inextinguible, était tout entier dans mon cœur c'était le besoin d’une société intime et aussi intime qu’elle pouvait l’être c’était surtout pour cela qu’il me fallait une femme plutôt qu’un homme, une amie plutôt qu’un ami. Ce besoin singulier était tel que la plus étroite union des corps ne pouvait encore y suffire il m’aurait fallu deux âmes dans le même corps; sans cela je sentais toujours du vide. Je me crus au moment de n’en plus du ciel , était suffisant, lui dontles actes religieuxse faisaient toujours au milieu du spectacle de la nature. Voy . la note, liv. XII, dans laquelle on rapporte un passage des Mémoires de madame d’Epinai. Quoi qu’il en soit de ce mariage, il est bien reconnu que Thérèse Le Vasseur n’était pas digne de porter le nom de Rousseau. SuivantM. d’Escherni, elle a vécu pendant douze ans , après la mort de Jean-Jacques , avec John, cécher de M. de Girardin, et mangé plus decent mille francs qpe pcyrou lui fit passer du produit de l’impression des ouvrages de Rousseau, et de la gravure de ses romances. M. d’Escherni l’a vue mendier h la porte de la Comédie Française. Telle est la femme pour laquelle une grande assemblée a décrété le 21 décembre 1790 qu'elle serait *noun'ie aux dépens de Vétat ! On trouvera dans la Correspondasice deux lettres de Jean- Jacques la première à M. Dupeyrou , eu date du 26 septembre 17G8 , et la seconde du 10 octobre suivant à tou. Dans toutes les deux , Rousseau parle de son mariage, mais sans aucun détail sur la manière dont il avait eu lieu. Tout en rapportant sans réflexion la version de M. Venant, nous n’en devons pas moins faire cemarquer que Jean* 1 Jacques manquait à ses principes, en provoquant le mensonge de la part d’un prètro, et qu’il faut pour l’authenticite du fait un témoignage plus imposant que celui que nous rapportons. PARTIE II, LIVRE K. >9f sentir. Cette jeune personne, aimable par mille excellentes qualités, et même alors par la figure, sans ombre d’art ni de coquetterie, eût borné dans elle seule mon existence, si j’avais pu borner la sienne en moi, comme je l’avais espéré. Je n’avais rien à craindre du côté des hommes ; je suis sûr que je suis le seul qu’elle ait véritablement aimé ; et scs tranquilles sens ne lui en ont guère demandé d’autres, même quand j’ai cessé d’en être un pour elle à cet égard. Je n’avais point de famille ; elle en avait une et cette famille, dont tous les naturels différaient trop du sien, ne se trouva pas telle que j’en pusse faire la mienne. Là fut la première cause de mon malheur. Que n’aurais-je point donné pour me faire l’enfant de sa mère ! Je lis tout pour y parvenir, et n’en pus venir à bout. J’eus beau vouloir unir tous nos intérêts; cela me fut impossible. Elle s’en fit toujours un différent du mien, contraire au mien, et même à celui do sa fille, qui déjà n’en était plus séparé. Elle et tous ses autres enfans et petits-enfans devinrent autant de sangsues, dont le moindre mal qu’ils fissent à Thérèse était de la voler. La pauvre fille, accoutumée à fléchir, même sous ses nièces, se laissait dévaliser et gouverner sans mot dire ; et je voyais avec douleur qu’épuisant ma bourse et mes leçons je ne faisais rien pour elle dont elle pût profiler. J’essayai de la détacher de sa mère; elle y résista toujours. Je respectai sa résistance, et l’en estimai davantage mais son refus n’en tourna pas moins au préjudice de tous deux. Livrée à sa mère et aux siens, elle fut à eux plus qu’à moi, plus qu’à elle-même. Leur avidité lui fut moins ruineuse que leurs conseils ne lui furent pernicieux enfin , si, grâces à son amour pour moi, si, grâce* 200 1ES à son bon naturel, elle ne fut pas tout-à-fait subjuguée, c’en fut du moins assez pour empêcher en grande partie l’effet des bonnes maximes que je m’efforçais de lui inspirer; c’en fut assez pour que, de quelque façon que je m’y sois pu prendre , nous ayons toujours continué' d’être deux. Voilà comment, dans un attachement sincère et réciproque, où je mis toute la tendresse de mon cœur, le vide de ce cœur ne fut pourtant jamais bien rempli. Les enfans, par lesquels il l’eût été, vinrent ; ce fut encore pis. Je frémis de les livrer à cette famille mal élevée pour en être élevés encore plus mal. Les risques de l’éducation des Enfans-Trouvés leur étaient cent fois moins funestes. Celte raison du parti que je pris, plus forte que toutes celles que j’énonçai dans ma lettre à madame de Francueil, fut pourtant la seule que je n’osai lui dire. J’aimai mieux ne pas me disculper autant que je le pouvais d’un blâme aussi grave , et ménager la famille d’une personne que j’aimais. Mais on peut juger par les mœurs de son malheureux frère , si jamais, quoi qu’on en pût dire, je devais exposer mes enfans à recevoir une éducation semblable à la sienne. Ne pouvant goûter dans sa plénitude cette intime société dont je sentais le besoin , j’y cherchais des supplémens qui n’en remplissaient pas le vide, mais qui me le laissaient moins sentir. Faute d’un ami qui fût à moi tout entier, il me fallait des amis dont l’impulsion surmontât mon inertie. C’est ainsi que je cultivai, que je resserrai mes liaisons avec Diderot, avec l’abbé de Con- dillac, que j’en iis une nouvelle avec Grimm, pim étroite encore , et qu’enfin je me trouvai par ce malheureux discours dont j’ai narré l’his''' , re> ÎOI PARTIE II , LIVRE IX. rejeté sans y songer dans la littérature, dont jo me croyais sorti pour toujours. Mon début me fit suivre une route nouvelle qui me jeta dans un autre monde intellectuel, dont je ne pus sans enthousiasme envisager la simple et fière économie. Bientôt, à force de m’en occuper, je ne vis plus qu’erreur et folie dans la doctrine de nos sages, qu’oppression et misère dans notre ordre social. Dans l’illusion de mon sot orgueil, je me crus fait pour dissiper tous ces prestiges; et jugeant que, pour me faire écouter il fallait mettre ma conduite d’accord avec mes principes, je pris l’allure singulière qu’on ne m’a pas permis de suivre, dont mes prétendus amis ne m’ont jamais pardonné l’exemple , qui d’abord me rendit ridicule, et qui m’eût enfin rendu respectable , s’il m’eût été possible d’y persévérer. Jusque-là j’avais été bon dès lors je devins vertueux, ou du moins enivré de la vertu. Cette ivresse avait commencé dans ma tète , mais elle avait passé dans mon cœur. Le plus noble orgueil y germa sur les débris de la vanité déracinée. Je ne jouai rien je devins en effet tel que je parus; et, durant quatre ans au moins que dura cette effervescence , rien de grand et de beau ne peut entrer dans un cœur d’homme, dont je ne fusse capable entre le ciel et moi. Voilà d’où naquit ma subite éloquence ; voilà d’où se répandit dans mes premiers livres ce feu vraiment céleste qui m’échauffait en dedans, et dont pendant quarante ans il ne s’était pas échappé la moindre étincelle, parce qu’il n’était pas encore allumé. J’étais vraiment transformé; mes amis, mes connaissances ne me reconnaissaient plus. Je n’étais plus i homme timide, et plutôt honteux que 203 IIS CONFESSIONS. modeste, qui n’osait ni se présenter ni parler, qu’un mot badin déconcertait, qu’un regard de femme faisait rougir. Audacieux, fier, intrépide , je portais partout une assurance d’autant plus ferme qu’elle était simple et résidait plus dans mon âme que dans mon maintien.. Le mépris que mes profondes méditations m’avaient inspiré pour les mœurs, les maximes et les préjugés de mon siècle, me rendaient insensible aux railleries de ceux qui les avaient, et j’écrasais leurs petits bons-mots avec mes sentences, comme j’écraserais un insecte entre mes doigts. Quel changement étonnant! Tout Paris répétait les âcres et mordans sarcasmes de ce même homme, qui, deux ans auparavant et dix ans après, n’a jamais su trouver la chose qu’il avait à dire, ni le mot qu’il devait employer. Qu’on cherche l’état du monde le plus contraire à mon naturel ; on trouvera celui-là. Qu’on se rappelle un de ces courts mornens de ma vie où je devenais un autre, et cessais d’être moi ; on le trouve encore dans le temps dont je parle mais au lieu de durer six jours, six semaines, il dura près de six ans, et durerait peut-être encore, sans les circonstances particulières qui le firent cesser, et me rendirent à la nature, au-dessus de laquelle j’avais voulu m’élever. Ce changement commença sitôt que j’eus quitté Paris , et que le spectacle des vices de cette grande ville cessa de nourrir l’indignation qu’ils m’avaient inspirée. Quand je ne vis plus les hommes, je cessai de les mépriser ; quand je ne vis plus les médians , je cessai de les haïr. Mon cœur, peu fait pour la haine, ne fit plus que déplorer leut misère et n’en distinguait pas leur méchanceté. Cet étal plus doux, mais bien moins sublime , amortit bientôt l’ardent enthousiasme qui m’avait transporté PARTIE II , LIVRE IX. 2o3 si long-temps ; et, sans qu’on s’en aperçût, sans presque m’en apercevoir moi-même, je redevins craintif, complaisant, facile, en un mot, le même Jean-Jacques que j’avais été auparavant. Si la révolution n’eût fait que me rendre à moi- même et s’arrêter là, tout était bien ; mais malheureusement elle alla plus loin et m’emporta rapidement à l’autre extrême. Dès lors mon âme en branle n’a plus fait que passer par la ligne de repos, et ses oscillations toujours ne lui ont jamais permis d’y rester. Entrons dans le détail de cette seconde révolution époque terrible et fatale d’un sort qui n’a point d’exemple chez les mortels. N’étant que trois dans notre retraite, le loisir et la solitude devaient naturellement resserrer notre intimité. C’est aussi ce qu’ils firent entre Thérèse et moi. Nous passions tête à tête sous les ombrages des heures charmantes dont je n’avais jamais si bien senti la douceur. Elle me parut la goûter elle- même encore plus qu’elle n’avait fait jusqu’alors. Elle m’ouvrit son cœur sans réserve , et m’apprit de sa mère et de sa famille des choses qu’elle avait eu la force de me taire pendant long-temps. L’une et l’autre avaient reçu de madame Dupin des multitudes de présens faits à mon intention , mais que la vieille madrée s’était appropriés pour elle et pour ses autres enfans , sans en rien laisser à Thérèse, et avec très-sévères défenses de m’en parler; ordre que la pauvre fille avait suivi jusqu’alors avec une obéissance incroyable. Mais une chose qui me surprit beaucoup davantage fut d’apprendre qu’outre les entretiens particuliers que Diderot et Grimm avaient eus souvent avec l’une et l’autre pour les détacher de moi, et LES C0SFESS105S. ao4 qui n’avaient pas réussi par la résistance de Thérèse, tous deux avaient eu depuis lors de fréquens et secrets colloques avec sa mère, sans qu’elle eût rien pu savoir de ce qui se traitait entre eux. Tout ce qu’elle savait était que les petits présens s’en étaient mêlés, et qu’il y avait de petites allées et venues dont on tâchait de lui faire mystère , et dont elle ignorait absolument le motif. Quand nous quittâmes Paris, il y avait déjà long-temps que madame Le Vasseur était dans l’usage d’aller voir M. Grimm deux ou trois fois par mois , et d’y passer quelques heures à des conversations si secrètes que le laquais même de Grimm était renvoyé. Je jugeai que ce motif n’était autre que le même projet dans lequel on avait tâché de faire entrer la lüle, en promettant de leur procurer, par madame d’Epinai, un regrat de sel, un bureau à tabac, et les tentant en un mot par l’appât du gain. On leur avait représenté qu’étant hors d’état de jamais rien faire pour elles, je ne pouvais pas même, à cause d’elles, parvenir à rien faire pour moi. Comme il ne paraissait à tout cela que de la bonne intention , je ne leur en savais pas absolument mauvais gré. Il n’y avait que le mystère qui me révoltât, surtout de la part de la vieille, qui devenait outre cela plus flagorneuse, plus pateline avec moi qu’elle n’avait jamais été ; ce qui ne l'empêchait pas de reprocher sans cesse en secret à sa fille qu’elle m’aimait trop, qu’elle me disait tout, qu’elle n’était qu’une bête, et qu’elle en serait la dupe. Cette femme possédait au suprême degré l’art de tirer d’un sac dix moutures, de cacher à l’un ce qu’elle recevait de l’autre, et à moi ce qu’elle recevait de tous. Je lui pardonnais son avidité , 4o5 PARTIE H, LIVRE IX. mais j’avais peine ;\ïui pardonner sa dissimulation. Que pouvait-elle avoir à me cacher, à moi qu’elle savait si bien qui faisais mon bonheur presque unique de celui de sa fdle et du sien ? Ce que j’avais fait pour sa fdle , je l’avais fait pour moi ; mais co que j’avais fait pour elle méritait de sa part quelque gratitude ; elle en aurait dû savoir gré du moins à sa fille, et m’aimer pour l’amour d’elle qui m’aimait. Je l’avais tirée de la plus complète misère, elle tenait de moi sa subsistance, elle me devait toutes les connaissances dont elle tirait si bon parti. Thérèse l’avait long-temps nourrie de son travail, et la nourrissait maintenant de mon pain. Elle devait tout à cette fille pour qui jamais elle n’avait rien fait; et ses autres enfans, qu’elle avait tous dotés, pour lesquels elle s’était ruinée , loin de lui aider à subsister, lui dévoraient encore sa subsistance et la mienne. Je trouvais que , dans une pareille situation , elle devait me regarder comme son unique ami, son plus sûr protecteur, et, loin d’avoir pour moi des secrets sur mes propres affaires, loin de comploter contre moi dans ma propre maison , m’avertir fidèlement de tout ce qui pouvait m’intéresser , quand elle l’apprenait plus tôt que moi. De quel œil pouvais-je donc voir sa conduite ? Que devais-je penser surtout des sentimens qu’elle s’efforçait de donner à sa fille envers moi ? Quelle monstrueuse ingratitude devait être la sienne , quand elle cherchait à lui en inspirer ! Toutes ees réflexions aliénèrent enfin mon cœur de cette femme au point de ne pouvoir plus la voir sans dédain. Cependant je ne cessai jamais de t aller avec respect la mère de ma compagne, et de lui marquer en toutes choses presque les égards et la considération d’un fils; mais il est vrai que je So6 ies confessions. n’aimais pas à rester long-temps avec elle , et il n’est guère en moi de savoir me gêner. C’est encore ici un de ces courts momens de ma vie où j’ai vu le bonheur de bien près sans pouvoir l’atteindre, et sans qu’il y ait de ma faute à l’avoir manqué. Si cette femme eût été d’un bon caractère , nous étions heureux tous les trois jusqu’à la fin de nos jours; le dernier vivant seul fût resté à plaindre. Au lieu de cela, vous allez voir la marche des choses, et vous jugerez si j’ai pu la changer. Madame Le Vasseur, qui vit que j’avais gagné du terrain sur le cœur de sa fille , et qu’elle en avait perdu , s’efforça de le reprendre , et, au lieu de revenir à moi par elle , tenta de me l’aliéner tout-à-faif. Un des moyens qu’elle employa fut d’appeler sa famille à son aide. J’avais prié Thérèse de n’en faire venir personne à lTIermi- tage; elle me le promit. On les fit venir en mon absence sans la consulter , mais on lui fit promettre de ne m’en rien dire. Le premier pas fait, tout le reste fut facile. Quand une fois on fait à quelqu’un qu’on aime un secret de quelque chose, on ne se fait bientôt plus guère de scrupule de lui en faire sur tout. Sitôt que j’étais à la Chevrette, l’IIermitage était plein de monde qui s’y réjouissait assez bien. Une mère est toujours bien forte sur une fille d’un bon naturel ; cependant, de quelque façon que s’y prît la vieille , elle ne put jamais faire entrer Thérèse dans ses vues , et l’engager à se liguer contre moi. Pour elle , elle se décida sans retour et voyant d’un côté sa fille et moi, chez qui l’on pouvait vivre, et puis c’élait tout; de l’autre Diderot, Grirnm, d’Holbach, et madame d’Épinai, qui promenaient beaucoup et donnaient quelque chose, elle n’estima pas qu’on pût avoir jamais 207 PARTIE II, UVRE IX. tort dans le parti d’une fermière générale et d’un baron. Si j’eusse eu de meilleurs yeux, j’aurais vu dès lors que je nourrissais un serpent dans mon sein. Mais mon aveugle confiance, que rien encore n’avait altérée , était telle, que je n’imaginais pas même qu’on pût vouloir nuire à quelqu’un qu’on .devait aimer, et qu’en voyant ourdir autour de moi mille trames, je ne savais me plaindre que de la tyrannie de ceux que j’appelais mes amis, et qui voulaient, selon moi, me forcer d’être heureux à leur mode plutôt .qu’à la mienne. Quoique Thérèse refusât d’entrer dans la ligue avec sa mère , elle lui garda derechef le secret r son motif était louable ; je ne dirai pas si elle fit bien ou mal. Deux femmes qui ont des secrets aiment à en babiller ensemble ; cela les rapprochait ; et Thérèse, en se partageant, me laissait sentir quelquefois que j’étais seul ; car je ne pouvais plus compter pour société celle que nous avions tous trois ensemble. Ce fut alors que je sentis vivement le tort que j’avais eu, durant no» premières liaisons, de ne pas profiter de la docilité que lui donnait son amour pour l’orner de talens et de connaissances qui, nous tenant plus rapprochés dans notre retraite , auraient agréablement rempli son temps et le mien , sans jamais nous laisser sentir la longueur du tête-à-tête. Ce n’était pas que l’entretien tarît entre nous , et qu’elle parût s’ennuyer dans nos promenades ; mais enfin nous n’avions pas assez d’idées communes pour nous faire un grand magasin nous ne pouvions plus parler sans cesse de nos projets bornés désormais à celui de jouir. Les objets qui se présentaient m’inspiraient des réflexions qui n’étaient pas à sa portée. Un attachement de treize ans n’avait plus tES CONFESSIONS. 208 besoin de paroles ; nous nous connaissions trop pour avoir plus rien à nous apprendre. Restait la ressource des caillettes, médire et dire des quolibets. C’est surtout dans la solitude qu’on sent l’avantage de vivre avec quelqu’un qui sait penser. Je n’avais pas besoin de cette ressource pour me plaire avec elle mais elle en aurait eu besoin pour se plaire toujours avec moi. Le pis était qu’il fallait avec cela prendre nos téte-à-téte en bonne fortune sa mère , qui m’était devenue importune , me forçait à les épier. J’étais géné chez moi; c’est tout dire l’air de l’amour gâtait la bonne amitié. Nous avions un commerce intime , sans vivre dans l’intimité. Dès que je crus voir que Thérèse cherchait quelquefois des prétextes pour éluder les promenades que je lui proposais, je cessai de lui en proposer, sans lui savoir mauvais gré de ne pas s’y plaire autant que moi. Le plaisir n’est point une chose qui dépende de la volonté. J’étais sûr de son cœur, ce m’étaitassez. Tant que mesplaisirsétaient lessiens, j’en étais fort aise quand cela n’était pas, je préférais son contentement au mien. Voilà comment, à demi trompé dans mon attente, menant une vie de mon goût, dans un séjour de mon choix, avec une personne qui m’était chère, je parvins pourtant à me sentir presque isolé. Ce qui me manquait m’empêchait de goûter ce que j’avais. En fait de bonheur et de jouissances il me fallait tout ou rien. On verra pourquoi ce détail m’a paru nécessaire. Je reprends à présent le fil démon récit. Je croyais avoir des trésors dans les immenses manuscrits que m’avait donnés le comte de Saint- Pierre. En les examinant, je vis que ce n’était presque que le recueil des ouvrages imprimés de son oncle PARTI! II , LIVRE IX. 20g annotés et corrigés de sa main, avec très-peu d’autres petites pièces qui n’avaient pas vu le jour. Je me confirmai par ses écrits de morale dans' l’idée, que m’avaient donnée quelques lettres de lui que madame de Créqui m’avait montrées, qu’il, avait beaucoup plus d’esprit que je n’avais cru; mais l’examen approfondi de ses ouvrages de politique ne me montra que des vues superficielles, des projets utiles mais impraticables, par l’erreur dont l’auteur n’a jamais pu sortir, que les hommes se conduisaient par leurs lumières plutôt que par leurs passions. La haute opinion qu’il avait prise des connaissances modernes lui avait fait adopter ce faux principe de la raison perfectionnée, base de tous les établissemcns qu’il proposait, et source de tous ses sophismes politiques. Cet homme rare, l’honneur de son siècle et de son espèce, et le seul depuis l’établissement du genre humain qui n’eût d’autre passion que celle de la raison, 11e fit cependant que marcher d’erreur en erreur dans tous ses systèmes, pour avoir voulu rendre les hommes semblables à lui, au lieu de les prendre tels qu’ils sont, et qu’ils continueront d’ètre. Il n’a travaillé que pour des êtres imaginaires en pensant travailler pour ses contemporains. Tout cela vu, je me trouvai dans quelque embarras sur la forme à donner à mon ouvrage. Passer à l’auteur ses visions, c’était ne rien faire d’utile les réfuter à la rigueur était faire une chose malhonnête, puisque le dépôt de ses manuscrils, que j'avais accepté et même demandé, m’imposait l’obligation d’en traiter honorablement l’auteur. Je pris enfin le parti qui me parut le plus honnête, le plus équitable et le plus utile. Ce fut de donner séparément les idées de l’auteur et les miennes, et 210 IES CONFESSIONS. pour cela d’entrer dans ses vues, de les éelaircir, de les étendre, et de ne rien épargner pour leur faire valoir tout leur prix. Mon ouvrage devait être composé de deux parties absolument séparées ; l’une, destinée à exposer de la façon que je viens de dire les divers projets de l’auteur. Dans l’autre, qui ne devait paraître qu’après que la première aurait fait son effet, j’aurais porté mon jugement sur ces mêmes projets, ce qui, je l’avoue, eût pu les exposer quelquefois ausort du sonnet du misanthrope. A la tête de tout l’ouvrage devait être une vie de l’auteur, pour laquelle j’avais ramassé d’assez bons matériaux, que je me flattais de ne pas gâter en les employant. J’avais un peu vu l’abbé de Saint-Pierre dans sa vieillesse ; et la vénération que j’avais pour sa mémoire m’était gara..t qu’à tout prendreM. le comte ne serait pas mécontent de la manière dont j’auraistraité son parent. Je fis mon Essai sur la paix perpétuelle, le plus considérable et le plus travaillé de tous les ouvrages qui composaient ce recueil ; et avant de me livrer à mes réflexions, j’eus le courage de lire absolument tout ce que l’abbé avait écrit sur ce beau sujet, sans jamais me rebuter par ses longueurs et par ses redites. Le public a vu cet extrait, ainsi je n’ai rien à en dire. Quant au jugement que j’en ai porté, il n’a point été imprimé, et j’ignore s’il le sera jamais mais il fut fait en même temps que l’extrait. Je passai de là à la Potysynodie ou pluralité des conseils ; ouvrage fait sous Je régent pour favoriser l’administration qu’il avait choisie, et qui fit chasser de l’académie française l’abbé de Saint-Pierre pour quelques traits contre l’administration précédente, dont la duchesse du Maine et le cardinal de Polignac furent fâchés. J’achevai ce travail comme 211 V ATI Tl E II , LIVRE IX. •j e précèdent, tant le jugement que l’extrait mais je m’en tins là; sans vouloir continuer cette entreprise , que je n’aurais pas dû commencer. La réflexion qui m’y fit renoncer se présente d’elle-même, et il était étonnant qu’elle ne me lût pas venue plus tôt. La plupart des écrits de l’abbé de Saint-Pierre étaient ou contenaient des observations critiques sur quelques parties du gouvernement de France, et il y en avait'môme de si libres qu’il était heureux pour lui de les avoir faites impunément. Mais dans les bureaux des ministres on avait de tout tempsregardé l’alibé de Saint-Pierre comme une espèce de prédicateur moral plutôt que comme un vrai politique, et on le laissait dire tout à son aise j parce qu’on voyait bien que personne ne l’écoutait. Si j’étais parvenu à le faire écouter, le cas eût été bien différent. Il était Français ; je ne l’étais pas ; et, en m’avisant de répéter ses censures, quoique sous son nom, je m’exposais à me faire demander un peu rudement, mais s'.ns injustice, de quoi je me mêlais. Heureusement, avant d’aller plusavant, je vis la prise que j’allais donner sur moi, et me retirai bien vite. Je savais que, vivant seul au milieu des hommes, et d’hommes tous plus puissans que moi, je ne pouvais jamais, de quelque façon que je m’y prisse, me mettre à l’aliri du mal qu’ils voulaient me faire. Il n’y avait qu’une chose en cela qui dépendît de moi; c’était de faire en sorte au moins que quand ils m’en voudraient faire, ils ne le pussent qu’injustement. Cette maxime, qui me fit abandonner l'abbé de Saint-Pierre, in’a fait souvent renoncer à des projets beaucoup plus chéris. Ces gens, toujours prompts à faire un crime de l’adversité, qui jugent de ma conduite par mes •disgrâces, seraient bien surpris s’ils savaient tous 212 LES CONFESSIONS. les soins que j’ai pris en ma vie pour qu’on ne pût jamais me dire avec équité dans mes malheurs Tu {es as ùien mérités. Cet ouvrage abandonné me laissa quelque temps incertain sur le choix de celui que j’y ferais succéder ; et cet intervalle de désœuvrement fut ma perte , en me laissant tourner mes réflexions sur moi-même, faute d’objet étranger qui m’occupât. Je n’avais plus de projet pour l’avenir qui pût amuser mon imagination. Il ne m’était pas même possible d’en faire, puisque la situation où j’étais était précisément celle où s’étaient réunis tous mes désirs je n’en avais plus à former, et j’avais encore le cœur vide. Cet état était d’autant plus cruel que je n’en voyais point à lui préférer. J’avais rassemblé mes plus tendres affections dans une personne selon mon cœur, qui me les rendait je vivais avec elle sans gène, et pour ainsi dire à discrétion. Cependant un secret serrement de cœur ne me quittait pi près ni loin d’elle en la possédant je sentais qu’elle me manquait encore , et la seule idée que je n’étais pas tout pour elle faisait qu’elle n’était presque rien pour moi. J’avais des amis des deux sexes auxquels j’étais attaché par la plus pure amitié, par la plus parfaite estime, je comptais sur le plus vrai retour de leur part, et il ne m’était pas même venu dans l’esprit de douter une seule fois de leur sincérité ; cependant cette amitié m’était plus tourmentante que douce par leur obstination , par leur affectation même à contrarier tous mes goûts, mes pen- chans , ma manière de vivre, tellement qu’il me suffisait de paraître désirer une chose qui n’intéressait que moi seul , et qui ne dépendait pas d’eux, pour les voir tou* se liguer à l’insfant même au PARTIE II, LIVRE IV. pour me contraindre d’y renoncer. Cette obstination de me contrôler en tout dans mes fantaisies , d’autant plus injuste que, loin de contrôler les leurs, je ne m’en informais pas même, me devint si cruellement onéreuse, qu’enfin je ne recevais pas une de leurs lettres sans sentir en l’ouvrant un certain effroi qui n’était que trop justifié par sa lecture. Je trouvais que, pour des gens tous plus jeunes que moi, et qui tous auraient eu grand besoin pour eux-mêmes des leçons qu’ils me prodiguaient , c’était aussi trop me traiter en enfant. Aimez-moi, leur disais-je , comme je vous aime, et du reste ne vous mêlez pas plus de mes affaires que je ne me mêle des vôtres ; voilà tout ce que je vous demande. Si de ces deux choses ils m’en ont accordé une , ce n’a pas du moins été la dernière. J’avais une demeure isolée, dans une solitude charmante; maître chez moi, j’y pouvais vivre à ma mode sans que personne eût à m’y contrôler. Mais cette habitation m’imposait des devoirs doux à remplir, mais indispensables. Toute ma liberté n’était que précaire ; plus asservi que par des ordres, je devais l’être par ma volonté je n’avais pas un seul jour dont , en me levant, je pusse me dire, J’emploîrai ce jour comme il me plaira. Bien plus, outre ma dépendance desarrangemens de madame d’Épinai, j’en avais une autre, bien plus importune, du public et des survenans. La distance où j’étais de Paris n’empêchait pas qu’il ne me vînt journellement des tas de désœuvrés qui, ne sachant que faire de leur temps, prodiguaient le mien sans aucun scrupule. Quand j’y pensais le moins, j’étais impitoyablement assailli; et rarement j’ai fait un joli projet pour ma journée, sans le voir renverser par quelque arrivant. 314 1RS Bref, au milieu des biens que j’avais le plus convoités, ne trouvant point de pure jouissance, je revenais par élans sur les jours sereins de ma jeunesse , et je m’écriais quelquefois en soupirant Ab , ce ne sont pas encore ici les Charmettes ! Les souvenirs des divers temps de ma vie m’amenèrent à réfléchir sur le point où j’étais parvenu , et je me vis déjà sur le déclin de l’âge, en proie à des maux douloureux, et croyant approcher du terme de ma carrière, sans avoir goûté dans sa plénitude presque aucun des plaisirs dont mon cœur était avide, sans avoir donné l’essor aux vifs sentimens que j’y sentais en réserve, sans avoir savouré, sans avoir effleuré du moins cette enivrante volupté que je sentais dans mon âme en puissance, et qui, faute d’objet, s’y trouvait toujours comprimée , sans pouvoir s’exhaler que par mes soupirs. Comment se pouvait-il qu'avec une âme naturellement expansive , pour qui vivre c’était aimer, je n’eusse pas trouvé jusqu’alors un ami tout à moi , un véritable ami, moi qui me sentais si bien fait pour l’étre ? Comment se pouvait-il qu’avec des sens si combustibles , qu’avec un cœur tout péti J ’amour, je n’eusse pas, du moins une seule fois, brûlé de sa flamme pour un objet déterminé ? Dévoré du besoin d’aimer sans jamais l’avoir pu bien satisfaire, je ine voyais atteindre aux portes de la vieillesse, et mourir sans avoir vécu. Ces réflexions tristes , mais attendrissantes, faisaient replier sur moi-mème avec un regret qui n’était pas sans douceur. Il me semblait que la destinée me devait quelque chose qu'elle ne m a- vait pas donné. A quoi bon m’avoir fait naître avec PARTIE II, 11VRE IX. 210 des facultés exquises , pour les laisser jusqu’à la fin sans emploi? Le sentiment de mon prix interne, en me donnant celui de cette injustice , m’en dédommageait en quelque sorte, et me faisait verser des larmes que j’aimais à laisser couler. Je faisais cés méditations dans la plus belle saison de l’année, au mois de juin, sous des bocages frais au chant du rossignol, au gazouillement des ruisseaux. Tout concourut à me replonger dans cette mollesse trop séduisante pour laquelle j’étais né , mais dont le ton dur et sévère où venait de me monter une longue effervescence m’aurait dû délivrer pour toujours. J’allai malheureusement me rappeler le dîner du château de Thoune, et ma rencontre avec ces deux charmantes filles dans la même saison et dans des lieux à peu près .semblables à ceux où j’étais dans ce moment. Ce souvenir, que l’innocence qui s’y joignait me rendait plus doux encore, m’en rappela d’autres de la même espèce. Bientôt je vis rassemblés autour de moi tous les objets qui m’avaient donné de l’émotion dans ma jeunesse, mademoiselle Calley, mademoiselle de Gratfenried, mademoiselle de Breil, madame Basile , madame de Larnage, mes jolies écolières, et jusqu’à la piquante Zulietta, que mon cœur ne peut oublier. Je me vis entouré d’un sérail de houris, de mes anciennes connaissances pour qui toutes le goût le plus vif ne m’était pas un sentiment nouveau. Mon sang s’allume et pétille , la tête me tourne malgré ses cheveux grisonnons, et voilà le grave citoyen de Genève, voilà 1 austère Jean-Jacques , à près de quarante-cinq ans , redevenu tout à coup le berger extravagant. L’ivresse dont je fus saisi, quoique si prompte et Si folle, fut si durable et si forte, qu’il n’a pas a. * y •21 6 LC S CONFKSSIOXS. moins fallu, pour m’en guérir, que ia crise im-' prévue et terrible des malheurs où elle m’a précipité. Cette ivresse, à quelque point qu’elle fût portée, n’alla pourtant pas jusqu’à me faire oublier mon âge et ma situation , jusqu’à me flatter de pouvoir inspirer de l’amour encore, jusqu’à tenter de communiquer enfin ce feu dévorant, mais stérile, dont depuis mon enfance je sentais en vain consumer mon cœur. Je ne l’espérai point, je ne le désirai pas même. Je savais que le temps d’aimer était passé, je sentais trop le ridicule des galan» j surannés pour y tomber, et je n’étais pas homme à devenir avantageux et confiant sur mon déclin, après l’avoir été si peu durant mes plus belles années. D’ailleurs, ami de la paix, j’aurais craint les orages domestiques, et j’aimais trop sincèrement ma Thérèse pour l’exposer au chagrin de me voir porter à d’autres des senlimens plus vifs que ceux qu’elle m’inspirait. Que fis-je en cette occasion ? Déjà le lecteur l'a deviné pour peu qu’il m’ait suivi jusqu’ici. L’impossibilité d’atteindre aux êtres réels me jeta dans. le pays des chimères ; et, ne voyant rien d’existant qui fût digne de mon délire , je le nourris ' dans un monde idéal que mon imagination créa- trice eut bientôt peuplé d’êtres selon mon cœur- Jamais cette ressource ne me vint plus à propos et ne se trouva si féconde. Dans mes continuelles extases je m’enivrais à torrens des plus délicieux sentimens qui jamais soient entrés dans un cœur d’homme. Oubliant tout-à fait la race humaine, 0 me fis des sociétés de créatures parfaites, aussi célestes par leurs vertus que par leurs beautés, d’amis sûrs, tendres, fidèles, tels que je n eu PARTIE II, LIVRE îx. a- trouvai jamais ici-bas. Je pris un tel goût à planer ainsi dans l’empyrée au milieu des objets charmait s dont je m’étais entouré, que j’y passais les heures, les jours sans compter; et, perdant le souvenir de toute autre chose, à peine avais-je mangé un mor- ceau à la hâte, que je brûlais de m’écliappcr pour courir retrouver mes bosquets. Quand, prêt à partir pour le monde enchanté, je voyais arriver de malheureux mortels qui venaient me retenir sur la terre, je ne pouvais ni modérer ni cacher mon dépit, et, n’étant plus maître de moi , je leur faisais un accueil si brusque, qu’il pouvait porter le nom de brutal. Cela ne fit qu’augmenter ma réputation de misanthropie, par tout ce qui m’en eût acquis une bien contraire, si l’on eût mieux lu dans mon cœur. Au fort de ma plus grande exaltation, je fus retiré tout d’un coup par le cordon comme un cerf-volant, et remis à ma place par la nature , à l’aide d’une attaque assez vive de mon mal. .l’employai le seul remède qui m’eût soulagé, savoir les bougies, et cela fit tréveà mesangéliques amours car, outre qu’on n’est guère amoureux quand on souffre, mon imagination, qui s’anime en campagne et sous ’;s arbres, languit et meurt dans la chambre et sous les solives d’un plancher. J’ai cent fois regretté qu’il n'existât pas des dryades ; car c'eût infailliblement été parmi elles que j’aurais fixé mon attachement. D’autres tracas domestiques vinrent en même temps augmenter mes chagrins. Madame Le Vasseur, en me faisant les plus beaux complimens du monde, aliénait de moi sa fille tant qu’elle pouvait. Je reçus des lettres de mon ancien voisinage, qui m’apprirent que la bonne vioint de paysage assez touchant à mon gré les vallées de la Thessalie m’auraient pu contenter si jelesavais vues ; mais mon imagination , fatiguée à inventer, voulait quelque lieu réel qui pût lui servir de point d’appui, et me faire illusion sur la réalité des ha- bitans que j’y voulais mettre. Je songeai long-temps aux îles Borromées dont l’aspect délicieux m’avait transporté, mais j’y trouvai trop d’ornemens et d’art pour mes personnages. Il me fallait cependant un lac, et je Unis par choisir celui autour duquel mon cœur n’a jamais cessé d’errer je me fixai sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m’a borné. Le lieu natal de ma pauvre maman avait encore pour moi un attrait de prédilection. Le contraste des positions, la richesse et la variété des sites, la magnificence, la majesté totale du spectacle qui ravit les sens , émeut le cœur, élève l'âme , achevèrent de me déterminer, et j’établis à Vévai mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que j’imaginai du premier bond; le reste n’y fut ajouté que dans la suite. Je me bornai long-temps à un plan si vague , parce qu’il suffisait pour remplir mon imagination d’objets agréables, et mon cœur de sentimens dont il aime à se nourrir. Ces fictions, à force de revenir, prirent enfin plus de consistance, et se fixèrent dans mon cerveau sous une forme déterminée. Ce fut alors que la fantaisie me prit d’exprimer sur le papier quelques - unes des situations qu’elles m’offraient, et, rappelant tout ce que j’avais senti dans 2*3 IÏS CONFESSIONS* nia jeunesse, de donner aussi l’essor en quelque ; sorte au désir d’aimer que je n’avais jamais pu sa* tisfaire , et dont je me sentais dévoré. Je jetai d’abord sur le papier quelques lettres éparses sans suite et sans liaison, et lorsque je m’avisai de les vouloir coudre, j’y fus souvent fort embarrassé. Ce qu’il y a de peu croyable et de très- vrai, est que les deux premières parties ont été écrites presque en entier de cette manière, sans que j’eusse aucun plan bien formé, et même sans prévoir qu’un jour je serais tenté d’en faire un ouvrage en règle. Aussi voit-on que ces deux parties, formées après coup de matériaux qui n’ont pas été taillés pour la place qu’ils occupent, sont pleines d’un remplissage verbeux qu’on ne trouve pas dans les autres. Au plus fort de mes douces rêveries, j’eus une visite de madame d’Houdetot, la première qu'elle m’eût faite en sa vie, mais qui malheureusement . ne fut pas la dernière, comme on verra ci-après. La comtesse d’IIoudetot était fille de feu M. de Belle- garde, fermier-général, sœur de M. d’Épinai et de ; MM. de la Live et de la Briche, qui depuis ont été tous deux introducteurs des ambassadeurs. J ’ai parlé de la connaissance que je fis avec elle étant fille, j Depuis son mariage, je ne la vis qu’aux fêtes de la j Chevrette, chez madame d’Épinai sa belle - sœur. Ayant souvent passé plusieurs jours avec elle, tant j à la Chevrette qu’à Épinai, non - seulement je la 1 trouvai toujours très-ajmablc, mais je crus lui voir aussi pour moi de la bienveillance. Elle aimait assez à se promener avec moi ; nous étions marcheurs j l’un et l’autre, et l’entretien ne tarissait pas entre I nous. Cependant, je n’allai jamais la voir à Paris , j quoiqu’elle m’en eût prié et même sollicité plusieurs PARTIE n, LIVRE IX. 22 3 fois. Ses liaisons avec M. de Saint-Lambert, avec qui je commençais d’en avoir, me la rendirent encore plus intéressante ; et c’était pour m’apporter des nouvelles de cet ami, qui pour lors était, je crois, à Mahon, qu’elle vint me voir à l’Hermitage. Cette visite eut un peu l’air d’un début de roman. Elle s’égara dans la route. Son cocher, quittant le chemin qui tournait, voulut traverser en droiture du moulin de Clairvaux à l’Hermitage son carrosse s’embourba dans le fond du vallon ; elle voulut descendre et faire le reste du trajet à pied. Sa mignonne chaussure fut bientôt percée ; elle en- fonçaitdans la crotte, ses gens eurent toutelapeine du monde à la dégager, et enfin elle arriva à l’Her- rnitage en bottes, et perçant l’air d’éclats de rire auxquels je mêlai les miens en la voyant arriver. Il fallut changer de tout; Thérèse y pourvut, et je l’engageai d’oublier la dignité pour faire une collation rustique dont elle se trouva fort bien. Il était tard, elle resta peu; mais l’entrevue fut si gaie qu’elle y prit goût, et parut disposée à revenir. Elle n’exécuta pourtantee projet que l’année suivante ; mais hélas ! ce retard ne me garantit de rien. Je passai l’automne à une occupation dont on na se douterait pas, à la garde du fruit de M. d’Épinai. L’Hermitage était le réservoir des eaux du parc de la Chevrette il y avait un jardin clos de murs, et garni d’espaliers et d’autres arbres qui donnaient plus de fruits à M. d’Épinai que son grand potager de la Chevrette, et fournissait presque toute l’année son office et sa table. Pour n’être pas un hôte I absolument mutile, je me chargeai de la direction 1 du jardin et de l’inspection du jardinier. Tout alla bien jusqu’au temps des fruits ; mais à mesure qu'ils A. 10 aa.'i Us confession». mûrissaient, je les voyais disparaître, sans savoir ce qu’ils étaient devenus. Le jardinier m’assura que c’étaient les loirs qui mangeaient tout. Je fisla guerre aux loirs , j’en détruisis beaucoup, et le lruit n’en disparaissait pas moins. Je guettai si bien qu’en fin je trouvai que le jardinier lui-même était le grand loir. Il logeait à Montmorenci, d’où il venait les nuits avec sa femme et ses enfans enlever les dépôts de fruits qu’il avait faits pendant la journée, et qu’il faisait vendre à la halle à Paris aussi publiquement que s’il eût eu un jardin à lui. Çe misérable, que je comblais de bienfaits, dont Thérèse habillait les enfans, et dont je nourrissais presque le père qui était mendiant, nous dévalisait aussi aisément qu’effronlément, aucun des trois n’étant assez vigilant pour y mettre ordre, et dans une seule nuit, il parvintà viderma cave, où jene trouvai rien le lendemain. Tant qu’il ne parut s’adresser qu’à moi, j’endurai tout ; mais voulant rendre compte du fruit, je fus obligé d’en dénoncerle voleur. Madame d’Épi- nai me pria de le payer, de le mettre dehors, et d’en chercher un autre; ce que je lis. Comme ce grand coquin rôdait toutes les nuits autour del’Her- mitage , armé d’un gros bâton ferré qui avait l’air d’une massue, et suivi d’autres vauriens de son espèce , pour rassurer les gouverneusesque cet homme effrayait terriblement, je pris le parti de faire coucher son successeur toutes les nuits à l’Hermitage; et, cela ne les tranquillisant pas encore, je iis demander à madame d’Épinai un fusil que je lins dam la chambre du jardinier, avec charge'à lui de ne s’en servir qu’au besoin, si l’on tentait de forcer la porte ou d’escalader le jardin , cl de ne tirer qu'à poudre, uniquement pour effrayer les voleurs. C e- tait assurément la moindre précaution que pût PARTIE 11, LIVRE IX. H2Ü prendre pour la sûreté commune un homme incommodé, ayant à passer rimer au milieu des bois , seul avec deux femmes timides. Enfin je fis l’acquisition d’un petit chien pour servir de sentinelle. Deleyre m’étant venu voir dans ce temps-là, je lui contai mon cas , et ris avec lui de mon appareil militaire. De retour à Paris , il en voulut amuser Diderot à son tour, et voilà comment la coterie hol- bacluque apprit que je voulais tout de bon passer l’hiver à l'Hermitage. Cette constance qu’ils n’avaient pu se figurer les désorienta; et en attendant qu’ils imaginassent quelque autre tracasserie pour me rendre mon séjour déplaisant i , ils me détachèrent par Diderot le même Deleyre qui, d’abord ayant trouvé mes précautions toutes simples, finit par les trouver inconséquentes à mes principes et pis que ridicules dans les lettres où il m’accablait de plaisanteries amères et assez piquantes'pour m’offenser , si mon humeur eût été tournée de ce côté. Mais alors saturé de sentimens affectueux et tendres, et n’étant susceptible d’aucun autre, je ne voyais dans scs aigres sarcasmes que le mot pour rire, et ne le trouvais que folâtre , où tout autre l’eût trouvé extravagant. Ainsi ceux qui le soufflaient en furent cette fois pour leur peine, et je n’en passai pas mon hiver moins tranquillement. i J’admire en ce moment ma stupidité , de n’avoir pas vu , quand j’écrivais ceci , que le dépit avec lequel les bol- bachiens me virent aller et rester à la campagne regardait principalement la mère Le Vasseur, qu’ils n’avaient plus sous la main pour les guider dans leurs systèmes d'imposture par des points fixes de temps et de lieux. Cette idée, qui me vient si tard, éclaircit parfaitement la bizarrerie de leur conduite, qui, dans toute autre supposition , est inexplicable. LES C05FESSI0XS. *î6 A force de vigilance et de soins, je parvins à garder si bien le jardin , que, quoique la récolte du fruit eût presque manqué celte année , le produit fut triple de celui des années précédentes ; et il est vrai que je ne m’épargnais point pour le préserver jusqu’à escorter les envois que je faisais à la Chevrette ou à lipinai, jusqu’à porter les paniers moi-môme; et je me souviens que nous en portâmes un si lourd la tante et moi, que, prêts à succomber sous le faix, nous fûmes contraints de nous reposer de dix pas en dix pas, et n’arrivâmes que tout en nage. Quand la mauvaise saison commença de me renfermer au logis, je voulus reprendre mes occupations casanières; il ne me fut pas possible. Je ne voyais partout que les deux charmantes amies, que leur ami, leurs entours, le pays qu’elles habitaient, qu’objets créés ou embellis pour elles par mon imagination. Je n’étais plus un moment à moi-môme; le délire ne me quittait plus. Après beaucoup d’el- forls inutiles pour écarter de moi toutes ces fictions, je fus enfin toul-à-fait séduit par elles, et je ne m’occupai plus qu’à tâcher d’y mettre quelque ordre et quelque suite pour en faire une espèce de roman. Mon grand embarras était la honte de me démentir ainsi moi-méme si nettement et si hautement. Après les principes sévères que je venais d’e- tablir avec tant de fracas, après les maximes austères que j’avais prôchées , après tant d’invectives mordantes contre les livres efféminés qui respiraient l’amour et la mollesse, pouvait-on rien imagine rdc plus inattendu, de plus choquant, que de me voir tout à coup m’inscrire de ma propre main parmi les auteurs de ces livres, que j’avais si durement censurés? Jesentais cette inconséquence danstoute sa force; je me la reprochais, j’en rougissais, l PARTIE II, LIVRE IX. 237 m’en dépitais mais tout cela ne put suffire pour me ramener à la raison. Subjugué complètement , il fallut me soumettre à tout risque, et me résoudre à braver le qu’en dira-t-on; sauf à délibérer dans la suite si je me résoudrais à montrer mon ouvrage ou non car je ne supposais pas encore que j’en vinsse à le publier. Ce parti pris, je me jette à plein collier dans mes rêveries ; et à force de les tourner et retourner dans ma tête, j’en forme enfin l’espèce de plan dont on a vu l’exécution. C’était assurément le meillenr parti qui pût se tirer de mes folies l’amour du bien, qui n’est jamais sortide mon cœur, les tourna naturellement vers des objets utiles, et dont la morale eût pu faire son profit. Mes tableaux voluptueux auraient perdu de leurs grâces, si le doux coloris de l’innocence y eût manqué. Une fille faible est un objet de pitié que l’amour peut rendre intéressant et qui souvent n’est pas moins aimable mais qui peut supporter sans indignation le spectacle des mœurs à la mode? Et qu’y a—t-il de plus révoltant que l’orgueil d’une femme infidèle, qui foulant ouvertement aux pieds tous ses devoirs, prétend que son mari soit pénétré de reconnaissance de la grâce qu’elle lui accorde de vouloir bien ne pas se laisser prendre sur le fait? Les êtres parfaits ne sont pas dans la nature , et leurs leçons ne sont pas assez près de nous. Mais qu’une jeune personne, née avec un cœur aussi tendre qu’honnête, se laisse vaincre à l’amour étant fille, et retrouve étant femme des forces pour le vaincre à son tour , et se maintienne vertueuse quiconque vous dira que ce tableau dans sa totalité est scandaleux et n’est pas utile, est un menteur et un hypocrite ; ne l’écoutez pas. EES CONFESSIONS. îoS Outre cet objet de mœurs et d’honnêteté conjugale qui tient radicalement à tout l’ordre social, je m’en fis un plus secret de concorde et de paix publique, objet plus grand, plus important peut-être en lui-même , et du moins pour le moment où l’on se trouvait. L’orage excité par Y Encyclopédie, loin de se calmer, était alors dans sa plus grande force. Les deux partis , déchaînés l'un contre l’autre avec la dernière fureur , ressemblaient plus à des loups enragés , acharnés à s’entre-déchirer , qu’à des chrétiens et des philosophes qui veulent s’éclairer , se convaincre mutuellement, et se ramener dans la voie de la vérité. 11 ne manquait peut-être à l’un et à l’autre que des chefs remuans qui eussent du crédit, pour dégénérer en guerre civile ; et Dieu sait ce qu’eût produitune guerre civile de religion, où l’intolérance la plus cruelle était au fond la même des deux cédés ! Ennemi né de tout esprit de parti, j’avais dit franchement aux uns et. aux autres des vérités dures qu’ils n’avaient pas écoutées. Je m’avisai d’un autre expédient, qui , dans ma simplicité de cœur, me parut admirable ; c’était d’adoucir leur haine réciproque en détruisant leurs préjugés, et de montrer dans chaque parti le mérite el la j vertu dans l’autre, dignes de l’esliine publique et i du respect de tout l’univers. Ce projet peu sensé, qui supposait de la bonne foi dans les hommes, et j par lequel je tombai dans le défaut que je repro- j chais à I'abhé de Saint-Pierre, eut le succès qu’il j devait avoir; il ne rapprocha point les partis, et ne les réunit que pour m’accabjer. En attendant que l’expérience m’eût fait sentir ma folie, je m’v livrai, j’ose le dire, avec un enthousiasme digne du motif ; qui me l’inspirait; et je dessinai les deux caractères de 'Wolmar et de Julie, dans un ravissement qui me j PARTIE II , IX. 2 faisait croire que je parviendrais à les remlrcs aimables tous les deux, et, qui plus est, l’un par l’antre. Content d’avoir grossièrement esquissé mon plan, je revins aux situations de détail que j’avais tracées; et, de l’arrangement que je leur donnai, résultèrent les deux premières parties de la Julie, que je fis et mis au net durant cet hiver avec un plaisir inexprimable, employant pour cela le plus beau papier doré, séchant l'écriture avec de la poudre d’azur et d’argent, cousant mes cahiers avec de la nompareille bleue, enfin ne trouvant rien d’assez galant, rien d’assez mignon pour les charmantes filles dont je raffolais malgré ma barbe déjà grisonnante. Tous les soirs au coin de mon feu, je lisais et relisais ces deux parties aux gouveineuses. La fille, sans rien dire, sanglolait avec moi d’attendrissement; la mère qui, ne trouvant point là de complimcns, n’y comprenait rien, restait tranquille, et se contentait dans lesmomcns de silence de me répéter toujours Monsieur, cela est bien beau. Madame d’Épinai, inquiète de me savoir seul en hiver au milieu des bois, dans une maison isolée, envoyait très-souvent savoir de mes nouvelles. Jamais je n’eus de si vrais témoignages de son amitié pour moi, et jamais la mienne n’y répondit plus vivement. J’aurais tort de ne pas spécifier parmi ecs témoignages , qu’elle m’envoya son portrait, et qu’elle me demanda des instructions pour avoir le mien, peint par Latour, et qui avait été exposé an salon. Je ne dois pas omettre une autre de scs attentions, qui paraîtra risible, mais qui fait trait à l’histoire de mon caractère, par l’impression qu’elle lit sur moi. Un jour qu’il gelait très-fort, en ouvrant IES COKFESSIOSS. JÜO un paquet qu’elle m’envoyait de plusieurs commissions dont elle s’était chargée, j’y trouvai un petit jupon de dessous de flanelle d’Angleterre, qu’elle me marquait avoir porté, et dont elle voulait queje me fisse faire un gilet. Le tour de son billet était charmant, plein de caresse et de naïveté. Ce soin plus qu’amical me parut si tendre, comme si elle se fût dépouillée pour me vêtir, que, dans mon émotion, je baisai vingt fois en pleurant le billet et le jupon Thérèse me croyait devenu fou. 11 est singulier que, de toutes les marques d’amitié que madame d’Épinai m’a prodiguées, aucune ne m’a jamais touché comme celle-là, et que, même depuis notre rupture, je n’y ai jamais repensé sans attendrissement. J’ai long-temps conservé son petit billet, et je l’aurais encore, s’il n’eût eu le sort de mes autres lettres du même temps. Quoique mes rétentions me laissassent alors peu de relâche en hiver, et qu’une partie de celui-ci je fusse réduit à l’usage des sondes, ce fut pourtant, à tout prendre, la saison que, depuis ma demeure en France, j’ai passée avec le plus de douceur et de tranquillité. Durant quatre ou cinq mois que le mauvais temps me tint presque à l’abri des surve- nans, je savourai, plus que je n’ai fait avant et depuis, cette vie indépendante , égale et simple, dont la jouissance ne faisait pour moi qu’augmenter le prix, sans autre compagnie que celle des deux gouverneuses en réalité , et celle des deux cousines en idée. C’est alors surtout que je me félicitais chaque jour davantage du parti que j’avais eu le bon sens de prendre, sans égard aux clameurs de mes amis, fâchés de me voir affranchi de leur tyrannie ; et, quand j’appris l’attentat exécrable PARTIE II, tlVRE IX. 2ÏI d’un forcené * ; quand Deleyre et madame d’Epinai me parlaient dans leurs lettres du trouble et de l’agitation qui régnaient dans Paris, combien je remerciai le ciel de m’avoir éloigné de ces spectacles d’horreurs et de crimes qui n'eussent fait que nourrir, qu’aigrir l’humeur bilieuse que l’aspect des désordres publics m’avait donnée, tandis que, ne voyant plus autour de ma retraite que des objets rians et doux, mon cœur ne se livrait qu’à des sen- timens aimables. Je note ici avec complaisance le cours des derniers momens paisibles qui m’ont été laissés. Le printemps, qui suivit cet hiver si calme, vit éclore le germe >a IES COXFESSIOXS. puis compter. Ainsi, ne pouvant fixer avec certitude le commencement de ces brouilleries, j’aime mieux rapporter ci-après, dans un seul article, tout ce que je m’en puis rappeler. Le retour du printemps avait redoublé mon tendre délire; et, dans mes érotiques transports, j’avais composé, pour les dernières parties delà Julie, plusieurs lettres qui, j’ose le dire, se sentent du ravissement dans lequel je les écrivis. Je pois citer entre autres celles de l’Élysée et de la promenade sur le lac, qui, si je m’en souviens bien, sont à la fin de la quatrième partie. Quiconque, en lisant ces deux lettres, ne sent pas amollir ft fondre son cœur dans l’attendrissement qui me les dicta, doit fermer le livre ; il n’est pas fait pour juger des choses de sentiment. Précisément dans le même temps, j’eus de madame d’Houdetot une seconde visite imprévue. En l’absence de son mari qui était capitaine de gendarmerie, et de son amant qui servait aussi, elle était venue à Eaubonne, au milieu de la vallée le Montmorenci, où elle avait loué une assez jolie maison. Ce fut de là qu’elle vint faire à l’Hermi- tage une nouvelle excursion. A ce voyage elle était à cheval et en homme. Quoique je n’aime point ces sortes de mascarades, je fus pris à l’air romanesque de celle-là, et pour cette fois ce fut de l’a- mour. Comme il fut le premier et l’unique en toute ma vie, et que ses suites le rendront à jamais mémorable et terrible à mon souvenir, qu’il me soit permis d’entrer dans quelques détails sur cet article. Madame la comtesse d’Houdetot approchait de la trentaine, et n’était point belle; son visage était marqué de la petite vérole, son teint manquait de PARTIE II, LIVRE IX. ï”" finesse, elle avait la vue basse et les yeux un peu ronds ; mais elle avait l’air jeune avec tout cela, et sa physionomie, à la fois vive et douce, était caressante. Elle avait une forêt de grands cheveux noirs, naturellement bouclés, qui lui descendaient au jarret; sa taille était mignonne, et elle mettait dans tous ses mouvemens de la gaucherie et de la grâce tout à la fois. Elle avait l’esprit très-naturel et très-agréable; la gaieté, l’étourderie et la naïveté s’y mariaient très-heureusement; elle abondait en saillies charmantes qu’elle ne recherchait point, et qui lui venaient quelquefois malgré elle. Elle avait plusieurs talens agréables, jouait du clavecin, dansait bien, faisait d’assez jolis vers. Pour son caractère, il était angélique ; la douceur d’âme en faisait le fond ; mais, hors la prudence et la force, il rassemblait toutes les vertus. Elle était surtout d’une telle sûreté dans le commerce, d’une telle fidélité dans la société, que ses ennemis mêmes n’avaient pas besoin de se cacher d’elle. J’entends par ses ennemis ceux ou plutôt celles qui la haïssaient ; car, pour elle, elle n’avait pas un cœur qui pût haïr, et je crois que cette conformité de naturel contribua beaucoup à me passionner pour elle. Dans les confidences de la plus intime amitié, je. ne lui ai jamais ouï parler mal des absens, pas même de sa belle-sœur. Elle ne pouvait ni déguiser ce qu’elle pensait à personne, ni même contraindre aucun de ses sentimens, et je suis persuadé qu’elle parlait de son amant à son mari même, comme elle en parlait à ses amis, à ses connaissances et à tout le monde indifféremment. Enfin, ce qui prouve sans réplique la pureté, la sincérité do son excellent naturel, c’est qu’étant sujette aux plus énormes distractions et aux plus risibles étourderies, il lui a34 IES CONFESSIONS* en échappait souvent de très-imprudentes pour elle-même, mais jamais d’offensantes pour qui que ce fût. On l’avait mariée très-jeune, et malgré elle, au comte d’Houdetot, homme de condition, brave militaire, mais joueur, chicaneur, très-peu aimable, et qu’elle n’a jamais aimé. Elle trouva dans M. de Saint-Lambert tous les mérites de son mari avec des qualités plus 'agréables, de l’esprit, des vertus, et les plus rares talens. S’il faut pardonner quelque chose aux mœurs du siècle, c’est sans doute un pareil attachement, que sa durée épure, que ses effets honorent, et qui ne s’est cimenté que par des vertus. C’était un peu par goût, à ce que j’ai pu croire, mais beaucoup pour complaire à Saint-Lambert, qu’elle venait me voir. Il l’y avait exhortée, et il avait raison de croire que l’amitié qui commençait à s’établir entre nous, rendrait cette société agréable à tous les trois. Elle savait que j’étais instruit de leurs liaisons; et, pouvant me parler de lui sans gêne, il était naturel qu’elle se plût avec moi. Elle vint, je la vis, j’étais ivre d’amour sans objet ; cette ivresse fascina mes yeux , cet objet se fixa sur elle, je vis ma Julie en madame d’Houdetot, et bientôt je ne vis plus que madame d’Houdetot elle-même, mais revêtue de toutes les perfections dont je venais d’orner l’idole fictive de mon cœur. Pour m’achever, elle me parla de Saint-Lajnbert en ainante passion .ée. Force contagieuse de l’amour ! en l’écoutant, en me sentant auprès d’elle, j’étais saisi d’un frémissement nouveau, mais délicieux, que je n’avais éprouvé jamais auprès de personne. Elle parlait, et je me sentais ému; je croyais ne faire que m’intéresser à ses sentimens, quand j eu PARTIE IX, LIVRE IX. a35 prenais de semblables; j’avalais à longs traits la coupe empoisonnée, sans en sentir encore que la douceur. Enfin, sans que je m’en aperçusse et sans qu’elle s’cn aperçût, elle m’inspira pour elle-même tout ce qu’elle exprimait pour son amant. Hélas! ce fut bien tard, ce fut bien cruellement brûler d’une passion non moins vive que malheureuse pour une femme dont le cœur était plein d’un autre amour. Malgré les mouvemens extraordinaires que j’avais éprouvés auprès d’elle, je ne m’aperçus pas d’abord de ce qui m’était arrivé ce ne fut qu’après son départ que, voulant penser à Julie, je fus frappé de ne pouvoir plus penser qu’à madame d’Hou- detot. Alors mes yeux se dessillèrent ; je sentis mon malheur, j’en gémis, mais je n’en prévis pas les Buites. J’hésitai long-temps sur la manière dont je me conduirais avec elle, comme si l’amour véritable laissait assez de raison pour suivre des délibérations. Je n’étais pas déterminé, quand elle revint me prendre au dépourvu. Pour lors j’étais instruit. La honte, compagne du mal, me rendit muet, tremblant devant elle ; je n’osais ouvrir la bouche ni lever les yeux ; j’étais dans un trouble inexprimable, qu’il était impossible qu’elle ne vît pas. Je pris le parti de le lui avouer, et de lui en laisser deviner la cause c’était la lui dire assez clairement. Si j’eusse été jeune et aimable, ou que dans la suite madame d’Houdetot eût été faible, je blâmerais ici sa conduite, mais, tout cela n’étant pas, je ne puis que l’applaudir et l’admirer. Le parti qu’elle prit était également celui de la générosité et de la prudence. Elle ne pouvait s’éloigner brusquement *36 LES CONFESSIONS. I le moi sans en dire la cause à Saint-Lambert, qui l’avait lui-même engagée à me voir; c’était exposer deux amis à une rupture, et peut-être à un éclat qu’elle devait éviter. Elle avait pour moi de l’estime et de la bienveillance. Elle eut pitié de ma folie; sans la flatter, elle la plaignit et tâcha de m’en guérir. Elle était bien aise de conserver à son amant et à elle-même un ami dont elle faisait cas; elle ne me parlait de rien avec plus de plaisir que de l’intime et douce société que nous pouvions former entre nous trois, quand je serais devenu raisonnable ; elle ne se bornait pas toujours à ces exhortations amicales, et ne m’épargnait pas au besoin les reproches plus durs que j’avais bien mérités. Je me les épargnais encore moins moi-même; sitôt que je fus seul, je revins à moi; j’étais plus calme après avoir parlé l’amour connu de celle qui l’inspire en devient plus supportable. La force avec laquelle je me reprochai le mien m’en eût dû guérir, si la chose eût été possible. Quels puissans motifs n’appelai-je point à mon aide pour l’étoufTer ! Mes mœurs, mes sentimens, mes principes, la honte, l’infidélité, le crime, l’abus d’un dépôt confié par l’amitié, le ridicule enfin de brûler à 1 mon âge de la passion la plus extravagante pour un objet dont le cœur préoccupé ne pouvait ni me rendre aucun retour, ni me laisser aucun espoir passion, de plus, qui, loin d’avoir rien à gagner par la constance, devenait moins souttrable du jour en jour. I Qui croirait que cette dernière considération , qui devait ajouter du poids à toutes les autres, fut I celle qui les éluda? Quel scrupule, pensai-je, i puis-je me faire d’une folie nuisible à moi seul? ; FAUTIF. U , LIVRE tX. Suis-je donc un jeune cavalier fort à craindre pour madame d’Houdetot? Ne dirait-on pas, à mes présomptueux remords, que mon équipage, ma galanterie, mon air, vont la séduire? Eh! pauvre Jean-Jacques, aime à ton aise en toute sûreté de conscience, et ne crains pas que tes soupirs nuisent à Saint-Lambert. On a vu que jamais je ne fus avantageux, même dans ma jeunesse. Cette modeste façon de penser était dans mon tour d’esprit; elle flattait ma passion c’en fut assez pour m’y livrer sans reserve, et rire même de l’impertinent scrupule que je croyais m’être fait par vanité plus que par raison. Grande leçon pour les âmes honnêtes que le vice n’attaque jamais à découvert, mais qu’il trouve le moyen de surprendre en se masquant toujours de quelque sophisme, et souvent de quelque vertu. Coupable sans remords, je le fus bientôt sans mesure; et, de grâce, qu’on voie comment ma passion suivit la trace de mon naturel pour m’entraîner enfin dans l’abîme. D’abord elle prit un air humble pour me rassurer; et puis, pour me rendre entreprenant , elle poussa cette humilité jusqu’à la défiance. Madame d’Houdetot, sans cesser de me rappeler à mon devoir, à la raison, sans jamais flatter un moment ma folie, me traitait au reste avec la plus grande douceur, et prit avec moi le ton de l’amitié la plus tendre. Cette amitié m’eût suffi , je le proteste , si je l’avais crue sincère ; mais la trouvant trop vive pour être vraie, n’allai-je pas me fourrer dans la tête que l’amour, désormais si peu convenable à mon âge et à ma parure, m’avait avili aux yeux de madame d’Houdetot, que cette jeune folle ne voulait que se divertir de moi et de mes douceurs surannées; qu’elle en i î38 IES CONFESSIONS. avait fait confidence à Saint-Lambert, et que, l’indignation de mon infidélité ayant fait entrer son amant dans ses vues, ils s’entendaient tous les deux pour achever de me faire tourner la tête et me persifler. Cette bêtise, qui m’avait fait cxtravagucr à vingt-six ans auprès de madame de Larnage que je • ne connaissais pas, m’eût été pardonnable à qua- rante-cinq auprès de madame d’Houdetot, si j’eusse iguoré qu’elle et son amant étaient trop honnêtes gens l’un et l’autre pour se faire un aussi barbare amusement. Madame d’Houdetot continuait à me faire des visites que je ne tardai pas de lui rendre. Elle aimait à marcher aihsi que moi nous faisions de ; longues promenades dans un pays enchanté. Con- ! tent d’aimer et de l’oser dire, j’aurais été dans la plus douce situation si mon extravagance n’en eût détruit tout le charme. Elle ne comprit rien d’abord 1 à la sotte humeur avec laquelle je recevais ses caresses; mais mon cœur, incapable de savoir jamais rien cacher de ce qui s’y passe, ne lui laissa pas long-temps ignorer mes soupçons ; elle en voulut rire cette expérience ne réussit pas ; des transports de rage en auraient été l’eflèt. Elle changea de ton. Sa compatissante douceur fut invincible. Elle me fit des reproches qui me pénétrèrent; elle me témoigna sur mes injustes craintes des inquiétudes dont j’abusai. J’exigeai des preuves qu’elle ne se moquait pas de moi. Elle vit qu’il n’y avait nul autre moyen de me rassurer. Je devins pressant le pas était délicat. Il est étonnant, il est unique peut-être, qu’une femme, ayant pu venir jusqu’à marchander, s’en soit tirée à si bon compte. Elle ne me refusa rien de ce que la plus tendre amitié pouvait accorder elle ne m’accorda rien qui pût PARTIE II , LIVRE I*. 23 la rendre infidèle; et j’eus l’humiliation de voir que l’embrasement dont ses légères faveurs allumaient mes sens n’en porta jamais aux siens la moindre étincelle. J’ai dit quelque part qu’il ne faut rien accorder aux sens quand on veut leur refuser quelque chose. Pour connaître combien cette maxime se trouva fausse avec madame d’Houdetot et combien elle eut raison de compter sur elle-même, il faudrait entrer dans le détail de nos longs et fréquens tête- à-tête, et les suivre dans toute leur vivacité durant quatre mois que nous passâmes ensemble, dans une intimité presque sans exemple entre deux amis de différons sexes, qui se renferment dans les bornes dont nous ne sortîmes jamais. Ah ! si j’avais tardé si long-temps à sentir le véritable amour , qu’alors mon cœur et mes sens lui payèrent bien l’arrérage ! et quels sont donc les transports qu’on doit éprouver près d’un objet aimé qui nous aime, si même un amour non partagé peut en inspirer de pareils ? Mais j’ai tort de dire un amour non part gé; le mien l’était en quelque sorte; il était égal des deux côtés , quoiqu’il ne fût pas réciproque. Nous étions ivres d’amour l’un et l’autre, elle pour son amant, moi pour elle; nos soupirs, nos délicieuses larmes se confondaient. Tendres coufidens l’un de l’autre, nos senlimens avaient tant de rapport, qu’il était impossible qu’ils ne se mêlassent pas en quelque chose ; et toutefois , au milieu de cette dangereuse, ivresse, jamais elle ne s’est oubliée un moment; et moi je proteste, je jure à la face du ciel, que, si quelquefois égaré par mes sens j’ai tenté de la rendre infidèle, jamais je ne l’ai véritablement désiré. La véhémence de ma passion la contenait par 2^0 IES CONFESSIONS. elle-même. Le devoir des privations avait exalté mon âme. L’éclat de toutes les vertus ornait âmes yeux l’idole de mon cœur ; en souiller la divine image eût été l’anéantir. J’aurais pu commettre le crime; il a cent fois été commis dans mon cœur mais avilir ma Sophie! ah! cela se pouvait-Ü! jamais! non, non, je le lui ai dit cent fois à elle- même; eussé-je été le maître de me satisfaire, sa propre volonté l’cûî-elle mise à ma discrétion, hors quelques courts momens de délire, j’aurais refusé d'être heureux à ce prix. Je l’aimais trop pour vouloir la posséder. Il y a près d’une lieue de l’ïlermifage à Eaubonnc; dans mes fréquens voyages, il m’est arrivé quelquefois d’y coucher; un soir, après avoir soupétête à tête , nous allâmes nous promener au jardin, par un très-beau clair de lune. Au fond de ce jardin , était un assez grand taillis par où nous fûmes t chercher un joli bosquet, orné d’une cascade dont _ je lui avais donné l’idée, et qu’elle avait fait exécuter. Souvenir immortel d’innocence et de jouissance ! Ce fut dant ce bosquet qu’assis avec elle sur un banc de gazon, sous un acacia tout chargé de fleurs, je trouvai, pour rendre les mouvemens de mon cœur, un langage vraiment digne d’eux. Ce J fut la première et l’unique fois de ma vie ; mais je fus sublime, si l’on peut nommer ainsi tout ce ur voir s’il n’y aurait pas moyen d’y faire quelque réponse qui pût parer ce malheureux coup. Je reçus le volume peu après mon établissement à llont-Louis , et je trouvai l’article fait avec beaucoup d’adresse et d’art, et digne de la plume dont il était parti. Cela ne me détourna pourtant pas de vouloir y répondre ; et malgré l’abattement où j’étais, malgré mes chagrins et mes maux, la rigueur de la saison et l’incommodité de ma nouvelle demeure , dans laquelle je n’avais pas encore eu le temps de m’arranger , je me mis à l’ouvrage avec un zèle qui surmonta tout. Pendant un hiver assez mois de février, et dans l’état que j’ai décrit ci-devant, j’allais tous les jours passer deux heures le matin et autant l’après-dînée dans un donjon tout ouvert , que j’avais au bout du jardin où était mon habitation. Ce donjon, qui terminait une allée en terrasse, donnait sur la vallée et l’étang de Montmorenci, et m’offrait pour terme du point de vue le simple mais respectable château de Saint-Gratien, retraite du vertueux Catinat. Ce fut dans ce lieu, pour lors glacé, que, sans abri contre le vent et la ne'ge, et sans autre feu que celui de mon cœur, je composai dans l’espace do trois semaines ma Lettre à U'A Icm ùeri sur tes Spectacles. C’est ici le premier LES CONFESSIONS. 5i6 de mes écrits, car la Jutic n’était pas à moitié faite, où j’ai trouvé des charmes dans le travail. Jusqu’alors l’indignation de la vertu m’avait tenu lieu d’Apollon la tendresse et la douceur d’âme m’en tinrent lieu cette fois. Les injustices dont je n’avais été que spectateur m’avaient irrité ; celles dont j’étais devenu l’objet m’attristèrent et cette tristesse sans Ciel n’était que celle d’un cœur trop aimant, trop tendre, qui, trompé par ceux qu’il avait crus de sa trempe, était forcé de se retirer au dedans de lui. Plein de tout ce qui venait de m’arriver, encore ému de tant de violens mouvemens, le mien mêlait le sentiment de ses peines aux idées que la méditation de ino'n sujet m’avait fait naître ; mon travail se sentit de ce mélange. Sans m’en apercevoir, j’y décrivis ma situation actuelle; j’y peignis Grimm, madame d’iipinai, madame d’Houdetot, Saint- Lambert, moi-même. En l’écrivant, que je versai le délicieuses larmes ! Hélas ! on y sent trop que l’amour , cet amour fatal dont je m'efforcais de guérir, n’était pas encore sorti de mon cœur. A tout cela se mêlait un certain attendrissement sur moi-même, qui me sentais mourant, et qui croyais faire au public mes derniers adieux. Loin de craindre la inort, je la voyais approcher avec joie ; mais j’avais regret de quitter mes semblables sans qu’ils sentissent tout ce que je valais , sans qu’ils sussent combien j’avais mérité d’être aimé d’eux, s’ils m’avaient connu davantage. Voilà les secrètes causes du ton singulier qui règne dans cet ouvrage-* et qui tranche si prodigieusement avec celui du précédent 1. Je retouchais et mettais au net cette lettre, et 1. Le Discours sur rinègaïilc. PARTIE 11, LIVRE X. 5l7 je me disposais à la faire imprimer, quand, après un long silence , j’en reçus une de madame d’IIou- detot , qui me plongea dans une affliction nouvelle, la plus sensible que j’eusse encore éprouvée. Elle m’apprenait dans cette lettre Liasse B , n° 5/j que ma passion pour elle était connue dans tout t Paris, que j’en avais parlé à des gens qui l’avaient rendue publique, que ces bruits parvenus à son amant avaient failli lui coûter la vie, qu’enfin il lui rendait justice , et que leur paix était faite ; mais qu’elle lui devait, ainsi qu'à elle-même et au soin de sa réputation, de rompre avec moi tout commerce, m’assurant au reste qu’ils ne cesseraient jamais l’un et l’autre de s’intéresser à moi, qu’ils me défendraient dans le public, et qu’elle enverrait de temps en temps savoir de mes nouvelles. Et toi aussi, Diderot , m’écriai-je ! Indigne ami!. Je ne pus cependant me résoudre à ^ le juger encore. Ma faiblesse était connue d’autres gens qui pouvaient l’avoir fait parler. Je voulus bientôt je ne le pus plus. Saint- Lambert fit peu après une acte digne de sa générosité. Il jugeait, connaissant assez mon âme, en quel état je devais être, trahi d’une partie de mes amis et délaissé des autres. Il vint me voir. La première fois il avait peu de temps à me donner. Il revint. Malheureusement nel’attendant pas, jeneme trouvai pas chez moi. Thérèse, qui s’y trouva, eut avec lui un entretien de plus de deux heures, dans le- » quel ils se dirent mutuellement beaucoup de faits dont il m’importait que lui et moi fussions informés. La surprise avec laquelle j’appris par lui que personne ne doutait dans le monde que je n’eusse vécu avec madame d’Èpinai, comme Grimm y vivait maintenant, ne peut être égalée que par celle qu’il 5i8 rts confessions. eut lui-même en apprenant comLien ce bruit était faux. Saint-Lambert, au grand déplaisir de la dame, était dans le même cas que moi, et tous ces éclair- cisscmensqui résultèrent de cet entretien achevèrent d’éteindre en moi tout regret d’avoir rompu sans retour avec elle. Par rapport à madame d’Houdetot, il détailla à Thérèse plusieurs circonstances qui , n’étaient connues ni d’elle , ni même de madame d’Houdetot, que je savais seul, que je n’avais dites qu’au seul Diderot sous le sceau de l’ai/iitié, et c’était précisément Saint-Lambert qu’il avait choisi pour lui en faire la" confidence. Ce dernier trait me décida ; et, résolu de rompre avec Diderot pour jamais , je ne délibérai plus que sur la manière ; car je m’étais aperçu que les ruptures secrètes tournaient à mon préjudice , en ce qu’elles laissaient le masque de l’amitié à mes plus dangereux ennemis. Les règles de bienséance établies dans le monde sur cet article semblent dictées par l’esprit de men- ' songe et de trahison. Paraître encore l’ami d’un homme dont on a cessé de l’être, c’est se ré erver les moyens de lui nuire, en surprenant les honnêtes gens. Je me rappelai que quand l’illustre Montesquieu rompit avec le P. de Tournemine , il se hâta de le déclarer hautement, en disant à tout le monde, N’écoutez ni le P. de Tournemine ni moi par- f lant l’un de l’autre ; car nous avons cessé d’être amis. » Cette conduite fut Irès-applaudie, et tout le monde en loua la franchise et la générosité. Je résolus de suivre avec Diderot la même méthode. Mais comment, de maretraite, publier cette rupture ; authentiquement, et pourtant sans scandale? J m’avisai d’insérer, par forme de note, dans mon ouvrage, un passage du livre de VEcctèsiasliqut qui déclarait cette rupture, et même le sujet, asses PARTIE II, LIVRE X. 31 ÉmHe, auquel je m’étais mis tout de bon quand j’eus achevé l 'Héloïse, était fort avancé ; et son produit devait au moins doubler cette somme. Je formai leprojet de placer ce fonds de manière à me faire une petite rente viagère qui pût, avec ma copie, me faire subsister sans plus écrire. J’avais encore deux ouvrages iS COXFESSIOSrS. sur le chantier le premier était mes Institutions politiques. J’examinai l’état de ce livre, et je trouvai qu’il demandait encore plusieurs aimées de travail. Je n’eus pas le courage de poursuivre et d’attendre qu’il fût achevé pour exécuter ma résolution. Ainsi, renonçant à cet ouvrage, je résolus d’en tirer ce qui pouvait se détacher, puis de brûler tout le reste; et, poussant ce travail avec zèle, sans interrompre celui de VÉmile , je mis en moins de deux ans la dernière main au Contrat social. Restait le Dictionnaire de rsmsique. C’était un travail de manœuvre qui pouvait se faire en tout temps, et qui n’avait pour objet qu’un produit pécuniaire. Je me réservai de l’abandonner ou de l’aclicver à mon aise, selon que mes autres ressources rassemblées me rendraient celle-là nécessaire ou superflue. A l’égard de ta Morale sensitive, dont l’entreprise était restée en esquisse, je l’abandonnai totalement. Comme j’avais en dernier projet, si je pouvais me passer de la copie, celui de m’éloigner tout-à- fait de Paris, où l’affluence des survenans rendait ma subsistance coûteuse et m’ôtait le temps d’y pourvoir, pour prévenir dans ma retraite l’ennui dans lequel on dit que tombe un auteur quand il à quitté la plume, je me réservais une occupation qui pût remplir le vide de ma solitude, sans nie tenter de plus rien faire imprimer de mon vivant. Je ne sais par quelle fantaisie Rey me pressait depuis long-temps d’écrire les Mémoires de ma vie- Quoiqu’ils ne fussent pas jusqu’alors fort intéressant par les faits, je sentis qu’ils pouvaient lé devenir par la franchise que j’étais capable d’y mettre; et je résolus d’en faire un ouvrage unique par une véracité sans exemple, afin qu’au moins une fo* PARÏlt II, LIVRE X. 3.'; 5 'on pût voir réellement un homme tel qu’il était en dedans. J’avais toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d’avouer ses défauts , a grand soin de ne s’en donner que d’aimables; tandis que je sentais, moi, qui me suis cru toujours, et me crois encore, à tout prendre, le i meilleur des hommes, qu’il n’y a point d’intérieur humain, si pur qu’il puisse être, qui ne recèle ; quelque vice odieux. Je savais qu’on me peignait dans le public sous des traits si peu semblables aux i miens, et quelquefois si difformes, que, malgré I le mal dont je ne voulais rien taire, je ne pouvais t que gagner encore à me montrer tel que j’étais, s D’ailleurs, cela ne se pouvant faire sans laisser voir aussi d’autres gens tels qu’ils étaient, et par conséquent cet ouvrage ne pouvant paraître qu’après , ma mort et celle de beaucoup d’autres, cela m’enhardissait davantage à faire mes confessions, dont jamais je n’aurais à rougir devant personne. Je s résolus donc de consacrer mes loisirs à bien exécuter celte entreprise ; et je me mis à recueillir les t lettres et papiers qui pouvaient guider ou réveiller f ma mémoire, regrettant fort tout ce que j’avais i déchiré, brûlé , perdu jusqu’alors. 1 Ce projet de retraite absolue, un des plus sensés j que j’eusse jamais faits, était fortement cmpieint e dans mon esprit, et déjà je travaillais à son exécution, quand le ciel, qui me préparait une autre destinée, me jeta dans un nouveau tourbillon. Moutmorenci, cet ancien et beau patrimoine de s l’illustre maison de ce nom, ne lui appartient plus r depuis la confiscation. Il a passé, par la sœur du t duc Henri, dans la maison de Condé, qui a changé ,e le nom de Montmorenci en celui d’Enguien; et ce ii duché n’a d’autre château qu’une vieille tour oà 34$ LES COXFIÏSSIOKS. Ton tient les archives et où se fait l’hommage des vassaux. Mais onvoitàMontmorenciouEnguienune maison particulière, bâtie par Croisât dit le pauvre, laquelle, ayant la magnificence des plus superbes châteaux, en mérite et en porte le nom. L’aspect imposant de ce bel édifice, la terrasse sur laquelle il est bâti, sa vue, unique peut-être au monde, son vaste salon peint d’une excellente main, son jardin planté par le célèbre Le Nostre, tout cela forme un tout dont la majesté frappante a pourtant je ne sais quoi de simple qui soutient et nourrit l’admiration. M. le maréchal duc de Luxembourg, qui occupait alors cette maison, venait tous les ans dans ce pays, où jadis ses pères étaient les maîtres, passer, en deux fois, cinq ou six semaines comme simple habitant, mais avec un éclat qui ne dégénérait point de l’ancienne splendeur de sa maison. Au premier voyage qu’il y fit, depuis mon établissement à Montmorenci, M. et madame la maréchale envoyèrent un valet de chambre me faire compliment de leur part, et m’inviter à souper chez eux toutes les fois que cela me ferait plaisir. A chaque fois qu’ils revinrent, ils ne manquèrent point de réitérer le même compliment et la même invitation. Cela me rappelait madame de Beuzen- val m’envoyant dîner à l'office. Les temps étaient changés, mais j’étais demeuré le même. Je ne voulais point qu’on m’envoyât dînera l’office, et je me souciais peu de la table des grands. J’aurais mieux aimé qu’ils me laissassent pource que j’étais, sans me fêter et sans m’avilir. Je répondis honnêtement et respectueusement aux politesses de M. et madame de Luxembourg ; mais je n’acceptai point leurs offres; et, tant mes incommodités que mon humeur timide et mon embarras à parler me foi'- PARTIE II, LIVRE X. 34? santfrémir à la seule idée de me présenter dans une assemblée de gens de la cour, je n’allai pas même au château faire une visite de remercîment, quoique je comprisse assez que c’était ce qu’on cherchait, et que tout cet empressement était plutôt une affaire de curiosité que de bienveillance. Cependant les avances continuèrent, et allèrent même en augmentant. Madame la comtesse de lloulTlers, qui était fort liée avec madame la maréchale , étant venue à Montmorenci, envoya savoir de mes nouvelles et me proposer de me venir voir. Je répondis comme je devais, mais je ne démarrai point. Au voyage de Pâques de l’année suivante 1759, le chevalier de Lorenzi, qui était de la cour de M. le prince de Conti et de la société de madame de Luxembourg, vint me voir plusieurs fois ; nous fîmes connaissance il me pressa d’aller au château, je n’en fis rien. Enfin , un après-midi que je ne songeais à rien moins, je vis arriver M. le maréchal de Luxembourg suivi de cinq ou six personnes. Pour lors il n’y eut plus moyen de m’en dédire , et je ne pus éviter, sous peine d’être un arrogant et un mal appris, de lui rendre sa visite et d’aller faire ma cour à madame la maréchale , de la part de laquelle il m’avait comblé des choses les plus obligeantes. Ainsi commencèrent, sous de funestes auspices, des liaisons dont je ne pus plus long-temps me défendre, mais qu’un pressentiment secret me fit redouter jusqu’à ce que j’y fusse engagé. Je craignais excessivement madame de Luxembourg. Je savais qu’elle était aimable. Je l’avais vue plusieurs fois au spectacle et chez madame Dupin, il y avait dix ou douze ans, lorsqu’elle était duchesse de Boulllers et qu’elle brillait encore 348 IES CONFESSIOKS. de sa première beauté. Mais elle passait pour mé-. chante, et dans une aussi grande dame cette réputation me faisait trembler. A peine l’eus-je vue, que je fus subjugué. Je la trouvai charmante, de ce charme à l’épreuve du temps, le plus fait pour agir sur mon cœur. Je m’attendais à lui trouver un entretien mordant et plein d’épigrammes. Ce n’était point cela ; c’était beaucoup mieux. La conversation de madame de Luxembourg ne pétille pas. d’esprit. Ce ne sont pas des saillies, et ce n’est pas même proprement de la finesse ; mais c’est une délicatesse exquise qui ne frappe jamais et qui plaît toujours. Ses flatteries sont d’autant plus enivrantes qu’elles sont plus simples; on dirait qu’elles lui échappent sans qu’elle y pense, et que c’est son cœur qui s’épanche, uniquement parce qu’il est trop rempli. Je crus m’apercevoir dès la première visite que, malgré mon air gauche et mes lourdes phrases, je ne lui déplaisais pas. Toutes les femmes, de la cour savent vous persuader cela quand elles veulent, vrai ou non; mais toutes ne savent pas, comme madame de Luxembourg, vous rendre cette persuasion si douce qu’on ne s’avise plus d’en vouloir douter. Dès le premier jour ma confiance eu elle eût été aussi entière qu’elle ne tarda pas de le devenir, si madame la duchesse de Montmorenci, sa belle-fille, jeune folle, assez maligne, et, je pense, un peu Iracassière, ne se fût avisée de m’entreprendre, et, tout au travers de force éloges de sa maman et de feintes agaceries pour son propre compte, ne m’eût mis en doute si je n’étais pas persiflé. Je me serais peut-être difficilement rassuré sur celte crainte près des deux dames, si les extrêmes bontés de M. le maréchal ne m’eussent confirmé que les leurs étaient sérieuses. Rien de plus sur- PARTIS II, MVKS I. - 11 1 !> prenant, vu mon caractère timide, que la prompti- tude avec laquelle je le pris au mot sur le pied d’égalité où il voulut se mettre avec moi, si ce n’est peut-être celle avec laquelle il me prit au mot lui- même sur l’indépendance absolue dans laquelle je voulais vivre. Persuadés l’uu et l’autre que j’avais raison d’être content de mon état et de n’en vouloir pas changer, jamais ni lui ni madame de Luxembourg n’ont paru s’occuper un instant de ma bourse ou de ma fortune, quoique je ne pusse douter du tendre intérêt qu’ils prenaient à moi tous les deux ; jamais ils ne m’ont proposé de place et ne m’ont offert leur crédit, si ce n’est une seule fois que madame de Luxembourg parut désirer que je voulusse entrer à l’académie française. J’alléguai ma religion elle me dit que ce n’était pas un obstacle, ou qu’elle s’engageait à le lever. Je répondis que, quelque honneur que ce fût pour moi d’étre membre d’un corps si illustre, ayant refusé à M. de Tressan, et en quelque sorte au roi de Pologne , d’entrer dans l’académie de Nanci, je ne pouvais plus honnêtement entrer dans aucune. Madame de Luxembourg n’insista pas, et il n’en fut plus reparlé. Cette simplicité de commerce a vec de si grands seigneurs, et qui pouvaient tout en ma faveur* M. de Luxembourg étant et méritant bien d’ôtre l’ami particulier du roi; cette simplicité, dis-je, faisait un bien singulier contraste avec les continuels soucis, non moins importuns qu’ofiieieux, des amis protecteurs que je venais de quitter, et qui cherchaient moins à me servir qu’à m’avilir. Quand M. le maréchal m’était venu voir à Mont- Louis, je l’avais reçu avec peine, lui et-sa suite, dans mon unique chambre, non parce que je fus obligé de le faire asseoir au-milieu de mes assiettes 35o LES CONFESSIONS. i sales et de mes pois ébréchés, mais parce que mon plancher pouri tombait en ruine, et que je craignais que le poids de sa suite ne l'effondrât tout-à- fait. Moins occupé de mon propre danger que de celui que l’affabilité de ce bon seigneur lui faisait courir, je me hâtai de le tirer de là, pour le mener, I malgré le froid qu’il faisait encore, à mon donjon ; tout ouvert et sans cheminée. Quand il y fut, je j lui dis la raison qui m’avait engagé à l’y conduire r j il la redit à madame la maréchale; et l’un et l’autre me pressèrent, en attendant qu’on referait mon plancher, d’accepter un logement au château, ou, si je l’aimais mieux, dans un édifice isolé au i milieu du parc, et qu’on appelait le petit château. Celte demeure enchantée mérite qu’on en parle. Le parc ou jardin de Montmorenci n’est pas en j plaine comme celui de la Chevrette. 11 est inégal, montueux, mélé de collines et d’enfoncemens, dont l’hab.'le artiste a tiré parti pour varier les bosquets, les ornemens, les eaux, les points de vue, et multiplier, pour ainsi dire, à force d’art et de génie, un espace en lui-méme assez resserré. Ce parc est couronné dans le haut par la terrasse et le château ; dans le bas il forme une gorge qui s’ s’élargit vers la vallée, et que remplit une grande pièce d’eau. Entre l’orangerie qui occupe cet élargisse- j ment, et cette pièce d’eau entourée de coteaux bien i décorés, de bosquets et d’arbres, est le petit château dont j’ai parlé. Cet éditiceetle terrain qui l’entoure, appartenaient jadis au célèbre Le Brun, qui se plutà le bâtir et décorer avec ce goût exquis d’ornemens et d’architecture dont ce grand peintre s’était nourri Ce château depuis lors a été rebâti, mais toujours sur le dessin du premier maître. 11 est petit, simple, mais élégant. Comme il est dans un fond, entre le PARTIE II, LIVRE X. 351 bassin de l’orangerie et la grande pièce d’eau, par conséquent sujet à l’humidité, on l’a percé dans son milieu d’un péristyle à jour, entre deux étages de colonnes, par lequel l’air, jouant dans tout l’édifice, le maintient sec malgré sa situation. Quand on regarde ce bâtiment de la hauteur opposée qui lui fait perspective, il paraît absolument environné d’eau, et l’on croit voir une île enchantée , ou la plus jolie des trois îles Borromées, appelée Isola btlla, dans le lac Major. Ce fut dans cet édifice solitaire qu’on me donna le choix des quatre appartemens complets qu’il contient , outre le rez-de-chaussée composé d’une salle de bal, d’une salle de billard et d’une cuisine. Je pris le plus petit et le plus simple, au-dessus de la cuisine, que j’eus aussi. Il était d’une propreté charmante , l’ameublement en était blanc et bleu. C’est dans cette profonde et délicieuse solitude, qu’au milieu des bois et des eaux, aux concerts des oiseaux de toute espèce , au parfum de la fleur d’orange, je composai dans une continuelle extase, le cinquième livre de l’Émile, dont je dus en grande partie le coloris assez frais à l’impression du local où je l’écrivais. Avec quel empressement je courais tous les matins, au lever du soleil, respirer un air embaumé sur le péristyle ! Quel bon café au lait j’y prenais tête à tête avec ma Thérèse ! Ma chatte et mon chien nous faisaient compagnie. Ce seul cortège m’eût suffi pour toute ma vie, sans éprouver jamais un moment d’ennui. J’étais là dans le Paradis terrestre; j’y vivais avec autant d’innocence, et j’y goûtais le même bonheur. Au voyage de juillet, M. et madame de Luxembourg me marquèrent tant d’attentions, et me firent 55a, LES CONFESSIONS. tant de caresses, que, logé chez eux et comblé de leurs bontés, je ne pus moins faire que d’y répondre en les voyant assidûment. Je ne les quittais presque point j’allais le matin faire ma cour à madame la maréchale, j’y dînais ; j’allais l’après- midi me promener avec M. le maréchal , mais je n’y soupais pas, à cause du grand monde, et qu’on y soupait trop tard pour moi. Jusqu’alors tout était convenable , et il n’y avait point de mal encore , si j’avais su m’en tenir là. Mais je n’ai jamais su garder un milieu dans mesattachemens, et remplir simplement des devoirs de société j’ai toujours été tout ou rien. Bientôt je fus tout; et me voyant fêté, gâté par des personnes de cette considération, je passai les bornes, et me pris pour eux d’une amitié qu’il n’est permis d’avoir que pour ses égaux. J’en mis toute la familiarité dans mes manières, tandis qu’ils ne se relâchèrent jamais, dans les ' leurs, de la politesse à laquelle ils m’avaient açcou- ; tumé. Je n’ai pourtant jamais été très à mon aise avec madame la maréchale. Quoique je ne fusse pas parfaitement rassuré sur son caractère , je le redoutais moins que son esprit ; c’était par là surtout qu’elle m’en imposait. Je savais qu’elle était difficile en conversations, et qu’elle avait droit de l’être; je savais que les femmes, et surtout les grandes dames, veulent absolument être amusées, qu’il vaudrait mieux les offenser que de les ennuyer; et je jugeais, par ses commentairessurce qu’avaient dit les gens qui venaient de partir, de ce qu’elle devait penser de mes balourdis s. Je m’avisai d’un ! supplément pour me sauver auprès d’elle l’embarras j de parler ce fut de lire. Elle avait ouï parler de la Julie ; elle savait qu’on l’imprimait; elle marqua de l’empressement de voir cet ouvrage; j’olfris de le PARTIE II , LIVRE X. 355 lui lire; elle accepta. Tous les matins je me rendais chez elle sur les dix heures ; M. de Luxembourg y venait on fermait la porte. Je lisais à côté de son lit, et je compassai si bien mes lectures, qu’il yen aurait ctipour tout le voyage, quand même il n’aurait point été interrompu i . Le succès de cet expédient passa mon attente. Madame de Luxembourg s’engoua de la Julie et de son auteur; elle 11e parlait que de moi, ne s’occupait que de moi, me disait des douceurs toute la journée, m’embrassait dix fois le jour. Elle voulut que j’eusse toujours ma place à table à côté d’elle , et quand quelques seigneurs voulaient prendre cette place , elle leur disait que c’était la mienne, et les faisait mettre ailleurs. On peut juger de l’impression que ces manières charmantes faisaient sur moi, que les moindres marques d’affection subjuguent. Je m’attachais réellement à elle, à proportion de l’attachement qu’elle me témoignait. Toute nia crainte, en voyant cet engouement, et me sentant si peu d’agrément dans l’esprit pour le soutenir, était qu’il ne se changeât en dégoût; et, malheureusement pour moi, cette crainte 11e fut que trop bien fondée. Il fallait qu’il y eût une opposition naturelle entre son tour d’esprit et le mien, puisque indépendamment des foules de balourdises qui m’échappaient à chaque instant dans la conversation, dans mes lettres même, et lorsque j’étais le mieux avec 1 perte d’une grandè bataille * * , qui affligea beaucoup le roi, força M. de Luxembourg de retourner précipitamment à la cour. * La désastreuse'bataille de TMiuden , perdue le t août 1759 par le njai ccba! de Coûtai!es. 554 LES CONFESSIONS. ! elle, il se trouvait des choses qui lui déplaisaient, sans que je pusse imaginer pourquoi. Je n’en ci- terai qu’un exemple , et j’en pourrais citer vingt. , Elle sut que je faisais pour madame d’Houdetot j une copie de VHéloïse à tant la page elle en voulut I avoir une sur le même pied. Je la lui promis ; et, la mettant par là du nombre de mes pratiques, je lui écrivis dans une de mes lettres quelque chose d’obligeant et d’honnête à ce sujet ; du moins [ telle était mon intention. Voici sa réponse , qui me fit tomber des nues Liasse C, n". Ifù . \ A Versailles, ce mardi. Je suis ravie, je suis contente ; votre lettre m’a fait un plaisir infini, et je me presse pour vous le mander et pour vous en remercier. Voici les propres termes de votre lettre Quoique vous soÿez sûrement une très-bonne pratique, je me fais quelque peine de prendre votre ar- gent régulièrement ce serait à moi de payer I le plaisir que j’aurais de travailler pour vous. Je ne vous en dis pas davantage. Je me plains de ce que vous ne me parlez jamais de t votre santé. Rien ne m’intéresse davantage. Je vous aime de tout mon cœur; et c’est, je vous assure , bien tristement que je vous le mande, car j’aurais bien du plaisir à vous le dire moi- même. M. de Luxembourg vous aime et vous embrasse de tout son cœur. » En recevant cette lettre , je me hâtai d’y répondre , en attendant plus ample examen, pour protester contre toute interprétation désobligeante, et, après m’être occupé quelques jours à cet examen avec l'inquiétude qu’on peut concevoir, et partie n, livre x. 355 ' toujours sans y rien comprendre , voici quelle fut enfin ma dernière réponse à ce sujet ! A Montmorenci, le 8 décembre 1759 s Depuis ma dernière lettre, j’ai examiné cent et cent fois le passage en question. Je l’ai con- 1 sidéré par son sens propre et naturel ; je l’ai considéré par tous les sens qu’on peut lui don- ner, et je vous avoue, madame la maréchale , que je ne sais plus si c’est moi qui vous dois des excuses, ou si ce n’est point vous qui m’en I devez. » 1 11 y a maintenant dix ans que ces lettres ont 1 été écrites. J’y ai souvent repensé depuis ce temps- i i là; et telle est encore aujourd’hui ma stupidité sur cet article, que je n’ai pu parvenir à sentir ce qu’elle avait pu trouver dans ce passage , je ne dis , pas d’offensant, mais même qui pût lui déplaire. A propos de cet exemplaire manuscrit de l'IIé- ’ toïse que voulut avoir madame de Luxembourg, ’ je dois dire ici ce que j’imaginai pour lui donner quelque avantage marqué qui le distinguât de tout autre. J’avais écrit à part les Aventures de milord i Édouard, et j’avais balancé long-temps à les in- 1 sércr, soit en entier, soit par extrait, dans cet 1 ouvrage , où elles paraissent manquer. Je me déterminai enfin à les retrancher tout-à-fait, paree i que, n’étant point du ton de tout le reste, elles en auraient gâléla touchante simplicité. J’eus une autre raison bien plus forte quand je connus madame de Luxembourg. C’est qu’il y avait dans ces aventures une marquise romaine d’un caractère très- odieux, dont quelques traits, sans lui être applicables , auraient pu lui être appliqués par ceux qui 35G LES CONFESSIONS, lie la connaissaient que de réputation. Je me fêle citai donc beaucoup du parti que j’avais pris, et m’y confirmai. Mais, dans l’ardent désir d’enrichir son exemplaire de quelque chose qui ne fût dans aucun autre, n’allai-je pas songer à ces mal- licureuses Aventures, et former le projet d’en faire l’extrait, pour l’y ajouter? Projet insensé, dont on ne peut expliquer l’extravagance que par fin* vincible fatalité qui m’entraînait à ma perte! Quos vult perdere Jupiter dementat. J’eus la stupidité de faire cet extrait avec bien du soin, bien du travail, et de lui envoyer ce morceau comme la plus belle chose du monde ; en la prévenant, comme il était vrai, que j’avais brûlé l’original, que l’extrait était pour elle seule , et ne serait jamais vu de personne, à moins qu’elle ne le montrât elle-même ; ce qui, loin de lui prouver ma prudence et ma discrétion, comme je croyais faire , n’était que l’avenir du jugement que je portais moi-même sur l’application des traits dont elle aurait pu s'offenser. Mon imbécillité fut telle , que je ne doutais pas qu’elle ne fût enchantée de mon procédé. Elle ne me fit pas là-dessus les grands complimens que j’en attendais, et jamais, à ma très-grande surprise, elle ne me parla du cahier que je lui avais envoyé. Pour moi, toujours charmé de ma conduite dans cette affaire, ce ne fut que long-temps après que je jugeai sur d’autres indices, de l’effet qu’elle avait produit. J’eus encore, en faveur de son manuscrit, une autre idée plus raisonnable, mais qui, par des effets plus éloignés, ne m’a guère été plus avantageuse ; tant tout concourt à l’œuvre de ta destinée quand elle appelle un homme au malheur! Je ïhvtie n, mm x. Sâj pensai d’orner ce manuscrit des dessins des estampes de la Julie, lesquels dessins se trouvèrent être du même format que le manuscrit. Je demandai à Coindet ces dessins, qui m’appartenaient à toutes sortes de titres , et d’autant plus que je lui avais abandonné le produit des planches, lesquelles eurent un grand débit. Coindet est aussi rusé que je le suis peu. A force de se faire demander ces dessins, il parvint à savoir ce que j’en voulais faire. Alors, sous prétexte d’ajouter quelques orne- mens à ces dessins , il se les fit laisser, et finit par les présenter lui-même. Ego versiculos fcci, tulit aller honores. Cela acheva de l’introduire à l’hôtel de Luxembourg sur un certain pied. Depuis mon établisse- men t au petit château,il m’y venait voir très-souvent, et toujours dès le matin , surtout quand M. et madame de Luxembourg étaient à Montmorenci. Cela faisait que, pour passer avec lui la journée, je n’allais point au château. On me reprocha des absences ; j’en dis la raison. On me pressa d’amener M. Coindet, je le fis c’était ce que le drôle avait cherché. Ainsi, grâces aux bontés excessives qu’on avait pour moi, un commis de M. Thëlusson , qui voulait bien lui donner quelquefois sa table quand il n’avait personne à dîner, se trouva tout d’un coup admis à celle d’un maréchal de France, avec les princes , les duchesses, et tout ce qu’il y avait de grand à la cour. Je n’oublierai jamais qu’un jour, qu’il était obligé de retourner à Paris de bonne heure, M. le maréchal dit après le dîner à la compagnie Allons nous promener sur le chemin de Saint-Denis, nous accompagnerons M. Coindet. Le pauvre garçon n’y tint pas ; sa tête s’en alla LES CONFESSIONS. tout-à-fait. Pour moi, j’avais le cœur si ému, que je ne pus dire un seul mot. Je suivais par derrière , pleurant comme un enfant, et mourant d’envie de baiser les pas de ce bon maréchal mais la suite de cette histoire de copie m’a fait anticiper ici sur les temps. Reprenons-les dans leur ordre, autant que ma mémoire me le permettra. Sitôt que la petite maison de Mont-Louis fut prête, je la fis meubler proprement, simplement, et retournai m’y établir , ne pouvant renoncer â cette loi que je m’étais faite en quittant l’Hermi- tage d’avoir toujours mon logement à moi; mais je ne pus me résoudre non plus à quitter mon appartement du petit château. J’en gardai la clef, et, tenant beaucoup aux jolis déjeunés du péristyle , j’allais souvent y coucher, et j’y passais quelquefois deux ou trois jours, comme à que maison de campagne. J’étais peut-être alors le particulier de l’Europe le mieux et le plus agréablement logé. Mon hôte, M. Mathas, qui était le meilleur homme j du monde, m’avait absolument laissé la direction des réparations de Mont-Louis, et voulut que je disposasse de ses ouvriers, sans même qu’il s’en j mêlât. Je trouvai donc le moyen de me faire d’une seule chambre au premier un appartement complet, composé d’une chambre, d’une anti-chambre et d’une garde-robe. Au rez-de-chaussée était la cuisine et la chambra de Thérèse. Le donjon nie servait de cabinet, au moyen d'une bonne cloison vitrée, et d’une cheminée qu’on y fit faire. Je m’amusai, quand j’y fus, à orner la terrasse qu’ombrageaient déjà deux rangs de jeunes tilleuls; j’y en fis ajouter deux pour faire un cabinet de ver- i dure ; j’y fis poser une table et des bancs de pierre ; je l’entourai de filas, de seringat, de chèvre-feuille ; ' PARTIE II , LIVRE X. 55, et jugez de l’incroyable modération d’un cœur de femme qui peut n’avoir pas plus de ressentiment d’une pareille lettre que cette réponse 11’eu laisse paraître, et qu’elle ne m’en a jamais témoigné. Coindet,entrant, hardi jusqu’à l’effronterie ,et qui se tenait continuellement à l’affût de tous mes amis , ne tarda pas à s’introduire en mon nom chez madame de Verdelin, et y l'ut bientôt, à mou 354 IES CONFESSIONS, insçu, plus familier que moi-même. C’était um singulier corps que ce Coindet. 11 se présentait de ma part chez toutes mes connaissances, s’y établissait , y mangeait sans façon. Transporté de zèle pour mon service, il ne parlait jamais de moi que les larmes aux yeux; mais quand il me venait voir, il gardait le plus profond silence sur toutes ces liaisons et sur tout ce qu’il savait devoir m’intéresser. Au lieu de me dire ce qu’il avait appris, ou dit, ou vu qui m'intéressait, il m’écoutait, m’interrogeait même. 11 ne savait jamais rien de Paris que ce que je lui en apprenais enfin, quoique tout le monde me parlât de lui, jamais il ne me parlait de personne il n’était secret et mystérieux qu’avec son ami. Mais laissons, quant à présent , Coindet et madame de Yerdelin nous y reviendrons dans la suite.. Quelque temps après mon retour à Mont-Louis y La Tour, le peintre, vint m’y voir, et m’apporta; mon portrait en pastel, qu’il avait exposé au salon il y avait quelques années. Il avait voulu me donner ce portrait, que je n’avais pas accepté. Mais madame d’Épinai, qui m’avait donné le sien et qui voulait avoir celui-là, m’avait engagé à le lui redemander. Il avait pris du temps pour le retoucher. Dans cet intervalle vint ma rupture avec madame d’Epinai ; je lui rendis son portrait, et n'étant plus question de lui donner le mien, je le mis dans ma chambre au petit château. M. de Luxembourg l’y vit, et le trouva bien je le lui offris; il l’accepta, je le lui envoyai. Ils comprirent lui et madame la maréchale que je serais bien .aise d’avoir les leurs. Ils les firent faire en miniature de très-bonne main, les firent enchâsser dans une boîte à bonbons de cristal de roche, montée en or, et m’en i ► \ PARTIE II, LIVRE X. 365 firent le cadeau d’une façon très-galante , dont je fus enchanté. Madame de Luxembourg ne voulut jamais consentir que son portrait occupât le dessus de la boîte. Elle m’avait reproché plusieurs fois que j’aiinais mieux M. de Luxembourg qu’elle, et je ne m’en étais point défendu, parce que cela était vrai. Elle me témoigna bien galamment, mais bien clairement, par cette façon de placer son portrait , qu’elle n’oubliait pas cette préférence. Je fis, à peu près dans ce même temps , une,, sottise qui ne contribua pas à me conserver ses bonnes grâces. Quoique je ne connusse point du tout M. de Silhouette, et que je fusse peu porté à l’aimer, j’avais une grande opinion de son administration. Lorsqu’il commença d’appesantir sa main sur les financiers, je vis qu’il n’entamait pas son opération dans un temps favorable ; je n’en fis pas des vœux moins ardens pour son succès ; et, quand j’appris qu’il était déplacé, je lui écrivis, dans mon intrépide étourderie, la lettre suivante,» qu'assurément je n’entreprends pas de justifier. A Moutmorcnci, le a décembre i^5g. . Daignez, Monsieur, recevoir l’hommage d’un solitaire qui n’est pas connu de vous , mais qui vous estime par vostalens, qui vous respecte par votre administration, et qui vous a fait l'honneur de croire qu’elle ne vous resterait pas long-temps. * Ne pouvant sauver l’état qu’aux dépens de la capitale qui l’a perdu, vous avez bravé les cris * des gagneurs d’argent. En vous voyant écraser ces misérables, je vous enviais votre place; en *. vous la voyant quitter sans vous être démenti, ** je vous admire. Soyez content de vous, Monsieur, . IES CONFESSIONS. 566 elle vous laisse un honneur dont vous jouirez long-temps sans concurrent. Les malédictions des fripons sont la gloire de l’homme juste. » Madame de Luxembourg, qui savait que j’avais écrit cette lettre, m’en parla au voyagede Pâques; je la lui montrai elle en souhaita une copie; je la lui donnai mais j’ignorais en la lui donnantqu’elleétait un de ces gagneurs d’argent qui s’intéressaient aux sous-fermes, et qui avaient fait déplacer Silhouette. On eût dit, à toutes mes balourdises, que j’allais excitant à plaisir la haine d’une femme aimable et puissante, à laquelle , dans le vrai, je m’attachais davantage de jour en jour, et dont j’étais bien éloigné de vouloir m’attirer la disgrâce, quoique je tisse, à force de gaucheries, tout ce qu’il fallait pour cela. Je crois qu’il est assez superflu d'avertir que c’est à elle que se rapporte l’histoire de l’opiat de M. Trouchin, dont j’ai parlé dans ma première partie l’autre dame était madame de Mirepoix. Elles ne m’en ont jamais reparlé, ni fait le moindre semblant de s’en souvenir ni l’une ni l’autre; mais de présumer que madame de Luxembourg ait pu l’oublier réellement, c’est ce qui me paraît bien difficile, quand même on ne saurait rien des évé- nemens subséquens. Pour moi je m’étourdissais sur l’effet de mes bêtises, par le témoignage que je me rendais de n’en avoir fait aucune à dessein de l’offenser comme si jamais femme en pouvait pardonner de pareilles, même avec la plus parfaite certitude que la volonté n’y a pas eu la moindre part. Cependant, quoiqu’elle parût ne rien voir, ne rien sentir, et que je ne trouvasse encore ni diminution dans son empressement, ni changement dans ses manières, la continuation, l’augmenta- PARTI* Il , X. 3l5“ tion mène d’un pressentiment trop bien fondé me faisait trembler sans cesse que l'ennui ne succédât bientôt à cet engouement. Pouvais-je attendre d’une si grande dame une constance à l’épreuve de mon peu d’adresse à la soutenir? Je ne savais pas même lui cacher ce pressentiment sourd qui m’inquiétait, et 11e me rendait que plus maussade. On eu jugera par la lettre suivante, qui contient une bien singulière prédiction. N. B. Cette lettre, sans date dans mon brouillon , est du mois d’octobre 1710 au plus tard. Que vos bontés sont cruelles ! Pourquoi trou- hier la paix d’un solitaire, qui renonçait aux plaisirs de là vie pour n’en plus sentir les ennuis? J’ai passé mes jours à chercher en vain des atla- cheniens solides. Je n’en ai pu former dans les conditions auxquelles je pouvais atteindre ; est-ce 0 dans la vôtre que j’en dois chercher? L’ambition ni l’intérêt ne me tentent pas, je suis peu vain, a peu craintif; je puis résister à tout, hors aux caresses. Pourquoi m’attaquez-vous tous deux par un faible qu’il faut vaincre , puisque , dans la distance qui nous sépare, les épanchemens 0 des cœurs sensibles 11e doivent pas rapprocher le mien de vous? La reconnaissance sullira-t-clle pour un cœur qui ne connaît pas deux manières de se donner, et ne se sent capable que d'ami- tié ? D’amitié, madame la maréchale ! Ah! voilà mon malheur! Il est beau à vous, à SL le rnaré- clial, d’employer ce terme mais je suis insensé devons prendre au mol. Vomvousjouez , moi je m'attache; et la fin du jeu me prépare de nou- veaux regrets. Que je hais tous vos titres, et que je vous plains de les porter ! Vous ma semblez si dignes de goûter les charmes de la vie privée ! 2. 16 IES CONFESSIONS. 3G8 Que n’habitez-vous Clarens ! J’irais y chercher i le bonheur de ma vie mais le château de Jlont- morenci ! mais l’hôtel de Luxembourg ! Est-ce là qu’on doit voir ? Est-ce là qu’un ami de l’égalité doit porter les affections d’un coeur sensible qui , payant ainsi l’estime qu’on lui témoigne, croit rendre autant qu’il reçoit? Vous êtes bonne et sensible aussi; je le sais , je l’ai vu; j’ai regret de n’avoir pu plus tôt le croire mais dans le rang où vous êtes, dans votre manière t de vivre, rien ne peut faire une impression durable, et tant d’objets nouveaux s’effacent mutuellement , qu’aucun ne demeure. Vous * m’oublierez, madame, après m’avoir mis hors d’état de vous imiter. Vous aurez beaucoup fait y o et que , quand elle serait faite, on la débitât soit à Paris, soit où l’on voudrait, attendu que ce débit ne me reaixlait pas. Voilà exactement ce qui fut convenu entre madame de Luxembourg et moi, après quoi je lui remis mon manuscrit. Elle avait amené à ce voyage sa petite-fdle, mademoiselle de Boufllers, aujourd’hui madame la duchesse de Lauzuti. Elle s’appelait Amélie. C’était une charmante personne. Elle avait vraiment une figure , une douceur, une timidité de vierge. Rien de plus aimable et de plus intéressant que sa figure, rien de plus tendre et de plus chaste que les sentimens qu’elle inspirait. D’ailleurs, c’était un enfant; elle n’avait pas onze ans. Madame la maréchale, qui la trouvait trop timide, faisait sesetlorls pour ranimer. Elle me permit plusieurs fois do lui donner un baiser; ce que je fis avec ma maussaderie ordinaire. Au lieu des gentillesses qu’un autre eût dites à ma place, je restais là muet, interdit ; et je ne sais lequel était le plus honteux de la pauvre petite ou de moi. Un jour je la rencontrai seule dans l’escalier du petit château elle venait de voir Thérèse, avec laquelle sa gouvernante était encore. Faute de savoir que lui dire, je lui proposai un baiser que , dans l’innocence de son cœur , elle ne refusa pas, en ayant reçu un le matin môme par l’ordre de sa grand-maman, et en sa présence. Le lendemain , lisant l 'Emile an chevet de madame la maréchale, je tombai pré-» cisément sur un passage où je censure avec raison ce que j’avais fait la veille. Elle trouva la réllcxion très-juste, et dit là-dessus quelque chose de fort, sensé qui me lit rougir. Que je maudis mon in - , croyable bêtise, qui m’a si souvent donné l’air vül et coupable quand je n’étais que sot et embarras»^ PARTIE II, X. 1 bêtise qu’on prend même pour une fausse excuse dans un homme qu’on sait n’être pas sans esprit. Je puis jurer que, dans ce baiser si répréhensible, ainsi que dans tous les autres, le cœur et les sens de mademoiselle Amélie n’étaient pas plus purs que les miens ; et je puis jurer même que si, dans ce moment, j’avais pu éviter sa rencontre , je l’aurais fait ; non qu’elle ne me fît grand plaisir à voir, mais par l’embarras de trouver en passant quelque mot agréable à lui dire. Comment se peut- il qu’un enfant même intimide un homme que le pouvoir des rois n’a pas effrayé ? Quel parti prendre ? Comment se conduire , dénué de tout impromptu dans l’esprit ? Si je me force à parler aux gens que je rencontre, je dis une balourdise infailliblement si je ne dis rien, je suis un misanthrope, un animal farouche, un ours. Une totale imbécillité m’eût été bien plus favorable mais les talens dont j’ai manqué dans le monde ont fait les inslrumens de ma perte des talens que j’eus à part moi. A la fin de ce même voyage, madame de Luxembourg fit une bonne oeuvre à laquelle j’eus quelque part. Diderot ayant très - imprudemment offensé madame la princesse deRobcck, fille de M. de Luxembourg, Palissot, qu’elle protégeait, la vengea par la comédie des philosophes , dans laquelle je fus tourné en ridicule, et Diderot extrêmement maltraité. L’auteur m’y ménagea davantage , moins je pense, à cause de l’obligation qu’il m’avait, que de peur île déplaire au père de sa protectrice, dont il savait que j’étais aimé. Le libraire Duchesne , qu’alors je ne connaissais point du tout, m’envoya cette pièce quand elle fut imprimée ; et je soupçonne que ce fut par l’ordre de Palissot qui crut peut-être que je verrais avec plaisir 3?2 IES COKFESSIOKS. déchirer un homme avec lequel j’avais rompu. lise trompa forl. En rompant avec Diderot, que je savais moins méchant qu’indiscret et faible, j’ai toujours conservé dans l’âme de l’attachement pour lui, même de l’estime et du respect pour notre ancienne amitié , que je sais avoir été long-temps aussi sincère de sa part que de la mienne. C’est tout autre chose avec Grimm, homme faux par caractère , qui ne m’aima jamais, qui n’est pas même capable d’aimer, et qui, de gaieté de cœur, sans aucun sujet de plainte, et seulement pour contenter sa noire jalousie , s’est fait, sous le masque, mon plus cruel calomniateur. Celui-ci n’est plus rien pour moi ; l’autre sera toujours mon ancien ami. Mes entrailles s’émurent à la vue de cette odieuse pièce je n’en pus supporter la lecture; et, sans l’achever , je la renvoyai à Duchesne avec la lettre suivante. f A Montmorenci, le 21 mai 1760. En parcourant, Monsieur, la pièce que vous m’avez envoyée, j’ai frémi de .m’y voir loué. » Je n’accepte point cet horrible présent. Je suis persuadé qu’en me l’envoyant vous n’avez pas voulu me faire une injure ; mais vous ignorez ou vous avez oublié que j’ai eu l’honneur d’être l’ami d’un homme respectable , indignement noirci et calomnié dans ce libelle. » Cette lettre courut. Diderot, qu’elle aurait dû ^ toucher, s’en dépita. Son amour-propre ne put me pardonner la supériorité d’un procédé géné- reux; et je sus que sa femme se déchaînait partout i contre moi, avec une aigreur qui m’affectait peu, sachant qu'elle était connue de tout le monde pour . une hurengère. > PARTIE II, LIVRE X. Z^Ô Diderot, à son tour, trouva un vengeur dans l’abbé Morellet qui lit contre Palissot un petit écrit imité du Petit prophète , et intitulé la Vision. Il offensa très-imprudemment dans cet écrit madame de Ko bec k , dont les amis le firent mettre à la Bastille car pour elle , naturellement peu vindicative, et pour lors mourante, je suis persuadé qu’elle ne s’en mêla pas. D’Alembert, qui était fort lié avec l’abbé Morellet, m’écrivit pour m’engager à prier madame de Luxembourg de solliciter son élargissement, lui promettant en reconnaissance des louanges dans VEncyclopédie i voici ma réponse. Je n’ai pas attendu votre lettre , Monsieur, pour témoigner à madame lamaréchale de Luxein- bourg la peine que mefaisait la détention de l’abbé Morellet. Elle sait l’intérêt que j’y prends, elle saura celui que vous y prenez ; etil lui suffirait, pour y prendre intérêt elle-même, de savoir que » c’est un homme de mérite. Au surplus, quoi- qu’elle et M. le maréchal m’honorent d’une bien- veillance qui fait la consolation de ma vie , et que le nom de votre ami soit près d’eux une recommandation pour l’abbé Morellet, j’ignore jusqu’à quel point il leur convient d’employer en cette occasion le crédit attaché à leur rang, et la considération due à leurs personnes. Je ne suis pas même persuadé que la vengeance en » question regarde madame la princesse de Robeck, t autant que vous paraissez le croire; et, quand cela serait, on ne doit pas s’attendre que le i Cette lettre, avec plusieurs autres, a disparu à l’hôtel de Luxembourg, tandis que mes papiers y étaient en dépôt. Cctle note n’est point au manuscrit autographe. S?4 LES CONFESSIOKS. plaisir de la vengeance appartienne aux pliilo- sophesexclusivement, et que, quand ils voudront être femmes , les femmes seront philosophes. » Je vous rendrai compte de ce que m’aura dit * madame de Luxembourg quand je lui aurai » montré votre lettre. En attendant, je crois la connaître assez pour pouvoir vous assurer d’a- vance que , quand elle aurait le plaisir de con- tribuer à l’élargissement de l’abbé Morellet , elle n’accepterait point le tribut de reconnais- sauce que vous lui promettez dans l 'Encyclo- fêdie , quoiqu’elles’en tînt honorée, parce qu’elle ne fait point le bien pour la louange, mais pour contenter son bon cœur. » Je n’épargnai rien pour exciter le zèle et la commisération de madame de Luxembourg en faveur du pauvre captif ; et je réussis. Elle fit un voyage à Versailles exprès pourvoir M. le comte de Saint-Florentin ; et ce voyage abrégea celui de Monlmorenci , que M. le maréchal fut obligé de quitter en même temps pour se rendre à Rouen , où le roi l’envoyait comme gouverneur de Normandie , au sujet de quelques mouvemens du parlement qu’on voulait contenir. Voici la lettre que m’écrivit madame de Luxembourg le surlendemain de son départ Liasse D , n° 23 . A Versailles, ce mercredi. M. de Luxembourg est parti hier à six heures du matin. Je ne sais pas encore si j’irai- J’attends de ses nouvelles, parce qu’il ne sait pas lui-même combien de temps il y sera. J’ai vu M. de Saint- Florentin , qui est le mieux disposé pour l’abbé Morellet ; mais il y trouve des obstacles dont il * r ÏA6TIE lî, LIVRE X. espère cependant triompher à son premier travail avec le roi, qui sera la semaine prochaine. J’ai demandé aussi en grâce qu’on ne l’exilât point, parce qu’il en était question ; on voulait l’en- voyerà Nanci. Voilà , Monsieur, ce que j’ai pu obtenir ; mais je votfs promets que je ne lais- serai pas M. de Saint-Florentin en repos que l’af- faire ne soit finie comme vous le désirez. Que je vous dise donc à présent le chagrin que j’ai eu de vous quitter sitôt mais je me flatte que vous n’en doutez pas. J e vous aime de tout mon cœur, et pour toute ma vie. » Quelques jours après je reçus ce billet de d’Alem- bert, qui me donna une véritable joie Liasse D , n° 26 . Ce premier août. * Grâce à vos soins, mon cher philosophe, l’abhé * est sorti de la Bastille , et sa détention n’aura point d’autres suites. 11 part pour la campagne, et vous fait, ainsi que moi , mille remercîmens et complimens. Vale , et me ama. L’abbé m’écrivit aussi quelques jours après une lettre de remercîment liasse D, n° 29 , qui 11e me parut pas respirer une certaine effusion de cœur, et dans laquelle il semblait atténuer en quelque sorte le service que je lui avais rendu ; et, à quelque temps de là, je trouvai que d’Alembert et lui m’avaient en quelque sorte, je ne dirai pas supplanté, mais succédé auprès de madame de Luxembourg, et que j’avais perduprès d’elle autant qu’ils avaient gagné. Cependant, je suis bien éloigné de soupçonner l’abbé Morellet d’avoir contribué à ma disgrâce ; je l’estime trop pour cela. Quant à M. d’Alembert, je n’en dis rien ici; j’en reparlerai dans la suite. IIS CONFESSIONS. S r 6 J’eus dans le même temps une autre affaire qui occasionna la dernière lettre que j’ai écriteà ML de Voltaire , lettre dont il a jeté les hauts cris comme d’une insulte abominable, mais qu’il n’a jamais montrée à personne. Je suppléerai ici à ce qu’il n’a pas voulu faire. L’abbé Trublet, que je connaissais un peu, mais que j’avais très-peu vu, m’écrivit, le i 3 juin 1760 liasse D, n” 11 , pour m’avertir que M. Formey, son ami et correspondant, avait imprimé dans son journal ma lettre à M. de Voltaire sur le Désastre de Lisbonne. L’abbé Trublet voulait savoir comment cette impression s’était pu faire, et, dans son tour d’esprit finet et jésuitique, me demandait mon avis sur la réimpression de cette lettre, sans vouloir me dire, le sien. Comme je hais souverainement les ruseurs de cette espèce, je lui fis lesremer- cîmens que je lui devais; mais j’y mis un ton dur qu’il sentit, et qui ne l’empêcha pas de mepateliner encore en deux ou trois lettres, jusqu'à ce qu’il sût tout ce qu’il avait voulu savoir. Je compris bien, quoi qu’en pût dire Trublet , que Formey n’avait point trouvé cette lettre imprimée, et que la première impression en venait de lui. Je le connaissais pour un effronté pillard, qui, sans façon , se faisait un revenu des ouvrages desaulres, quoiqu'il n’y eût pas encore mis l’impudence incroyable dont il usa dans la suite envers moi i. Mais comment ce manuscrit lui était - il parvenu ? C’était-là la question , qui n’était pas difficile à résoudre, mais dont j’eus la simplicité d’être embarrassé. Quoique Voltaire fût honoré par excès dans 1 C’est ainsi qu’il s’est dans la suite approprié l’/ûnûe. Celle noie 11’est point au manuscrit autographe. rülTIE H, LIVRE X. 3^7 cette lettre, comme enfin, malgré ses procédés malhonnêtes, il eût été fondé à se plaindre si je l’avais fait imprimer sans son aveu, je pris le parti de lui écrire à ce sujet. Voici cette seconde lettre, à laquelle il ne fit aucune réponse, et dont, pour mettre sa brutalité plus à l’aise, il fit semblant d’être irrité jusqu’à la fureur A Mcmtmorcnci, le 17 juin 1760. Je ne pensais pas, Monsieur, me retrouver ja- mais en correspondance avec vous. Mais, appre- nant que la lettre que je vous écrivis en 1756 a été imprimée à Berlin, je dois vous rendre compte de ma conduite à cet égard, et je remplirai ce devoir avec vérité et simplicité. Cette lettre, vous ayant été réellement adressée, * n’était point destinée à l’impression. Je la com- * muniquai, sous condition, à trois personnes à qui les droits de l'amitié ne me permettaient pas de rien refuser de semblable, et à qui les mêmes droits permettaient encore moins d’abuser de leur t dépôt, en violant leur promesse. Ces trois per- sonnes sont madame de Chenonceaux, belle- fille de madame Dupin , madame la comtesse d’Houdetot, et un allemand nommé M. Grimm. Madame de Chenonceaux souhaitait que cette let- » tre fût imprimée, et me demanda mon consente- ment pour cela. Je lui dis qu’il dépendait du vôtre. Il vous fut demandé; vous le refusâtes, et il n’en fut plus question. Cependant M. l’abbé Trublet, avec qui je n’ai nulle espèce de liaison, vient de m’écrire, par une attention pleine d’honnêteté, qu’ayant reçu les feuilles d’un jougnal de M. Formey il y avait lu cette même lettre-, avec un avis dans lequel 5;8 Lts CONFESSIONS. * l’éditeur dit, sous la date du a3 octobre î^Jig, qu’il l’a trouvée il y a quelques semaines chez tes libraires de Berlin, et que, comme c’est une de ces feuilles volantes qui disparaissent bientôt sans retour, il a cru lui devoir donner place dans son journal. Voilà, Monsieur , tout ce que j’en sais. Il est très-sûr que, jusqu’ici, Ion n’avait pas même * ouï parler à Paris de cette lettre ; il est très-sûr que l’exemplaire, soit manuscrit, soit imprim^, tombé dans les mains de M. Formey, n’a pu lui venir que de vous, cequin’estpasvraisemblable, ou d’une des trois personnes que je viens de nom- mer. Enfin, il est très-sûr que les deux dames t sont incapables d’une pareille infidélité. Je n’en puis savoir davantage de ma retraite vous avez des correspondances au moyen desquelles il vous serait aisé, si la chose en valait la peine, de remonter à la source, et de vérifier le fait. Dans la même lettre, M. l’abbé Trublet me marque qu’il tient la feuille en réserve, et ne la prêtera point sans mon consentement, qu’assu- rément je ne donnerai pas mais cet exemplaire peut n’êtrepas le seul à Paris. Je souhaite, Mon- sieur, que cette lettre n’y soit pas imprimée, et je ferai de mon mieux pour cela ; mais si je ne pouvais éviter qu’elle le fût, et qu’instruit à temps je pusse avoir la préférence, alors je n’hésiterais pas à la faire imprimer moi-même. Celameparaît juste et naturel. Quant à votre réponse à la même lettre, elle n’a été communiquée à personne, et vous pouvez compter qu'elle ne sera point imprimée sans votre aveu, qu’assurément je n’aurai pas l’indiscrétion * de vous demander, sachant bien que ce qu'un PARTIE II, LIVRE X. homme écrit A un autre il ne l’écrit pas au pu- blic mais si vous en vouliez faire une pour être publiée et me l’adresser, je vous promets de la joindre fidèlement à ma lettre, et de n’y pas ré- pliquer un seul mot. * Je ne vous aime point, Monsieur; vous m’avez fait les maux qui pouvaient m'être les plus sen- sibles, à moi votre disciple et votre enthousiaste. Vous avez perdu Genève pour le prix de l’asile que vous y avez reçu vous avez aliéné de moi mes concitoyens pour le prix des applaudissc- mens que je vous ai prodigués parmi eux ; c’est vous qui me rendez le séjour de mon pays insup- portable ; c’est vous qui me ferez mourir en terre étrangère, privé de toutes les consolations des mourans , et jeté pour tout honneur dans une voirie, tandis que tous les honneurs qu’un homme peut attendre vous accompagneront dans mon pays. Je vous hais enfin , puisque vous l’avez voulu ; mais je vous hais en homme encore plus digne de vous aimer, si vous l’aviez voulu. De tous les sentimens dont mon cœur était pé- » nétré pour vous , il n’y reste que l’admiration qu’on ne peut refuser à votre beau génie, et * l’amour de vos écrits. Si je ne puis honorer en vous que vos talcns, ce n’est pas ma faute je ne manquerai jamais au respect que je leur dois, ni aux procédés que ce respect exige. Adieu, Mon» sieur. » Au milieu de tous ces petits tracas littéraires , qui me confirmaient de plus en plus dans ma résolution, je reçus le plus grand honneur que les lettres m’aient attiré, et auquel j’ai été le plus sensible, dans la visite queM. le prince deConti daigna me faire par deux fois, l’une au petit château , et 58o xes cokfeüsioks. l'autre à Mont-Louis. Il choisit même toutes les deux fois le temps que M. et madame de Luxembourg n’étaient point a Montmoreuci, afin de rendre plus manifeste qu’il n’y venait que pour moi. Je n’ai jamais douté que je ne dusse les premières bontés de ce prince à madame de Luxembourg et à madame de Boufïlers; mais je ne doute pas non plus que je ne doive à ses propres sentimens et à moi- même celles dont il n’a cessé de m’honorer depuis lors 1. Comme mon appartement de Mont-Louis était très-petit, et que la situation du donjon était charmante, j’y conduisis le prince, qui, pour comble de grâces, voulut que j’eusse l’honneur de faire sa partie aux échecs. Je savais qu’il gagnait le chevalier de Lorenzi, qui était plus fort que moi. Cependant, malgré les signes et les grimaces du chevalier et des assistans, que je ne fis pas semblant de voir , je gagnai les deux parties que nous jouâmes. En finissant, je lui dis d’un ton respectueux, mais grave Monseigneur, j’honore trop votre altesse sérenissime pour ne la pas gagner toujours aux * échecs. » Ce grand prince, plein d’esprit et de lumières, et si digne de n’être pas adulé, sentit en effet, du moins je le pense, qu’il n’y avait là que moi qui le traitasse en homme, et j’ai tout lieu de croire qu’il m’en a vraiment su bon gré. Quand il m’en aurait su mauvais gré, je ne me reprocherais pas de n’avoir pas voulu le tromper , et je n’ai pas assurément à me reprocher non plus i Remarquez la persévérance de cette aveugle et stupide confiance au milieu de tous les traiteinens qui devaient le plus m’en désabuser elle n’a cesse que depuis mon retour à Paris en 1770. Note qui manque au manuscrit autographe. rXRTIE II, LIVRE X. 581 d'avoir mal répondu dans mon cœur à scs bontés, mais bien d'y avoir répondu quelquefois de mauvaise grâce, tandisqu’il mettait lui-méme une grâce infinie dans la manière de me les marquer. Peu de jours après il me fit envoyer un panier de gibier, que je reçus comme je devais. A quelque temps de là il m’en fit envoyer un autre; et l'un de ses officiers des chasses écrivit, par son ordre , que c’était de la chasse de son altesse, et du gibier tiré de sa propre main. Je le reçus encore, mais j’écrivis à madame de Bouffiers que je. n’en recevrais plus. Cette lettre fut généralement blâmée , et méritait de l’être. Refuser des présens en gibier d’un prince du sang , qui, de plus, met tant d’honnêteté dans l’envoi, est moins la délicatesse d’un homme fier qui veut conserver son indépendance , que la rusticité d’un mal appris qui se méconnaît. Je n’ai jamais relu cette lettre dans mon recueil sans en rougir, et sans me reprocher de l’avoir écrite. Mais enfin je n’ai pas entrepris mesconfessionspour taire mes sottises , et celle-là me révolte trop moi-même pour qu’il me soit permis de la dissimuler. Si je ne fis pas celle de devenir son rival, il s’en fallut peu car alors madame de Bouffiers était encore sa maîtresse, et je n’en savais rien. Elle me venait voir assez souvent avec le chevalier de Lorenzi. Elle était belle et jeune encore. Elle affectait l’esprit romain, et moi je l’eus toujours romanesque; cela se tenait d’assez près. Je faillis me perdre; je crois qu’elle le vit le chevalier le vit aussi ; du moins il m’en parla , et de manière à ne pas me décourager. Mais pour le coup je fus sage , et il en était temps à cinquante ans. Plein de la leçon que je venais de donner aux barbons , dans ma Lettre à d'Alembert, j’eus honte d’en profiter si mal moi- 38a les confessions. même. D’ailleurs, apprenant ce que j’aVais ignoré, il aurait fallu que la tête m’eût tout à fait tourné , pour porter si haut mes concurrences. Enfin, mal guéri peut-être encore 1e ma passion pour madame d’Houdetot, je sentis que plus rien ne la pouvait remplacer dans mon cœur, et je fis mes adieux à l’amour pour le reste de ma vie. Au moment où j’écrisceci, je viens d’avoir d’une jeuneet belle personne des agaceries bien dangereuses, et avec des yeux bien inquiétans mais si elle a fait semblant d’oublier ma soixantaine, pour moi je m’en suis souvenu. Après m’être tiré de ce pas, je ne crains plus de chutes, et je répons de moi pour le reste de mes jours. Madame de Boulïlers, s'étant aperçue de l’émotion qu’elle m’avait dounée, put s’apercevoir aussi que j’en avais triomphé. Je ne suis ni assez fou ni assez vain pour croire avoir pu lui inspirer du goût à mon âge ; mais, sur certains propos qu’elle tint à Thérèse, j’ai cru lui avoir inspiré de la curiosité. Si cela est, et qu’elle ne m’ait pas pardonné cette curiosité frustrée, il faut avouer que j’étais bien né pour être victime de mes faiblesses , puisque , si l’amour vainqueurmefut si funeste, l’amour vaincu me le fut encore plus. Ici finit le' recueil de lettres qui m’a servi de guide dans ces deux livres. Je ne vais plus marcher que sur la trace de mes souvenirs mais ils sont tels dans cetlc cruelle époque, et la forte impression m’en est si bien restée, que, perdu dans la mer immense de mes malheurs, je ne puis oublier les détails de mon premier naufrage, quoique ses suites ne m’offrent plus que des souvenirs confus. Ainsi je puis marcher encore dans le livre suivant avec assez d’assurance. Si je vais [dus loin , ce ne sera plus qu’en tâtonnant. It, I-VUE XI. LIVRE ONZIÈME. Quoique la Julie, qui depuis long-temps était sous presse, ne parût point encore à la fin de 1760, elle commençait à faire grand bruit. Madame de Luxembourg en avait parlé à la cour, madame d’Houde- tot à Paris. Cette dernière avait même obtenu de moi, pour Saint-Lambert, la permission de la faire lire en manuscrit au roi de Pologne , qui en avait été enchanté. Duclos, à qui je Pavais aussi fait lire, en avait parlé à l’académie. Tout Paris était dans l’impatience de voir ce roman les libraires de la rue Saint-Jacques et celui du Palais-Royal étaient assiégés de gens qui en demandaient des nouvelles. 11 parut enfin, et son succès, contre l’ordinaire , répondit à l’empresscmctit avec lequel il avait été attendu. Madame la dauphine, qui l’avait lu des premières, en parla à M. de Luxembourg comme d’un ouvrage ravissant. Les senlimens furent partagés chez les gens de lettres, mais dans le monde il n’y eut qu’un avis, et lesfemmes surtout s’enivrèrent et du livre et de l’auteur, au point qu’il y en avait peu, même dans les hauts rangs, dont je n’eusse fait la conquête, si je l’avais entrepris, J’ai de cela des preuves rue je ne veux pas écrire, et qui, sans avoir besoin de l’expérience, autorisent mon opinion. II est singulier que ce livre ait mieux réussi en France que dans tout le reste de l’Europe, quoique les Français, hommes et femmes, n’y soient pas fort bien traités. Tout au contraire de mon attente , son moindre succès fut en Suisse, et son plus grand à Paris. L’amitié, l’amour, la vertu, règnent- ils donc à Paris plus quailieurs? Non, sans doute ; a. * 1G CONFESSIONS* .'84 mais il y règne encore ce sens exquis qui transporte le cœur à leur image, et qui nous fait chérir dans les autres les sentimcnspurs, tendres, honnêtes, que nous n’avons plus. La corruption désormais est partout la même il n’existe plus ni mœurs ni vertus en Europe ; mais s’il existe encore quelque amour pour elles , c’est à Paris qu’on doit le chercher 1. Il faut, à travers tant de préjugés et de passions factices , savoir bien analyser le cœur humain pour y démêler les vrais sentimens de la nature. Il faut une délicatesse de tact qui ne s’acquiert que dans l’éducation du grand monde, pour sentir, si j’ose ainsi dire, les finesses de cœur dont cet ouvrage est rempli. Je mets sans crainte sa quatrième partie en parallèle avec la Princesse de Clèves, et je dis que, si ces deux morceaux n’eussent été lus qu’en province, on n’aurait jamais connu tout leur prix. Il ne faut donc pas s’étonner si le jvlus grand succès de ce livre fut à la cour. Il abonde en traits vifs, mais voilés, qui doivent y plaire parce qu’on est plus exercé à les pénétrer. Il faut pourtant ici distinguer encore. Cette lecture n’est assurément pas propre à cette sorte de gens d’esprit qui n’ont que de la ruse, qui ne sont fins que pour pénétrer le mal, et qui ne voient rien du tout où il n’y a que du bien à voir. Si, par exemple, la Julie eût été publiée en certain pays que je pense, je suis sûr que personne n’en eût achevé la lecture, et qu elle serait morte en naissant. J’ai rassemblé la plupart des lettres qui me furent écrites sur cet ouvrage, dans une liasse qui est entre les mains de madame de Nadaillac. Si jamais ce rc- 1 J'écrivais ceci en 1-G9. Cette note n’est point au manuscrit autographe. GAUTIE II , XI. 385 jeueil paraît, on y verra des choses bien singulières , •et une opposition de jugemens qui montre ce que c'est que d’avoir affaire au public. La chose qu’on y a le moins vue, et qui en fera toujours un ouvrage unique, est la simplicité du sujet et la chaîne de l’intérêt, qui y concentré entre trois personnes, se. soutient durant six volumes, sans épisode , sans aventure romanesque , sans méchanceté d’aucune espèce, ni dans les personnages, ni dans les actions. Diderot a fait de grands complimens à l\i- chardson sur la prodigieuse variété de ses tableaux, et sur la multitude de ses personnages. Richardson a en effet le mérite de les avoir tous bien caractérisés; mais, quant à leur nombre, il a cela de commun avec les plus insipides romanciers, qui suppléent à la stérilité de leurs idées à force de personnages et d’aventures. Il est aisé de réveiller l'attention en présentant incessamment et desévénemens inouïs, et de nouveaux visages qui passent comme les figures de la lanterne magique mais de soutenir toujours cette attention sur les mêmes objets, et sans aventures merveilleuses , cela , certainement, est plus difficile; et si, toute chose égale, la simplicité du sujet ajoute à la beauté de l’ouvrage, les romans de Richardson, quoi que M. Diderot en ait pu dire , 11 e sauraient sur cet article entrer en parallèle avec le mien. [Il est mort cependant, je le sais, et j’en sais la cause; mais il ressuscitera. ] Toute ma crainte était qu’à force de simplicité ma marche ne fût ennuyeuse, et que je n’eusse pu nourrir assez Tintétèt pour le soutenir jusqu’au bout. Je fus rassuré par un fait qui seul m’a plus flatté que tous les complimens qu’a pu m’attirer cet ouvrage. 11 parut au commencement du carnaval. Le eol- IES CONFESSIONS. Ô86 porteur le porta à madame la princesse de Tal- mont 1, un jour de bal de l’opéra. Après souper, elle se fit habiller pour y aller, et, en attendant l’heure, elle se mit à lire le nouveau roman. A minuit elle ordonna qu’on mît ses chevaux, et continua de lire. On vint lui dire que ses chevaux étaient mis; elle ne répondit rien. Ses gens, voyant qu’elle s’oubliait, vinrent l’avertir qu'il était deux heures, llien ne presse encore, dit-elle, enlisant toujours. Quelque temps après, sa montre étant arrêtée, elle sonna pour savoir quelle heure il était. On lui dit qu’il était quatre heures. Cela étant, dit-elle , il est trop tard pour aller au bal ; qu’on ôte mes chevaux. Elle se fit déshabiller, et passa le reste de la nuit à lire. Depuis qu’on me raconta ce trait, j’ai toujours désiré de voir madame de Talmont, non-seulement pour savoir d’elle-mème s’il est exactement vrai, mais aussi parce que j’ai toujours cru qu’on ne pouvait prendre un intérêt si vif à l 'Héloïse , sans avoir ce sixième sens, ce sens moral dont si peu de coeurs sont doués, et sans lequel nul ne saurait entendre le mien. Ce qui me rendit les femmes si favorables fut la persuasion où elles furent que j’avais écrit ma propre histoire, et que j’étais moi-même le héros le ce roman. Cette croyance était si bien établie , que madame de Polignac écrivit à madame de Ver- lelin pour la prier de m’engager à lui laisser voir le portrait de Julie. Tout le monde était persuadé ju’on ne pouvait exprimer si vivement des senti- mens qu’on n'aurait point éprouvés, ni peindre i Ce n’est pas elle , c’est une autre dame dont j’ignore le nom ; mais le fait m’a été assuré. partie ii, np xi. 58y ainsi les transports de l’amour que d’après son propre cœur. En cela l’on avait raison, et il est certain que j’écrivis ce roman dans les plus érotiques extases mais on se trompait en pensant qu’il avait fallu des objets réels pour les produire ; on était loin de concevoir à quel point je puis m’enflammer pour des êtres imaginaires. Sans quelques réminiscences de jeunesse et madame d’Houdetot, les amours que j’ai sentis et décrits 11 ’auraient été qu’avec des sylphides. Je ne voulus ni confirmer ni détruire une erreur qui m’était avantageuse. On peut voir dans la préface en dialogue, que je fis imprimer à part, comment je laissai là-dessus le public en suspens. Les rigoristes trouveront que j’aurais dû déclarer la vérité tout rondement pour moi, je ne vois pas ce qui m’y pouvait obliger, et je crois qu’il y aurait eu plus de bêtise que de franchise à cette déclaration faite sans nécessité. A peu près dans le même temps, parut la Paix perpétuelle, dont l’année précédente j’avais cédé le manuscrit à un certain M. de Bastide, auteur d’un journal appelé le Monde, dans lequel il aurait voulu, bon gré mal gré, fourrer tous mes manuscrits. 11 était de la connaissance de M. Duclos, et vint en son nom me presser de lui aider à remplir le Monde. Il avait ouï parler de la Julie, et voulait que je la misse toute entière dans son journal il voulait que j’y misse l'Emile, il aurait voulu que j’y misse le Contrat social, s’il eût su que cet ouvrage existait. Enfin, excédé de ses importunités, je pris, pour m’en délivrer, le parti de lui céder, pour douze louis, mon extrait de la Paix perpétuelle. Notre accord était qu’il s’imprimerait dans son journal; mais sitôt qu’il fut propriétaire LIS CONFESSIONS. 588 do ce manuscrit, il jugea à propos de le faire imprimer à part, avec quelques retranchemçns que le censeur exigea. Qu’eùt-ce été si j’y avais joint mon jugement sur cet ouvrage, dont très-heureusement je ne parlai pas à M. de Bastide, et qui n’entra point dans notre marché? Ce jugement est encore en manuscrit parmi mes papiers. Si jamais il voit le jour, on y pourra connaître combien les plaisanteries et le ton suffisant de Voltaire, à ce sujet, m’ont dû faire rire, moi qui voyais si bien la portée de ce pauvre homme dans les matières politiques dont il se mêlait de parler. Au milieu de mes succès dans le public, et de la faveur des dames, je me sentais déchoir à l’hôtel de Luxembourg, non pas auprès de M. le maréchal, qui semblait même redoubler chaque jour de bontés et d’amitiés pour moi, mais auprès de madame la maréchale. Depuis que je n’avais plus rien à lui lire, son appartement m’était moins ouvert; et, durant les voyages de Montmorenci, quoique je me présentasse assez exactement, je ne la voyais plus guère qu’à table ma place même n’y était plus aussi marquée à côté d’elle. Comme elle ne me l’offrait plus, qu’elle me parlait peu, et que je n’avais pas non plus grand’chose à lui dire, j’aimais autant prendre une autre place, où j’étais plus à mon aise, surtout le soir; car machinalement je prenais peu à peu l’habitude de me placer plus près de 51. le maréchal. A propos du soir, je me souviens d’avoir dit que je ne soupais pas au château, et cela était vrai dans le commencement de la connaissance mais comme M. de Luxembourg ne dînait point, et ne se mettait pas même à table, il arriva de là qu'au bout de plusieurs mois, et déjà très-familier dans sa maison , TARTIE II, 1IVRE XI. 389 je n’avais encore jamais mangé avec lui. Il eut la bonté d’en faire la remarque cela me détermina d’y souper quelquefois, quand il n'y avait pas beaucoup de monde, et je m’en trouvais très-bien, vu qu’on dînait presque en l’air, et comme on dit sur le bout du banc ; au lieu que le souper était très-long, parce qu’on s’y reposait avec plaisir au retour d’une longue promenade ; très-bon, parce que M. de Luxembourg était gourmand ; et très- agréable, parce que madame de Luxembourg en faisait les honneurs à charmer. Sans cette explication , l’on entendrait difficilement la fin d’une lettre de M. de Luxembourg Liasse C, n" 36 , où il me dit qu’il se rappelle avec délices nos promenades, surtout, ajoute-t-il, quand en rentrant les soirs dans la cour, nous n’y trouvions point de traces de roues de carrosses c’est que, comme on passait tous les malins le râteau sar le sable de la cour, pour effacer les ornières, je jugeais, par le nombre de ces traces, du monde qui était survenu dans l’après-midi. Celte année 1761 mit le comble aux pertes continuelles que fit ce bon seigneur depuis que j’avais le bonheur de le voir; comme si les maux que me préparait la destinée eussent dû commencer par l’homme pour qui j’avais le plus d’attachement, et qui en était le plus digne. La première année il perdit sa sœur, madame la duchesse de Villcroi ; la seconde, il perdit sa fille, madame la princesse de RobccL ; la troisième, il perdit dans le duc de Montmorenci son fils unique , et dans le comte de Luxembourg son petit-fils, les seuls et derniers soutiens de sa branche et de son nom. Il supporta toutes ces pertes avec un courage apparent; mais son cœur ne cessa de saigner en dedans tout le 55 toutes ces productions rassemblées me vaudraient au moins, outre ma dépense ordinaire, un capital de huit à dix mille francs, que je voulais placer en rente viagère, tant sur ma tète que sur celle de Thérèse ; après quoi nous irions, comme je l’ai dit, vivre ensemble au fond de quelque, province, sans plus occuper le public de moi, et sans plus m’occuper moi-même d’autre chose que d’achever pai- sihlementma carrière, en continuant de faire autour de moi tout le bien qu’il m’était possible, et d’écrire à loisir les mémoires que je méditais. Tel était mon projet, dont une générosité de Rey, que je ne dois pas taire, vint faciliter encore l’exécution. Ce libraire, dont on me disait tant de mal à Taris, est cependant, de tous ceux avec qui j’ai eu affaire, le seul dont j'aie eu toujours à me louer i. Nous étions à la vérité souvent en querelle sur l’exécution de mes ouvrages ; il était étourdi, j’étais emporté. Mais en matière d’intérêt , et de procédés qui s’y rapportent, quoique je n’aie jamais fait avec lui de traité en forme, je l’ai toujours trouvé plein d’exactitude et de probité. Il est même aussi le seul qu i m’ait avoué franchemen t qu’il I faisait bien ses affaires avec moi, et souvent il m’a dit qu’il me devait sa fortune , en offrant de m’en faire part. Ne pouvant exercer directement avec moi sa gratitude, il voulut me la témoigner au moins dans ma gouvernante, à laquelle il fit une pension viagère de trois cents francs, exprimant dans l’acte que c’était en reconnaisance des avau- 1 Quand j’écrivais ceci , .j’étais bien loin encore d’imaginer , de concevoir et de croire les fraudes que j’ai découvertes ensuite dans les impressions de mes écrits , et dont il a été forcé de convenir. Cette note n’est pas dans le manuscrit autographe. 4o6 co.\rrssioss. tages que je lui avais procurés. Il fit cela de lui à moi, sans ostentation, sans prétention, sans bruit; et, si je n’en avais parlé le premier à tout le monde, personne n’en aurait rien su. Je fus si touché de ce procédé, que depuis lors je me suis attaché à Rey d’une amitié véritable. Quelque temps après il désira de m’avoir pour parrain d’un de sesenfans; j’y consentis, et l’un de mes regrets, dans la situation où l’on m’a réduit, est qu’on m’ait ôté tout moyen de rendre désormais mon attachement utile à ma fdleule et à ses pareils. Pourquoi, si sensible à la modeste générosité de ce libraire , le suis-je si peu aux bruyans cmpressemens de tant de gens haut huppés, qui remplissent pompeusement l’univers du bien qu'ils disent m’avoir voulu aire, et dont je n’ai jamais rien senti ? Est-ce leur » faute ? est-ce la mienne ? Ne sont-ils que vains, ou ne suis-je qu’ingrat ? Lecteur sensé, pesez, décidez; pour moi, je me tais. Cette pension fut une grande ressource pour l’entretien de Thérèse, et un grand soulagement pour moi. Mais, au reste, j’étais bien éloigné d’en tirer un profit direct pour inoi-méme, non plus que de tous les cadeaux qu’on lui faisait. Elle a toujours disposé de tout elle-même. Quand je gardais son argent, je lui en tenais un tidèle compte, sans jamais en mettre un liard à notre commune dépense, même quand elle était plus riche que moi Ce qui est à moi est à nous, lui disais-je, et ce qui est à toi est à toi. Je n’ai jamais cessé de me conduire avec elle selon cette maxime que je lui ai souvent répétée. Ceux qui ont eu la bassesse de m’accuser de recevoir par ses mains ce que je refusais dans les mienne^, jugeaient sans doute de mon cœur par les leurs, et inc connaissaient bien PARTIE II , JLIVRE XI. 4°7 mal. Je mangerais volontiers avec elle le pain qu’elle aurait gagné, jamais celui qu’elle aurait reçu. J’en appelle sur ce point à son témoignage, et dès à présent, et lorsque, selon le cours de nature, elle m’aura survécu. Malheureusement, elle est peu entendue en économie à tous égards, peu soigneuse et fort dépensière, non par vanité ni par gourmandise, mais par négligence uniquement. Nul n’est parfait ici-bas ; et puisqu’il faut que ses excellentes qualités soient rachetées, j’aime mieux qu’elle ait des défauts que des vices, quoique ses défauts nous fassent peut-être encore plus de mal à tous deux. Les soins que j’ai pris pour elle, comme jadis pour maman, de lui accumuler quelque avance qui pût un jour lui servir de ressource, sont inimaginables mais ce furent toujours des soins perdus. Jamais elles n’ont compté ni l’une ni l’autre avec elles-mêmes ; et malgré tous mes elTorts, tout est toujours parti à mesure qu’il est venu. Quelque simplement que Thérèse se mette, jamais la pension de Rey ne lui a suffi pour se nipper, que je n’y aie encore suppléé du mien chaque année. Nous ne sommes pas faits, elle ni moi, pour être jamais riches ; et je ne compte assurément pas cela parmi nos malheurs. Le Contrat social s’imprimait assez rapidement. Il n’en était pas de même de VEmile , dont j’attendais la publication pour exécuter la retraite que je méditais. Ducliesne m’envoyait de temps à autre des modèles d’impression pour choisir; quand j’avais choisi, au lieu de commencer, il m’en envoyait encore d’autres. Quand enfin nous fûmes bien déterminés sur le format, sur le caractère, et qu il avait déjà plusieurs feuilles d’imprimées ; sur- quel* que léger changement que je lis à une épreuve, il 2. * 17 qoS les coxrrssioss. recommença tout; et, au bout de six mois, nous nous trouvâmes moins avancés que le premier jour. Durant tous ces essais, je découvris que l'ouvrage s’imprimaiten France ainsi qu’en Hollande, et qu'il s’en faisait à la fois deux éditions. Que pouvais-je faire? Je n'étais plus le maître de mon manuscrit. Loin d’avoir trempé dans l’édition de France, je m’y étais toujours opposé; mais enfin,puisque cette édition se faisait, bon grc malgrémoi,et puisqu’elle servait de modèle à l’autre, il fallait bien y jeter les yeux et voir les épreuves, pour ne pas laisser estropier et défigurer mon livre. D’ailleurs l’ouvrage s'imprimait tellement de l’aveu du magistrat, que c’était lui qui dirigeait l’entreprise en quelque sorte, qu’il m’en écrivait très souvent, et qu'il me vintvoir même à ce sujet, dans une occasion dont je vais parler à l’instant. Tandis que Duchesne avançait à pas de tortue , Néaulmc, qu’il retenait, avançait encore plus lentement. On ne lui envoyait pas fidèlement les feuilles à mesure qu’elles s’imprimaient. Il crut apercevoir de la mauvaise foi dans la manœuvre de Duchesne, c’est-à-dire de Gui, qui faisait pour lui; et, voyant qu’on n’exécutait pas le traité , il m’écrivait lettres sur lettres pleines de doléances et de griefs auxquels je pouvais encore moins remédier qu’à ceux que j’avais pour moi-même. Son ami Guérin , qui me voyait alors fort souvent, me parlait incessamment de ce livre, mais toujours avec la plus grande réserve. Il savait et ne savait pas qu’on l’imprimait en France ; il savait et ne savait pas que le magistrat s’en mêlât en me plaignant des embarras qu’allait me donner ce livre, il semblait m’accuser d'imprudence, sans vouloir jamais dire en quoi elle consistait; il biaisait et tergiversait sans cesse; il sent- PARTIE II , LIVRE XI. blait ne parler que pour me l'aire ixuler. Ma sécurité pour lois était si complète, que je riais du ton circonspect et mystérieux qu’il mettait à cette affaire, comme d’un tic contracté chez les magistrats et chez les ministres, dont il fréquentait assez les bureaux. Sûr d’être en règle à tous égards sur cet ou vrage, fortement persuadé qu’il avait non-seulement l’agrément et la protection du magistrat, mais même qu’il méritait et qu’il avait de même la faveur du ministère, je me félicitais de mon courage à bien faire, et je riais de mes pusillanimes amis qui paraissaient s’inquiéter pour moi. Duclos fut de ce nombre; et j’avoue que ma confiance en sa droiture et en ses lumières eût pu m’alarmer à son exemple, si j’en avais eu moins dans l’utilité de l’ouvrage et dans la probité de ses patrons. Il me vint voir de chez M. Baille, tandis que l 'Emile était sous presse; il m’en parla je lui lus la Profession- de foi du vicaire savoyard . 11 l’écouta très-paisiblement , et, comme il me parut , avec grand plaisir. Il me dit, quand j’eus fini Quoi, citoyen! cela fait partie d’un livre qu’on imprime à Paris i* Oui, lui dis-je; et l’on devraitl’imprimer au Louvre par ordre du roi. J’en conviens, me reprit-il; mais faites-moi le plaisir de ne jamais dire à personne que vous m’ayez lu ce morceau. Cette frappante manière de s’exprimer ïne surprit sans m’efFrayer. Je savais que Duclos voyait beaucoup M. de Mal- lcsherbcs. J’eus peine à concevoir comment il pensait si différemment que lui sur le même objet. Je vivais à Montmorenci depuis plus de quatre ans, sans y avoir eu tin seul jour de bonne santé. Quoique l'air y soit excellent, les eaux y sont mauvaises, et cela peut très bien être une des causes qui contribuaient à empirer mes maux habituels. Sur la fin cosrrssioxs. 4 o de l’automne 1761, je tombai tout-à-fait malade , et je passai l’hiver entier dans des souffrances presque sans relâche. Le mal physique, augmenté par mille inquiétudes , me les rendit aussi plus sensibles. Depuis quelque temps de sourds et tristes pressentimens me troublaient, sans que je susse à propos de quoi. Je recevais des lettres anonimcs assez singulières, et même des lettres signées qui ne l’étaient guère moins. J’en reçus une d’un conseiller au parlement de Paris, qui, mécontent de la présente constitution des choses, et 11’augurant pas bien des suites, me consultait sur le choix d’un asile à Genève ou en Suisse, pour s’y retirer avec sa famille. J’en reçus une de M. de...., président à mortier au parlement de., lequel me proposait de rédiger pour ce parlement, qui pour lors était mal avec la cour, des mémoires et remontrances, offrant de me fournir tous les documeus et matériaux dont j’aurais besoin pour cela. Quand je souffre je suis sujet à l’humeur j’en avais en recevant ces lettres, j’en mis dans les réponses que j’y lis, refusant tout à plat ce qu’on me demandait. Ce refus n’est assurément pas ce que je me reproche, puisque ces lettres pouvaient être des pièges de mes ennemis 1 , et que ce qu’on me demandait était contraire à des principes dont je voulais moins me départir que jamais mais 1 , pouvant refuser avec aménité, je refusai avec dureté, et voilà en quoi j’eus tort. On trouvera parmi mes papiers les deux lettres dont je viens de parler. Celle du conseiller ne me surprit pas absolument , parce que je pensais , 1 Je savais , par exemple, que le président de.... était fort lié avec les encyclopédistes et les holbacliiens. l'ARTiE II, LIVRE XL 4 11 comme lui et comme beaucoup d’autres, que la constitution déclinante menaçait la France d’un prochain délabrement. Les désastres d’une guerre malheureuse , qui tous venaient de la faute du gouvernement, l’incroyable désordre des finances , les ti- raillemens continuels de l’administration, partagée jusqu’alors entre deux ou trois ministres en guerre ouverte l’un avec l’autre, et qui, pour se nuire mutuellement, abîmaient le royaume; le mécontentement général du peuple et de tous les ordres de l’état; l'entêtement d’une femme obstinée, qui, sacrifiant toujours à ses goûts ses lumières, si tant est qu’elle en eût-, écartait presque toujours des emplois les plus capables , pour placer ceux qui lui plaisaient le plus tout concourait à justifier la prévoyance du conseiller, et celle du public, et la mienne. Cette prévoyance me mit même plusieurs fois en balance si je ne chercherais pas moi-même un asile hors du royaume avant les troubles qui semblaient le menacer mais rassuré par ma petitesse et par mon humeur paisible, je crus que , dans la solitude où je voulais vivre, nul orage ne pouvait pénétrer jusqu’à moi; fâché seulement que, dans cet état de choses, M. de Luxembourg se prêtât à des commissions qui devaient le faire moins bien vouloir dans son gouvernement. J aurais voulu qu’il s’y ménageât à tout événement une retraite , s’il arrivait que la grande machine vînt à crouler , comme cela paraissait à craindre dans l’état actuel des choses ; et il me paraît encore à présent indubitable que, si toutes les rênes du gouvernement ne fussent enfin tombées dans une seule main, la monarchie française serait maintenant aux abois. Tandis que mon état empirait, l’impression de VEinitc se ralentissait, et fut tout-à-fail suspendue, LES CONFESSIONS. 4l 2 sans que j’en pusse apprendre la raison , sans que Gui daignât plus m’écrire ni me répondre , sans que je pusse avoir des nouvelles de personne, ni savoir rien de ce qui se passait, M. de Malesherbes étant pour lors à la campagne. Jamais un malheur, quel qu’il soit, ne me trouble et ne m’abat, pourvu que je sache en quoi il consiste ; mais mon penchant naturel est d’avoir peur des ténèbres je redoute et je hais leur air noir; le mystère m’inquiète toujours, il est par trop antipathique avec mon naturel ouvert jusqu’à l’étourderie. L’aspect du monstre le plus hideux m’effraierait peu, ce me semble ; mais si j’entrevois de nuit une figure sous un drap blanc, j’aurai peur. Voilà donc mon imagination, qu’allumait ce long silence , occupée à me tracer des fantômes. Plus j’avais à cœur la publication de mon dernier et meilleur ouvrage, plus je me tourmentais à chercher ce qui pouvait l’accrocher; et, toujours portant tout à l’extrême, dans la suspension de l’impression du livre, j’en croyais voir l’anéantissement. Cependant, n’en pouvant imaginer ni la cause ni la manière, je restais dans l’incertitude du monde la plus cruelle. J’écrivais lettres sur lettres à Gui, à M. de Malesherbes, à madame de Luxembourg; et, les réponses ne venant point, ou ne venant pas quand je les attendais, je me troublais entièrement, je délirais. Malheureusement j’appris dans ce même temps que le père Gritfet , jésuite , avait parlé de l 'Émile , et en avait même rapporté des passages. A l’instant mon imagination part comme un éclair, et me dévoile tout le mystère d’iniquité j’en vis la marche aussi clairement et aussi sûrement que si elle m’eût été révélée. Je me fourrai dans l’esprit que les jésuites, furieux du ton méprisant sur lequel j’avais parlé des collèges, PARTIE II, 1IVRE XI. s’étaient emparés de mon ouvrage; que c’étaient eux qui en accrochaient l'édition ; qu’instruits par Guérin, leur ami, démon état présent, et prévoyant ma mort prochaine, dont je ne doutais pas ils voulaient retarder l’impression jusqu’alors, dans le dessein de tronquer , d’altérer mon ouvrage , et de me prêter, pour remplir leurs vues, des senti- mens différens des miens. Il est étonnant quelle foule de faits et de circonstances vint dans mon esprit se calquer sur cette folie , et lui donner un air de vraisemblance; que dis-je? et m’y montrer l’évidence et la démonstration. Guérin était totalement livré aux jésuites; je le savais. Je leur attribuai toutes les avances d’amitié qu’il m’avait faites ; je me persuadai qiie c’était par leur impulsion qu’il m’avait si fort pressé de traiter avec Néaulme ; que par ledit Néaulme ils avaient eules premières feuilles de mon ouvrage; qu’ils avaient ensuite trouvé le moyen d’en arrêter l’impression chez Duchesne, et peut-être de s’emparer de mon manuscrit pour y travailler à leur aise, jusqu’à ce que ma mort les laissât libres de le publier travesti à leur mode. J’avais toujours senti, malgré le patelinage du P. Ber- thier, que les jésuites ne m’aimaient pas, non-seulement eomme encyclopédiste, mais parce que mes principes dereligion étaientbeaucoupplus contraires à leurs maximes et à leur crédit que l’incrédulité de mes confrères, puisque le fanatisme athée et le fanatisme dévot, se touchant par leur commune intolérance, peuvent même se réunir, cSinme ils ont fait à la Chine , et comme ils font contre moi ; au lieu que la religion raisonnable et morale , ôtant tout pouvoir humain sur les consciences, ne laisse plus de ressource aux arbitres de ce pouvoir. Je savais que M. le chancelier était aussi fort ami des 4 I LES COSFESSIOSS. jésuites je craignais que le fils , intimidé par le père, ne se vît forcé de leur abandonner l’ouvrage qu’il avait protégé. Je croyais même voir l’effet de cet abandon dans les chicanes que l’on commençait de me susciter sur les deux premiers volumes, où l’on exigeait des cartons pour des riens; tandis que les deux autres volumes étaient, comme on le savait très-bien, remplis de choses si fortes, qu’il eûtfallu les refondre en entier, en les censurant comme les deux premiers. Je savais de plus, et M. de Males- lierbes me le dit lui - même, que l’abbé de Grave , qu’il avait chargé de l’inspection de cette édition, était encore un autre partisan des jésuites. Je ne voyais partout que les jésuites, sans songer qu'à la veille d’être anéantis, et tout occupés de leur propre défense, ils avaient autre chose à faire que d’aller tracasser sur l’impression d’un livre où il ne s’agissait pas d’eux. J’ai tort de dire sans y sonycr, car j’y songeais bien, et c’est même une objection que M. de Rlaleslierbes eut soin de me faire sitôt qu’il fut instruit de ma vision mais par un autre de ces travers d’un homme qui, du fond de sa retraite , veut juger du secret des grandes affaires dont il ne sait rien , je ne voulus jamais croire que les jésuites fussent en danger, et je regardais le bruit qui s’en répandait comme un leurre de leur part pour endormir leurs adversaires. Leurs succès passés, qui ne s’étaient jamais démentis, me donnaient une si terrible idée de leur puissance, que je déplorais déjà l’avilissement du parlement. Je savais que M. de Choiseul avait étudiéchez les jésuites, quemadame de Pompadour n’était point mal avec eux, et que leur ligue avec les favorites et les ministres avait toujours paru avantageuse aux uns et aux autres contre leurs ennemis communs. La cour paraissait PARTIE II , LIVRE XI. /j l 5 ne se mêler de rien ; et, persuadé que si la société recevait un jour quelque rude échec , ce ne serait jamais le parlement qui serait assez fort pour le lui porter, je tirais de cette inaction de la cour l’augure de leur triomphe et le fondement de leur confiance. Enfin, ne voyant dans tous les bruits du jour qu’une feinte et des pièges de leur part , et leur croyant, dans leur sécurité, du temps pour vaquer à tout, je ne doutais pas qu’ils n’écrasassent dans peu le jansénisme, et le parlement, et les encyclopédistes, et tout ce qui n’aurait pas porté leur joug; et qu’enfin, s’ils laissaient paraître mon livre, ce ne fût qu’après l’avoir transformé au point de s’en faire une arme, en se prévalant de mon nom pour surprendre mes lecteurs. Je me sentais mourant; j’ai peine à comprendre comment celte extravagance ne m’acheva pas tant l'idée de ma mémoire déshonorée après moi, dans mon plus digne et meilleur livre , m’était effroyable ; Jamais je n’ai tant craint de mourir; et je crois que si cela me fût arrivé dans ces circonstances, je serais mort désespéré. Aujourd’hui même que je vois marcher sans obstacle à son exécution le plus noir, le plus affreux complot qui jamaisait été tramé contre la mémoire d’un homme , je mourrai beaucoup plus tranquille, certain de laisser dans mes écrits un témoignage de inoi, qui triomphera lût ou tard des complots des hommes. M. de Malesherbes, témoin et confident de mes agitations, se donna pour les calmer des soins qui prouvent son inépuisable bonté de cœur. Madame de Luxembourg concourut à cette bonne œuvre, et fut plusieurs fois chez Duchcsne pour savoir à quoi en était cette édition. Enfin l'impns- sion fut reprise et marcha plus rondement, sans 2. 18 LES COKFESSIOXS. 4l6 que jamais j’aie pu savoir pourquoi elle avait été suspendue. M. de Malesherbes prit la peine de venir à Montmorenci pour me tranquilliser, il en vint à bout; et ma parfaite confiance en sa droiture , l’ayant emporté sur l’égarement de ma pauvre tête, rendit efficace tout ce qu’il'fit pour m’en ramener. Après ce qu’il avait vu de mes angoisses et de mon délire, il était naturel qu’il me trouvât très à plaindre aussi fit-il. Les propos incessamment rebattus de la cabale philosophique qui l’entourait lui revinrent à l’esprit. Quand j’allai vivre à l’Hermi- tage, ils publièrent, comme je l’ai déjà dit, que je n’y tiendrais pas long-temps ; quand ils virent que je persévérais, ils dirent que c’était par obstination, par orgueil, par honte de m’en dédire , mais que je m’y ennuyais à périr, et que j’y vivais très-malheureux. M. de Malesherbes le crut et me l’écrivit ; sensible à cette erreur dans un homme pour qui j’avais tant d’estime, je lui écrivis quatre lettres consécutives, où, lui exposant les vrais motifs de ma conduite , je lui décrivis fidèlement mes goûts, mes penchans, mon caractère, et tout ce qui se passait dans mon cœur. Ces quatre lettres, faites sans brouillon, rapidement, à trait de plume, et sans même avoir été relues, sont peut-être la seule chose que j’aie écrite avec facilité dans toute ma vie; ce qui est bien étonnant au milieu de mes souffrances et de l’extrême abattement où j’étais. Jegé- missais, en me sentant défaillir, de penser que je laissais dans l’esprit des honnêtes gens une opinion de moi si peu juste; et par l’esquisse tracée à la hâte dans ces quatre lettres, je tâchais de suppléer en quelque sorte aux mémoires que j’avais projetés. Ces lettres, qui plurent à M. de Malesherbes, et qu’il montra dans Paris, sont en quelque façon le PARTIE tl, LIVRE XI. 4'7 Sommaire de ce que j’expose ici plus en détail , et méritent à ce titre d’être conservées. On trouvera parmi mes papiers la copie qu’il en fit faire à ma prière, et qu’il m’envoya quelques années après. La seide chose qui m'affligeait désormais, dans l’opinion de ma mort prochaine , était de n’avoir aucun homme lettré de confiance entre les mains duquel je pusse déposer mes papiers, pour en faire après moi le triage. Depuis mon voyage de Genève je m’étais lié d’amitié avec Moultou; j’avais de l’inclination jeune homme, etj’aurais désiré qu’ilvîntme fermer les yeux; je lui marquai ce désir , et je crois qu’il aurait fait avec plaisir cet acte d’humanité, si ses affaires et sa famille le lui eussent permis. Privé de cette consolation , je voulus du moins lui marquer ma confiance, en lui envoyant la Profession de foi du Vicaire savoyard avant la publication. Il en fut content, mais il ne me parut pas, dans sa réponse, partager la sécurité avec laquelle j’en attendais pour lors l’effet. Il désira d’avoir de moi quelque morceau que n’eût personne autre. Je lui envoyai une Oraison funèbre du feu duc d’Orléans , que j’avais faite pour l’abbé Darti, et qui ne fut pas prononcée, parce que , contre son attente , ce ne fut pas lui qui en fut chargé. L’impression, après avoir été reprise, se continua, s’acheva même assez tranquillement; et j’y remarquai ceci de singulier, qu’après les cartons qu’on avait sévèrement exigés pour les deux premiers volumes, on passa les deux derniers sans rien dire, et sans que leur contenu fît aucun obstacle à sa publication. J’eus pourtant encore quelque inquiétude que je ne dois point passer sous silence. Après *voir eu peur des jésuites, j’eus peur des jansénistes LES CONFESSIONS. 4i3 et les philosoplies. Ennemi de toutce qui s’appelle parti, l'action, cabale, je n’ai jamais rien attendu de bon des gens qui en sont. Les Commères avaient depuis un temps quitté leur ancienne demeure et s’étaient établis tout à cûté de moi; en sorte que de leur chambre on entendait tout ce qui se disait sur ma terrasse, et que de leur jardin on pouvait très-aisément escalader le petit mur qui le séparait de mon donjon. J’avais fait de ce donjon mon cabinet de travail, en sorte que j’avais une table couverte d’épreuves et de feuilles de VÉmile et du Contrat social ; el, brochant ces feuilles à mesure qu’on me les envoyait, j’avais là tous mes volumes long-temps avant qu’on les publiât. Mon étourderie, ma négligence, ma confiance en M. Mathas, dans le jardin duquel j’étais clos, faisaient que souvent, oubliant de fermer le soir mon donjon , je le trouvais le matin tout ouvert; ce qui ne m’eût guère inquiété si je n’avais cru remarquer du dérangement dans mes papiers. Après avoir fait plusieurs fois cette remarque, je devins plus soigneux de fermer le donjon; la serrure était mauvaise, la clef ne fermait qu’à demi-tour. Devenu plus attentif, je trouvai plusieurs fois un plus grand dérangement encore que quand je laissais tout ouvert. Enfin un de mes volumes se trouva éclipsé pen- dantwn jour et deux nuits, sans qu’il mefùt possible de savoir ee qu’il était devenu jusqu’au matin du troisième jour, que je le retrouvai sur ma table. Je n’eus, ni n’ai jamais eu de soupçon sur M. Mathas ni sur son neveu, M. Dumovdin, sachant qu’ils in’aimaient l’un ot l’autre, et prenant en eux toute confiance. Je commençais d’en avoir moins dans les Commères. Je savais que, quoique jansénistes, ils étaient on quelque liaison avec d’Alembert et PARITE 11, XI. 4 ' 9 logeaient dans lamême maison. Cela me donna quelque inquiétude et me rendit plus attentif. Je retirai mes papiers dans ma chambre, et je cessai tout-à-fait de voir ees gens-là, ayant su d’ailleurs qu’ils avaient fait parade, dans plusieurs maisons, du premier volume de VEmile, que j’avais eu l’imprudence de leur prêter. Quoiqu’ils continuassent d’être mes voisins jusqu’à mon départ, je n’ai plus eu de communication avec eux depuis lors. Le Contrat social parut un mois ou deux avant Y Emile. Rey, dont j’avais toujours exigé qu’il n’introduirait jamais furtivement en France aucun de mes livres, s’adressa au magistrat pour obtenir la permission de faire entrer celui-ci par Rouen, où il fit par mer son envoi. Rey n’eut aucune réponse, ses ballots restèrent à Rouen plusieurs mois, au bout desquels on les lui renvoya après avoir tenté de les confisquer; niais il fit tant de bruit qu’on les lui rendit. Des curieux en tirèrent d’Amsterdam quelques exemplaires qui circulèrent avec peu de bruit. Mauléon, qui en avait ouï parler, et qui même en avait vu quelque chose, m’en parla d’un ton mystérieux qui me surprit, et qui m’eût inquiété même, si, certain d’être en règle à tous égards et de n’avoir nul reproche à me faire, je ne m’étais tranquillisé par ma grande maxime. Je ne doutais pas même que M. de Choiseul, déjà bien disposé pour moi, et sensible à l’éloge que mon estime pour lui m’en avait fait faire dans cet ouvrage, ne me soutînt en cette occasion contre la malveillance de madame de Pompadour. J’avais assurément lieu de compter alors autant que jamais sur les bontés de M. de Luxembourg et sur son appui dans le besoin ; car jamais il ne me donna des marques d’amitié ni plus fréquentes ni LUS COXFrSSIOKS. 4ao plus touchantes. Au voyage de Pâques, mon triste état ne me permettant pas d’aller au château, il ne manqua pas un seul jour de me venir voir ; et enfin, me voyant souffrir sans relâche, il fit tant qu’il me détermina à voir le frère Corne, l’envoya chercher, me l’amena lui-même, et eut le courage, rare certes et méritoire dans un grand seigneur, de rester chez moi durant l’opération , qui fut cruelle et longue. Il n’était pourtant question que d’être sondé ; mais je n’avais jamais pu l’être, même par Morand, qui s’y prit à plusieurs fois et toujours sans succès. Le frère Côme, qui avait la main d’une adresse et d’une légèreté sans égale, vint à bout enfin d’introduire une très petite algalic, après m’avoir beaucoup fait souffrir pendant plus de deux heures, durant lesquelles je m’efforçai de retenir mes plaintes, pour ne pas déchirer le cœur sensible du bon maréchal. Au premier examen, lefrère Côme crut trouver une grosse pierre, et me le dit; au second il ne la trouva plus. Après avoir recommencé une seconde et une troisième fois avec un soin et une exactitude qui me firent trouver le temps fort long, il déclara qu’il n’y avait point de pierre, mais que la prostate était squirreuse et d’une grosseur surnaturelle; il trouva la vessie très-grande et en bon état, et finit parme déclarer que je souffrirais beaucoup et que je vivrais long-temps. Si la seconde prédiction s’accomplit aussi bien que la première, mes maux ne sont pas prêts à finir. C’esîainsiqu’aprèsavoirété traité successivement pendant tant d’années de vingt maux que je n’avais pas, je finis par savoir que ma maladie, incurable sans être mortelle, durerait autant que moi. Mon imagination , réprimée par cette connaissance , ne me fit plus voir en perspective une mort cruelle PARTIE II, LIVRE XI. 4^1 dans les douleurs du calcul. Je cessai de craindre qu’un bout de bougie qui s’était cassé dans l’urètre il y avait long-temps , n’eût fait le noyau d’une pierre. Délivré des maux imaginaires, plus cruels pour moi que les maux réels, j’endurai plus paisiblement ces derniers. Il est constant que depuis ce temps j’ai beaucoup moins souffert de ma maladie que je n’avaisfait jusqu’alors; et je ne me rappelle jamais que je dois ce soulagement à M. de Luxembourg, sans m’attendrir de nouveau sur sa mémoire. Revenu pour ainsi dire à la vie, et plus occupé que jamais du plan sur lequel j’en voulais passer le reste, je n’attendais pour l’exécuter que la publication deVEmile. Je songeais à la Touraine où j’avais déjà été , et qui me plaisait beaucoup tant pour la douceur du climat que pour celle des habitans. - La terra molfe, lieta e diiettosa Simili a se gli abitator produce. Tasse , Ger. Hb. 1, 6 2 . J’avais déjà parlé de mon projet à M. de Luxembourg , qui m’en avait voulu détourner ; je lui en reparlai derechef comme d’une chose résolue. Alors il me proposa le château de Merlou, à quinze lieues de Paris, comme un asile qui pouvait me convenir, et dans lequel ils se feraient l’un et l’autre un plaisir de m’établir. Cette proposition me toucha et ne me déplut pàs. Avant toute chose il fallait voir le lieu; nous convînmes du jour où M. le maréchal enverrait son valet de chambre avec une voiture pour m’y conduire. Je me trouvai ce jour-là fort incommodé ; il fallut remettre la partie, et les contre-temps qui survinrent m’em- péchèrent de l’exécuter. Ayant appris depuis que 422 LES CONFESSIONS. la terre de Merlou n’était pas à M. le maréchal, mais à madame , je m’cn consolai plus aisément de n’y être pas allé. L 'Émile parut enfin , sans que j’entendisse plus parler de cartons ni d’aucune difficulté. Avant sa publication, M. le maréchal me redemanda toutes les lettres de M. de Malesherbes qui se rapportaient à cet ouvrage. Ma grande confiance en tous les deux, ma profonde sécurité m’empêchèrent de réfléchir sur ce qu’il y avait d’extraordinaire et même d’inquiétant dans cette demande. Je rendis les lettres, hors une ou deux qui par mégarde avaient resté dans des livres. Quelque temps auparavant BI. de Malesherbes m’avait marqué qu’il retirerait les lettres que j’avais écrites à Duchesne durant mes alarmes au sujet des jésuites ; et il faut avouer que ces lettres ne faisaient pas grand honneur à ma raison. Mais je lui marquai qu’en nulle chose je ne voulais passer pour meilleur que je n’étais, et qu’il pouvait lui laisser les lettres. J’ignore ce qu’il a fait. La publication de ce livre ne se fit point avec cet éclat d’applaudissemens qui suivait celle de tous mes écrits. Jamais ouvrage n’eut de si grands élogesparticuliers, ni si peu d’approbation publique. Ce que m'en dirent, ce que m’en écrivirent les gens les plus capables d’en juger, me confirma que c’était là le meilleur de mes écrits, ainsi que le plus important. Mais tout cela fut dit avec les précautions les plus bizarres, comme s’il eût importé de garder le secret du bien que l’on en pensait. Madame de Boufïlers , qui me marqua que l’auteur de ce livre méritait des statues et les hommages de tous les humains, me pria sans façon à la fin de son billet de le lui renvoyer. D’Alembert, PARTIE II, LIVRE XI. 4 ' 2 ” qui m’écrivit que cet ouvrage décidait de ma supériorité , et devait me mettre à la tête de tous les gens de lettres , ne signa point sa lettre , quoiqu'il eût signé toutes celles qu’il m’avait écrites jusqu’alors. Duclos, ami sûr, homme vrai, mais circonspect , et qui faisait cas de ce livre, évita de m’en parler par écrit ; La Condamine se jeta sur la Profession de foi du V icaire , et battit la campagne ; Clairaut sc borna dans sa lettre au même morceau mais il ne craignit pas d’exprimer l’émotion que sa lecture lui avait donnée, et il me marqua en propres termes que cette lecture avait réchaulfé sa vieille âme. De tous ceux à qui j’avais envoyé mon livre , il fut le seul qui dit hautement et librement à tout le monde tout le bien qu’il en pensait. Mathas, à qui j’en avais aussi donné un exemplaire avant qu’il fût en vente, le prêta à M. de Blaire , conseiller au parlement, père de l’in - tendant de Strasbourg. ftl. de Blaire avait une maison de campagne à Saint-Gratien ; et Mathas, son ancienne connaissance, l’y allait voir quelquefois quand il pouvait aller. Il lui fit lire VEmile avant qu’il fût public. En le lui rendant, M. de Blaire lui dit ces propres mots, qui me furent redits le même jour. Monsieur Mathas , voilà un fort beau livre ,. mais dont il sera parlé dans peu plus qu’il ne serait à désirer pour l’auteur. » Quand il me rapporta ces mots , je ne fis qu’en rire ; et je n’y vis que l’importance d’un homme de robe qui met du mystère à tout. Tous les propos inquiétans qui me revinrent ne me firent pas plus d’impression ; et, loin de prévoir en aucune sorte la catastrophe à laquelle je touchais, certain de l’utilité, de la beauté de mon ouvrage ; certain 4^4 cosfessioss. d'ètre en règle à tous égards ; certain , comme \e croyais l’ètre , de tout le crédit de madame de Luxembourg et même de la faveur du ministère , je m’applaudissais du parti que j’avais pris de me retirer au milieu de mes triomphes , et lorsque je venais d’écraser tous mes envieux. Une seule chose m’alarmait dans la publication de ce livre, et cela moins pour ma sûreté que pour l’acquit de mon cœur. A l’Hermitage , à Montmorcnci, j’avais vu de près et avec indignation les vexations qu’un soin jaloux des plaisirs des princes fait exercer sur les malheureux paysans, forcésde souffrirle dégâtquele gibier fait dans leurs champs sans oser ge défendre autrement qu’à force de bruit, et forcés de passer toutes les nuits dans leurs fèves et leurs pois avec des chaudrons , des tambours, des sonnettes, pour écarter les sangliers. Témoin de la dureté barbare avec laquelle M. le comte de Charolais faisait traiter ces pauvres gens, j’avais fait, vers la fin de 1 Emile, une sortie sur cette cruauté. J’appris que les officiers de M. le prince de Conti ne les traitaient guère moins durement sur scs terres; je tremblais que ce prince, pour lequel j’étais pénétré de respect et de reconnaissance , ne prît pour lui ce que l’humanité révoltée m'avait fait dire pour son oncle, et ne s’en tînt offensé. Cependant, comme ma conscience me justifiait pleinement sur cet article , je me tranquillisai sur son témoignage, et je fis bien. Du moins je n’ai jamais appris que ce grand prince ait fait la moindre attention à ce passage écrit long-temps avant que j’eusse l’honneur d’étre connu de lui. Peu de jours avant ou après la publication de mon livre, car je ne me rappelle pas bien exacte- PARTIE II , EIYItE Ht. fï5 ment le temps, parut un autre ouvrage sur le même sujet, tiré mot à mot de mon premier volume, hors quelques platises dont on avait entremêlé cet extrait. Ce livre portait le nom d’un Genevois appelé Balexsert; et il était dit dans le titre qu’il avait remporté le prix à l’académie de Harlem. Je compris aisément que cette académie et ce prix étaient d’une création toute nouvelle pour déguiser le plagiat aux yeux du public; mais je vis aussi qu’il y avait à cela quelque intrigue antérieure à laquelle je ne. comprenais rien ; soit par la communication de mon manuscrit, sans quoi ce vol n’aurait pu se l'aire; soit pour bâtir l’histoire de ce prétendu prix, à laquelle il avait hien fallu donner quelque fonder ment. Ce n’est que bien des années après que, sur un mot échappé à d’Ivernois, j’ai pénétré le mystère, et entrevu ceux qui avaient mis en jeu le sieur Balexsert. Les sourds mugissemens qui précèdent l’orage commençaient à se faire entendre; et tous les gens un peu pénétrans virent bientôt qu’il se couvait, au sujet de mon livre et de moi, quelque complot qui ne tarderait pas d’éclater. Pour moi, ma séeu- tité, ma stupidité fut telle, que loin de prévoir mon malheur, je n’en soupçonnai pas même la cause après en avoir ressenti l’elfet. On commença par répandre , avec assez d’adresse , qu’en sévissant contre les Jésuites on ne pouvait marquer une indulgence partiale pour les livres et les auteurs qui attaquaient la religion. On me reprochait d’avoir mis mon nom à Y Emile, comme si je ne l’avais pas mis à tous mes autres écrits, auxquels on n’avait rien dit. Il semblait qu’on craignît de se voir forcé à quelque démarche qu’on ferait à regret, mais que les circonstances rendaient nécessaire, elàlar 1ES CONFESSIONS. 4î6 quelle mon imprudence avait donné lien. Ces bruits me parvinrent, et ne m’inquiétèrent guère il ne me vint pas même à l’esprit qu’il pût y avoir dans toute cette affaire la moindre chose qui me regardât personnellement; moi qui me sentais si parfaitement irréprochable, si bien appuyé, si bien en règle à tous égards, et qui ne craignais pas que madame de Luxembourg me laissât dans l’embarras pour un tort qui, s’il existait, était tout entier à elle seide. Mais, sachant en pareil cas comment les choses se passent, et que l’usage est de sévir contre les libraires en ménageant les auteurs, je n’étais pas sans inquiétude pour le pauvre Duchesne, si M. de Malesherbes venait à l’abandonner. Je restai tranquille. Les bruits augmentèrent et changèrent bientût de ton. Le public, et surtout le parlement, semblait s’irriter par ma tranquillité. Au bout de quelques jours la fermentation devint terrible; et les menaces, changeant d’objet, s’adressèrent directement à moi. On entendait dire tout ouvertement aux parlementaires qu’on n’avançait rien à brûler les livres, et qu’il fallait s’adresser directement aux auteurs. La première fois que ces propos, plus dignes d'un inquisiteur de Goa que d’un sénateur, me revinrent, je ne doutai point que ce ne fût une invention des holbachiens pour tâcher de m’effrayer et de m’exciter à fuir. Je ris de cette puérile ruse; et je me disais, en me moquant d’eux, que s’ils avaient su la vérité des choses, ils auraient cherché quelque autre moyen de me faire peur mais la rumeur enfin devint telle qu’il fût clair que c’était tout de bon. M. et madame de Luxembourg avaient cette année avancé leur voyage de Montmorenci, de soi te qu’ils y étaient au commencement de juin. J’y eutendis très-peu parler de FABTIE II, tIVBE XI. 4 2 7 mes nouveaux livres, malgré le bruit qu’ils faisaient à l’aris; et les maîtres de la maison ne m’en parlaient point du tout. Un matin cependant que j’étais seul avec M. de Luxembourg, il me dit Avez-vous parlé mal de M. de Choiseul dans le Contrai social? Moi! lui dis-je en reculantde surprise, non, je vous jure ; mais j’en ai fait en revanche, et d'uDC plume qui n’est pas louangeuse, le plus bel éloge que jamais peut-être ministre ait reçu; et tout de suite je lui rapportai le passage. Et dans l 'Emile? reprit-il. Pas un mot, répondis-je; il n’y a pas un seul mot qui le regarde. Ab ! dit-il avec plus de vivacité qu’il n’en avait d’ordinaire, il fallait faire la même chose dans l'autre livre, ou être plus clair! J’ai cru l’être, ajoutai-je, je l’estimais assez pour cela. Il allait reprendre la parole; je le vis prêt à s’ouvrir; il se retint, et se tut. Malheureuse prudence de courtisan, qui dans les meilleurs cœurs, domine l’amitié même ! Cette conversation, quoique courte, m’éclaira sur ma situation, du moins à certain égard, et me fit comprendre que c’était bien à moi qu'on en voulait. Je déplorai cette inouïe fatalité qui tournait à mon préjudice tout ce que je disais et faisais de bien. Cependant , me sentant pour plastron dans cette atTaire madame de Luxcmliourg et M. de Malesherbes, je ne voyais pas comment on pouvait s’y prendre pour les écarter et parvenir jusqu’à moi car d’ailleurs je sentis bien dès lors qu’il ne serait plus question d’équité ni de justice, et qu’on ne s’embarrasserait pas d’examiner si j’avais réellement tort ou non. L’orage cependant grondait de plus en plus. Il n’y avait pas jusqu'à Néaulme qui, dans la difTusion de son bavardage, ne me montrât du regret de s’être mêlé de cet ouvrage, et la certitude où il paraissait être Zj'S LES COXFESSIOXS» fia sort qui menaçait le livre et l’auteur. Une chose pourtant me rassurait toujours je voyais madame de Luxembourg si tranquille, si contente, si riante même, qu’il fallait bien qu’elle fut sûre de son fait, pour n’avoir pas la moindre inquiétude à mon sujet, pour ne pas me dire un seul mot de commisération ni d’excuse, pour voirie tour que prendrait cette affaire avec autant de sang-froid que si elle ne s’en fût point mêlée, et qu’elle n’eût pas pris à moi le moindre intérêt. Ce qui me surprenait était qu’elle ne me disait rien du tout. Il me semblait qu’elle aurait dû me dire quelque chose. Madame de Bouf- flers paraissait moins tranquille. Elle allait et venait avec un air d’agitation , se donnant beaucoup de mouvement, et m’assurant que M. le prince de Conti s’en donnait beaucoup aussi pour parer le coup qui m’était préparé, et qu’elle attribuait toujours aux circonstances présentes , dans lesquelles il importait au parlement de ne pas se laisser accuser par les jésuites d’indifférence sur la religion. Elle paraissait cependant peu compter sur le succès des démarches du prince et des siennes. Ses conversations, plus alarmantes que rassurantes, tendaient toutes à m’engager à la retraite ; et elle me conseillait fort l’Angleterre où elle m’offrait beaucoup d’amis, entre autres le célèbre Hume, qui était le sien depuis long-temps. Voyant que je persistais à rester tranquille, elle prit un tour plus capable de m’ébranler. Elle me fit entendre que, si j’étais arrêté et interrogé, je me mettais dans la nécessité de nommer madame de Luxembourg, et que son amitié pour moi méritait bien que je ne m’exposasse pas à la compromettre. Je répondis qu’en pareil cas elle pouvait rester tranquille, et que je ne la compromettrais point. Elle répliqua PARTIE II, LIVRE* XI. 4 2 9 que cette résolution était plus facile à prendre qu’à exécuter et en cela elle avait raison, surtout pour moi, bien déterminé à ne jamais me parjurer ni mentir devant les juges, quelque risque qu’il pût y avoir à dire la vérité. Voyant que cette réflexion m’avait fait quelque impression, sans cependant que je pusse me résoudre à fuir, elle me parla de la Bastille pour quelques semaines, comme d’un moyen de me soustraire à la juridiction du parlement, qui ne se mêle pas des prisonniers d’état. Je n’objectai rien contre cette singulière grâce, pourvu qu’elle ne fût pas sollicitée en mon Comme elle ne m’en parla plus, j’ai jugé dans la suite qu’elle n’avait proposé cette idée que pour me sonder, et qu’on n’avait pas voulu d’un expédient qui finissait tout. Peu de jours après M. le maréchal reçut du curé de Deuil, ami de Grimin et de madame d’Épinai, une lettre portant l’avis, qu’il disait avoir eu de bonne part, que le parlement devait procéder contre moi avec la dernière sévérité, et que tel jour, qu’il marqua, je serais décrété de prise de corps. Je jugeai cet avis de fabrique holba- chienne ; je savais que le parlement était très-attentif aux formes, et que c’était toutes les enfreindre que de commencer en cette occasion par un décret de prise de corps , avant de savoir juridiquement si j’avouais le livre qui portait mon nom, et si réellement j’en étais l’auteur. Il n’y a, disais- je à madame de Boufllers , que les crimes qui portent atteinte à la tranquillité publique, dont sur le simple indice on décrète les accusés de prise de corps, de peur qu’ils n’échappent au châtiment. Mais quand on veut punir un délit tel que 430 LES CONFESSIONS- le mien, qui mérite des honneurs et des récompenses, on procède contre le livre, et l’on évite autant que l’on peut de s’en prendre à l’auteur. Elle me lit à cela une distinction subtile que j’ai oubliée, pour me prouver que c’était par faveur qu’on me décrétait de prise de corps, au lieu de m’assigner pour être ouï. lendemain je reçus une lettre de Gui, qui me marquait que, s’étant trouvé le même jour chez M. le procureur général, il avait vu sur son bureau le brouillon d’un réquisitoire contre YEmile et son auteur. Notez que ledit Gui était l’associé de Duchesne qui avait imprimé I’ou\rage; lequel, fort tranquille pour son propre compte, donnait par charité cet avis à l’auteur. On peut juger combien tout cela me parut croyable. Il était si simple, si naturel, qu’un libraire , admis à l’audience du procureur général, lût tranquillement les manuscrits et brouillons épars sur le bureau de ce magistrat ! Madame de Boulïlers et d’autres me confirmèrent la même chose. Sur les absurdités dont on me rcbaltait incessamment les oreilles, j’étais tenté de croire que tout le monde était devenu fou. Sentant bien qu’il y avait sous tout cela quelque mystère qu’on ne voulait pas me dire, j'attendis tranquillement l’événement, me reposant sur ma droiture et mon innocence en toute cette a Ta ire , et trop heureux, quelque persécution qui dût m’attendre , d’être appelé à l’honneur de soulfrir pour la vérité. Loin de craindre et de me tenir caché, j’allais tous les jours au château, et je faisais les après-midi mes promenades ordinaires. Le 8 juin, veille du décret, je la fis avec deux professeurs oratoriens, le 1*. Alamanni et le P. Mandard. Nous portâmes aux Champeaux un petit goûter que nous IMRTIE II, \t. 4*1 de grand appétit. Nous avions oublié dos verres; nous y suppléâmes par des chalumeaux de seigle, avec lesquels nous aspirions le vin dans la bouteille , nous piquant de choisir des tuyaux bien larges pour pomper à qui mieux mieux. Je n'ai de ma \ie été si gai. J’ai conté comment je perdis le sommeil dans ma jeunesse. Depuis lors j’avais pris l'habitude de lire tous les soirs dans mon lit jusqu’à ce que je sentisse mes yeux s’appesantir. Alors j'éteignais ma bougie, et je tâchais de m’assoupir quelques in- stans , qui ne duraient guère. Ma lecture ordinaire du soir était la Bible , et je l’ai lue entière au moins cinq ou six fois de suite de cette façon. Ce soir-là , me trouvant plus éveillé qu’à l’ordinaire, je prolongeai plus long-temps ma lecture, et je lus tout entier le livre qui finit par l’histoire du lévite d’Éphraïm, et qui , si je ne me trompe, est le livre des juges, car je ne l’ai pas revu depuis ce temps- là. Cette histoire m’affecta beaucoup, et j’en étais occupé dans une espèce de rêve, quand tout à coup j’en fus tiré par du bruit et de la lumière. Thérèse, qui la portait, éclairait M. La Roche, qui, me voyant lever brusquement sur mon séant, me dit Ne vous alarmez pas; c’est de la part de madame la maréchale, qui vous écrit et vous envoie une lettre de M. le prince de Conti. En effet, en ouvrant la lettre de madame de Luxembourg, je trouvai celle qu’un exprès de ce prince venait de lui apporter, portant avis que , malgré tous ses efforts, on était déterminé à procéder contre moi à toute rigueur. La fermentation, lui marquait-il, est extrême ; rien ne peut parer le coup, la cour l’exige , le parlement le veut ; à sept heures du matin il sera décrété de prise de corps , et l’on 2. * 18 Zj"3 IBS COSFESSI05». enverra sur-le-champ le saisir. J’ai obtenu qu'on ne le poursuivra pas s’il s’éloigne mais, s’il persiste à vouloir se laisser prendre, il sera pris. La Roche me conjura, de la part de madame la maréchale de me lever, et d’aller conférer avec elle. Il était deux heures, elle venait de se coucher. Elle vous attend, ajouta-t-il, et ne veut pas s’endormir sans vous avoir vu. Je m’habillai en hâte , et j’y courus. Elle me parut agitée c’était la première fois. Son trouble me toucha. Dans ce moment de surprise, je n’étais pas moi-même exempt d’émotion mais, en la voyant, je m’oubliai pour ne penser qu’à elle et au triste rôle qu’elleallait jouer si je me laissais prendre car, me sentant assez de courage pour ne dire jamais que la vérité, dût-elle me nuire et me perdre , je ne me sentais ni assez de présence d'esprit, ni assez d’adresse, ni peut-être assez de’ fermeté pour éviter de compromettre madame de Luxembourg, si j’étais vivement pressé. Cela me décida à sacrifier ma gloire à sa tranquillité, et à faire pour elle en cette rencontre ce qu’aucune puissance humaine ne m’eût engagé à faire pour moi. Dans l’instant que ma résolution fut prise, je la lui déclarai , ne voulant point gâter le prix de mon sacrifice en le lui faisant acheter. Je suis certain qu’elle ne put se tromper sur mou motif; cependant elle ne me dit pas un mot qui marquât qu’elle y fût sensible. Je fus indigné de celte indifférence, au point de balancer à me rétracter mais M. le maréchal survint; madame de Boufïlers arriva de Paris quelques momens après. Ils firent ce qu’aurait dû faire madame de Luxembourg. Je me laissai flatter ; j’eus honte de me dédire, et il ne fut plus question que du lieu de ma retraite, et du temps PUVTIE II, LIVRE XI. 433 de mon départ. M de Luxembourg me proposa de rester chez lui quelques jours incognito , pour délibérer et prendre mes mesures plus à loisir ; je n’y consentis point, non plus que d’aller secrètement au Temple. Je m’obstinai à vouloir partir dès le même jour, plutôt que de rester caché où que ce pût être. Sentant que j’avais des ennemis secrets et puis- sans dans le royaume, je jugeai que, malgré mon attachement pour la France, j’en devais sortir pour assurer ma tranquillité. Mon premier mouvement fut de me retirer à Genève; mais un instant de réflexion suiïit pour me dissuader de faire cette sottise. Je savais que le ministère de France, encore plus puissant à Genève qu’à Paris, ne me laisserait pas plus en paix dans une de ces villes que dans l’autre , s’il avait résolu de me tourmenter. Je savais que le Discours sur l’inégalité avait excité contre moi dans le conseil une haine d’autant plus dangereuse qu’il n'osait la manifester. Je savais qu’en dernier lieu, lorsque la Nouvelle Héloïse parut, il s’était pressé de la défendre à la sollicitation du docteur Tronchin ; mais, voyant que personne 11e l’imitait , pas même à Paris, il eut honte de cette étourderie, et retira la défense. Je 11e doutais pas que, trouvant ici l’occasion plus favorable, il n’eût grand soin d’en profiter. Je savais que, malgré tous les beaux semblans, il régnait contre moi dans tous les cœurs genevois une secrète, jalousie, qui n’attendait que l’occasion de s’assouvir. Néanmoins l’amour de la patrie me rappelait dans la mienne; et, si j’avais pu me flatter d’y vivre en paix, je 11’aurais pas balancé mais l’honneur ni la raison ne me permettant pas de m’y réfugier comme un fugitif, je pris le parti de m’en rapprocher 454 LES COKFESSIOKS. seulement, et d’aller attendre en Suisse celui qu’on prendrait à Genève à mon égard. On verra bientôt que cette incertitude ne dura pas long-temps. Madame de Boudlers désapprouva beaucoup cette résolution , et fit de nouveaux efforts pour m’engager à passer en Angleterre. Elle ne m’ébranla pas. Je n’ai jamais aimé l’Angleterre ni les Anglais; et toute l’éloquence de madame de Bouf- flers, loin de vaincre ma répugnance, semblait l’augmenter, sans que je susse pourquoi. Décidé à partir le même jour, je fus dès le matin parti pour tout le monde, et La Roche , par qui j’envoyai chercher mes papiers, ne voulut pas dire à Thérèse elle-même si je l’étais ou ne l’étais pas. Depuis que j’avais résolu d’écrire un jour mes mémoires , j’avais accumulé beaucoup de lettres et autres papiers, de sorte qu’il fallut plusieurs voyages. Une partie de ces papiers déjà triés furent mis à part; et je m’occupai durant le reste de la matinée à trier les autres, afin de n’emporter que ce qui pouvait m’étre utile, et brûler le reste. M. de Luxembourg voulut bien m’aider à ce travail, qui se trouva si long que nous ne pûmes achever dans la matinée , et je n’eus le temps de rien brûler. M. le maréchal s’offrit de se charger du reste de ce triage, de brûler le rebut lui-méme, sans s’en rapporter à qui que ce fût, et de m’envoyer tout ce qui aurait été mis à part. J’acceptai l’offre, fort aise d’être délivré de ce soin , pour pouvoir passer le peu d’heures qui me restaient avec des personnes si chères, que j’allais quitter pour jamais. Il prit la clef de la chambre où je laissais ces papiers ; et, à mon instante prière, il envoya chercher ma pauvre tante, qui se consumait dans la perplexité mortelle de ce que j’étais devenu, et de ce qu’elle PAllTIE II , XI. 4^5 allait devenir, et attendant à chaque instant les huissiers, sans savoir comment se conduire et que leur répondre. La Roche l’amena au château, sans lui rien dire; elle me croyait déjà bien loin en m’apercevant, elle perça l’air de scs cris, et se précipita dans mes bras. O amitié , rapport des cœurs, habitude, intimité! Dans ce doux et cruel moment se rassemblèrent tant de jours de bonheur, de tendresse et de paix passés ensemble, pour me faire mieux sentir le déchirement d’une première séparation , après nous être à peine perdus de vue un seul jour pendant près de dix-sept ans. Le maréchal, témoin de cet embrassement, ne put retenir ses larmes; il nous laissa. Thérèse ne voulait plus me quitter. Je lui fis sentir l'inconvénient qu’elle me suivît en ce moment, et la nécessité qu’elle restât pour liquider mes effets et recueillir mon argent. Quand on décrète un homme de prise de corps, l’usage est de saisir ses papiers, de mettre le scellé sur ses effets, ou d’en faire l’inventaire , et d’y nommer un gardien. Il fallait bien qu’elle restât pour veiller à ce qui se passerait, et tirer de tout le meilleur parti possible. Je lui promis qu’elle me rejoindrait dans peu SI. le maréchal confirma ma promesse ; mais je 11e voulus jamais lui dire où j’allais, afin qu’interrogée par ceux qui viendraient me saisir elle pût protester avec vérité de son ignorance sur cet article. En l’embrassant, au moment de nous quitter, je sentis en moi- même un mouvement très-extraordinaire , et je lui dis dans un transport, hélas ! trop prophétique Mon enfant, il faut fariner de courage, tu as partagé la prospérité de mes beaux jours, il te reste, puisque tu le veux, à partager mes misères. t’attends plus qu’affronts et calamités à ma 436 COXFESSIOKS. suite. Le sort que ce triste jour commence pour moi me poursuivra jusqu’à ma dernière heure. Il ne me restait plus qu’à songer au départ. Les huissiers avaient dû venir à dis heures. Il en était quatre après midi quand je partis, et ils n’étaient pas encore arrivés. Il avait été décidé que je prendrais la poste. Je n’avais point de chaise. M. le maréchal me fit présent d’un cabriolet, et me prêta des chevaux et un postillon jusqu’à la première poste, où, par les mesures qu’il avait prises, on ne fit aucune difficulté de me fournir des chevaux. Comme je n’avais point dîné à table, et ne m’étais pas montré dans le château, les dames vinrent me dire adieu dans l’entre-sol, où j’avais passé la journée. Madame la maréchale m’embrassa plusieurs fois d’un air assez triste ; mais je ne sentis plus dans ses embrassemensles étreintes de ceux qu’elle m’avait prodigués, il y avait deux ou trois ans. Madame de Iloufflers m’embrassa aussi, et me dit de fort belles choses. Un embrassement qui me surprit davantage fut celui de madame de Mire- poix ; car elle était aussi là. Madamela maréchale de Mirepoix est une personne extrêmement froide , décente, et réservée , et ne me paraît pas tout- à-fait exempte de la hauteur naturelle à la maison de Lorraine. Elle ne m’avait jamais témoigné beaucoup d’attention. Soit que , flatté d’un honneur auquel je ne m’attendais pas, je cherchasse à m’en augmenter le prix ; soit qu’en effet elle eût mis dans cet embrassement un peu de cette commisération naturelle aux cœurs généreux, je trouvai dans son mouvement et dans son regard je ne sais quoi d’énergique qui me pénétra. Souvent, en y repensant, j’ai soupçonné dans la suite que n’ignorant pas à quel sort j’étais condamné, elle n’avait pu se dé- PARTIE II, LIVRE XI. 4^7 fendre d’un moment d’attendrissement sur ma destinée. M. le maréchal n’ouvrait pas la bouche; il était pâle comme un mort. Il voulut absolument m’accompagner jusqu’à ma chaise , qui m’attendait à l’abreuvoir. Nous traversâmes tout le jardin sans dire un seul mot. J’avais une clef du parc dont je me servis pour ouvrir la porte, après quoi, au lieu de remettre la clef dans ma poche, je la lui tendis sans mot dire. Il la prit avec une vivacité surprenante , à laquelle je n’ai pu m’empècher de penser souvent depuis ce temps-là. Je n’ai guère eu dans ma vie d’instant plus amer que celui de cette séparation. L’embrassement fut long et muet nous sentîmes l’un et l’autre que c’était un dernier adieu. Entre La Barre et Montmorenci , je rencontrai dans un carrosse de remise quatre hommes en noir, qui me saluèrent en souriant. Sur ce que Thérèse m’a rapporté, dans lasuite, de la figure des huissiers, de l’heure de leur arrivée, et de la façon dont ils se comportèrent , je n’ai point douté que ce ne fussent eux ; ayant appris dans la suite qu’au lieu d’être décrété surtout à sept heures, comme on me l’avait anponcé, je ne l’avais été qu’à midi. Il fallut traverser tout Paris. On n’est pas fort caché dans un cabriolet tout ouvert. Je vis dans les rues plusieurs personnes qui me saluèrent d’un air de connaissance ; mais je n’en reconnus aucune. Le même soir je me détournai pour passer à Villeroi. A Lyon les courriers doivent être menés au commandant. Cela pouvait être embarrassant pour un homme qui ne voulait ni mentir ni changer de nom. J’allais avec une lettre de madame de Luxembourg prier M. de. Villeroi de faire en sorte que je fusse exempté de cette corvée. M. de Villeroi me donna une lettre LES CONFESSIONS. 438 dont je ne fis point usage, parce que je ne passai pas à Lyon. Cette lettre est restée encore cachetée parmi mes papiers. SI. le duc me pressa beaucoup de coucher à Villeroi; mais j’aimai mieux reprendre la grande route, et je fis encore deux postes le même jour. Ma chaise était rude, et j’étais trop incommodé pour pouvoir marcher à grandes journées. Dail- leurs, je n’avais pas l’air assez imposant pour me faire bien servir ; et l’on sait qu’en France les chevaux de poste ne sentent la gaule que sur les épaules du postillon. En payant grassement les guides, je crus suppléer à la mine et aux propos ; ce fut encore pis ils me prirent pour un pied plat qui marchait par commission , et qui courait la poste pour la première fois de sa vie. Dès lors je n’eus plus que des rosses, et je devins le jouet des postillons. Je finis, comme j’aurais dû commencer, par prendre patience, ne rien dire, et aller comme il leur plut. J’avais de quoi ne pas m’ennuyer en route, en me livrant aux réflexions qui se présentaient sur tout ce qui venait de m’arriver; mais ce n’était là ni mon tour d’esprit, ni la pente de mon cœur. 11 est étonnant avec quelle facilité j’oublie le mal passé , quelque récent qu’il puisse être. Autant sa prévoyance m’effraie et me trouble, tant que je le vois dans l’avenir, autant son souvenir me revient faiblement et s’éteint sans peine , aussitôt qu’il est arrivé. Ma cruelle imagination , qui se tourmente sans cesse à prévenir les maux qui ne sont point encore, fait diversion à ma mémoire, et m’empêche de me rappeler ceux qui ne sont plus. Contre ce qui est fait il n’y a plus de précautions à prendre, et il est inutile de s’en occuper. J’é- PARTIR II , LtVRÏ. XI. /jai puise en quelque façon mon malheur d’avance ; plus j’ai souffert à le prévoir , plus j’ai de facilité à l’oublier tandis qu’au contraire , sans cesse occupé de mon court bonheur passé, je le rappelle et le rumine , pour ainsi dire , au point d’en jouir derechef quand je veux. C’est à cette heureuse disposition, je le sens, que je dois de n’avoir jamais connu cette humeur rancunière qui fermente dans un cœur vindicatif, par le souvenir toujours présent des offenses reçues, et qui le tourmente lui-méme de tout le mal qu’il voudrait rendre à son ennemi. Naturellement emporté, j’ai senti la colère, la fureur même dans les premiers mouvemens; mais jamais un désir de vengeance ne prit racine au dedans de moi je m’occupe trop peu de l'offense pour m’occuper beaucoup de l’offenseur. Je ne pense au mal que j’en ai reçu qu’à cause de celui que j’en peux recevoir encore ; et, si j’étais sûr qu’il ne m’en fît plus, celui qu’il m’a fait serait à l’instant oublié. On nous prêche beaucoup le pardon des offenses c’est une fort belle vertu sans doute, mais qui n’est pas à mon usage. J’ignore si mon coeur saurait dominer sa haine, car il n’en a jamais senti ; et je pense trop peu à mes ennemis pour avoir le mérite de leur pardonner. Je ne dirai pas à quel point, pour me tourmenter, ils se tourmentent eux-mêmes. Je suis à leur merci ; ils ont tout pouvoir sur moi, ils en usent. Il n’y a qu’une chose au-dessus de leur puissance, et dont je les défie; c’est, en se tourmentant de moi, de me forcer à me tourmenter d’eux. Dès le lendemain de mon départ, j’oubliai si parfaitement tout ce qui venait de se passer, et le parlement, et madame de Pompadour, et M. de ; Choiseul, et Grimm, et d’Alcmbert, et leurs amis, 2. i 9 440 LES CONFESSIONS, et leurs complots , que je n’y aurais pas même repensé de tout mon voyage, sans les précautions dont j’étais obligé d’user. Un souvenir qui me vint au lieu de cela fut telui de ma dernière lecture, la veille de mon départ. Je me rappelai aussi les Idylles de Gessner , que son traducteur Huber m’avait envoyées il y avait quelque temps. Ces deux idées me revinrent si bien, et se mêlèrent de telle sorte dans mon esprit, que je voulus essayer de les réunir, en traitant à la manière de Gessner le sujet du Lévite d'Ephrnïm. Ce style champêtre et naïf ne paraissait guère propre à un sujet si atroce, et il n’était guère à présumer que ma situation présente me fournît des idées bien riantes pour l’égayer. Je tentai toutefois la chose, uniquement pour m’amuser dans nia chaise, et sans aucun espoir de succès. A peine eus - je essayé, que je fus étonné de l’aménité de mes idées, et de la facilité que j’éprouvais à les rendre. Je fis en trois jours les trois premiers chants de ce petit poème, que j’achevai dans la suite à Motiers ; et je suis sûr de n’avoir rien fait en ma vie où règne une douceur de moeurs plus attendrissante, un coloris plus frais, des peintures plus naïves, un costume plus exact, une plus antique simplicité en toutes choses, et tout cela, malgré l'horreur du sujet, qui dans le fond est abominable ; de sorte qu’outre tout le reste, j’eus encore le mérite de la difficulté vaincue. Le Lévite d’Éfhruïm, s’il n’est pas le meilleur de mes ouvrages, en sera toujours le plus chéri. Jamais je ne l’ai relu, jamais je ne le relirai, sans sentir en dedans l’applaudissement d’un cœur sans fiel, qui, loin de s’aigrir par ses malheurs, s’en console avec lui-même, et trouve en soi de quoi s’en dédommager. Qu’on rassemble tous ces grands ifAftTiË n, livre xi. 41 1 philosophe» , si supérieurs à l’adversité dans leurs livres ; qu’on les mette dans une position pareille à la mienne, et que, dans la première indignation de l’honneur outragé, on leur donne un pareil ouvrage à faire, on verra comment ils s’en tireront. En partant de Montmorenci pour la Suisse, j’avais pris la résolution d’aller m’arrêter à Y Verdun, patrie de mon bon vieux ami M. Roguin, qui s’y était retiré depuis quelques années, et qui m’avait même invité à l’y aller voir. J’appris en route que Lyon faisait un détour; cela m’évita d’y passer. Mais en revanche il fallait passer par Besançon, place de guerre, et par conséquent sujette au même inconvénient. Je m’avisai de gauchir et de passer par Salins, sous prétexte d’aller voir M. de Miran,. neveu de M. Dupin , qui avait un emploi à la saline, et qui m’avait fait jadis force invitations de l’y aller voir. L’expédient me réussit; je ne trouvai point M. de Miran fort aise d’être dispensé de m’arrêter, je continuai ma route sans que personne me dît un mot. En entrant sur le territoire de Berne, je fis arrè- tei ; je descendis, je me prosternai, j’embrassai, je baisai la terre, et m’écriai dans mon transport Ciel, protecteur de la vertu, je te loue, je touche une terre de liberté! C’est ainsi qu’aveugle et confiant dans mes espérances, je me suis toujours passionné pour ce qui devait faire mon malheur. Mon postillon surpris me crut fou; je remontai dans ma chaise ; et peu d’heures après j’eus la joie aussi pure que vive de me sentir pressé dans les bras du respectable Roguin. Ah ! respirons quelques instans chez ce digne hôte j’ai besoin d’y reprendre du courage et des forces, je trouverai bientôt à les employer. IES C0>>FESS10NS. 44a Ce n’est pas sans raison que je me suis étendu, dans le récit que je viens de faire, sur toutes les circonstances que j’ai pu me rappeler. Quoiqu'elles ne soient pas par elles-mêmes fort lumineuses, quand on tient une fois le fil de la trame, elles peuvent jeter du jour sur sa marche; et, par exemple, sans donner la première idée du problème que je vais proposer, elles aident beaucoup à le résoudre. ; Supposons que, pour l’exécution du complot dont j’étais l’objet, mon éloignement fût absolument nécessaire, tout devait, pour l’opérer, se passer à peu près comme il se passa ; mais si, au lieu de me laisser épouvanter par l’ambassade nocturne de madame de Luxembourg et troubler par ses alarmes , j’avais continué, comme j’avais commencé , de tenir ferme , et qu’au lieu de rester au château je m’en fusse retourné dans mon lit, dormir tranquillement la fraîche matinée, aurais-je également été décrété ? Grande question , d’où dépend la solution de beaucoup d’autres, et pour j l’examen de laquelle l’heure du décret comminatoire et celle du décret réel 11e sont pas inutiles à J remarquer. Exemple grossier, mais sensible, de l’importance des moindres détails dans l’exposé des f faits dont on cherche les causes secrètes, pour le» j découvrir par induction. ïiS DU LIVRE OSZJÙUS. HST1E II , LIVRE XII. 445 LIVRE DOUZIÈME. Jci commence l’oeuvre de ténèbres dans lequel» depuis huit ans , je me trouve enseveli, sans que , de quelque façon que j’aie pu m’y prendre, il m’ait été possible d’en percer l’effrayante, obscurité. Dans l’abîme de maux où je suis submergé, je sens les atteintes des coups qui me sont portés ; j’en aperçois l’instrument immédiat, mais je ne puis voir ni la main qui le dirige , ni les moyens qu’elle met en œuvre. L’opprobre et les malheurs tombent sur moi comme d’eux-mèmes, et sans qu’il y paraisse. Quand mon cœur déchiré laisse échapper des gémissemens, j’ai l’air d’un homme qui se plaint sans sujet, et les auteurs de ma ruine ont trouvé l’art inconcevable de rendre le public complice de leur complot, sans qu’il s’en doute lui-même et sans qu’il en aperçoive l’effet. En narrant donc les événemens qui me regardent, les traitemens que j’ai soufferts et tout ce qui m’est arrivé, je suis hors d’état de remonter à la main motrice, et d’assigner les causes en disant les faits. Ces causes primitives sont toutes marquées dans les deux précédons livres ; tous les intérêts relatifs à moi, tous les motifs secrets y sont exposés. Mais dire en quoi ces diverses causes se combinent pour opérer les étranges événemens de ma vie., voilà ce qu’il m’est impossible d’expliquer, même par conjecture. Si parmi mes lecteurs il s’en trouve d’assez généreux pour vouloir approfondir ces mystères et découvrir la vérité, qu’ils relisent avec soin les trois précé- dens livres; qu’ensuite, à chaque fait qu’ils liront dans les suivans, ils prennent les informations 444 EES CONFESSIONS. qui seront à leur portée ; qu’ils remontent d’intrigue en intrigue et d’agent en agent jusqu’aux premiers moteurs de tout, je sais certainement à quel terme aboutiront leurs recherches; mais je me perds dans la\oute obscure et tortueuse des souterrains qui les y conduiront. . Durant mon séjour à Yverdun, j’y fis connaissance avec toute la famille de M. Roguin, et entre ! autres avec sa nièce madame et ses filles, dont, comme je crois l’avoir dit, j’avais autrefois connu le père à Lyon. Elle était venue à Yverdun voir son oncle et ses soeurs ; sa fille aînée, âgée d’environ quinze ans, m’enchanta par son grand sens et son excellent caractère. Je m’attachai à la mère et à la fille de l’amitié la plus tendre. Cette dernière était destinée par M. Roguin au colonel son neveu, déjà d’un certain âge, et qui me témoignait aussi la plus grande affection ; . mais quoiquel’onclefûtpassionné pour ce mariage, que le neveu le désirât fort aussi, et que je prisse un intérêt très-vif à la satisfaction de l’un et de l’autre , la grande disproportion d’âge et l’extrême répugnance de la jeune personne me firent concourir avec la mère à détourner ce mariage, qui ne se fitpoint. Le colonel épousa depuis mademoiselle Dillan sa parente, d’un caractère et d’une beauté bien selon mon cœur, et qui l’a rendu le plus heureux des maris et des pères. Malgré cela, M. Roguin n’a pu oublier que j’aie en cette occasion contrarié ses désirs. Je m’en suis consolépar la certitude d’avoir rempli, tant envers lui qu’en- vers sa famille, le devoir de la plus sainte amitié, qui n’est pas de se rendre toujours agréable, mais de conseiller toujours pour le mieux. Je ne fus pas long-temps en doute sur l’accueil pa nïîE il, mvee xit. 445 qui m'attendait à Genève, au cas que j’eusse envie d’y retourner. Mon livre y fut brûlé, et j’y fus décrété de prise do corps le 18 juin, c’est-à-dire neuf jours après l’avoir été à Paris. Tant d’incroyables absurdités étaient cumulées dans ce second décret, et l’édit ecclésiastique y était si formellement violé, que je refusai d’ajouter foi aux premières nouvelles qui m’en vinrent, et que, quand elles furent bien confirmées, je tremblai qu’une si manifeste et criante infraction de toutes les lois, à commencer par celle du bon sens, 11e mît Genève sens dessus dessous j’eus de quoi me rassurer; tout resta tranquille. S’il s’émut quelque rumeur dans la populace , elle ne fut que contre moi, et je fus traité publiquement par toutes les caillettes et par tous les cuisti es comme un écolier qu’on menacerait du fouet pour n’avoir pas bien dit son catéchisme. Ces deux décrets furent le signal du cri de malédiction qui s’éleva contre moi dans toute l’Europe avec une fureur qui n’eut jamais d’exemple. Toutes les gazettes tous les journaux, toutes les brochures sonnèrent le plus terrible tocsin. Les Français surtout , ce peuple si doux, si poli, si généreux, qui se pique si fort de bienséance et d’égards pour les malheureux, oubliant tout d’un coup ses vertus favorites , se signala par le nombre et la violence des outrages dont il m’accablait à l’envi. J’étais un impie, un athée, un forcené, un enragé, une bête féroce, un loup. Le continuateur du Journal de Trévoux fit sur ma prétendue lycanlhropie un écart qui montrait assez bien la sienne. Enfin vous eussiez dit qu’on craignait à Paris de se faire une affaire avec la police , si, publiant un écrit sur quelque sujet que ce pût être, on manquait 4 fi LM CONFESSIONS. Vy larder quelque insulte contre moi. En cherchant vainement la cause de cette unanime animosité , je fus jirét à croire que tout le monde était devenu fou. Quoi 1 le rédacteur de la Paix perpétuelle ouille la discorde! l’éditeur du V icaire savoyard est un impie! l’auteur de ta Nouvelle Héloïse est un loup! celui de Y Émile est un enragé! Eh! mon dieu, qu’aurais-je donc été si j'avais publié le livre de l'Esprit ou quelque ouvrage semblable ! Et pourtant,dans l'orage qui s'éleva contre l'auteur de ce livre, le public, loin de joindre sa voix à celle de scs persécuteurs, le vengea d’eux par ses éloges. Que l’on compare son livre et les miens , l’accueil différent qu'ils ont reçu , les traitemens faits aux deux auteurs dans les divers états de l’Europe; qu’on trouve à ces différences des causes qui puissent contenter un homme sensé ; voilà tout ce que je demande , et je me tais. Je me trouvais si bien du séjour d’YVerdun , que je pris la résolution d’y rester, à la vive sollicitation de M. Roguin et de toute sa famille. M. de Moiri de fl ingin, bailli de cette ville, m’encourageait aussi par ses bontés à rester dans son gouvernement. Le colonel me pressa si fort d’accepter l’habitation d'un petit pavillon qu'il avait dans sa maison, entre cour et jardin, pic j’y consentis, et aussitôt il s’empressa à le meubler et le garnir de tout ce qui était nécessaire pour mon wlit ménage. Le banneret Roguin, des plus empressés autour de moi, ne me quittait pas de la journée. J’étais toujours très-sensible à tant de caresses, mais j’en étais quelquefois bien importuné. Le jour de mon emménagement était déjà marqué , cl j’avais écrit à Thérèse de me venir joindre, quand tout à coup j’appris qu’il s’élevait à Revue Mime II, HT. 4lf un orage contre moi, qu’on attribuait aux dévots, et dont je n’ai jamais pu pénétrer la première cause. sénat, excité sans qu’on sût par qui , paraissait ne vouloir pas me laisser tranquille dan* ma retraite. Au premier avis qu’eut M. le bailli de cette fermentation , il écrivit en ma faveur à plusieurs membres du gouvernement, leur reprochant leur aveugle intolérance, et leur faisant honte de vouloir refuser à un homme de mérite opprimé l’asile que tant de bandits trouvaient dans leurs états. lcs gens sensés ont présumé que la chaleur de ses reproches ai ait plus aigri qu'adouci les esprits. Quoi qu’il en soit, son crédit ni son éloquence ne purent parer le coup. Prévenu de l’ordre qu’il devait me signifier , il m’eu avertit d’avance, et, pour ne pas attendre cet ordre, je résolus do partir dès le lendemain. La difficulté était de savoir où aller, voyant que Genève et la France m’étaient fermées , et prévoyant bien que dans cette affaire chacun s’empresserait d’imiter son voisin. Madame Boy-dc-La-Tour me proposa d’aller m’établir dans une maison vide, mais toute meublée, qui appartenait à son ils au village de Motier», dans le Val-de-Travcrs, comté de Xeufclullel. 11 n’y avait qu'une montagne à traverser pour m’y rendre. L’offre venait d'autant plus à propos, que dans les états du roi de Prusse je devais naturellement être à l’abri des persécutions, et qu’au moins la religion n’y puuvait guère servir de prétexte. Mais une secrète difficulté, qu’il ne me convenait pas de dire, avait bien de quoi me faire hésiter, ict amour inné de la justice qui dévora toujours mou cœur, joint A mon penchant secret pour la France, m’avait inspiré depuis long-temps de l’aversion pour le roi de Prusse, qui me paraissait par scs 4',3 tes cospÈssioKü. maximes et par sa conduite fouler aux pieds tout respect pour la loi naturelle, et pour tous les devoirs humains. Parmi les estampes encadrées dont j’avais orné mon donjon à Montmorenci était un portrait de ce prince, au-dessous duquel j’avais mis un distique qui finissait ainsi Il pense eu philosophe , et se conduit en roi. Ce vers qui, sous toute autre plume, eût fait un assez bel éloge, avait sous la mienne un sens qui n’était pas équivoque , et qu’expliquait d’ailleurs bien clairement le vers précédent. Ce distique avait été vu de tous ceux qui venaient me voir, et qui n’étaient pas en petit nombre. Le chevalier de Lorenzi l’avait même écrit pour le donner à d’A- lembert, et je ne doutais pas que d’Alembert n’eût pris le soin d’en faire ma cour à ce prince. J’avais encore aggravé ce premier tort par un passage de YEmile où , sous le nom d’Adraste, roi des Dau- niens, on voyait assez qui j’avais en vue , et la remarque n’avait pas échappé aux épilogueurs , puisque madame de Boulllers m’avait mis plusieurs fois sur cet article. Ainsi j’étais bien sûr d’être inscrit en encre rouge sur les registres du roi de Prusse ; et supposant d’ailleurs qu’il eût les principes que j’avais osé lui attribuer , mes écrits et leur auteur ne pouvaient par cela seul que lui déplaire car on sait que les médians et les tyrans m’ont toujours pris dans la plus mortelle haine, même sans me connaître, et sur la seule lecture de mes écrits. J’osai pourtant me mettre à sa merci, et je crus courir peu de risque. Je savais que les passions basses ne subjuguent que les hommes faibles , et ont peu de prise sur les âmes d’une forte trempe, telles que j’avais toujours reconnu la sienne. Je PARTIE U, XII. i\Çf jugeais que Inns sou art de régner il cuirait de se montrer magnanime en pareille occasion , et qu’il n’était pas au-dessus de son caractère de l’être eu effet. Je jugeai qu’une vile et facile vengeance ne balancerait pas un moment en lui l’amour de la gloire ; et, me mettant un moment à sa place, jo ne crus pas impossible qu’il se prévalût de la circonstance pour accabler du poids de sa générosité l’homme qui avait osé mal penser de lui. J’allai donc m’établir à Motiers avec une confiance dont je le crus fait pour sentir le prix , et je me dis r Quand Jean-Jacques s’élève à cété de Coriolan , Frédéric descendra-t-il plus bas que le général des Volsques ? Le colonel Roguin voulut absolument passer avec moi la montagne, et venir m’installer à Motiers. Une belle-sœur de madame Boy-de-La-Tour, appelée madame Girardier , à qui la maison que j’allais occuper était très-commode , ne me vit pas arriver avec un certain plaisir ; cependant elle me mit de bonne grâce en possession de mon logement , et je mangeai chez elle en attendant que Thérèse fût venue , et que mon petit ménage lût établi. Depuis mon départ de Montmorenci, sentant bien que je serais désormais fugitif sur la terre, j’hésitais à permettre qu’elle vînt me joindre , et partager la vie errante à laquelle je me voyais condamné. Je sentais que par cette catastrophe nos relations allaient changer, et que ce qui jusqu’alors avait été faveur et bienfait de ma part, le serait désonnais de la sienne. Si son attachement me restait h l’épreuve de mes malheurs, elle en serait déchirée, et sa douleur ajouterait à mes maux. Si ma disgrâce attiédissait son cœur, elle 4»0 fcOXFESSIOSS. me ferait valoir sa constance comme un sacrifice J et au lieu de sentir le plaisir que j’avais à partager avec elle mon dernier morceau de pain, elle ne sentirait que le mérite qu’elle aurait de vouloir bien me suivre partout où le sort me forçait d’aller. Il faut dire tout je n’ai dissimulé ni les vices de ma pauvre maman ni les miens ; je ne dois pas faire plus de grâce à Thérèse ; et quelque plaisir que je prenne à rendre honneur à une personne qui m’est si chère, je ne veux pas non plus déguiser ses torts, si tant est même qu’un changement involontaire dans les affections du cœur soit un vrai tort. Depuis long-temps je m’apercevais de l’attiédissement du sien. Je sentais qu’elle n’était plus pour moi ce qu’elle fut dans nos belles années, et je le sentais d’autant mieux que j’étais le même pour elle toujours. Je retombai dans le même inconvénient dont j’avais senti l’effet auprès de maman, et cet effet fut le même auprès de Thérèse. N’allons pas chercher des perfections hors de la nature ; il serait le même auprès de quelque femme que ce fût. Le parti que j’avais pris à l’égard de mes enfans, quelque bien raisonné qu’il m’eût paru, ne m’avait pas toujours laissé le cœur tranquille. En méditant mon traité de l’éducation , je sentis que j’avais négligé des devoirs dont rien ne pouvait me dispenser. Le remords enfin devint si vif, qu’il m’arracha presque l’aveu public de ma faute au commencement de Y Emile ; et le trait même est si clair, qu’après un tel passage il est surprenant qu’ont ait eu le courage de me la reprocher. Ma situation cependant était alors j la même, et pire encore par l’animosité de nies ennemis , qui ne cherchaient qu’à me prendre eu PARTIE II, LIVRE XII. 4^1 faute. Je craignis la récidive et, n’en voulant pas courir le risque, j’aimai mieux me condamner à l’abstinence qued’exposer Thérèse à se voir derechef flans le môme cas. J’avais d’ailleurs remarqué que l’habitation des femmes empirait sensiblement mon étal le vice équivalent, dont je n’a^jamais pu bien me guérir, m’y paraissait moins contraire. Cette double raison m’avait fait former des résolutions que j’avais quelquefois assez mal tenues , mais dans lesquelles je persistais avec plus de constance depuis trois ou quatre ans ; c’était aussi depuis cette époque que j’avais remarqué du refroidissement dans Thérèse elle avait pour moi le môme attachement par devoir , mais elle n’en avait plus par amour. Cela jetait nécessairement moins d’agrément dans notre commerce; et j’imaginai que, sûre de la continuation de mes soins où qu’elle pût être, elle aimerait peut-être mieux rester à Paris que d’errer avec moi. Cependant elle i, avait marqué tant de douleur à notre séparation , elle avait exigé de moi des promesses si positives de nous rejoindre, elle en exprimait si vivement le désir depuis mon départ, tant à M. le prince de Conti qu’à M. de Luxembourg, que, loin d’avoir le courage de lui parler de séparation, j’eus à peine celui d’y penser moi-même; et, après avoir senti dans mon cœur combien il m’était impossible .de me passer d’elle, je ne songeai plus qu’à la rappeler incessamment. Je lui écrivis donc de partir; elle vint. A peine y avait-il deux mois que je l’avais quittée ; mais c’était depuis tant d’années notre première séparation. Nous l’ai ions sentie bien cruellement l’un et l’autre. Quel saisissement en nous embrassant! O que les larmes de tendresse ! et de joie sont douces ! Comme mon cœur s’eu 451 LES CONFESSIONS* abreuve ! Pourquoi îu’a-t-on l'a l verser si peu de celles-là ? En arrivant à Motiers j’avais écrit à milord Keith, maréchal d’Ecosse , gouverneur de Neuf- cliàtel, pour lui donner avis de ma retraile dans les états de sa majesté, et pour lui demander sa protection. Il me répondit avec la générosité qu’on lui connaît et que j’attendais de lui. Il m’invita à l’aller voir. J’y fus avec JI. Martinet, châtelain du Val-de-Travers, qui était en grande faveur auprès de son excellence. L’aspect vénérable de cet illustre et vertueux Écossais m’émut puissamment le cœur ; et, dès l’instant même , commença entre lui et moi ce vif attachement qui de ma part est toujours le même, et qui le serait toujours de la sienne , si les traîtres qui m’ont été toutes les consolations de la vie, n’eussent profité de mon éloignement pour abuser sa vieillesse et me défigurer à ses yeux. George Keith , maréchal héréditaire d’Écosse, et frère du célèbre général Keith , qui vécut glorieusement et mourut au lit d’honneur, avait quitté son pays dans sa jeunesse; et y fut proscrit pour s’être attaché à la maison Stuart, dont il se dégoûta bientôt par l’esprit injuste et tyrannique qu’il y remarqua, çt qui en fit toujours le caractère dominant. Il demeura long-temps en Espagne, dont le climat lui plaisait beaucoup , et finit par s’attacher, ainsi que son frère, au roi de Prusse, qui se connaissait en hommes, et les accueillit tous deux comme ils le méritaient. Il fut bien payé de cet accueil par les grands services que lui rendit le maréchal Keith, et par une chose bien plus précieuse encore, la sincère amitié de milord maréchal. La grande âme de ce digne homme, fXRTIE II, LIVRE XII. 4^3 toute républicaine et Hère ne pouvait se plier que sous le joug de l’amitié; mais elle s’y pliait si parfaitement, qu’avec des maximes bien différentes il ne vil plus que Frédéric du moment qu’il lui futattaché. Le roi le chargea d’affaires importantes, l’envoya à Paris, en Espagne; et enfin le voyant, déjà vieux, avoir besoin de repos, lui donna pour retraite le gouvernement de Neufchàtel, avec la délicieuse occupation d’y passer le reste de sa vie à rendre ce petit peuple heureux. Les Neuf'chàtelois, qui n'aiment que la pretin- taille et le clinquant, qui ne se connaissent pas en véritable étoffe, et mettent l’esprit dans les longues phrases, voyant un homme froid et sans façon, prirent sa simplicité pour île la hauteur, sa franchise pour de la rusticité, son laconisme pour de la bêtise, se cabrèrent contre ses soins bienfaisans, parce que, voulant être utile et non cajoleur, il ne savait point flatter les gens qu’il n’cs- timait pas. Dans la ridicule affaire du ministre Petit-Pierre, qui fut chassé par ses confrères pour n’avoir pas voulu qu’ils fussent damnés éternellement, milord, s’étant opposé aux usurpations des ministres, vit soulever contre lui tout le pays dont il prenait le parti; et, quand j’y arrivai, ce stupide murmure n’était pas éteint encore. Il passait au moins pour un homme qui se laiss&it prévenir, et de toutes les imputations dont il fut chargé, c’était peut-être la moins injuste. Mon premier mouvement, en voyant ce vénérable vieillard, fut de m’attendrir sur la maigreur de son corps, déjà décharné par les ans; mais en levant les yeux sur sa physionomie animée, ouverte et noble, je me sentis 6aisi d’un respect mêlé de confiance qui l’emporta sur tout autre sentiment. Aucomplimcnt très-court 45 4 îi* coMT'surN* que je lui lis en l'abordant, il répondit en parlant d’autre chose, comme si j’eusse été là depuis huit jours. Il ne nous dit pas même de nous asseoir. L’empesé châtelain resta debout. Pour moi, je vis dans l’œil perçant et fin de milord je 11e sais quoi de si caressant, que me sentant d’abord à mon aise, j’allai sans façon partager son soplia, et m’asseoir à côté de lui. Au ton familier qu'il prit à l’instant, je sentis que cette liberté lui faisait plaisir et qu’il se disait en lui-même Celui-ci n’est pas un Neufchàlelois. Effet singulier de la grande convenance des caractères! Dans un âge où le cœura déjà perdu sa chaleur naturelle, celui de ce bon vieillard se réchauffa pour moi d’une façon qui surprit tout le monde. Il vint me voir à Motiers, sous prétexte de tirer des cailles et y passa deux jours sans toucher un fusil. Il s’établit entre nous une telle amitié, car c’est le mot, que nous ne pouvions nous passer l’un de l’autre. La château de Colombier, qu’il habitait l’été, était à six lieues de Motiers; j’allais tous les quinze jours au plus tard y passer vingt-quatre heures, puis je revenais de même en pèlerin, le cœur toujours plein delui. L’émotion que j’éprouvais jadis dans mes courses de 'Hermitage à Eau bonne était bien différente assurément; maiselle n’était pas plut douce que celle avec laquelle j’ap- proehaisde Colombier. Que de larmes d’attendrissement j’ai souvent versées dans ma route, en pensant aux bontés paternelles, aux vertus aimables, à la douce philosophie de ce respectable vieillard ! Je l’appelais mou père, il m’appelait son enfant. Ces doux noms rendent en partie l’idée de l’attachement qui nous unissait, mais ils ne rendent pas -encore celle du besoin que nous avions l’un de II, MVRE XII. 455 l’autre, et du désir continuel de nous rapprocher. Il voulait absolument me loger au chdtrau de Colombier, et ine pressa long-temps d’y prendre à demeure l’appartement que j’occupais. Je lui dis enfin que j’étais plus libre chez moi, et que j’aimais mieux passer ma vie à le venir voir. Il approuva cette franchise, et ne m’en parla plus. O bon milord ! O mon digne père ! Que mon cœur s’émeut encore en pensant à vous! Ah! les barbares! quel coup ils m’ont porté en vous détachant de moi ! Mais non, non, grand homme ; vous êtes et serez toujours le même pour moi, qui le suis toujours. Ils vous ont trompé, mais il ne vous ont pas changé. Milord maréchal n’est pas sans défauts c’est un sage, mais c'est un homme. Avec l’esprit le plus pénétrant, avec le tact le plus fin qu’il soit possible d’avoir, avec la plus profonde connaissance des hommes, il se laisse abuser quelquefois, et n’en revient pas. Il a l’humeur singulière, quelque chose de bizarre et d’étranger dans son tour d’esprit. Il paraît oublier les gens qu’il voit tous les jours, et se souvient d’eux au moment qu’ils y pensent le moins; ses attentions paraissent hors de propos; ses cadeaux sont de fantaisie et non de convenance; il donne ou envoie à l’instant ce qui lui passe par la tête, de grand prix ou de nulle valeur indifféremment. Un jeune Genevois, désirant entrer au service du roi de Prusse, se présente à lui; milord lui donne au lieu de lettre un petit sachet de peau plein de pois qu’il le charge de remettre au roi. En recevant cette singulière recommandation, le roi placeà l’instant celui qui la porte. Ces génies élevés ont entre eux un langage que les esprits vulgaire» n’entendront jamais. Ces petites bizarreries, sem- 19 2. TT* rO'PTSS'OXS. blables aux caprices d’une jolie femme, ne me rendaient milord maréchal que plus intéressant. J’étais bien sûr, et j’ai bien éprouvé dans la suite qu’elles n’influaient pas sur ses sentimens, ni sur les soins que lui prescrit l’amitiédans les occasions sérieuses. Mais H est vrai que dans sa façon d’obliger il met encore la même singularité que dans ses manières. j Je n’en citerai qu’un seul trait sur une bagatelle. Comme la journée de Motiers à Colombier était trop forte pour moi, je la partageais d’ordinaire en partant après dîner, et couchant à Brot, à moitié chemin. L’hôte, appelé Sandoz, ayant à solliciter à Berlin une grâce qui lui importait extrêmement, me pria d’engager son excellence à la demander 1 pour lui. Volontiers. Je le mène avec moi; je le laisse dans l’antichambre, et je parle de son affaire à milord, qui ne me répond rien. La matinée se j passe. En traversant la salle pour aller dîner je vois ^ le pauvre Sandoz qui se morfondait d’attendre. Croyant que milord l’avait oublié, je lui en reparle avant de nous mettre à table mot comme auparavant. Je trouvai cette manière de me faire sentir que je l’importunais un peu dure, et je me tus en plaignant tout bas le pauvre Sandoz. En m’cn retournant le lendemain, je lus bien surpris du remercîment qu’il me fit, du bon accueil otdu bon dîner qu’il avait eus chez sou excellence, qui de plus avait reçu son papier. Trois semaines après, milord lui envoya le rescrit qu’il avait demandé, expédié par le ministre et signé du roi, et cela sans m’avoir jamais voulu dire ni répondre un seul mot ni à lui non plus sur cette affaire, dont je crus qu’il ne voulait pas sc charger. Je voudrais ne pas cesser de parler de George Keith c’est de lui que me viennent mes derniers PARTIE II, TARE XIT. 4^7 souvenirs heureux ; tout le reste le ma vie n’a plus été qu’alllictious et serremens de cœur. La mémoire en est si triste et m’en vient si confusémen t, qu’il ne m’est pas possible de mettre aucun ordre dans mes récits ; je serai forcé désormais de les arranger au hasard et comme ils se présenteront. Je ne tardai pas d’être tiré d’inquiétude sur mon asile parla réponse du roi à milord maréchal, en qui, comme on peut croire, j’avais trouvé un bon avocat. Non-seulement sa majesté approuva ce qu’il avait fait, mais elle le chargea, car il faut tout dire,de me donnerdouze louis. Le bon milord, embarrassé d’une pareille commission , et ne sachant comment s’en acquitter honnêtement, tâcha d’en exténuer l’insulte en transformant cet argent en nature de provisions, et me marquant qu’il avait ordre de me fournir du bois et du charbon pour commencer mon petit ménage; il ajouta même, et peut-être de son chef, que le roi me ferait volontiers bâtir une petite maison à ma fantaisie , si j’en voulais choisir remplacement. Cette dernière offre me toucha fort et me fit oublier la mesquinerie de l’autre. Sans accepter aucune des deux, je regardai Frédéric comme mon bienfaiteur et mon protecteur; et je m’attachai si sincèrement à lui que je pris dès lors autant d’intérêt à sa gloire que j’avais trouvé jusqu’alors d’injusticeàsessuccès. A la paix qu’il fit peu après, je témoignai ma joie par une illumination de très-bon goût c’était un cordon de guirlandes dont j’ornai la maison que j’habita>s et où j’eus, il est vrai, la fierté vindicative de dépenser presque autant d’argent qu’il m’en avait voulu donner. La paix conclue, je crus que, sa gloire militaire et politique étant au comble , il allait s’en donner une d’une autre espèce en révi- LES COKTESSIONS. 4 58 vîfianf ses états, en y faisant régner le commerce, l’agriculture, en y créant un nouveau sol, eu le couvrant d’un nouveau peuple, en maintenant la paix chez tous ses voisins, en se faisant l’arbitre de l’Europe après en avoir été la terreur. Il pouvait sans risque poser l’épée , bien sûr qu’on ne l’obligerait pas à la reprendre. Voyant qu’il ne désarmait pas , je craignis qu’il ne profitât mal de ses avantages, et qu’il ne fût grand qu’à demi. J’osai lui écrire à ce sujet, et prenant le ton familier fait pour plaire aux hommes de sa trempe , porter jus qu’à lui cette sainte voix de la vérité que si peu de rois sont faits pour entendre. Ce ne fut qu’en secret et de moi à lui que je pris cette liberté. Je n’en fis pas même participant milord maréchal, et je lui envoyai ma lettre au roi toute cachetée. Milord envoya ma lettre sans s’informer de son contenu. Le roi n’y fit aucune réponse , et quelque temps après milord maréchal étant allé à Berlin , il lui dit seulement que je l’avais bien grondé. Je compris par là que ma lettre avait été mal reçue, et que la franchise de mon zèle avait passé pour la rusticité d’un pédant. Dans le fond cela pouvait très-bien être ; peut-être ne dis-je pas ce qu’il fallait dire, ou ne pris-je pas le ton qu’il fallait prendre. Je ne puis répondre que du sentiment qui m’avait mis la plume à la main. Peu de temps après mon établissement à Motiers- l'ravers, ayant toutes les assurances possibles qu’on m’y laisserait tranquille, je pris l’habit arménien. Ce n’était pas une idée nouvelle. Elle m’était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorenci , où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre , me fit mieux sentir tous les PARTIE II, IIVRE XII. /pJ avantages de l’iiabit long. La commodité d’un tailleur arménien , qui venait souvent voir un parent qu’il avait à Montmorenci , me tenta d’en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu’en dira-t-on , dont je me souciais très-peu- Cependant, avant d’adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l’avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne ; mais l’orage excité contre moi m’en fit remettre l’usage à des temps plus tranquilles ; et ce ne fut que quelques mois après , que, forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Jloticrs , surtout après avoir consulté le pasteur du lieu , qui me dit que je pouvais le porter même au temple sans scandale. Je pris donc la veste, le eaffetan , le bonnet fourré , la ceinture ; et, après avoir assisté dans cet équipage au service divin , je ne vis point d’inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son excellence, me voyant ainsi vêtu , me dit pour tout compliment salamaleki , après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d’autre habit. Ayant quitté tout-à-fait la littérature, je ne songeai plus qu’à mener une vie tranquille et douce autant qu’il dépendrait de moi. Seul, je n’ai jamais connu l’ennui, même dans le plus parfait désœuvrement mon imagination, remplissant tous les vides , suffit seule pour m’occuper. Il n’y a que le bavardage inactif de chambre , assis les uns vis-à-vis des autres à ne mouvoir que la langue , que jamais je n’ai pu supporter. Quand on marche, qu’on se promène, encore passe ; les pieds et les yeux font au moins quelque chose mais rester là les bras croisés, à parler du temps qu’il fait et des mouches 461 ItS COSFESSIOS*. qui volent, ou, qui pis est, à s’entrefaire les complimens, cela m’est un supplice iusupportable. Jé m’avisai , pour ne pas vivre en sauvage , d’apprendre à faire des lacets. Je portais mon coussin dans mes visites, où j’allais, comme les femmes, travaillera ma porte et causer avec les passans. Cela me faisait supporter l’inanité du babillage, et passer mon temps sans ennui chez mes voisines, dont plusieurs étaient assez aimables et ne manquaient pas d’esprit. Une entre autres , appelée Isabelle d’Ivernois, fdle du procureur général de Neuchâtel, me parut assez estimable pour me lier avec elle d’une amitié particulière, dont elle ne s’est pas mal trouvée par les conseils utiles que je lui ai donnés , et par les soins que je lui ai rendus dans des occasions essentielles ; de sorte que maintenant, digne et vertueuse mère de famille , elle me doit peut-être son mari, sa raison, sa vie, et son bonheur. De mon côté je lui dois des consolations très-douces, et surtout durant un bien triste hiver où, dans le fort de mes maux et de mes peines , elle venait passer avec Thérèse et moi de longues soirées , qu’elle savait nous rendre bien courtes par l’agrément de son esprit et par les mutuels épanchemens de nos cœurs. Elle m’appelait son papa, je l’appelais ma fille; et ces noms, que nous nous donnons encore, ne cesseront point, je l’espère, de lui être aussi chers qu’à moi. Pour rendre mes lacets bons à quelque chose , j’en faisais présent à mes jeunes amies à leur mariage, à condition qu’elles nourriraient leurs enfans; sa soeur aînée en eut un à ce titre, et l’a mérité > Isabelle en eut un de même, et ne l’a pas moins mérité par l’intention mais elle n’a pas en le bonheur de pouvoir faire sa volonté. En leur en- PARTIE II, LIVRE XTI. é6>* Voyant ces lacets , j’écrivis à l’une et à l’autre de lettres dont la première a couru le monde ; mais- tant d’éclat n’allait pas à la seconde l’amitié ne marche pas avec si grand bruit. Parmi les liaisons que je fis à mon voisinage , et dans le détail desquelles je n’entrerai pas, je dois noter celle du colonel Puri, qui avait une maison sur la montagne , où il venait passer les étés. Je n’étais pas empressé de sa connaissance , parce que je savais qu’il était très-mal à la cour et au- pri s de milord maréchal, qu’il ne voyait point. Cependant, comme il me vint voir et me fit beaucoup d’honnêtetés, il fallut l’aller voir à mon tour. Cela continua ; et nous mangions quelquefois l’un chez l’autre. Je fis chez lui connaissance avec M. du Peyrou , et ensuite une amitié trop intime pour que je puisse me dispenser de parler de lui. M. du Peyrou était Américain , fils d’un commandant de Surinam , dont le successeur, M. Le Chambrier, épousa la veuve. Devenue veuve une deuxième fois , elle vint avec son fils s’établir dans le pays de son second mari. Du Peyrou , fils unique , fort riche , et tendrement aimé de sa mère, avait été élevé avec assez de soin, et son éducation lui avait profité. Il avait acquis beaucoup de demi-connaissances, quelque goût pour les arts y et il se piquait surtout d’avoir cultivé sa raison son air hollandais , froid et philosophe , son teint basané , son humeur silencieuse et cachée, favorisaient beaucoup cette opinion. Il était sourd et goutteux, quoique jeune encore cela rendait tous ses mouvemens fort posés, fort graves; et quoiqu’il aimât à disputer, quelquefois même un peu longuement , généralement il parlait peu , parce Ju’il n’entendait pas. Tout cet extérieur m’en imposa 4^a tts coxfessioxs. je me dis , voici un penseur, un homme sage, tel qu’on serait heureux d’avoir un ami. Pour * achever de me prendre , il m’adressait souvent la parole, sans jamais me faire aucun compliment. Il me parlait peu de moi, peu de mes livres, très- peu de lui. Il n’était pas dépourvu d’idées, et tout ce qu’il disait était assez juste. Cette justesse et cette * égalité m’attirèrent. Il n’avait dans l’esprit ni l’élévation ni la finesse de celui de milord maréchal, mais il en avait la simplicité ; c’était toujours le représenter en quelque chose. Je ne m’engouai pas, mais je m’attachai par l’estime; et, par trait de temps, cette estime amena l’amitié. J’oubliai totalement avec lui l’objection que j’avais faite au baron d’Holbach qu’il était trop riche; et je crois que j’eus tort. J’ai appris à douter qu’un homme jouissant d’une grande fortune, quel qu’il puisse être, puisse aimer sincèrement mes principes et leur auteur. Pendant assez long-temps, je vis peu du Pcyrou, , parce que je n’allais point à Neufchâlel, et qu’il ne venait qu’une fois l’année à la montagne du colonel Puri. Pourquoi n’allais-je point à Neufchâlel? C’est un enfantillage qu’il ne faut pas taire. Quoique protégé par le roi de Prusse et par milord maréchal, si j'évitai d’abord la persécution dans mon asile, je n’évitai pas du moins les murmures du public, des magistrats municipaux, des ministres. Après le branle donné par la France , il n’était pas du bon air de ne pas me faire au moins 1 quelque insulte, on aurait eu peur de paraître im- prouver mes persécuteurs, en ne les imitant pas. La classe de Neufchâtel, c’est-à-dire , la compagnie des ministres , donna le branle en tentant d’abord d’émouvoir contre moi le conseil d’état. PARTIE II, LIVRE XII. 4^3 Cette tentative n’ayant pas réussi, les ministres s’adressèrent au magistrat municipal, qui fit aussitôt défendre mon livre; et, me traitant en toute occasion peu honnêtement, faisait comprendre et disait même que si j’avais voulu m’aller établir dans la ville, on ne in’y aurait pas souffert. Ils remplirent leur Mercure d’inepties et du plus idiot cafardage, qui, tout en faisant rire les gens sensés, ne laissait pas d’échauffer le peuple et de l’animer contre moi. Tout cela n’empêchait pas qu’à les entendre dire je ne dusse être très-reconnaissant de l’extrême grâce qu’ils me faisaient de me laisser vivre à Mo- tiers ; ils m’auraient volontiers mesuré l’air à la pinte, à condition que je l’eusse payé bien cher. Ils voulaient que je leur fusse obligé de la protection que le roi m’accordait malgré eux, et qu’ils travaillaient sans relâche àm’ôter. Enfin, n’y pouvant réussir, après m’avoir fait tout le tort qu’ils purent, et m’avoir décrié de tout leur pouvoir, ils se firent un mérite de leur impuissance, en me faisant valoir la bontéqu’ils avaient île me souffrir dans leur pays. J’aurais dû leur rire au nez pour toute réponse, je fus assez bête pour me piquer, et j’eus l'ineptie île ne vouloir point aller à Neufchâtel; résolution que je tins près de deux ans, comme si ce n’était pas trop honorer de pareilles espèces de faire attention à leurs procédés, qui, bons ou mauvais, ne peuvent leur être imputés, puisqu’ils n’agissent jamais que par impulsion ! D’ailleurs des esprits sans culture et sans lumières, qui ne connaissent d’autre objet de leur estime que le crédit, la puissance et l’argent , sontbicn éloignés de soupçonner même qu’on doive quelque égard aux talens, et qu’il y ait du déshonneur à les outrager. Un certain maire dé village , qui pour ses mal- E- 20 464 COKFESSIOSS. versations avait été cassé , disait au lieutenant du Val-de-Travers, mari de mon Isabelle On dit que ce Housseau a tant d’esprit ; amenez-le-moi, que je voie si cela-est vrai. Assurément les méconten- temens d’un homme avec qui l’on prend un pareil ton doivent peu fâcher ceux qui les éprouvent. Sur la façon dont on me traitait à Paris, à Genève, à Neufclùttel même, je ne m’attendais pas à plus de ménagement de ia part du pasteur du lieu. Je lui avais cependant été recommandé par madame Boy-dc-La-Tour, et il m’avait fait beaucoup d’accueil ; mais dans ce pays, où l’on flatte également tout le monde , les caresses ne signifient rien. Cependant, après ma réunion solennelle à l’église réformée , vivant en pays réformé, je ne pouvais, sans manquer à mes engagemens et à mon devoir de citoyen , négliger la profession publique du culte où j’étais rentré; j’assistais donc au service divin. D’un autre côté, je craignais , en me présentant à la table sacrée, de m’exposer à l’affront d’un refus ; et il n’était nullement probable qu’après le vacarme fait à Genève par le conseil, et à Neufchâtel par la classe, il voulût m’administrer tranquillement la cène dans son église. Voyant donc approcher le temps de la communion, je pris le parti d’écrire à M. de Montmolin c’était le nom du ministre, pour faire acte de bonne volonté, et lui déclarer que j’étais toujours uni de cœur à l’église protestante; je lui dis en même temps, pour éviter des chicanes sur les articles de foi, que je ne voulais aucune explication particulière sur le dogme. M’étant ainsi mis en règle de ce côté, je restai tranquille, ne doutant pas que M. deMontmollin 11e refusât de m’admettre sans la discussion préliminaire dont je 11e voulais point, et qu’ainsi tout 11e fût fini sans qu’il y eût PARTIE II, LIVRE XII. 4^5 de ma faute point du tout. Au moment où je m’y attendais le moins, M. de Montmollin vint me déclarer non-seulement qu’il m’admettait à la communion sous la clause que j’y avais mise, mais, de plus, que lui et ses anciens se faisaient un grand honneur de m’avoir dans son troupeau. Je n’eus de mes jours pareille surprise, ni plus consolante. Toujours vivre isolé sur la terre me paraissait un destin bien triste , surtout dans l’adversité. Au milieu dotant de proscriptions et de persécutions, je trouvais une douceur extrême de pouvoir me dire Au moins je suis parmi mes frères ; et j’allai communier avec une émotion de cœur et des larmes d’attendrissement, qui étaient peut-être la préparation la plus agréable à Dieu qu’on pût y porter. Quelque temps après , milord m’envoya une lettre de madame de Boufllers, venue, du moins je le présumai, par la voie de d’Alembert, qui connaissait milord maréchal. Dans cette lettre , la première que cette dame m’eût écrite depuis mon départ de Montmorenci, elle me tançait vivement de celle que j’avais écrite à M. de Montmollin, et surtout d’avoir communié. Je compris d’autant moins à qui elle en avait avec sa mercuriale, que depuis mon voyage de Genève je m’étais toujours déclaré hautement protestant, et que j’avais été très-publiquement à l’hôtel de Hollande, sans que personne au monde l’eût trouvé mauvais. Il me paraissait fort plaisant que madame la comtesse de Boufllers voulût se mêler de diriger ma conscience en fait de religion. Cependant, comme je ne doutais pas que son intention, quoique je n’y comprisse rien, ne fût la meilleure du monde , je ne m’offensai point de cette singulière sortie , et je lui répondis sans colère, en lui disant mes raisons. LES COXFESSIOXS. 4G Cependant les injures imprimées allaient leur train , et leurs bénins auteurs reprochaient aux puissances de me traiter trop doucement. Ce concours d’aboiemens, dont les moteurs continuaient d’agir sous le voile, avait quelque chose de sinistre et d’effrayant. Four moi, je laissais dire sans m’émouvoir. On m’assura qu’il y avait une censure de la Sorbonne ; je n’en crus rien. De quoi pouvait se mêler la Sorbonne dans cette affaire ? Voulait-elle assurer que je n’étais pas catholique ? Tout le monde le savait. Voulait-elle prouver que je n’étais pas bon calviniste? C’était prendre un soin bien singulier ; c’était se faire les substituts de nos ministres. Avant d’avoir vu cet écrit, je crus qu’on le faisait courir sous le nom de la Sorbonne pour se moquer d’elle ; je le crus bien plus encore après l’avoir lu. Enfin, quand je ne pus plus douter de son authenticité, tout ce que je me réduisis à croire fut qu’il fallait mettre la Sorbonne aux petites maisons. Un autre écrit m’affecta davantage, parce qu’il venait d’un homme pour qui j’avais toujours de l’estime , et dont j’admirais la constance en plaignant son aveuglement. Je parle du mandement de l’archevêque de Paris contre moi. Je crus que je me devais d’y répondre. Je le pouvais sans m’avilir; c’était un cas à peu près semblable à celui du roi de Pologne. Je n’ai jamais aimé les disputes brutales à la Voltaire. Je ne sais me battre qu’avec dignité, et je veux que celui qui m’attaque ne déshonore pas mes coups, pour que je daigne me défendre. Je ne doutais point que ce mandement ne fût de la façon des jésuites ; et, quoiqu’ils fussent malheureux eux - mêmes , j’y reconnaissais toujours leur ancienne maxime PARTIE II, LIVRE Xi!. 4^'? d’écraser les malheureux. Je pouvais donc aussi suivre mon ancienne maxime d’honorer l’auteur titulaire, et de foudroyer l’ouvrage ; et c’est ce que je crois avoir fait dans ma réponse avec assez de succès. Je trouvais le séjour de Motiers fort agréable ; et, pour me déterminer à y finir mes jours , il ne me manquait qu’une subsistance assurée mais on y vit assez chèrement ; et j’avais vu renverser tous mes anciens projets par la dissolution de mon ménage, par l’établissement d’un nouveau, par la vente ou dissipation de tous mes meubles , et par les dépenses qu’il m’avait fallu faire depuis mon départ de Montmorenci. Je voyais journellement diminuer le petit capital que j’avais devant moi. Deux ou trois ans suffisaient pour en consumer le reste, sans que je visse aucun moyen de le renouveler, à moins de recommencer à faire des livres , métier funeste auquel j’avais déjà renoncé. Persuadé que tout changerait bientôt à mon égard, et que le public, revenu de sa frénésie, en ferait rougir les puissances, je ne cherchais qu’à prolonger mes ressources jusqu’à cet lieurei . changement, qui me laisserait plus en état de choisir parmi celles qui pourraient s’offrir. Pour cela je repris mon Dictionnaire de musique, que dix ans de travail avaient déjà fort avancé, et auquel il ne manquait que la dernière main et d’étre mis au net. Mes livres qui m’avaient été envoyés depuis peu me fournirent les moyens d’achever cct ouvrage ; mes papiers qui me furent envoyés en même temps me mirent en état de commencer l’entreprise de mes mémoires , dont je voulais uniquement m’occuper désormais. Je commençai par transcrire des lettres dans un recueil, qui put 468 LES CONFESSIONS. guider ma mémoire dans l’ordre des faits et des temps. J’avais déjà fait le triage de celles que je voulais conserver pour cet effet, et la suite depuis près de dix ans n’en était point interrompue. Cependant, en les arrangeant pour les transcrire, j'y trouvai une lacune qui me surprit. Cette lacune était de près de six moi», depuis octobre 17 56 jusqu’au mois de mars suivant. Je me souvenais parfaitement d’avoir mis dans mon triage nombre de lettres de Diderot, de Deleyre , de madame d’Épinai, de madame de Clienonceaux , etc., qui remplissaient cette lacune, et qui 11e se trouvèrent plus. Qu’étaient-elles devenues? Quelqu’un avait-il mis la inain sur mes papiers pendant quelques mois qu’ils étaient restés à l’hôtel de Luxembourg? Cela n’était pas concevable, et j’avais vu M. le maréchal lui-même prendre la clef de la chambre où je les avais déposés. Comme plusieurs lettres de femmes et toutes celles de Diderot étaient sans date, et que j’avais été forcé de remplir ces dates de mémoire et en tâtonnant, pour ranger ces lettres dans leur ordre, je crus d’abord avoir fait des erreurs de dates ; et je passai en revue toutes les lettres qui n’en avaient point ou auxquelles je l’avais suppléée, pour voir si je 11’y trouverais point celles qui devaient remplir ce vide. Cet essai ne réussit point; je vis que le vide était bien réel, et que les lettres avaient certainement été enlevées. Par qui et pourquoi ? voilà ce qui me passait. Ces lettres, antérieures à mes grandes querelles, et du temps de ma première ivresse de la Julie, ne pouvaient intéresser personne. C’étaient tout au plus quelques tracasseries de Diderot, quelques persiflages de Deleyre , des témoignages d’amitié de madame de Chenonceaux et même de madame d’Épinai, PARTIE H, LIVRE XII. avec laquelle j’étais alors le mieux du monde. A qui pouvaient importer ces lettres ? Qu’en voulait-on faire ? [ Ce n’est que sept ans après que j’ai soupçonné l’affreux objet de ce vol. ] Ce déficit bien avéré me fit chercher parmi mes brouillons si j’cn découvrirais quelque autre. J’en trouvai quelques-uns qui, vu mon défaut de mémoire , m’en firent supposer d’autres dans la multitude de mes papiers. Ceux que je remarquai le plus furent le brouillon de la Morale, sensitive , et celui de l'Extrait des aventures de milord Edouard. Ce dernier , je l’avoue, ine donna quelque soupçon sur madame de Luxembourg. C’était La Roche , son valet de chambre , qui m’avait expédié ces papiers ; et je n’imaginai qu'elle au monde qui pût prendre intérêt à ce chiffon mais quel intérêt pouvait-elle prendre à l’autre et aux lettres enlevées, dont, même avec de mauvais desseins, on ne pouvait faire aucun usage qui put me nuire, à moins de les falsifier ? Pour M. le maréchal, dont je connaissais la droiture invariable et la vérité de son amitié pour moi, je ne pus le soupçonner un moment ; je ne pus même arrêter ce soupçon sur madame la maréchale. Tout ce qui me vint de plus raisonnable à l’esprit, après m’être fatigué long-temps à chercher l’auteur de ce vol, fut de l’imputer à d’Âlembert, qui, déjà faufilé chez madame de Luxembourg, avait pu trouver le moyen de fureter ces papiers, et d’en enlever ce qu’il lui avait plu tant en manuscrits qu’en lettres, soit pour chercher à me susciter quelque tracasserie , soit pour s’approprier ce qui lui pouvait convenir. Je supposai qu’abusé par le titre de la Morale sensitive, il avait cru trouvev le plan d’un vrai traité de matérialisme, dont il aurait tiré COXFE9SIOXS. 4;o contre moi le parti qu’on peut bien s’imaginer. .Sur qu’il serait bientôt détrompé par l’examen du brouillon , et déterminé à quitter tout-à- l'ait la littérature , je m’inquiétai peu de ces larcins , qui n’étaient pas les premiers de la même main 1 que j’avais endurés sans m’en plaindre. Bientôt je ne songeai pas plus à cette infidélité que si l’on ne m’en eût fait aucune ; et je me mis à rassembler les matériaux qu’on m’avait laissés, pour travailler à mes Confessions. J'avais long-temps cru qu’à Genève la compagnie des ministres , ou du moins les citoyens et bourgeois , réclameraient contre l’infraction de l’édit dans le décret porté contre moi. Tout resta tranquille , au moins à l’extérieur ; car il y avait un mécontentement général qui n’attendait qu’une occasion pour se manifester. Mes amis , ou soi- disant tels, m’écrivaient lettres sur lettres pour m’exhorter à venir me mettre àleur tète, m’assurant d’une réparation publique de la part du conseil. La crainte du désordre et des troubles que ma présence pouvait causer m’empécha d’acquiescer à leurs instances; et, fidèle au serment que j’avais fait autrefois de ne jamais tremper dans aucune dissension civile dans mon pays, j’aimai mieux laisser subsister l’offense et me bannir pour jamais de ma patrie que d’y rentrer par des moyens vio- 1 J’avais trouvé clans ses Elémens de musique beaucoup de choses tire'es de ce que j’avais écrit sur cet art pour l’£n- cyclopèdie , et qui lui fut remis plusieurs années avant la publication de ses Elèmeus. J’ignore la part qu’il a pu avoir à un livre intitidé Dictionnaire des beaux-arts ; mais j’y ai trouvé des articles transcrits des miens mot à mot; et cela long-temps avant que ces mêmes articles fussent imprimés dans l 'Encyclopédie. PARTIE II , LIVRE XII. 47 1 lens et dangereux. Il est vrai que je m’étais attendu de la part de la bourgeoisie à des représentations légales et paisibles contre une infraction qui l’intéressait extrêmement. Il n’y en eut point. Ceux qui la conduisaient cherchaient moins le vrai redressement des griefs que l’occasion de se rendre nécessaires. On cabalait, mais on gardait le silence, et on laissait clabauder les caillettes et les cafards que le conseil mettait en avant pour me rendre odieux à la populace , et faire attribuer son incartade au zèle de la religion. Après avoir attendu vainement plus d’un an que quelqu’un réclamât contre une procédure illégale, je pris enfin mon parti; et, me voyant abandonné de mes concitoyens, je me déterminai à renoncer à mon ingrate patrie, où je n’avais jamais vécu, dont je n’avais reçu ni bien ni service, et dont, pour prix de l’honneur que j’avais tâché de lui rendre , je me voyais si indignement traité d’un consentement unanime, puisque ceux qui devaient parler n’avaient rien dit. J’écrivis donc au premier syndic de cette année-là, et dont j’ai oublié le nom, une lettre par laquelle j’abdiquais solennellement mon droit de bourgeoisie, et dans laquelle, au reste, j’observai la décence et la modération que j’ai toujours mises aux actes de fierté que la cruauté de mes ennemis m’a souvent arrachés dans mes malheurs. Cette démarche ouvrit enfin les yeux aux citoyens ; sentant qu’ils avaient eu tort pour leur propre intérêt d’abandonner ma défense , ils la prirent quand il n’était plus temps. Ils avaient d’autres griefs qu’ils joignirent à celui-là , et ils en firent la matière de plusieurs représentations très-bien raisonnées qu’ils étendirent et renforcèrent à mesure lis CONFESSIONS. 472 que les durs et rebutans refus du conseil, qui sé sentait soutenu par le ministère de France, leur firent mieux sentir le projet formé de les asservir. Ces altercations produisirent diverses brochures qui 11e décidaient rien, jusqu’à ce que parurent tout d’un coup les Lettres écrites de la campagne, ouvrage écrit en faveur du conseil avec un art infini, et par lequel le parti représentant, réduit au silence , fut pour un temps écrasé. Cette pièce, monument durable des rares talens de son auteur, était du procureur général Tronchin, homme d’esprit, homme éclairé , très-versé dans les lois et le gouvernement de la république. Siluit terra. Les représentans, revenus de leur premier abattement, entreprirent une réponse, et s’en tirèrent passablement avec le temps. Mais tous jetèrent les yeux sur moi, comme sur le seul qui pût entrer en lice contre un tel adversaire avec espoir de le terrasser. J’avoue que je pensai de même ; et, poussé par mes anciens concitoyens, qui me faisaient un devoir de les aider de ma plume dans un embarras dont j’avais été l’occasion , j’entrepris la réfutation des Lettres écrites de ia campagne, et j’en parodiai le titre par celui de Lettres écrites de ia montagne que je mis aux miennes. Je fis cette entreprise et je l’exécutai si secrètement que, dans un rendez-vous que j’eus à Thonon avec les chefs des représentans, pour parler de leurs affaires, et où ils me montrèrent l’esquisse de leur réponse, je ne leur dis pas un mot de la mienne qui était déjà faite, craignant qu’il ne survînt quelque obstacle à l’impression , s’il en parvenait le moindre vent soit aux magistrats, soit à mes ennemis particuliers. Je n’évitai pourtant pas que cet ouvrage ne fût connu en France avant la publication ; mais on PARTI! II, LIVRE XII. 4/3 aima mieux le laisser paraître que de me faire trop comprendre comment on avait découvert mon secret. Je dirai là-dessus ce que j’ai su , qui se . borne à très-peu de chose ; je me tairai sur ce que j’ai conjecturé. J’avais à Motiers presque autant de visites que j’en avais eu à l’Hermitageet à Montmorenci; mais elles étaient la plupart d’une espèce fort différente. Ceux qui m’étaient venus voir jus [u’alors étaient des gens qui, ayant avec moi des rapports de tafens, de goûts, de maximes, les alléguaient pour cause de leurs visites, et me mettaient d’abord sur des matières dont je pouvais m’entretenir avec eux. A Motiers , ce n’était plus cela, surtout du côté de France. C’étaient des officiers ou d’autres gens qui n’avaient aucun goût pour la littérature , qui même, pour la plupart, n’avaient jamais lu mes écrits, et qui ne laissaient pas d’avoir fait, à ce qu’ils disaient, trente , quarante , soixante , cent lieues pour me venir voir et admirer l’homme illustre, le grand homme, l’homme célèbre, etc. T car dès lors on n’a cessé de me jeter grossièrement à la face les plus impudentes flagorneries, dont l’estime de ceux qui m’abordaient m’avait garanti jusqu’alors. Comme la plupart de ces survenans ne daignaient ni se nommer ni me dire leur état , que leurs connaissances et les miennes ne tombaient pas sur les mêmes points, et qu’ils n’avaient ni lu ni parcouru mes ouvrages, je ne savais de quoi leur parler j’attendais qu’ils parlassent eux- mêmes, puisque c’était à eux à savoir et à me dire pourquoi ils me venaient voir. O11 sent que cela ne faisait pas pour moi des conversations bien intéressantes, quoiqu’elles pussent l’être pour eux, selon ce qu’ils voulaient savoir; car, comme j'étais 4;4 tES CONFESSIONS* sans défiance, je m’exprimais sans réserve sur toutes les questions qu’ils jugeaient à propos de me faire , et ils s’en retournaient pour l’ordinaire aussi savans que moi sur tous les détails de ma situation. J’eus, par exemple, de cette façon M. de Feins, écuyer de la reine et capitaine de cavalerie dans le régiment de la reine, lequel eut la constance de passer plusieurs jours à Motiers, et même de me suivre pédestrement jusqu’à la Ferrière, menant son cheval par la bride, sans avoir avec moi d’autre point de réunion, sinon que nous connaissions tous deux mademoiselle Fel, et que nous jouions l’un et l’autre au bilboquet. J’eus, avant et après M. de Feins, une autre visite bien plus extraordinaire. Deux hommes arrivent à pied , conduisant chacun un mulet chargé de son petit bagage, logent à l’auberge , pansent leurs mulets eux-mêmes , et demandent à me venir voir. A leur équipage on prit ces muletiers pour des contrebandiers ; et la nouvelle eourut aussitôt que des contrebandiers venaient me rendre visite. Leur seule façon de m’aborder m’apprit que c’était des gens d’une autre étoffe mais, sans être des contrebandiers, ce pouvait être des aventuriers, et ce doute me tint quelque temps en garde. Ils ne tardèrent pas à me tranquilliser. L’un était M. de llontauban, appelé le comte de La Tour-du-Pin , gentilhomme du Dauphiné ; l’autre était M. Dastier, de Carpenfras, ancien militaire, qui avait mis sa croix de Saint- Louis dans sa poche, ne voulant pas l’étaler à la queue de son mulet. Ces messieurs, tous deux très- aimables , avaient tous deux beaucoup d’esprit; leur conversation était agréable et intéressante de m'aUordcr m'a tl'uno autre étoile . Con fbj'J' ions , ilo faron jpri ji criaient do miÉ i / / * ^V'- FARTIE II, LIVRE XII. ^5 leur manière de voyager , si bien dans mon goût et si peu dans celui des gentilshommes français , me donna pour eux une sorte d'attachement que leur commerce ne pouvait qu’affermir. Cette connaissance même ne finit pas là, puisqu’elle dure encore, et qu’ils me sont revenus voir diverses fois, non plus à pied cependant, cela était bon pour le début ; mais plus j’ai vu ces messieurs, moins j’ai trouvé de rapports entre leurs goûts et les miens , moins j’ai senti que leurs maximes fussent les miennes, que mes écrits leur fussent familiers, qu’il y eût aucune véritable sympathie entre eux et moi. Que me voulaient-ils donc? Pourquoi me venir voir dans cet équipage? Pourquoi rester plusieurs jours? Pourquoi revenir plusieurs fois ? Pourquoi désirer si fort de m’avoir pour hôte ? Je ne m’avisai pas alors de me faire toutes ces questions. Je me les suis faites quelquefois depuis ce temps-là. Touché de leurs avances, mon cœur se livrait sans raisonner, surtout à M. Dastier, dont l’air plus ouvert me plaisait davantage. Je demeurai même en correspondance avec lui ; et, quand je voulus faire imprimer les Lettres de la montagne, je songeai à m’adresser à lui pour donner le change à ceux qui attendaient mon paquet sur la route de Hollande. Il m’avait parlé beaucoup de la liberté de la presse à Avignon; il m’avait offert ses soins si j’avais quelque chose à y faire imprimer je me prévalus de cette offre, et je lui adressai successivement par la poste mes premiers cahiers. Après les avoir gardés assez long-temps, il me les renvoya, en me marquant qu’aucun libraire n’avait osé s’eu charger ; et je fus contraint de revenir à Rey, prenant soin de n’envoyer mes cahiers que 4'6 LES COttFESSIOKS. l’un après l’autre, et de ne lâcher les suivans qu’a- près avoir reçu avis de la réception des premiers. Avant la publication de l’ouvrage, je sus qu’il avait été vu dans les bureaux des ministres ; et d’Escherni, de Neufchâtel, me parla d’un livre de l'Homme de la montagne que d’Holbach lui avait dit être de moi. Je l’assurai, comme il était vrai, n’avoir jamais fait aucun ouvrage qui eût ce titre. Quand mes lettres parurent, il était furieux , et m’accusa de mensonge, quoique je ne lui eusse dit que la vérité. Voilà comment j’eus J’assurance que mon manuscrit était connu. Sûr de la fidélité de Rey, je fus forcé de porter ailleurs mes conjectures, et celie à laquelle j’aimai le mieux m’arrêter fut que mes paquets avaient été ouverts à la poste. Une autre connaissance à peu près du même temps, mais qui se fit d’abord seulement par lettres, fut celle d’un M. Laliaud, deNîmes, lequel m’écrivit de Paris pour me prier de lui envoyer mon profil à la Silhouette, dont il avait, disait-il, besoin pour mon buste en marbre qu'il faisait faire par Lemoine, pour le placer dans sa bibliothèque. Si c’était une cajolerie inventée pour m’apprivoiser, elle réussit pleinement. Je jugeai qu’un homme qui voulait avoir mon buste en marbre dans sa bibliothèque était plein de mes ouvrages, parconsé- quent, de mes principes, et qu’il m’aimait parce que son âme était au ton de la mienne. 11 était difficile que cette idée ne me séduisît pas. J’ai vu RI. Laliaud dans la suite ; je l’ai trouvé très-zélé pour me rendre beaucoup de petits services, pour s’entremêler beaucoup dans mes petites atfaires; mais, du reste, je doute que mes écrits aient été du petit nombre de livres qu’il a lus en sa vie. J’ignore s’il a une bibliothèque, et si c’cst un meuble à son PARTIE H, LIVRE XII. 4/7 usage ; et quant au buste, il s’est borné à une mauvaise esquisse en terre, sur laquelle il a fait graver un portrait hideux, qui ne laisse pas de courir sous mon nom , comme s’il avait avec moi quelque ressemblance. Le seul Français qui parut me venir voir par goût pour mes sentimeus et pour mes ouvrages fut un jeune officier du régiment de Limousin , appelé M. Séguier de Saint-Brisson, qu’on a vu et qu’on voit peut-être encore briller à Paris et dans le monde par des talens assez aimables, et par de s prétentions au bel esprit. Il m’était venu voir à Montmorenci l’hiver qui précéda ma catastrophe. Je lui trouvai une vivacité de sentiment qui me plut. Il m’écrivit dans la suite à Motiers ; et, soit qu’il voulût me cajoler, ou que réellement la tète lui tournât de VEmile, il m’apprit qu’il quittait le service pour vivre indépendant, et qu’il apprenait le métier de menuisier. Il avait un frère aîné, capitaine dans le même régiment, pour lequel était toute la prédilection de la mère, qui, dévote outrée, et dirigée par je ne sais quel abbé tartufe , en usait très-mal avec le cadet, qu’elle accusait d’irréligion, et même du crime irrémissible d’avoir des liaisons avec moi. Voilà les griefs sur lesquels il voulut rompre avec sa mère , et prendre le parti dont je viens de parler; le tout pour faire le petit Emile. Alarmé de cette pétulance , je me hâtai de lui écrire pour le faire changer de résolution, et je mis à mes exhortations toute la force dont j’étais capable elles furent écoutées. Il rentra dans son devoir vis-à-vis de sa mère, et il retira des mains de son colonel sa démission qu’il lui avait donnée, et dont celui-ci avait eu la prudence de ne faire aucun 47* IES COKFESSIOÎI*. , usage, pour lui laisser le temps d'y mieux réfléchir. Saint-Brisson, revenu de ses folies , en fit une un peu moins choquante, mais qui n’était guère plus de mon goût ; ce fut de se l'aire auteur. Il donna coup sur coup deux ou trois brochures, qui n’annonçaient pas un homme sans tulens , mais sur lesquelles je n’aurai pas à me reprocher de lui avoir doiuié des éloges Lien cncouragcaus pour poursuivre cette carrière. Quelque temps après il me vint voir, et nous fîmes ensemble le pèlerinage de l'Ile de Saint- Pierre. Je le trouvai, dans ce voyage, différent de ce que je l’avais vu à Montmorenci. Il avait je ne sais quoi d’affecté qui d’abord ne me choqua pas beaucoup, mais qui m’est revenu souvent en mémoire depuis ce temps-là. 11 me vint voir encore une fois à l’hôtel de Saint-Simon, à mon passage à Parispour aller en Angleterre. J’appris là ce qu’il ne m’avait pas dit, qu’il vivait dans les plus grandes sociétés, et qu’il voyait assez souvent madame de Luxembourg. Il ne me donna aucun signe de vie à Trie , et ne me lit rien dire par sa parente mademoiselle Séguier, qui était ma voisine, et qui ne m’a jamais paru bien favorablement disposée pour moi. En un mot, l’engouement de M. de Saint- Brisson finit tout d’un coup, comme la liaison de M. de Feins mais celui-ci ne me devait rien, et l’autre me devait au moins quelque souvenir, à moins que les sottises que je l’avais empêché de faire n’eussent été qu’un jeu de sa part; ce qui, dans le fond, pourrait très bien être. J’eus aussi des visites de Genève tant et plus. Les Deluc père et fils me choisirent successivement pour leur garde-malade; le père tomba malade en route; le ils l’était en partant de Genève PARTIE II, LIVRE XII. 479 tous deux vinrent se rétablir chez moi. Des ministres, des parens , des cagots , des quidams de toute espèce, venaient de Genève et de Suisse, non pas, comme ceux de France, pour m’admirer et me persillcr , mais pour me tancer et catéchiser. Le seul qui me fit plaisir fut Moultou , qui vint passer trois ou quatre jours avec moi, et que j’y à il rais bien voulu retenir davantage ; le plus constant de tous, celui qui s’opiniâtra le plus, et qui me subjugua à force d’importunités, fut un M. d’Iver- nois, commerçant de Genève, Français réfugié, et parent du procureur général de Neufchâtel. Ce M. d'Ivcrnois, de Genève , passait à Motiers deux fois l’an tout exprèspourm’y venir voir, restait chez moi du matin au soir plusieurs jours de suite, se mettait de mes promenades , m’apportait mille sortes de petits cadeaux , s’insinuait malgré moi dans ma confidence, se mêlait de toutes mes all'aircs, sans qu’il y eût entre lui et moi aucune communion d’idées, ni d’inclinations, ni de sentimens, ni de connaissances. Je doute qu’il ait lu dans toute sa vie un livre entier d’aucune espèce , et qu’il sache même de quoi traitent les miens. Quand je commençai d'herboriser, il me suivit dans mes courses de botanique , sans goût pour cet amusement, et sans avoir rien à me dire, ni moi à lui. Il eut même le courage de passer avec moi trois jours entiers tète-à-tête dans un cabaret à Gou- moins, d’où j’avais cru le chasser à force de l’ennuyer et de lui faire sentir combien il m’ennuyait; et tout cela , sans qu’il m’ait été possible jamais de rebuter son incroyable constance, ni d’en pénétrer le motif. Parmi toutes ces liaisons que je ne Ils et n’entretins que par force, je ne dois pas omettre la scide LES CONFESSIONS- . 4SO qui m’ait été agréable, et à laquelle j’ai mis un véritable intérêt de cœur c’est celle d’un jeune Hongrois qui vint se fixer à Neufchâtel, et de là à Motiers, quelques mois après que j’y fus établi moi-même- On l’appelait dans le pays le baron de Saultcrn, nom sous lequel il y avait été recommandé de Zurich. Il était grand et bien fait, d’une figure agréable, d’une société liante et douce. Il dit à tout le monde et me fit entendre à moi-même qu’il n’était venu à Neufcliàtel qu’à cause de moi, et pour former sa jeunesse à la vertu par mon commerce. Sa physionomie, son ton, ses manières, me parurent d’accord avec ses discours; et j’aurais cru manquer à l’un des plus grands devoirs en éconduisant un jeune homme en qui je ne voyais rien que d'aimable, et qui me recherchait par un si respectable motif. Mon cœur ne sait point se livrer à demi. Bientôt il eut toute mon amitié , toute ma confiance ; nous devînmes inséparables. 11 était de toutes mes courses pédestres ; il y prenait goût. Je le menai chez miloid maréchal, qui lui lit mille caresses. Comme il ne pouvait encore s’exprimer en français, il ne me parlait et ne m’écrivait qu’en latin , je lui répondais en français, et ce mélange des deux langues ne rendait nos entretiens ni moins coulans, ni moins vifs à tous égards. II me parla de sa famille, de ses affaires, de ses aventures , de la cour de Vienne dont il paraissait bien connaître les détails domestiques. Enfin pendant près de deux ans que nous passâmes dans la plusgrande intimité, je ne lui trouvai qu’une douceur de caractère à toute épreuve , des mœurs non-seulement honnêtes mais élégantes ,unegrandç propreté sur sa personne , une décence extrême dans tous ses discours, enfin toutes les marques PARTIE II, LIVRE XII. 4$I l’un homme bien né, qui me le rendirent trop estimable pour ne pas me le rendre cher. Dans le fort de mes liaisons avec lui, d’Ivernois de Genève m’écrivit que je prisse garde au jeune Hongrois qui était venu s’établir près de moi; qu’il savait de bonne part que c’était un espion que le ministère de France avait mis auprès de moi. Cet avis pouvait paraître d’autant plus inquiétant que, dans le pays où j’étais, tout le monde m’avertissait de me tenir sur mes gardes ; qu’on me guettait, et qu’on cherchait à m’attirer sur le territoire de France pour m’y faire un mauvais parti. Pour fermer la bouche une fois pour toutes à ces ineptes donneurs d’avis, je proposai à Sauttern, sans le prévenir de rien, une promenade pédestre à l’ontarlier ; il y consentit. Quand nous fûmes arrivés à Pontarlier, je lui donnai à lire la lettre de d’Ivernois ; et puis l’embrassant avec ardeur, je lui dis Sauttern n’a pas besoin que je lui prouve ma confiance, mais le public a besoin que je lui prouve que je la sais bien placer. Cet embrassement fut bien doux ; ce fut un de ces plaisirs de l’ilme que les persécuteurs ne sauraient connaître, ni les ôter aux opprimés. Je ne croirai jamais que Sauttern fût un espion, ni qu’il m’ait trahi ; mais il m’a trompé. Quand j’épanchais avec lui mon coeur sans réserve, il eut le courage de me fermer constamment le sien, et de m’abuser par des mensonges. Il me controuva je ne sais quelle histoire qui me fit juger que sa présence était nécessaire dans son pays. Je l’exhortai de partir au plus vite il partit; et, quand je le croyais déjà en Hongrie , j’appris qu’il était à Strasbourg. Ce n’était pas la première fois qu’il y avait été. Il y avail'jeté du désordre dans un ménage; 482 ixs confessions. le mari, sachant que Je voyais, m’avait écrit. Je n’avais omis aucun soin pour ramener Sauttern à la vertu, et la jeune femme à son devoir. Quand je les croyais parfaitement détachés l’un de l’autre, ils s’étaient ainsi rapprochés; et le mari même eut la complaisance de reprendre le jeune homme dans sa maison dès lors je n’eus plus rien à dire. J’appris que le prétendu baron m’en avait impcsé par un tas de mensonges. Il ne s’appelait point Sauttern, il s’appelait Sauttersheim. A l’égard du litre de baron qu’on lui donnait en Suisse, je ne pouvais le lui reprocher, parce qu’il ne l’avait jamais pris; mais je ne doute pas qu’il ne fût bien gentilhomme et milord maréchal, qui se connaissait en hommes et qui avait été dans son pays, l’a toujours regardé et traité comme tel. Sitôt qu’il fut parti , la servante de l’auberge où il mangeait à Motiers se déclara grosse de son fait. C’était une si vilaine salope, et Sauttern, généralement estimé et considéré danstout le pays par sa conduite et ses mœurs honnêtes, se piquait si fort de propreté, que celte impudence choqua tout le monde. Les plus aimables personnes du pays, qui lui avaient inutilement prodigué leurs agaceries , étaient furieuses; j’étais outré d’indignation. Je fis tous mes elTorts pour faire arrêter cette effrontée , offrant de payer tous les frais et de cautionner Sauttersheim. Je lui écrivis dans la forte persuasion non-seulement que cette grossesse n’était pas de son fait, mais qu’elle était feinte, et que tout cela n’était qu'un jeu joué par ses ennemis et les rniens. Je voulais qu’il revînt dans le pays confondre celte coquine et ceux qui la faisaient parler. Je fus surpris de la mollesse de sa réponse. Il écrivit au pasteur dont la salope était paroissienne , et PARTIE II, LIVRE XII. 43 fit en sorte d’assoupir l’affaire; ce que voyant, je cessai de m’en mêler, fort étonné qu’un homme aussi crapuleux eût pu être assez maître de lui- même pour m’en imposer par sa réserve dans la plus intime familiarité. De Strasbourg, Sauttersheim fut à Paris chercher fortune , et n’y trouva que de la misèré. Il m’écrivit en disant son peccavi. Mes entrailles s’é-. murent au souvenir de notre ancienne amitié; je lui envoyai quelque argent. L’année suivante , à mon passage à Paris, je le révisa peu près dans le même état, mais grand ami de M. sans que j’aie pu savoir d’où lui venait cette connaissance , et si elle était ancienne ou nouvelle. Deux ans après, Sauttersheim retourna à Strasbourg, d’où il m’écrivit, et où il est mort. Voilà l’histoire abrégée de nos liaisons , et ce que je sais de ses aventures ; mais en déplorant le sort de ce malheureux jeune homme, je ne cesserai jamais de croire qu’il était bien né, et que tout le désordre de sa conduite fut l’effet des situations où il s’est trouvé. Telles furent les acquisitions que je fis à Motiers en fait de liaisons et de connaissances. Qu’il en aurait fallu de pareilles pour compenser les cruelles pertes que je fis dans le même temps ! La première fut celle de M. de Luxembourg , qui, après avoir été tourmenté long-temps par les médecins, fut enfin leur victime, traité de la goutte, qu’ils ne voulurent point reconnaître, comme d’un mal qu’ils pouvaient guérir. Si l’on doit s’en rapporter sur ce triste événement à la relation que m’en écrivit La Roche , l’homme de confiance de madame la maréchale, c’est bien par cet exemple , aussi cruel que mémo- 484 tïS CONFESSIONS, rable, qu'il faut déplorer les misères de la grandeur. La perte de ce bon seigneur me fut d’autant plus sensible, que c’était le seid ami vrai que j’eusse en France ; et la douceur de son caractère était telle qu’elle m’avait fait oublier tout-à-fait son rang , pour m’attacher à lui comme à mon égal. Nos liaisons ne cessèrent point par ma retraite, et il continua de m’écrire comme auparavant. Je crus pourtant remarquer que l’absence, ou mon malheur, avait attiédi son affection. Il est bien difficile qu’un courtisan garde le même attachement pour quelqu’un qu’il sait être dans la disgrâce dés puissances. J’ai jugé d’ailleurs que le grand ascendant qu’avait sur lui madame la maréchale ne m’avait pas été favorable, et qu’elle avait profité de mon éloignement pour me nuire dans son esprit. Pour elle, malgré quelques démonstrations affectées et toujours plus rares, elle cacha moins de jour en jour son changement à mon égard. Elle m’écrivit quatre ou cinq fois en Suisse , de temps à autre , après quoi elle ne m’écrivit plus du tout ; et il fallait toute la prévention, toute la confiance, tout l’aveuglement où j’étais encore, pour ne pas voir évidemment en elle plus que du refroidissement envers moi. Le libraire Gui, associé de Duchesne, qui depuis moi fréquentait beaucoup l’hôtel de Luxembourg, m’écrivit que j’étais sur le testament de M. le maréchal. 11 n’y avait rien là que de très-naturel et de très-croyable ; ainsi je n’en doutai pas. Cela me fit délibérer en moi-même comment je me comporterais sur ce legs. Tout bien pesé , je résolus de l’accepter, quel qu’il pût être, et de rendre cet honneur à la mémoire d’un honnête homme qui PARTIE II, LIVRE XII. m’avait honoré d’une sincère amitié' [qui dans un rang où l’amitié ne pénètre guère, en avait eu une véritable pour moi]. J’ai été dispensé de ce devoir, n’ayant plus entendu parler de ce legs vrai ou faux ; et en vérité j’aurais été peiné de blesser une des grandes maximes de ma morale, en profitant de quelque chose à la mort de quelqu’un qui m’avait été cher. Durant la dernière maladie de notre aini Mussard, Lenieps me proposa de profiter de la sensibilité qu’il marquait à nos soins, pour lui insinuer quelques dispositions en notre faveur. Ahl cher Lenieps, lui dis-je, ne souillons pas par des idées d’intérêt les tristes mais sacrés devoirs que nous rendons à notre ami mourant; j’espère n’ètre jamais dans le testament de personne, et jamais du moins dans celui d’aucun de mes amis. Ce fut à peu près dans ce même temps-ci que milord maréchal me parla du sien, de ce qu’il avait dessein d’y faire pour moi, et que je lui fis la réponse dont j’ai pai-lé dans ma première partie. Ma seconde perte , plus sensible encore et plus irréparable, fut celle de la meilleure des femmes et des mères, qui, déjà chargée d’ans et surchargée d’infirmités et de misères, quitta cette vallée de larmes pour passer dans le séjour des bons, où l’aimable souvenir du bien qu’on a fait ici-bas en fait l’éternelle récompense. Allez, âme douce et bienfaisante, auprès desFénélon, des Bcrnex, des Càtinat, et de ceux qui, dans un état plus humble, ont ouvert comme eux leurs cœurs à la charité véritable; allez goûter le fruit de la vôtre, et préparer à votre élève la place qu’il espère occuper un jour près de vous heureuse, dans vos infortunes, que le ciel en les terminant vous ait épargné le cruel spectacle des siennes! Craignant de contrister /86 IES CONFESSIONS» son cœur par le récit de mes premiers désastres, je ne lui avais point écrit depuis mon arrivée en Suisse ; mais j’écrivis à M. de Conzié pour m’informer d’elle, et ce fut lui qui m’apprit qu’elle avait cessé de soulager ceux qui souffraient et de souffrir elle-même. Bientôt je cesserai de souffrir aussi; mais, si je croyais ne la pas revoir dans l’autre vie, ma faible imagination se refuserait à l’idée du bonheur parfait que je m’y promets. Ma troisième perte et la dernière , car depuis lors il ne m’est plus resté d'amis à perdre, fut celle de milord maréchal. 11 ne mourut pas ; mais, las de servir des ingrats, il quitta Neufchôtel, et depuis lors je ne l’ai pas revu. Il vit, et me survivra, je l’espère ; il vit, et grôce à lui, tous mes attacherions ne sont pas rompus sur la terre il y reste uu homme digne de mon amitié ; car son vrai prix est encore plus dans celle qu’on sent que dans celle qu’on ii spire; mais j’ai perdu les douceurs que la sienne me prodiguait, et je ne peux plus le mettre qu’au rang de ceux que j’aime encore, mais avec qui je n’ai plus de liaison. Il allait eu Angleterre recevoir sa grôce du roi, et racheter en l'.cosse ses biens jadis confisqués. Nous ne nous séparâmes point sans des projets de réunion , qui paraissaient presque aussi doux pour lui que pour moi. Il voulait se fixer à son château de Keith-Hall près d’Aberdeen , et je devais m’y rendre auprès de lui ; mais ce projet me flattait trop pour que j’en puSse espérer le succès. 11 ne resta point en Écosse. Les tendres sollicitations du roi de Prusse le rappelèrent à Berlin ; et l’on verra bientôt comment je fus empêché de l’y aller joindre. Avant son départ, prévoyant l’orage que l’on commençait à susciter contre moi, il m’envoya de PARTIE II, LIVRE XII. 4*7 son propre mouvement îles lettres de naturalité, qui semblaient être une précaution très-sûre pour qu’on ne pût pas me chasser du pays. La communauté de Couvet dans le Val-de-Travers imita l'exemple du gouverneur, et me donna des lettres de Communier, gratuites comme les premières. Ainsi, devenu de tout point citoyen du pays, j’étais à l’abri de toute expulsion légale, même de la part du prince ; mais ce n’a jamais été par des voies légitimes qu'on a pu persécuter celui de tous les hommes qui a toujours le plus respecté les lois. Je ne crois pas devoir compter au nombre des pertes que je fis en ce meme temps celle de l’abbé de Mahli. J’avais eu d’anciennes liaisons avec lui, mais jamais bien intimes; et j’ai lieu de présumer que ses scntiinens à mon égard avaient changé de nature, depuis que j’avais acquis plus de célébrité, que lui. Mais ce fut à la publication des Lettres écrites de la montagne que j’eus le premier signe de sa mauvaise volonté pour moi. On fit courir sous son nom dans Genève une lettre à madame Saladin , dans laquelle il parlait de cet ouvrage comme des clameurs séditieuses d’un démagogue effréné. I/eslime que j’avais pour l’abbé de Mabli, et le cas que je faisais de scs lumières, ne me permirent pas un instant de croire que celte extravagante lettre lût de lui. Je pris le parti que m’inspira ma franchise. Je lui envoyai une copie de la lettre, en l’avertissant qu’on la lui attribuait. II ne me fit aucune réponse. Ce silence me surprit ; mais qu’on juge de ma surprise, quand madame de Clienon- ceaux me manda que la lettre était bien réellement de l’abbé, et que la mienne l’avait fort embarrassé. Car enfin, quand même il aurait eu raison, comment pouvait-il excuser une démarche éclatante 2. ai 4$8 tes CONFESSIONS, et publique, faite de gaieté de cœur, sans obligation, sans nécessité, dont l’effet était d’accabler, au fort de tous ses malheurs, un homme auquel il avait toujours montré de la bienveillance, et qui n’avait jamais démérité de lui? Quelque temps après parurent les Dialogues de Phocion, où je ne vis qu’une compilation de mes écrits, faite sans retenue et sans honte. Je compris, à la lecture de ce livre, que l’auteur avait pris son parti à mon égard, et que je n’aurais point désormais de plus cruel ennemi. Je crois qu’il ne m’a pardonné ni le Contrat social , trop au-dessus de ses forces, ni la Paix perpétuelle ; et qu’il n’avait paru désirer que je fisse VExtrait de l’abbé de Saint-Pierre que dans l’espoir que je m’en tirerais mal. Plus j’avance dans mes récits, moins j ’y puis mettre d’ordre et de suite. L’agitation du reste de ma vie n’a plus laissé aux événemens le temps de s’arranger dans ma tête. Ils ont été trop nombreux, trop mêlés, trop désagréables, pour pouvoir être narrés sans confusion. La seule impression forte qu’ils m’ont laissée est celle de l’horrible mystère qui couvre leur cause, et de l’état déplorable où ils m’ont réduit. Mon récit ne peut plus marcher qu’à l’aventure, et selon que les idées me reviendront à l’esprit. Je me rappelle que, dans le temps dont je parle, tout occupé de mes Confessions, j’en parlais très-imprudemment à tout le monde, n’imaginant pas même que personne eût intérêt, ni volonté, ni pouvoir de mettre obstacle à cette entreprise; et, quand je l’aurais cru, je n’en aurais guère été plus discret, par l’impossibilité totale où je suis par mon naturel de tenir caché rien de ce que je sens et de ce que je pense. Cette entreprise connuefut, autant que j’en puis juger, la véritable cause de l’orage PARTIE II, LIVRE XII. 48 qu’on excita pour m’expulser de la Suisse, et me livrer entre des mains qui m’empêchassent de l’exécuter. J’en avais une autre qui n’était guère vue de meilleur œil par ceux qui craignaient la première ; c’était celle d’une édition générale de mes écrits. Cette édition me paraissait nécessaire pour constater ceux des écrits portant mon nom qui étaient véritablement de moi, et mettre le public en état de les distinguer de ces écrits pseudonymes que mes ennemis me prêtaient pour me décréditer et m’avilir. Outre cela, cette édition était un moyen simple et honnête de m’assurer du pain ; et c’était le seul , puisque ayant renoncé à faire des livres , mes mémoires ne pouvant paraître de mon vivant, 11e gagnant pas un sou d’aucune autre manière , et dépensant toujours, je voyais la lin de mes ressources dans celle du produit de mes derniers écrits. Cette raison m’avait pressé de donner mon Dictionnaire de musique encore informe. Il m’avait valu cent louis comptant et cent écus de rente viagère; mais encore devait-on voir bientôt la fin de cent louis , quand on en dépensait annuellement plus de soixante, et cent écus de rente étaient comme rien pour un homme sur qui les quidams et les gueux venaieut incessamment fondre comme des étourneaux. 11 se présenta une compagnie de négocians de Neufchûtel pour l’entreprise de mon édition générale ; et un imprimeur ou libraire de Lyon , appelé Reguillat, vint, je 11e sais comment, se fourrer parmi eux pour la diriger. L’accord se fit sur un pied très-raisonnable, etsuifisant pour bien remplir mon objet. J’avais, tanten ouvrages imprimés qu’en pièces encore manuscrites de quoi fournir six vo- 4[0 EES CONFESSIONS, lûmes in-quarto ; je m’engageais de plus à veiller sur l’édition au moyen de quoi ils devaient me faire une pension viagère de seize cents livres de France, et un présent de mille écus une fois payés. Le ti-aité était conclu, non encore signé, quand les Lettres écrites de la montagne parurent. La terrible explosion qui se lit contre cet infernal ouvrage, et contre son abominable auteur, épouvanta la compagnie , et l’entreprise s’évanouit. Je comparerais l’eflet de ce dernier ouvrage à celui de la Lettre sur la musique française , si cette lettre, en m’attirant la haine, et m’exposant au péril, ne m’eût laissé du moins la considération et l’estime. Mais, après ce dernier ouvrage, on parut s’étonner, à Genève et à Versailles, qu’il y eût quelque contrée au monde où l’on laissât respirer un monstre tel que moi. Le petit conseil, excité par le résident de France, et dirigé par le procureur général, donna une déclaration sur mon ouvrage, par laquelle, avec les qualifications les plus atroces, il le déclare indigne d’être brûlé par le bourreau, et ajoute, avec une adresse qui tient du burlesque, qu’on ne peut, sans se déshonorer, y répondre, ni même en faire aucune mention. Je voudrais de tout mon coeur pouvoir transcrire ici cette curieuse pièce ; mais malheureusement je ne l’ai pas, et ne m’en souviens exactement pas d’un seul mot. Je désire ardemment que quelqu’un de mes lecteurs, animé du zèle de la vérité et de l’équité, veuille relire en entier les Lettres écrites delà montagne il sentira, j’ose le dire, la stoïque modération qui régne dans cet ouvrage, après les sensibles et cruels outrages dont on venait à l’envi d’accabler l’auteur. Mais, ne pouvant répondre aux injures , parce qu’il n’y en avait point, ni auxraisons, parce qu’elles PARTIE II, LIVRE XII. /jf 1 étaient sans réponse, ils prirent le parti de paraître trop courroucés pour vouloir répondre; et il est vrai que s’ils prenaient les arguments invincibles pour des injures, ils devaient se sentir fort injuriés. Les représentais, loin de faire aucune plainte sur cette odieuse déclaration, suivirent la route qu’elle leur traçait; et, au lieu de faire trophée des Lettres de la montagne, qu’ils voilèrent pour s’en faire un bouclier, ils eurent la lâcheté de ne rendre ni honneur ni justice à cet ouvrage, ni le citer, ni le nommer, quoiqu’ils en tirassent tacitement tous leurs argumens, et que l’exactitude avec laquelle ils ont suivi le conseil par lequel finit cet ouvrage ait été la seule cause de leur salut et de leur victoire. Ils m’avaient imposé ce devoir, je l’avais rempli ; j'avais jusqu’au bout servi la patrie et leur cause. Je les priai d’abandonner la mienne , et de ne songer qu’à eux dans leurs démêlés. Ils me prirent au mot, et je 11e me suis plus mêlé de leurs affaires que pour les exhorter sans cesse à la paix , ne doutant pas que, s’ils s’obstinaient, ils ne fussent écrasés par la France. Cela 11’est pas arrivé j’en comprends la raison ; mais ce n’est pas ici le lieu de la dire. L’clfet des Lettres de la montagne à Neuf- châtel fut d’abord très-paisible. J’en envoyai un exemplaire à M. de Montmollin ; il le reçut bien et le lut sans objection. Il était malade. II nie vint voir amicalement quand il fut rétabli, et ne me parla de rien. Cependant la rumeur commençait ; on brûla le livre je ne sais où. De Genève , de Berne, et de Versailles peut-être, le foyer de l’effervescence passa bientôt à Neufchâtcl, et surtout dans le Val- de-Travers , où, avant même que la classe eût fait aucun mouvement apparent, on avait commencé IF.» CONFESSIONS. d’ameuter le peuple par des pratiques souterraines, •le devais, j’ose le dire, être aimé dans ce pays- là , comme je l’avais été dans tous ceux où j’avais vécu, versant les aumônes à pleines mains, ne laissant sans assistance aucun indigent autour de moi, ne refusant à personne aucun service que je pusse rendre et qui fût dans la justice, me familiarisant trop peut-être avec tout le monde, et me dérobant de tout mon pouvoir à toute distinction pii pût exciter la jalousie. Tout cela n’empêcha pas que le peuple, soulevé secrètement je ne sais par qui, ne s’animât contre moi pardegrés jusqu’à la fureur, qu’il ne m’insultât publiquement en plein jour, non-seulement dans la campagne et dans les chemins mais en pleine rue. Ceux à qui j’avais fait le plus de bien étaient les plus acharnés, et des gens même à qui je continuais d’en faire, n'osant se montrer, excitaient les autres, et semblaient vouloir se venger ainsi de Hiumiliation de m’être obligés. Montmollin paraissait ne rien voir, et ne se montrait point encore. Mais comme on approchait d’un temps de communion, il vint chez moi pour me conseiller de m’abstenir de m’y présenter , m’assurant que du reste il ne in’cn voulait point, et pi'il me laisserait tranquille. Je trouvai le compliment bizarre; il me rappelait la lettre de madame de Boulïlers, et je ne pouvais concevoir à qui dono il importait si fort que je communiasse ou non. Comme je regardais cette condescendance de ma part comme un acte de lâcheté, et que d’ailleurs je ne voulais pas donner au peuple ce nouveau prétexte de crier à l’impie , je refusai net le ministre , et il s’en retourna mécontent, me faisant entendre que je m’en repentirais. 11 ne pouvait pas m’interdire la communion, de rVRTIE II, VIVRE MI. /il»» sa seule autorité il fallait relie du consistoire >ui m’avait admis; et, tant 3 n’eus le mes jours la moindre atteinte d’aucun mal de cette espèce, mais que des gens de l’art ont même cru conformé de manière à n’en pouvoir contracter. Tout bien pesé, je crus ne pouvoir mieux réfuter ce libelle qu’en le faisant imprimer dans la ville où j’avais vécu, et je l’envoyai à Du- cliesne pour le faire imprimer tel qu’il était, avec un avertissement où je nommais M. Vernes, et quelques courtes notes pour l'éclaircissement des faits. Non content d’avoir fait imprimerceltefeuille, je l’envoyai à plusieurs personnes, et entre autres à M. le prince Louis de Wirtcmherg, qui m’avait fait des avances très-honnètes , et avec lequel j’étais alors en correspondance. Ce prince, du Peyrou, et d’autres, parurent douter que Vernes fût l'auteur du libelle, et me blâmèrent de l’avoir nommé trop légèrement. Surleurs réprésenlations, le scrupule me prit, et j’écrivis à Ducliesne de supprimer cette feuille. Gui m’écrivit l’avoir supprimée; je l’ai trouvé menteur en tant d’occasions, que celle-là de plus ne serait pas une merveille, et dès lors j’étais enveloppé de ces profondes ténèbres à travers lesquelles il m’est impossible de pénétrer aucune sorte de vérité. M. Vernes supporta cette imputation avec une modération plus qu’étonnante dans un liomme qui ne l’aurait pas méritée , après la fureur qu’il avait montrée auparavant. Il m’écrivit deux ou trois lettres très-inesurées, dont le but me parut être 1e tâcher de pénétrer, par mes réponses, à quel point j’étais instruit, et si j’avais quelque preuve contre lui. Je lui fis deux réponses courtes, sèches, dures dans le sens, mais sans malhonnêteté dans les termes, et dont il ne se fâcha point. A sa troisième lettre , voyant qu’il voulait lier une espèce a. * ai LES CONFESSIONS. 5o4 île correspondance, je ne répondis plus il me fit parler par d’Ivernois. Madame Cramer écrivit à du Peyrou qu’elle était sûre que le libelle n’était pas de Yernes. Tout cela n’ébranla point ma persuasion. Mais comme enfin je pouvais me tromper, et qu’en ce cas je devais à Vernes une réparation authentique , je lui fis dire par d’Ivernois que je la lui l'erais telle qu’il en serait content, s’il pouvait m’indiquer le véritable auteur du libelle , ou me prouver du moins qu’il ne l’était pas. Je fis plus sentant bien qu’après tout, s’il n’était pas coupable, je n’avais pas droit d’exiger qu’il me prouvât rien, je pris le parti d’écrire, dans un mémoire assez ample , les raisons de ma persuasion, et de les soumettre au jugement d’un arbitre que Vernes ne pût récuser. On ne devinerait pas quel fut cet arbitre ? le conseil de Genève. Je déclarai à la fin du mémoire que si, après l’avoir examiné et avoir fait les perquisitions qu’il jugerait à propos, et qu’il était bien à portée de faire avec succès, le conseil prononçait que M. Vernes n’était pas l’auteur du mémoire, dès l’instant je cesserais sincèrement de croire qu’il Test, je partirais pour m’aller jeter à ses pieds, et lui demander pardon jusqu’à ce que je l’eusse obtenu. J’ose le dire, jamais mon zèle ardent pour l’équité , jamais la droiture, la générosité de mon âme , jamais ma confiance dans cet amour de la justice, inné dans tous les cœurs, ne se montrèrent plus pleinement, plus évidemment que dans ce sage et touchant mémoire, où je prenais sans hésiter mes plus implacables ennemis pour arbitres suprêmes entre le calomniateur et moi. Je lus cet écrit à du Peyrou il fut d’avis de le supprimer, et je le supprimai. Il me conseilla d’attendre les preuves que Yernes I>ARTIE Il , LIVRE xu. 5aâ promettait ; je les attendis et je les attends encore il me conseilla de me taire en attendant, je me tus et me tairai le reste de ma vie, blâmé d'avoir chargé Ventes d’une imputation grave , fausse et sans preuve , quoique je reste intérieurement aussi persuadé , aussi convaincu qu’il est l’auteur du libelle, que je le suis de ma propre existence. Mon mémoire est entre les mains de M. du Pevrou. Si jamais il voit le jour, on y trouvera mes raisons, et l’on y connaîtra, je l’espère, l’âme de Jean- Jacques, que mes contemporains ont si peu voulu connaître. Il est temps d’en venir à ma catastrophe de Mo- tiers, et à mon départ du Val-dc-Travers, après deux ans et demi de séjour, et huit mois d’une constance inébranlable à souffrir les plus indignes traitemens. Il m’est impossible de me rappeler nettement les détails de cette désagréable époque, mais on les trouvera dans la relation qu’en publia M. du Peyrou, et dont j’aurai â parler dans la suite. Depuis le départ de madame de Verdelin, la fermentation devenait plus vive; et, malgré les rescrits réitérés du roi, malgré les ordres fréquens du conseil d’état, malgré les soins du châtelain et des magistrats du lieu, le peuple, me regardant tout de bon comme l’antechrist, et voyant toutes ses clameurs inutiles , paraissait enfin vouloir en venir aux voies de fait ; déjà dans les chemins les cailloux commençaient à rouler après moi, lancés cependant encore d’un peu trop loin pour pouvoir m’atteindre. Enfin la nuit de la foire de Motiers, qui est au commencement de septembre *, je fus attaqué dans ma maison de ma- * C’était la nuit du 5 au 6 septembre 17G5. IBS C05FESSJ0SS. 5oG nière à mettre en danger la vie de ceux qui l’habitaient. A minuit j’entendis un grand bruit dans la galerie qui régnait sur le derrière de la maison. Une grêle de cailloux lancés contre la fenêtre et la porte qui donnaient sur cette galerie y tom- ! bèrent avec tant de fracas, que mon chien , qui j couchait dans la galerie, et qui avait commencé I par aboyer, se tut de frayeur, et se sauva dans un coin , rongeant et grattant les planches pour tâcher de fuir. Je me lève au bruit, j’allais sortir de ma chambre pour passer dans la cuisine , quand I un caillou, lancé d’une main vigoureuse , traversa la cuisine, après en avoir cassé la fenêtre, vint ouvrir la porte de ma chambre et tomber au pied de mon lit, de sorte que, si je m’étais pressé d’une seconde , j’avais le caillou dans l’estomac. Je jugeai j que le bruit avait été fait pour m’attirer, et le caillou lancé pour m’accueillir. Je saute dans la cuisine. Je trouve Thérèse qui s’était aussi levée, et qui, toute tremblante, accourait à moi. Nous nous rangeons contre un mur hors de la direction de la fenêtre, pour éviter l’atteinte des pierres , j et délibérer sur ce que nous avions à faire car ! sortir pour appeler du secours était le moyen de j nous faire assommer. Heureusement la servante j d’un vieux bon homme qui logeait au-dessous de moi, se leva au bruit, et courut appeler M. le ! châtelain dont nous étions porte à porte. Il saute j de son lit, prend sa robe de chambre à la hâte, j et vient à l’instant avec la garde, qui, à cause de la foire, faisait la ronde cette nuit-là , et se trouva tout à portée. Le châtelain vit le dégât avec un tel effroi qu’il en pâlit, et, à la vue des cailloux dont la galerie était pleine, il s’écria Mon Dieu 1 PARTIE II, LIVRE XII. 5O? c’est une carrière! En visitant le bas, on trouva que la porte d’une cour de derrière avait été forcée , et qu’on avait tenté de pénétrer dans la maison par la galerie. En recherchant pourquoi la garde n’avait point aperçu ou empêché le désordre , il se trouva que ceux de Motiers s’étaient obstinés à vouloir taire cette garde hors de leur rang, quoique ce fût le tour d’un autre village. Le lendemain le châtelain envoya son rapport au conseil d’état, qui deux jours après lui envoya l’ordre d’informer sur cette affaire, de promettre une récompense et le secret à ceux qui dénonceraient les coupables, et de mettre en attendant, aux frais du prince, des gardes à ma maison et à celle du châtelain qui la touchait. Le lendemain le colonel Puri, le procureur général Meuron, le châtelain Martinet, le receveur Guyenet, le trésorier d’Ivernois et son père, en un mot tout ce qu’ily avait de gens distingués dans le pays, vinrent me voir, et réunirent leurs sollicitations pour m’engager à céder à l’orage, et à sortir au moins pour un temps d’une paroisse où je ne pouvais plus vivre en sûreté ni avec honneur. Je m’aperçus même que le châtelain, effrayé des fureurs de ce peuple forcené , et craignant qu’elles ne s’étendissent jusqu’à lui, aurait été bien aise de m’en voir partir au plus vite pour n’avoir plus l’embarras de m’y protéger , et pouvoir le quitter lui-même , comme il fit après mon départ. Je cédai donc, et même avec peu de peine, car le spectacle de la haine du peuple me causait un déchirement de cœur que je ne pouvais plus supporter. J’avais plus d’une retraite à choisir. Depuis le retour de madame de Verdelin à Paris , elle m’avait parlé dans plusieurs lettres d’un M. Walpole, LES CONFESSIONS. 5o8 qu’elle appelait milord, lequel, pris d’un grand zèle en ma faveur, me proposait dans une de ses terres un asile , dont elle me faisait les descriptions les plus agréables, entrant, par rapport au logement et à la subsistance, dans des détails qui marquaient a quel point ledit milord Walpole s’occupait avec elle de ce projet. Milord maréchal m’avait toujours conseillé l’Angleterre ou l’Ecosse, et m’y offrait aussi un asile dans ses terres ; mais il m’en offrait un qui me tentait beaucoup davantage à Potzdam auprès de lui. Il venait de me faire part d’un propos que le roi lui avait tenu à mon sujet, et qui était une espèce d’invitation de m’y rendre; et madame la duchesse de Saxe-Gotha comptait si bien que je protlterris de cette invitation, qu’elle m’écrivit pour me presser d’aller lavoir en passant, et de m’arrêter quelque temps auprès d’elle; mais j’avais un tel attachement pour la Suisse que je ne pouvais me résoudre à la quitter, tant qu’il me serait possible d’y vivre, et je pris ce temps pour exécuter un projet dont j’étais occupé depuis quelques mois, et dont je n’ai pu parler encore pour ne pas couper le fd de mon récit. Ce projet consistait à m’aller établir à l’île de Saint-Pierre, domaine de l’hôpital de Berne, au milieu du lac de Bienne. Dans un pèlerinage pédestre que j’avais fait l’été précédent avec du Pey- rou , nous avions visité cette île, et j’en avais été tellement enchanté que je n’avais cessé depuis ce temps-là de songer aux moyens d’y faire ma demeure. Le plus grand obstacle était que l’île appartenait aux Bernois, qui, trois ans auparavant, m’avaient vilainement chassé de chez eux; et, outre que ma fierté pâtissait à retourner chez des gens qui m’avaient si mal reçu, j’avais lieu de PARTIE IT, XII. 5o9 craindre qu’ils ne me laissassent pas plus en repos dans cette île qu’ils n’avaient fait à Yverdun. J’avais consulté là-dessus milord maréchal, qui, pensant comme moi que les Bernois, bien aises de me voir relégué dans cette petite île et de m’y tenir en ôtage pour les écrits que je pourrais être tenté de faire, avait fait sonder là-dessus les dispositions de leurs excellences par un M. Sturler, son ancien voisin de Colombier. M. Sturler s’adressa à plusieurs chefs de l’état, et, sur leur réponse, assura milord que les Bernois, honteux de leur conduite, ne demandaient pas mieux que de me voir domicilié dans i’île de Saint-Pierre, et de m’y laisser tranquille. Pour surcroît de précaution, avant de risquer de m’y transporter, je fis prendre de nouvelles informations par le colonel Chaillet, qui me confirma les mêmes choses ; et le receveur de l’île ayant eu de ses maîtres la permission de me loger, je crus ne rien risquer d’aller m’établir chez lui , avec l’agrément tacite tant du souierain que des propriétaires; car je ne pouvais pas espérer que messieurs de Berne reconnussent ouvertement l’injustice qu’ils m’avaient faite, et péchassent ainsi contre la plus inviolable maxime de tous les souverains. L’île de Saint-Pierre, appelée à Neufchâtel l’île de la Mothe, au milieu du lac de Bienne, a environ demi-lieue de tour; mais dans ce petit espace elle fournit toutes les principales productions nécessaires à la vie. Elle a des cham s, des prés, des vergers, des bois, des vignes ; et le tout, à la faveur d’un terrain varié et montagneux, forme une distribution d’autant plus agréable, que ses parties ne se découvrant pas toutes ensemble se font valoir mutuellement, et font estimer l’île plus grande IE8 CONFESSIONS. 5io qu’elle n’est en effet. Une terrasse fort élevée forme la partie occidentale de l’île qui regarde Gleressc et la Bonneville. On a planté cette terrasse d’une longue allée qu’on a coupée dans son milieu par un grand salon, où, durant les vendanges, on 6e rassemble les dimanches de tous les rivages voisins, pour danser et se réjouir. Il n’y a dans l’île qu’une seule maison, mais vaste et commode, où loge le receveur, et située dans un enfoncement qui la tient à l’abri des vents. A cinq ou six cents pas de Pile, est, du côté du sud, une autre île beaucoup plus petite, inculte et déserte, qui paraît avoir été détachée autrefois de la grande par les orages, et ne produit parmi ses graviers que des saules et des persicaires , mais où est cependant un tertre élevé , bien gazonné et très-agréable. La forme de ce lac est un ovale presque régulier. Ses rives , moins riches que celles des lacs de Genève et de Neufchûtel, ne laissent pas de former une assez belle décoration, surtout dans la partie occidentale , qui est très-peuplée , et bordée de vignes au pied d’une chaîne de montagnes, à peu près comme à Côte-Rôtie, mais qui ne donnent pas d’aussi bon vin. On y trouve, en allant du sud au nord , le bailliage de Saints- Jean , la Bonneville, Bicnnc et Nidau , à l’extrémité du lac ; le tout entremêlé de villages très- agréables. Tel était l’asile que je m’étais ménagé , et où je résolus d’aller m’établir en quittant le Yal-de- Travers 1 . Ce choix était si conforme à mon goût i Il n’est peut-être pas inutile d’avertir que j’y laissais un ennemi particulier dans un M. du Terreaux, maire des Verrières , en très médiocre estime dans le pays , mais qui ül I PARTIE II , LIVRE XII. pacifique , à mon humeur solitaire et paresseuse , que je le compte parmi les douces rêveries dont je me suis le plus vivement passionné. Il me semblait que, dans cette île, je serais plus séparé des hommes, plus à l’abri de leurs outrages, plus oublié d’eux , plus livré, en un mot, aux douceurs du désœuvrement et de la vie contemplative. J’aurais voulu être tellement conflué dans cette île que je n’eusse plus de commerce avec les mortels; et il est certain que je pris toutes les mesures imaginables pour me soustraire , autant qu’il était possible, à la nécessité d’en entretenir. Il s’agissait de subsister ; et tant par la cherté des denrées que par la difficulté des transports, la subsistance est chère dans cette île, où d’ailleurs on est à la discrétion du receveur. Cette difficulté fut levée par un arrangement que du Peyrou voulut bien prendre avec moi, en se subtituant à la place de la compagnie qui avait entrepris et abandonné mon édition générale. Je lui remis tous les matériaux de cette édition. J’en fis l’arrangement et la distribution. J’y joignis l’engagement de lui remettre les mémoires de ma vie, et je le fis dépositaire généralement de tous mes papiers, avec la condition expresse de n’eu faire usage qu’après ma mort, ayant à cœur d’achever tranquillement ma carrière, sans plus faire souvenir le public de moi. Au moyen de cela, la pension viagère qu’il se chargeait de me payer suffisait pour ma subsistance. Milord maré- a un frère qu’on dit honnête homme, à Paris , dans les bureaux de M. de Saint-Florentin. Le maire l’était allé voir quelque temps avant mon aventure. Les petites remarques de celte espèce, qui par elles-mêmes ne sont rien, peuvent mener dans la suite à la découverte de bien des souterrains. 2 . 32 5ia LES CONFESSIONS. chai, ayant recouvré tous ses biens, m’en avait offert une de douze centsfrancs, que j’avais acceptée en la réduisant à la moitié. Il m’en voulut envoyer le capital, que je refusai, par l’embarras de le placer. 11 fit passer ce capitula du Peyrou, entre les mains de qui il est resté [ et qui m’en paie la rente viagère sur le pied convenu avec le constituant ]. Joignant donc mon traité avec du Peyrou, la pension de milord maréchal dont les deux tiers étaient réversibles à Thérèse après ma mort, et la rente de trois cents francs que j’avais sur Duchesne, je pouvais compter sur une subsistance honnête , et pour moi, et après moi pour Thérèse, à qui je laissais sept cents francs de rente , tant de la pension de Rey que de celle de milord maréchal ainsi je n’avais plus à craindre que le pain lui manquât non plus qu’à moi. Mais il était écrit que l’honneur in’ôlerait toutes les ressources que la fortune et mon travail mettraient à ma portée, et que je mourrais aussi pauvre que j’ai vécu. On jugera si, à moins d’être le dernier des infâmes, j’ai pu tenir des arrangemens qu’on a toujours pris soin de me rendre ignominieux, en m’ôtant en même temps toute autre ressource, pour me forcer de consentir à mon déshonneur. Comment se douteraient- ils de mon choix en pareille alternative ? Ils ont toujours jugé de mon cœur par les leurs. lin repos de ce côté, j’étais sans souci de tout autre. Quoique j’abandonnasse dans le monde le champ libre à mes ennemis , je laissais dans le noble enthousiasme qui avait dicté mes écrits, et dans la constante uniformité de mes principes , un témoignage de mon âme qui répondait à celui que toute ma conduite rendait de mon caractère. Je n’avais pas besoin d’une autre défense contre mes PARTIE II, LIVRE XII. 513 vils calomniateurs, ils pouvaient peindre sous mon nom un autre homme, mais ils ne pouvaient tromper que ceux qui voulaient être trompés. Je pouvais leur donner ma vie à épiloguer d’un bout à l’autre, j’étais sûr qu’à travers mes fautes et mes faiblesses , à travers mon inaptitude à supporter aucun joug, on trouverait toujours un homme juste, bon, sans fiel et sans haine; prompt à reconnaître ses propres torts, plus prompt à oublier ceux d’au trui ; cherchant toute sa féliei té dans les passions aimantes et douces , et portant en toute chose la sincérité jusqu’à l’imprudence , jusqu’au plus incroyable désintéressement. Je prenais donc en quelque sorte congé de mon siècle et de mes contemporains , et je faisais mes adieux au monde, en me confinant dans cette île pour le reste de mes jours; car telle était ma résolution , et c’était là que je comptais exécuter enfin le grand projet de cette vie oiseuse, auquel j’avais inutilement consacré jusqu’alors tout le peu d’activité que le ciel m’avait départie. Cette île allait devenir pour moi celle de Papimanie , ce bienheureux pays où l’on dort On y fait plus ; on n’y fait nulle chose. Ce plus était tout pour moi , car depuis que j’ai perdu le sommeil, je l’ai peu regretté; l’oisiveté me suffit, et, pourvu que je ne fasse rien, j’aime encore mieux rêver éveillé qu’en songe. L’àge des projets romanesques étant passé, et la fumée de la gloriole m’ayant plus étourdi que flatté, il ne me restait plus pour dernière espérance que de vivre sans gêne dans un loisir éternel. C’est la vie des bienheureux dans l’autre monde , et Jm4 LES COXFESSIOXS. j’en faisais désormais mon bonheur suprême dans celui-ci. Ceux qui me reprochent tant de contradictions ne manqueront pas ici de m’en reprocher encore une. J’ai dit que l’oisiveté des cercles me les rendait insupportables, et me voilà recherchant la solitude uniquement pour m’y livrer à l’oisiveté. C’est pourtant ainsi que je suis; s’il y a là de la contradiction, elle est du fait de la nature, et non pas du mien ; mais il y en a si peu, que e’est par là précisément que je suis toujours moi- L’oisiveté des cercles est tuante, parce qu’elle est de nécessité; celle delà solitude est charmante , parce qu’elle est libre et de volonté. Dans une compagnie , il m’est cruel de, ne rien faire, parce que j’y suis forcé. 11 faut que je reste là cloué sur ma chaise ou debout, planté comme un piquet, sans remuer ni pied ni pâte, n’osant ni courir, ni sauter, ni chanter, ni crier, i ni gesticuler quand j’en ai envie , n’osant pan même rêver ; ayant à la fois tout l’ennui de l’oisiveté et tout le tourment de la contrainte ; obligé d'être attentif à toutes les sottises qui se disent et à tous les compliinens qui se font, et de fatiguer incessamment ma Minerve pour ne pas manquer de placer à mon tour mon réhu3 et ma menterie. Et vous appelez cela de l’oisiveté ! c’est un travail de forçat. L’oisiveté que j’aime n’est pas celle d’un fainéant qui reste là les bras croisés dans une inaction totale, et ne pense pas plus qu’il n’agit. C’est à la fois celle d’un enfant qui est sans cesse en mouvement pour ne i rien taire, et celle d’un radoteur dont la tète batj la campagne sitôt que ses bras sont en repos. J’aime à m'occuper sans cesse, à foire des riens ; à commencer cent choses, et à n’en achever aucunejj à aller et venir comme la tête me chante ; à clian- PARTIR II, LIVRE XII. 5 1 5 ger à chaque instant île projet, à suivre une mouche ilans toutes ses allures; à vouloir déraciner un rocher ; à entreprendre sans crainte un travail de dix ans, etàl’abandonner au bout de dix minutes, à muser enfin toute la journée sans ordre et sans suite, et à ne suivre en toute chose que le caprice du moment. La botanique , telle que je l’ai toujours consi-* dérée, et telle qu’elle commençait à devenir passion pour moi, était précisément Une élude oiseuse , propre à remplir tout le vide de mes loisirs, sans y laisser place au délire de l’imagination, ni à l’ennui d’un désœuvrement total. Errer nonchalamment dans les bois et dans la campagne, prendre machinalement çà et là tantôt une fleur, et tantôt une autre, brouter mon foin presque au hasard, observer mille et mille fois les mêmes choses, et toujours avec le même intérêt, parce que je les oubliais toujours, était de quoi passer l’éternité sans pouvoir m’ennuyer un moment. Quelque élégante, quelque admirable , quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œiiignorant pour l’intéresser. Cette constante analogie, et pourtant cette variété prodigieuse qui règne dans leur organisation , ne transporte que ceux qui ont déjà quelque idée du système végétal. Les autres n’ont, à l’aspect de tous ces trésors de la nature, qu’une admiration stupide et monotone. Ils ne voient rien en détail, parce qu’ils ne savent pas même ce qu’il faut regarder, et ils ne voient pas non plus l’ensemble, parce qu’ils n’ont aucune idée de cette chaîne de rapports et de combinaisons qui accable de ses merveilles l’esprit de l’observateur. J’étais , et mon défaut de mémoire me devait tenir toujours, dans cet heureux point d’en savoir assez peu pour 51G LES C05FE3SI0SS. que tout me fût nouveau , et assez pour que tout me fût sensible. Les divers sols dans lesquels l’île, quoique petite, était partagée, m’offraient une suffisante variété de plantes pour l’étude ou plutôt l’a- inusementde toute ma vie. Je n’y voulais pas laisser un poil d’herbe sans un examen particulier, et je m’arrangeais déjà pour faire avec un recueil immense d’observations curieuses la F lova Petrin- sularis. Je fis venir Thérèse avec mes livres et mes effets. Nous nous mîmes en pension chez le receveur de l’île. Sa femme avait à Nidau des sœurs qui la venaient voir tour à tour, et qui faisaient à Thérèse une compagnie. Je fis là l’essai d’une douce vie dans laquelle j’aurais voulu passer la mienne, et dont le goût que j’y pris ne servit qu’à me faire mieux sentir l’amertume de celle qui devaitsi promptement y succéder. J’ai toujours aimé l’eau passionnément , et sa vue me jette dans une rêverie délicieuse, quoique souvent sans objet déterminé. Je ne manquais point à mon lever, lorsqu’il faisait beau, de courir humer sur la terrasse l’air salubre et frais du matin, et planer des yeux sur l’horizon de ce beau lac , dont les rives et les montagnes qui le bordent enchantaient ma vue. Je ne trouve point de plus digne hoirfmage à la divinité que cette admiration muette qu’excite la contemplation de ses œuvres, et ne s’exprime point par des actes développés. Je comprends comment les liabitans des villes, qui ne voient que des murs et des rues, ont peu de foi , mais je ne puis comprendre comment des campagnards , et surtout des solitaires, peuvent n’en point avoir. Comment leur âme ne s’élève-t-elle pas cent fois le jour avec extase à l’auteur des merveilles qui PARTIE II, LIVRE XII. 5 1 7 les frappent ? Pour moi, c’est surtout à mon lever, affaissé par mes insomnies, qu’une longue habitude me porte à cette élévation de cœur qui n’impose point la fatigue dépenser. Mais il faut pour cela que ines yeux soient frappés du ravissant spectacle de la nature *. Dans ma chambre , je prie plus rarement et plus sèchement ; mais à l’aspect d’un beau paysage, je me sens ému sans pouvoir dire de quoi. J’ai lu qu’un saint évêque , dans la visite de son diocèse, trouva une vieille femme qui, pour toute prière, ne savait dire que O J et il lui dit Bonne mère , continuez de prier toujours ainsi ; votre prière vaut mieux que les nôtres. Cette meilleure prière est aussi la mienne. Après le déjeuner, jeme bâtais d’écrire en rechignant quelques malheureuses lettres, aspirant avec ardeur au moment de n’en plus écrire du tout. Je tracassais quelques momens autour de mes livres et papiers, pour les déballer et arranger plutôt que * Madame d’Épinai, dans ses Mémoires tom. Il , rend compte d’une conversation entre Saint-Lambert, mademoiselle Qninaut, Duclos et Rousseau, sur l’existence de Dieu. Elle était niéeparticulièrement par Saint-Lambert. Rousseau se leva en s’écriant qu’il sortait si l’on disait un mot de plus. Quelques jours après , madame d’Epinai, que Jean-Jacques était allé voir à la Chevrette , s’entretint avec lui du même objet Madame, lui dit-il, quelquefois au fond de mon ca- binet, mes deux poings sur Jes' yeux , ou au milieu des ténèbres de la nuit, je suis de l’avis de Saint - Lambert. Mais voyez cela montrant d’une main le ciel , la tête . CONFESSIONS. pareil voyage m’obligeaient d’en prévoir d’avance et d’en bien peser toutes les dillicultés. L’idée de nie trouver enfin seul, sans ressource, et loin de toutes mes connaissances , à la merci de ce peuple féroce et deini-sauvage, tel que me le dépeignait M. Dastier, était bien propre à me faire rêver sur une résolution pareille avant de l’exécuter. Je désirai passionnément une entrevue avec Buttafuoco pour conférer avec lui sur tout cela ; et comme il m’en avait donné l’espérance, j’attendais qu’il la remplît pour prendre tout-à-fait mon parti. Tandis que je balançais ainsi, vinrent les persécutions de Motiers , qui me forcèrent à la retraite. Je n’étais pas prêt pour un long voyage , bien moins encore pour celui de Corse. J’attendais des nouvelles de Buttafuoco ; je me réfugiai dans l’îlc de Saint-Pierre, d’où je fus chassé à l’entrée de l’hiver, comme j’ai dit ci-devant. Les Alpes couvertes de neige rendaient alors pour moi cette émigration impraticable [ surtout avec la précipitation qu’on me prescrivait. Il est vrai que l’extravagance d’un pareil ordre le rendait impossible à exécuter car du milieu de cette solitude enfermée au milieu des eaux, n’ayant que vingt-quatre heures depuis l’intimation de l’ordre pour me préparer au départ, pour trouver bateaux et voitures pour sortir de l’île et de tout le territoire , quand j’aurais eu des ailes, j’aurais eu peine à pouvoir obéir. Je l’écrivis à M. le bailli deNidau, en répondant à sa lettre, et je m’empressai de sortir de ce pays d’iniquité. Voilà comment ] il fallut renoncer à mon projet chéri. N’ayant pu, dans mon décou*- ragement, obtenir qu’on disposât de moi, sur l’invitation de milord maréchal, je me déterminai pour le voyage de Berlin, laissant Thérèse hiverner PARTIE II, LIVRE VIT. 53f à l’île de Saint-Pierre, avec mes effets et mes- livres , et mettant mes papiers en dépôt dans 1rs mains de M. du Peyrou. [ Je fis une telle diligence 1 , que , dès le lendemain matin, je partis de l’île et me rendis à Bienne encore avant midi. Peu s’en fallut que je n’y terminasse mon voyage par un incident dont le récit ne doit pas être omis. Sitôt que le bruit s’était répandu que j’avais ordre de quitter mon asile , j’eus une affluence de visites du voisinage , et surtout de Bernois qui venaient avec la plus détestable fausseté me flagorner , m’adoucir , et me protester qu'on avait pris le moment des vacances et de l’infréquence du sénat pour minuter et m’intimer cet ordre, contre lequel, disaient-ils, tout le Deux-cents était indigné. Parmi ce tas de consolateurs, il en vint quelques-uns de la ville de Bienne, petit état libre enclavé dans celui de Berne, et entre autres un jeune homme appelé Wildremet, dont la famille tenait le premier rang , et avait le principal crédit dans cette petite ville. Wildremet me conjura vivement, au nom de ses concitoyens, de choisir ma retraite au milieu d’eux, m’assurant qu’ils désiraient avec empressement de m’y recevoir , qu’ils se feraient une gloire et un devoir de m’y faire oublier les persécutions que j’avais souffertes, que je n’avais à craindre chez eux aucune influence des Bernois, que Bienne était une ville libre qui ne recevait des lois de personne , et que tous les 1 Tout ce qui est enferme’ entre deux crochets , depuis ces mots Je Jïs une telle diligence , etc. jusqu’à ceux-ci r marquant mon nouveau désastre , ne se trouve point dans le manuscrit Autographe , dans lequel, après ces mots dans les mains de M. du Peyrou, on lit de suite ceux-ci de lu page 536 Ou . emt dans mu troisième partie , etc . CONCUSSION*. citoyens étaient unaniment déterminés à n’écouter aucune sollicitation qui me fût contraire. Wildremet, voyant qu’il ne m’ébranlait pas, se fit appuyer de plusieurs autres personnes, tant de Iîienne et des environs que de Berne même, et, entre autres, du même Ivirkebergher dont j’ai parlé, qui m’avait recherché depuis ma retraite en Suisse, et que ses talens et ses principes me rendaient intéressant. Mais des sollicitations moins prévues et plus prépondérantes furent celles de M. Barthès , secrétaire d’ambassade de France , qui vint me voir avec “Wildremet, m’exhorta fort de me rendre à son invitation, et m’étonna par l’intérêt vif et tendre qu’il paraissait prendre à moi, Je ne connaissais point du tout M. Barthès; cependant je le voyais mettre à ses discours la chaleur, le zèle de l’amitié, et je voyais qu’il lui tenait véritablement au cœur de me persuader de m’établir à Bienne. Il me fit l'éloge le plus pompeux de cette ville et de ses habitons, avec lesquels il se montrait si intimement lié, qu’il les appela plusieurs fois devant moi ses patrons et ses pères. Cette démarche de Barthès me dérouta dans toutes mes conjectures. J’avais toujours soupçonné M. de Choiseul d’être l’auteur caché de toutes les persécutions que j’éprouvais en Suisse. La conduite du résident de France à Genève, celle de l’ambassadeur à Soleure, ne confirmaient que trop ces soupçons, je voyais la France influer en secret sur tout ce qui m’arrivait à Berne, à Genève, à Neufchâtcl; et je ne croyais avoir en France aucun ennemi puissant que le seul duc de Choiseul. Que pouvais-je donc penser de la visite de Barthès, et du tendre intérêt qu’il paraissait prendre à mon sort? Mes malheurs n’avaient pas encore détruit cette coi- rinTin ii, livre xii. 533 fiance naturelle à mon cœur ; et l’expérience ne m’avait pas encore appris à voir partout des embûches sous les caresses. Je cherchais avec surprise la raison de cette bienveillance de Bar thés; je n’étais pas assez sot pour croire qu’il fît cette démarche de son chef; j’y voyais une publicité, et même une affectation qui marquait une intention cachée; et j’étais bien éloigné d’avoir jamais trouvé dans tous ces petits agens subalternes cette intrépidité généreuse qui, dans un poste semblable, avait souvent fait bouillonner mon cœur. J’avais autrefois un peu connu le chevalier de Beauteville chez M. de Luxembourg ; il m’avait témoigné quelque bienveillance ; depuis son ambassade il m’avait encore donné quelques signes de souvenir, et m’avait même fait inviter à l’aller voir à Soleurc invitation dont, sans m’y rendre, j’avais été touché, n’ayant pas accoutumé d’être traité si honnêtement par les gens en place. Je présumai que M. de Beauteville, forcé de suivre ses instructions en ce qui regardait les affaires de Genève, me plaignant cependant dans mes malheurs, m’avait ménagé, par des soins particuliers, cet asile de Bienne pour y pouvoir vivre tranquille sous ses auspices. Je fus sensible à cette attention, mais sans en vouloir profiter ; et, déterminé lout-à-fait au voyage de Berlin , j’aspirais avec ardeur au moment de rejoindre milord maréchal, persuadé que ce n’était plus qu’auprès de lui que je trouverais un vrai repos et un bonheur durable. A mon départ de l’île, Rirkebergher m’accompagna jusqu’à Bienne. J’y trouvai Wildremet et quelques autres Biennois qui m’attendaient à la descente du bateau. Nous dînâmes tous ensemble à l’auberge; et, en y arrivant, mon premier soin fut 534 LES COKFESSIOSS. de faire chercher une chaise, voulant partir dès le lendemain matin. Pendant le dîner, ces messieurs reprirent leurs instances pour me retenir parmi eux, et cela avec tant de chaleur et des protestations si touchautes, que, malgré toutes mes résolutions, mon cœur, qui n’a jamais su résister aux caresses, se laissa émouvoir aux leurs sitôt qu’ils me virent ébranlé, ils redoublèrent si bien leurs efforts, qu’enfin je me laissai vaincre, et consentis de rester à Bienne, au moins jusqu’au printemps prochain. Aussitôt Wildrcmet se pressa de me pourvoir d’un logement, et me vanta comme une trouvaille une vilaine petite chambre sur un derrière au troisième étage, donnant sur une cour, où j’avais pour régal l’étalage des peaux puantes d’un chamoiseur. Mon hôte était un petit homme de basse mine et passablement fripon, que j’appris le lendemain être débauché, joueur, et en fort mauvais prédica- ment dans le quartier; il n’avait ni femme, ni en- fans, ni domestiques; et tristement reclus dans ma chambre solitaire, j’étais, dans le plus riant pays du monde, logé de manière à périr de mélancolie en peu de jours. Ce qui m’alfecla le plus, malgré tout ce qu’on m’avait dit de l’empressement des habitans à me recevoir, fut de n’apercevoir, en passant dans les rues, rien d'honnête envers moi dans leurs manières, ni d’obligeant dans leurs regards. J’étais pourtant tout déterminé à rester là, quand j’appris, vis et sentis même dès le jour suivant qu’il y avait dans la ville une fermentation terrible à mon égard ; plusieurs empressés vinrent obligeamment m’avertir qu’on devait dès le lendemain me signifier, le plus durement qu’on pourrait, un ordre de sortir sur-le-champ de l’état, c’est-à-dire TARTIE II , VIVRE Xll. 555 tle la ville. Je n’avais personne à qui ine confier ; tous ceux qui m’avaient retenu s’étaient éparpillés. Wildremct avait disparu, je n’entendis plus parler de Barthès, et il ne parut pas que sa recommandation m’eût mis en grande faveur auprès des patrons et des pères qu'il s’était donnés devant moi. Un M. de Vau-Travers, Bernois, qui avait une jolie maison proche de la ville, m’y offrit cependant un asile, espérant, me dit-il, que j’y pourrais éviter d’être lapidé. L’avantage ne me parut pas assez flatteur pour me tenter de prolonger mon séjour chez ce peuple hospitalier. Cependant, ayant perdu trois jours à ce retard, j’avais déjà passé de beaucoup les vingt-quatre heures que les Bernois m’avaient données pour sortir de tous leurs états, et je ne laissais pas, connaissant leur dureté, d’être en quelque peine sur la manière dont ils me les laisseraient traverser, quand M. le bailli de Nidau vint tout à propos me tirer d’embarras. Comme il avait hautement im- prouvé le violent procédé de leurs excellences, il crut dans sa générosité me devoir un témoignage public qu’il n’y prenait aucune part, et ne craignit pas de sortir de son bailliage pour venir me faire une visite à Bienne. Il vint la veille de mon départ; et loin de venir incognito, il affecta même du cérémonial, vint in fiocchi ]dans son carrosse avec son secrétaire; et m’apporta un passe-port en son nom, pour traverser l’état de Berne à mon aise et sans crainte d’être inquiété. La visite me toucha plus que le passe-port. Je n’y aurais guère été moins sensible quand elle aurait eu pour objet un autre que moi. Je ne connais rien de si puissant sur mon cœur qu’un acte de courage fait à propos en faveur du faible injustement opprimé. 2 . 23 LES COKFESStOXS. 536 Enfin , après m'être avec peine procuré une chaise, je partis le lendemain matin de cette terre homicide, avant l’arrivée de la députation dont on devait m’honorer, avant même d’avoir pu revoir Thérèse, à qui j’avais marqué de me venir joindre, quand j’avais cru m’arrêter à Bienue, et que j’eus à peine le temps de contremander par un mot de lettre, en lui marquant mon nouveau désastre. ] On verra dans ma troisième partie, si jamais j’ai la force de l’écrire, comment, croyant partir pour Berlin, je partis en eflèt pour l’Àngletcrre; et comment ces deux dames qui voulaient disposer de moi et de ma réputation, après m’avoir à force d’intrigues chassé de la Suisse, où je n’étais pas assez en leur puissance, parvinrent enfin à me livrer à leur ami. [ J’ajoutai ce qui suit dans la lecture que je fis de cet écrit à M. et à madame la comtesse d’Egmont, à M- le prince Pignatelli , à madame la marquise de Mesmes, et à M. le marquis de Juighé. a J’ai dit la vérité si quelqu’un sait des choses contraires a ce que je viens d’exposer, fussént- ES NOUVEAUX LDïTUCBS. 58Î I n’y a là dedans aucune fausseté, et ce sont des preuve* que nous cherchons. Dans cette négociation pour faire accepter l’Herraitage , Grimm blâma durement madame d’Epinai de ce projet, en lui disant qu'il 11 e voyait de la part de Rousseau que deVor- gueil caché partout 9 et que c'était lui rendre un mauvais service que de lui donner Vhahitation de VHermitage ; que- cet homme était plein de déraison , et que plus onia tolérait f - plus on l'augmentait. On voit que Jean-Jacques, de l’aveu meme de madame d’Epinai, n’avait pas si grand tort de se plaindre que Grimm- lui enlevait l’amitié de toutes les personnes chez lesquelles il l’avait introduit. C’était à lui que le baron devait cette connaissance. Il est nécessaire de faire remarquer que Jean*' Jacques rapporte d’une autre manière, à la fin du huitième livre de ses Confessions , l’oflre de l’Hcrmitage; et, d’après son récit, madame d’Épinai mit dans cette offre une grâce, une délicatesse, qu’elle pouvait faire raconter par son tuteur , si sa modestie l’empêchait de le faire. A peine est-il à l’IIermitage qu’on s’occupe des moyens de le forcer a passer l’hiver à Paris , et l’on met en œuvre Thérèse et sa famille. Tous ses amis s’en mêlent. Il écrit k madame d’Épinai Je commence par vous dire que je suis résolu, déterminé , quoi qu’il arrive , à passer l’hiver m. à l’Hermitage ; que rien ne me fera changer de résolution , et que vous n’en avez pas le droit vous-même , parce que k telles ont été nos conventions quand je suis venu...* N m’en parlez donc plus, ma bonne amie , vous ne feriez que me désoler et n’obtiendriez rien , car la contradic- tiou m’est mortelle. Cette persécution pour obliger Jean-Jacques de passer l’iiiver à Paris lai donne de l’humeur , et fait naître une correspondance dont nous citerons l’extrait d’une lettre qu’il écrivit le i3 décembre 1^56 k madame d'Ëpinai. a Ma chère amie , il faut que j’étouffe , si je ne verse pas mes * peines dans leseinde l’amitié. Diderot m’a écrit une lettre KOTES 532 qui me perce l’âme. Il me fait entendre que c’est par grâce qu’il ne me regarde pas comme un scélérat, et qu’il y auraitbien à dire là-dessus ce sontses termes ; et cela , savez-vous pourquoi ? parce que madame Le Vasseur est avec moi. Eh ! bon Dieu ! que dirait-il de plus si elle n’y était pas? Je les ai recueillis dans la rue , elle et son mari, dans un âge où ils n’étaient plus en état de gagner a leur vie. Depuis dix ans je m’ôte pour elle le pain de la bouche je la mène dans uu bon air où rien ne lui manque j je renonce pour elle au séjour de ma patrie j elle est sa maîtresse absolue, va, vient sans compte rendre j’en ai autant de soin que de ma propre mère 5 u tout cela n’est rien, et je ne suis qu’un scélérat si je ne vais mourir de désespoir à Paris pour son amusement. 3i10!q!g H J. 3 Bitte nicht herausnehmen! %. %ËÉL — 3 324 -?? VH ROUSSEAU PEINT • IMPRIMERIE DE M“* Vv* PERRQNNEAD J-J. ROUSSEAU PEINT LUI-MÊME; Ses Confessions, avec des notes nouvelles; Rousseau juge de Jean-Jacques, ou scs Dialogues; ses Lettres à M. le président de Malesherbes ; les Rêveries du Promeneur solilaire; ses Lettres a M. le pasteur Vernes; un Nouveau Supplément à scs Mémoires et un appendice. Au&mentés de VEloge de Jean-Jacques Rousseau , ou Examen de sa philosophie } de ses opinions, de ses ouvrages, par M. le comte d’Escherny; d’un avertissement dés nouveaux éditeurs / de notes curieuses relatives a la personne de Jean-Jacques, et de plusieurs pièces inédites ou peu connues de ce philosophe. par m. *** Avec un beau porlrait de Rousseau, un fac simile de son écriture , et cinq jolies gravures. TOME IIL ara»*?» ÿhi'm PARIS, CHEZ ALEXIS EYMERY, LIBRAIRE, RUE MAZARINE, W° 5o. âilSÜfii fà&’M mm mmm îwMf - .? Stf&SJï ÎBSS8 ROUSSEAU * JUGE DE JEAN-JACQUES. DIALOGUES. Barharus hïc ego sum, quia non intelligor illis . O v i u , Trist, U b, V. Keg. X, 3 7 . 'sv. N 0 TIGE SUR LES DIALOGUES PAR LES NOUVEAUX EDITEURS. Jean-Jacques faisant précéder ces Dialogues par l’exposé du but qu’il se proposait, et les terminant par l’historique de cet écrit, il ne nous reste rien à dire sur cet objet. Il confia le premier Dialogue à M. Brooke-Bothby, ainsi que nous le racontons avec plus de détails dans une note. Ce manuscrit ne fut point imprimé du vivant de l’auteur. Il offre des détails intéressans sur ses ouvrages , et sous ce rapport peut servir de supplément à la seconde partie des Confessions. Dans le second Dialogue, Jean-Jacques dit, que cet écrit était, de tous ceux qu’il avait faits en sa vie, celui qu’il avait entrepris avec le plus de répugnance et exécuté avec le plus d’ennui il s’en occupa pendant quatre ans avec un serre- ment de cœur qui ne le quittait pas. » Il les acheva en 1776. V. D. M. BU SUJET ET DE LA FORME DE CET ÉCRIT. J’Ai souvent dit que, si l’on m r eût douné" d’un autre homme les ide'es qu’on a données de moi à mes contemporains, je ne me serais pas conduit avec lui comme ils font avec moi. Cette assertion a laissé tout le monde fort indifférent sur ce point, et je n’ai vu chez personne la moindre curiosité de savoir en quoi ma conduite eut difïëré de celle' des autres, et quelles eussent été mes raisons. J’ai conclu J de là que le public, parfaitement sûr de l’impossibilité d’en f user plus justement ni plus honnêtement qu’il ne fait à j’ mon égard, l’était par conséquent que , dans ma supposi- ! tion, j’aurais eu tort de ne pas l’imiter. J’ai cru même aper- i! - cevoir d'ans sa confiance une hauteur dédaigneuse qui ne •\ pouvait venir que d’une grande opinion de la vertu de ses- guides et de la sienne dans cette affaire. Tout cela, couvert pour moi d’un mystère impénétrable , ne pouvant s’ac- M corder avec mes raisons, m’a engagé à les dire, pour les soumettre aux réponses de quiconque aurait la charité de me détromper ; car mon erreur , si elle existe, n’est pas ici’ sans conséquence elle me force à mal penser de tous ceux qui m’entourent; et, comme rien n’est plus éloigné de volonté que d’être injuste et ingrat envers eux , ceux qui me désabuseraient, en me ramenant à de meillé’urs juge- j mens, substitueraient dans mon cœur la gratitude à l’indignation, et me rendraient sensible et reconnaissant en me montrant mon devoir à l’être. Ce n’est pas là cependant le j seul motif qui m’ait mis la plume à la main un autre encore, plus fort et non moins légitime, se fera sentir dans cet écrit. Mais je proteste qu’il n’entre plus dans ces motifs l’espoir ni presque le désir d’obtenir enfin de ceux j qui m’ont jugé, la justice qu’ils me refusent, et qu’ils sont \ bien déterminés à me refuser toujours. ï>t SLMET ; ÔE CET- ECRIT. gv En voulant exécuter cette entreprise , je me suis vu-dans un bien singulier embarras ce n’était pas de trouver des’ raisons en faveur de mon sentiment, c’était d’en imaginer de contraires; c’était d’établir sur quelque apparence d’équité des procédés où je n’en apercevais aucune. Voyant cependant tout Paris , toute la France, toute l’Europe , se conduire à mon égard avec la plus grande confiance sur des maximes si nouvelles, si peu concevables pour moi, je ne pouvais supposer que cet accord unanime n’eùt aucun fondement raisonnable , ou du moins apparent, et que toute une génération s’accordât à vouloir éteindre à plaisir toutes les lumières naturelles, violer toutes les lois de la justice, toutes les règles du bon sens,, sans objet, sans profit, sans prétexte, uniquement pour satisfaire une fantaisie dont je ne pouvais pas même apercevoir le but et l’occasion. Le silence profond , universel, non moins inconcevable que le mystère qu’il couvre , mystère que depuis quinze ans on me cache avec un soin que je m’abstiens de qualifier , et avec un succès qui tient du prodige; ce silence effrayant et terrible ne m’a pas laissé saisir la moindre idée qui pût m’éclairer sur ces étranges dispositions. Livré pour toute lumière à mes conjectures, je n’en ai su former aucune qui put expliquer ce qui m’arrive, de manière à pouvoir croire avoir démêlé la vérité. Quand de forts indices m’ont fait penser quelquefois avoir découvert avec le fond de l’intrigue son objet et ses auteurs , les absurdités sans nombre que j’ai vues naître de ces suppositions m’ont bientôt contraint de les abandonner , et toutes celles que mon imagination s’est tourmentée à leur substituer n’ont pas mieux soutenu le moindre examen.. Cependant , pour ne pas combattre une chimère,, pour ne pas outrager toute une génération, il fallait bien supposer des raisons dans le parti approuvé et suivi par tout le monde.. Je n’ai rien épargné pour en chercher , pour en imaginer de propres à séduire la multitude; et si je n’ai rien trouvé qui dut avoir produit cet effet x . le ciel m’est *0' Ht StTTET témoin que ce n'est faute ni de yolonté ni d’efforts , et que j’ai rassemblé soigneusement toutes les idées que mou entendement m’a pu fournir pour cela. Tous mes soins n’aboutissant à rien qui pût me satisfaire , fai pris le seul parti qui me restait à prendre pour m’expliquer r c’était, nè pouvant raisonner sur des motifs particuliers qui m’étaient Inconnus et incompréhensibles 7 de raisonner sur une hypothèse générale qui pût tous les rassembler ; céfait ? entre toutes les suppositions possibles, de choisir la pire pour moi, la meilleure pour mes adversaires; et, dans cette position, ajustée, autant qu’il m’était possible, aux manœuvres dont je me suis* vu l'objet . aux allures que j’ai entrevues, aux propos mystérieux que j’ai pu saisir çà et là , d’examiner quelle conduite de leur part eût été la plus raisonnable et la plus juste. Épuiser tout ce qui se pourrit dire en leur faveur était le seul moyen que j eusse de trouver ce qu’ils disent en effet 7 et c’est ce que fai taché de faire, en mettant de leur coté tout ce que j’v ai pu mettre de motifs plausibles et d’argumens spécieux , et cumulant contre moi toutes les charges imaginables. Malgré tout cela , j’ai souvent rougi, je l’avoue, des raisons que j’étais forcé de leur prêter. Si j’en avais trouvé de meilleures, je les aurais employées de tout mon cœur et de toute ma force , et cela avec d’autant moins de peine, qu’il me paraît certain qu’aucune n’aurait' pu tenir contre mes réponses ; parce que celles-ci dérivent immédiatement des premiers principes de la justice, des premiers élémens du bon sens , et qu’elles sont applicables à tous les cas possibles d’une situation pareille à celle oû je suis. La forme du dialogue m’ayant paru la pins propre à discuter le pour et le contre, je l’ai choisie pour cette raison. J'ai pris la liberté de reprendre dans ces entretiens mon nom de famille que le public a jugé à propos de ruoter, et je me suis désigné en tiers, à son exemple, par celui de baptême, auquel il lui a pîu de me réduire. En prenant un français pour mon autre interlocuteur, je n'ài rien fait que BE CEÏ tour* ït d'honnête et d’obligeant pour Je nom qu'il porte, puisque je me suis abstenu de le rendre complice d'une conduite que je désapprouve, et je n'aurais rien fait d'injuste en lui donnant ici le personnage que toute sa nation s'empresse de faire à mon égard. J'ai meme eu Inattention de le ramener à des sentimens plus raisonnables que je n’en ai trouvé dans aucun de ses compatriotes ; et celui que j’ai mis en scène est tel, qu'il serait aussi heureux pour moi qu’honorable à son pays qu’il s'y en trouvât beaucoup qui l'imitassent. Que si quelquefois je l'engage en des raisonnemens absurdes, je proteste derechef, en sincérité de cœur, que c’est toujours malgré moi; et je crois pouvoir défier toute la France d'en trouver de plus solides pour autoriser les siugulières pratiques dont je suis l’objet, et dont elle parait se glorifier si fort. Ce que j’avais a dire était si clair, et j’en étais si pénétré, que je ne puis assez m’étonner des longueurs, des redites, du verbiage et du désordre de cet écrit. Ce qui l’eût rendu vif et véhément sous la plume d'un autre est précisément œ qui l T a rendu tiède et languissant sous la mienne. C’était de moi qu'il s’agissait ; et je n'ai plus trouvé pour mon propre intérêt ce zèle et cette vigueur de courage qui ne peut exalter une âme généreuse que pour la cause d’autrui. Le rôle humiliant de ma propre défense est trop au-dessoris de moi, trop peu digne des sentimens qui m’animent, pour que j'aime à m'en charger ce n’est pas non plus, on le sentira bientôt, celui que j’ai voulu remplir ici; mais je ne pouvais examiner la conduite du public à mon égard sans- me contempler moi-même dans la position du monde la plus déplorable et la plus cruelle- Il fallait m'occuper d’idées tristes et déchirantes, de souvenirs amers et révol- tans, de sentimens les moins faits pour mon cœur; et c'est en cet état de douleur et de détresse qu’il a fallu me remettre chaque fois que quelque nouvel outrage, forçant ma répugnance , m'a fait faire un nouvel effort pour reprendre cet écrit, si souvent abandonné. Ne pouvant souffrir la' Eâ' DU SUJET continuité d’une occupation si douloureuse, je ne m’y suis livré que durant des momens très-courts , écrivant chaque idée quand elle me venait, et m’en tenant là ; écrivant dix fois la même quand elle m’est venue dix fois, sans me rappeler jamais ce que j’avais précédemment écrit, et ne m’en apercevant qu’à la lecture du tout, trop tard pour pouvoir rien corriger, comme je le dirai tout à l’heure. La colère anime quelquefois le talent, mais le dégoût et le serrement de cœur l’étouffent ; et l’on sentira mieux après m’avoir lu que c’étaient là les dispositions constantes où j’ai du me trouver durant ce pénible travail. Une autre difficulté me l’a rendu fatigant $ c’était, forcé de parler de moi sans cesse , d’en parler avec justice et yérité , sans louange et sans dépression. Cela n’est pas difficile à un homme à qui le public rend l’honneur qui lui est dû il est par là dispensé d’en prendre le soin lui-même. Il peut également et se taire sans s’avilir, et s’attribuer avec franchise les qualités que tout le monde reconnaît en lui. Mais celui qui se sent digne d’honneur et d’estime, et que le public défigure et diffame à plaisir, de quel ton sè ren- dra-t-il seul la justice qui lui est due? Doit-il se parler de lui-même avec des éloges mérités,, mais généralement démentis ? Doit-il se vanter des qualités qu’il sent en lui, mais que tout le monde refuse d’y voir? Il y aurait moins d’orgueil que dè bassesse à prostituer ainsi la vérité. Se louer alors , même avec la plus rigoureuse justice, serait plutôt se dégrader que s’honorer,- et ce serait bien mal connaître les hommes que de croire les ramener d’une erreur dans laquelle iis se complaisent, par de telles protestations. Un silence fier et dédaigneux est en pareil cas plus à sa place, et eût été bien plus de mon goût, mais il n’aurait pas rempli mon objet ; et, pour le remplir, il fallait nécessairement que je disse de quel œil, si j’étais un autre ye verrais un homme tel que je suis. 3’ai taché de m’acquitter équitablement et impartialement d’un si difficile devoir, sans insulter à l’incroyable aveuglement du public» MS CET ECRIT. 1$ salis me vanter fièrement des vertus qu'il me refuse, sans m’accuser non plus des vices que je n’ai pas , et dont il lui plaît de me charger , mais en expliquant simplement ce que j’aurais déduit,d’une constitution semblable à la mienne, étudiée avec soin dans un autre homme. Que si l’on trouve dans mes descriptions de la retenue et de la modération’, qu’on n’aille pas m’en faire un mérite. Je déclare qu’il ne. m’a manqué qu’un peu plus de modestie pour parler de moi beaucoup plus honorablement. Voyant l’excessive longueur de ces Dialogues , j’ai tenté plusieurs fois de les élaguer, d’en ôter les fréquentes répétitions, d’y mettre un peu d’ordre et de suite ; jamais je n’ai pu soutenir ce nouveau tourment le vif sentiment de mes malheurs, ranimé par cette lecture, étouiFe toute l’attention qu’elle exige. Il m’est impossible de rien rétenir de rapprocher deux phrases, et de comparer deux idées. Tandis que je force mes yeux æ suivre les lignes, mon cœur serré gémit et soupire. Après de frequens et vains efforts, je renonce à ce travail, dont je me sens incapable; et,-faute de pouvoir faire mieux , je me borne a transcrire ces informes essais , que je suis hors d’état de corriger. Si, tels qu’ils sont, l’entreprise en était encore à faire, je ne la ferais pas, quand tous les biens de l’univers y seraient attachés; je suis même forcé d’abandonner desmultitudes d’ide'es meilleures et mieux rendues que ce qui tient ici leur place, et que j’avais jetées sur des papiers détachés, dans l’espoir de les encadrer aisément ; mais l’abattement m’a gagné, au point de me rendre même impossible ce léger travail. Après tout, j’ai dit a peu près ce que j’avais à dire il est noyé dans un chaos de désordre et de redites, mais il y est; les bons esprits sauront l’y trouver. Quant à ceux qui ne veulent qu’une lecture agréable et rapide, ceux qui n’ont cherché , qui n’ont trouvé que cela dans mes Confessions , ceux qui ne peuvent souffrir un peu de fatigue, ni soutenir une attention suivie pour l’intérêt de 3a justice et de la vérité, ils feront bien de s’épargner l’ennui de cette lecture ; ce n’est . DTJ SUJET 1>E CET ECRIT. pas à eqx que j’ai voulu parler; et, loin de chercher a leur plaire, j’éviterai du moins cette dernière indignité, que le tableau des misères de ma vie soit pour personne un objet d’amusement. Que deviendra cet écrit ? Quel usage en pourrai-je faire? Je l’ignore , et cette incertitude a beaucoup augmenté le découragement qui ne m’a point quitté en y travaillant. Ceux qui disposent de moi en ont eu connaissance aussitôt qu’il a été commencé, et je ne vois dans ma situation aucun moyen possible d’empécher qu’il ne tombe entre leurs mains tôt ou tard i. Ainsi, selon le cours naturel des choses , toute la peine que j’ai prise est apure perte. Je ne sais quel parti le ciel me suggérera ; mais j’espérerai jusqu’à la fin qu’il n’abandonnera point la cause juste. Dans quelques mains qu’il fasse tomber ces feuilles, si .parmi ceux qui les liront peut-être il est encore un cœur d’homme, cela me suffit, et je ne mépriserai jamais assez l’espèce humaine pour ne trouver dans cette idée aucun sujet de confiance et d’espoir. i On trouvera à la fin de ces Dialogues , dans l’Histoire malheureuse de cet écrit, comment cette prédiction s’est vérifiée. ROUSSEAU JUGE DE JEAN-JACQUES. PREMIER DIALOGUE. Rousseau. Queues incroyables choses je viens d’apprendre! je n’en reviens pas non, je n’en reviendrai jamais. Juste ciel ! quel abominable homme! qu’il m’a fait de mal! que je vais le détester ! Un Français. Et notez bien que c’est ce même homme dont les pompeuses productions vous ont si charmé, si ravi, par les beaux préceptes de vertu qu’il y étale avec tant de faste. Rouss. Dites, de force. Soyons justes, même avec les méchans. Le faste n’excite tout au plus qu’une admiration froide et stérile, et sûrement ne ma charmera jamais. Des écrits qui élèvent l’âme et enflamment le cœur méritent un autre mot. Le Fr. Faste ou force, qu’importe le mot, si l’idée est toujours la même, si ce sublime jargon, tiré par l’hypocrisie d’une tète exaltée, n’en est pas moins dicté par une âme de boue ? Rouss. Ce choix du mol me paraît moins indifférent qu’à vous. Il change pour moi beaucoup les idées; et, s’il n’y avait que du faste et du jargon dans les écrits de l’auteur que vous .m’avez, peint , il m’inspirerait moins d’horreur. Tel homme per- vB- premier dialogue. vers s’endurcit à la sécheresse des sermons et des prônes, qui rentrerait en lui-même et deviendrait honnête homme, si l’on savait chercher et ranimer dans son cœur ces sentimens de droiture et d’humanité que la nature y mit en réserve et que les passions étouffent. Mais celui qui peut contempler de sang-froid la vertu dans toute sa beauté, celui qui sait la peindre avec ses charmes les plus tou- chans, sans en être ému, sans se sentir épris d’aucun amour pour elle, un tel être, s’il peut exister, est un méchant sans ressource, c’est un cadavre •moral. Le Fr. Comment, s’il peut exister? Sur l’effet qu’ont produit en vous les écrits de ce misérable, qu’en tendez - vous par ce doute , après les entretiens que nous venons d’avoir ? Expliquez-vous. Bouss. Je m’expliquerai ; mais ce sera prendre le soin le plus inutile ou le plus superflu car tout ce que je vous dirai ne saurait être entendu que par ceux à qui l’on n’a pas besoin de le dire. Figurez-vous donc un monde idéal semblable au nôtre, et néanmoins tout différent. La nature y est la même que sur notre terre, mais l’économie en est plus sensible, l’ordre en est plus marqué, le spectacle plus admirable; les formes sont plus élégantes, les couleurs plus vives, les odeurs plus suaves, tous les objets plus intéressans. Toute la nature y est si belle, que sa contemplation, enflammant les âmes d’amour pour un si touchant tableau, leur inspire , avec le désir de concourir à ce beau système, la crainte d’en troubler l’harmonie; et de là naît une exquise sensibilité qui donne a ceux qui en sont doués des jouissances immédiates, inconnues aux coeurs que les mêmes contemplations n’ont point avivés. PSEHiM DIÀEÜGÜE, 1 7 Les passions y sont, comme ici, le mobile de tout.;. action; mais , plus vives, plus ardentes, ou seulement plus simples et plus pures, elles prennent par cela seul un caractère tout différent. Tous les premiers mouvemens de la nature sont bons et droits. Ils tendent, le plus directement qu’il est possible, à notre conservation et à notre bonheur mais bientôt manquant de force pour suivre à travers tant de résistance leur première direction , ils se laissent défléchir par mille obstacles qui, les détournant du vrai but , leur font prendre des routes obliques où l’homme oublie sa première destination. L’erreur du jugement, la force des préjugés, aident beaucoup à nous faire prendre ainsi le change; mais cet effet vient principalement de la faiblesse de l’âme qui, suivant mollement l’impulsion de la nature, se détourne au choc d’un obstacle, comme une boule prend l’angle de réflexion ; au lieu que celle qui suit plus vigoureusement sa course ne se détourne point, mais , comme un boulet de canon, force l’obstacle ou s’amortit et tombe à sa rencontre. Les habitans du monde idéal dont je parle ont le bonheur d’être maintenus par la nature, à laquelle ils sont plus attachés, dans cet heureux point de vue où elle nous a placés tous, et par cela seul, leur âme garde toujours son caractère originel. Les passions primitives, qui toutes tendent directement à notre bonheur, ne nous occupent que des objets qui s’y rapportent; et, n’ayant que l’amour de soi pour principe, sont toutes aimantes et douces par leur essence mais quand, détournées de leur objet par des obstacles, elles s’occupent plus de l’obstacle pour l’écarter que de l’objet pour l’atteindre, alors elles changent de nature et deviennent iras- 3 , * , 1$ PREMIER DIALOGUE. cibles et haineuses; et voilà comment l’amour de soi, qui est un sentiment bon et absolu, devient amour-propre, c’est-à-dire un sentiment relatif par lequel on se compare, qui demande des préférences, dont la jouissance est purement négative, et qui ne cherche plus à se satisfaire par notre propre bien, mais seulement par le mal d’autrui. Dans la société humaine, sitôt que la foule des passions et des préjugés qu’elle engendre a fait prendre le change à l’homme, et que les obstacles qu’elle entasse l’ont détourné du vrai but de notre vie, tout ce que peut faire le sage, battu du choc continuel des passions d’autrui et des siennes, et, parmi tant de directions qui l’égarent, ne pouvant plus démêler celle qui le conduirait bien, c’est de se tirer de la foule autant qu’il lui est possible, et de se tenir sans impatience à la place où le hasard l’a posé ; bien sûr qu’en n’agissant point il évite au moins de courir à sa perte et d’aller chercher de nouvelles erreurs. Comme il ne voit dans l’agitation des hommes que la folie qu’il veut éviter, il plaint leur aveuglement encore plus qu’il ne liait leur malice; il ne se tourmente point à leur rendre mal pour mal, outrage pour outrage; et si quelquefois il cherche à repousser les atteintes de ses ennemis, c’est sans chercher à les leur rendre, sans se passionner contre eux, sans sortir ni de sa place ni du calme où il veut rester. Nos habitans , suivant des vues moins profondes , arrivent presque au même but par la route contraire, et c’est leur ardeur même qui les tient dans l’inaction. L’état céleste auquel ils aspirent et qui fait leur premier besoin par la force avec laquelle il s’offre à leurs cœurs, leur fait rassembler et tendre sans cesse toutes les puissances PREMIER DIALOGUE. 10 de leur âme pour y parvenir. Les obstacles qui les retiennent ne sauraient les occuper au point de le leur faire oublier un moment ; et de là ce mortel dégoût pour tout le reste, et cette inaction totale quand ils désespèrent d’atteindre au seul objet de tous leurs vœux. Cette différence ne vient pas seulement du genre des passions, mais aussi deleurforce; carlespassions fortes ne se laissent pas dévoyer comme les autres. Deux amans, l’un très-épris, l’autre assez tiède, souffriront néanmoins un rival avec la même impatience, l’un à cause de son amour, l’autre à cause de son amour-propre. Mais il peut très-bien arriver que la liaine du second, devenue sa passion principale, survive à son amour, et même s’accroisse après qu’il est éteint; au lieu que le premier, qui ne hait qu’à cause qu’il aime, cesse de haïr son rival sitôt qu’il ne le craint plus. Or si les âmes faibles et tièdes sont plus sujettes aux passions haineuses qui ne sont que des passions secondaires et défléchies, et si les âmes grandes et fortes, se tenant dans leur première direction, conservent mieux les passions douces et primitives qui naissent directement de l’amour de soi, vous voÿez comment, d’une plus grande énergie dans les facultés et d’un premier rapport mieux senti, dérivent dans les habitans de cet autre monde des passions bien différentes de celles qui déchirent ici-bas les malheureux humains. Peut-être n’est-on pas, dans ccs contrées, plus vertueux qu’on ne l’est autour de nous, mais on y sait mieux aimer la vertu. Les vrais penclians de la nature étant tous bons, en s’y livrantils sont bons eux-mêmes; mais la vertu parmi nous oblige souvent à combattre et vaincre la nature, et rarement sont-ils capables de pareils efforts. La 50 PREMIER DUtOGttL longue inhabitude de résister peut même amollir e leurs âmes au point de faire le mal par faiblesse, q par crainte, par nécessité. Ils ne sont exempts ni de s fautes ni de vices ; le crime même ne leur est pas s étranger, puisqu’il est des situations déplorables où r la plus haute vertu suffit à peine pour s’en défendre, r et qui forcent au mal l’homme faible, malgré son p cœur mais l’expresse volonté de nuire, la haine p envenimée, l’envie, la noirceur, la trahison, f, la fourberie, y sont inconnues; trop souvent on y 1 voit des coupables, jamais on n’y vit un méchant, a Enfin s’ils ne sont pas plus vertueux qu’on ne l’est d ici, du moins, par cela seul qu’ils savent mieux c s’aimer eux-mêmes, ils sont moins malveillans s pour autrui. p Us sont aussi moins actifs, ou, pour mieux dire, p moins remuans. Leurs efforts pour atteindre à d l’objet qu’ils contemplent consistent en des élans vigoureux; mais sitôt qu’ils en sententl’impuissance, h ils s’arrêtent, sans chercher à leur portée des e équivalens à cet objet unique, lequel seul peut les e tenter. . d Comme ils ne cherchent pas leur bonheur dans l’apparence mais dans le sentiment intime, en quel- q que rang que les ait placés la fortune, ils s’agitent peu t; pour en sortir ils ne cherchent guère à s’élever, et p descendraient sans répugnance à des relations plus de leur goût, sachant bien que l’état le plus heureux P n’est pas le plus honoré de la foule, mais celui qui rend le cœur plus content. Les préjugés ont sur eux c très-peu de prise, l’opinion 11e les mène point; et o quand ils en sentent l’effet, ce n’est pas eux qu’elle d subjugue, mais ceux qui influent sur leur sort. E Quoique sensuels et voluptueux, ils font peu de I’ cas de l’opulence, et _ne font rien pour y parvenir, éllir connaissant trop bien L’art de jouir pour ignorer sse, que ce n’est pas à prix d’argent que le vrai plaisir i de s’achète ; et quant au bien que peut faire un riche, pas sachant aussi que ce n’est pas lui qui le fait, mais sa s où richesse; qu’elle le ferait sans lui mieux encore, ire? répartie entre plus dé mains, ou plutôt anéantie son parce partage, et que tout ce bien qu’il croit faire due par elle , équivaut rarement au mal réel qu’il faut >u , faire pour l’acquérir. D’ailleurs, aimant encore plus n y leur liberté que leurs aises, ils craindraient de les mt. acheter par la fortune, ne fût-ee qu’à cause de la l’est dépendance et des embarras attachés au soin de la eux conserver. Le cortège inséparable de l’opulence leur ans serait cent fois plus à charge que les biens qu’elle procure ne leur seraient doux. Le tourment de la ire, possession empoisonnerait pour eux tout le plaisir e à de la jouissance. ans Ainsi bornés de toutes parts par la nature et par ice, la raison, ils s’arrêtent, et passent la vie à en jouir des en faisant chaque jour ce qui leur paraît bon pour les eux et bien pour autrui, sans égard à l’estimation des hommes et aux caprices de l’opinion, ans Le Fr. Je cherche inutilement dans ma tête ce uel- qu’il peut y avoir de commun entre les êtres fan- peu tas tiques que vous décrivez et le monstre dont nous , et parlions tout à l’heure. s de Itouss. Rien sans doute, et je le crois ainsi mais eux permettez que j’achève. qui Des êtres si singulièrement constitués doivent né- eux cessairement s’exprimer autrement que les hommes ; et ordinaires. Il est impossible qu’avec des âmes si 'elle dniéremment modifiées ils ne portent pas dans l’expression de leurs sentimens et de leurs idées i de l’empreinte de ces modifications. Si cette empreinte îir, échappe à ceux qui n’ont aucune notion ds cette âï PREAUEIt BIA10CCE. manière d’être, elle ne peut échapper à ceux qui h e la connaissent et qui en sont affectés eux-mêmes, Q l C’est un signe caractéristique auquel les initiés se res reconnaissent entre eux ; et ce qui donne un grand f J1 prix à ce signe si peu connu et encore moins em- ployé, est qu’il ne peut se contrefaire, que jamais fts se restera tranquille comme auparavant, sans s’allcr •and fourrant dans le tripot littéraire , sans sentir cette cm- ridicule démangeaison de rabâcher et barbouiller nais éternellement du papier, qu’on dit être attachée au nd j] métier d’auteur; et tel, né peut-être avec du génie, rive ne s’en doutera pas lui-même , et mourra sans être' ier; connu de personne, si nul objet ne vient animer m ,!_ son zèle au point de le contraindre à se montrer. l at!S Le Fr. Mon cher monsieur Rousseau, vous m’a- jueS vez bien l’air d’être un des habitans de ce monde-là. eri t, Rouss. J’en reconnais un du moins , sans le , j n _ moindre doute, dans l’auteur d'Émile etd 'Héloïse. rère Le Fr. J’ai vu venir celle conclusion; mais pour îdre vous passer toutes ces Fictions peu claires , il fau- lent drait premièrement pouvoir vous accorder avec mté vous-même mais, après avoir paru convaincu *en! des abominations de cet homme,’ vous voilà main- OTn . tenant le plaçant dans les astres parce qu’il a fait rc{ sj des romans. Pour moi je n’entends rien à ces q lie énigmes. De grâce, dites-moi donc une fois votre pos- vrai sentiment sur son compte. j U >jl Rorss. Je vous l’ai dit sans mystère, et je vous er le répéterai sans détour. La force de vos preuves q ue ne me laisse pas douter un moment des crimes n p ra qu’elles attestent, et là-dessus je pense exactement , j es comme vous; mais vous unissez des choses que je A j a sépare. L’auteur des livres et celui des crimes vous gse2 paraît la même personne; je me crois fondé à en .{pu faire deux. Voilà , monsieur , le mot de l’énigme. r j] Le Fr. Comment cela, je vous prie? Voici qui me paraît tout nouveau. lin Rocss. A tort, selon moi ; car ne m’avez-vous nn j pas dit qu’il n’est pas l’auteur du Devindu viUag'eï s'i rSCMICR Le Fr. 11 est vrai, et c’est un fait dont personne ne doute plus mais quant à ses autres ouvrages, je n’ai pas encore ouï les lui disputer. Rouss. Le second dépouillement me paraît pourtant une conséquence assez prochaine de l’autre, Mais, pour mieux juger de leur liaison, il faudrait connaître la preuve qu’on a qu’il n’est pas l’auteur du Devin. Le Fr. La preuve ! il y en a cent, toutes péremptoires. beaucoup. Je me contente d’une; mais je la veux , et pour cause , indépendante du témoignage d’autrui. Le Fr. Ah ! très - volontiers. Sans vous parler donc des pillages bien attestés dont on a prouve d’abord que cette pièce était composée, sans même insister sur le doute s’il sait faire des vers , et par conséquent s’il a pu faire ceux du Devin du village, je me tiens à une chose plus positive et plus sûre, c’est qu’il ne sait pas la musique ; d’où l’on peut, à mon avis, conclure avec certitude qu’il n'a pas fait celle de cet opéra. Ronss. 11 ne sait pas la musique ! Voilà encore une de ces découvertes auxquelles je ne me serais pas attendu. Le Fr. N’en croyez là-dessus ni moi ni personne, mais vérifiez par vous-même. Roxiss. Si j’avais à surmonter l’horreur d’approcher du personnage que vous venez de peindre, ne serait assurément pas pour vérifier s’il sait la musique, la question n’est pas assez intéressante lorsqu’il s’agit d’un pareil scélérat. Le Fr. 11 faut qu’elle ait paru moins indifférente à nos messieurs qu’à vous car les peines incroyable qu’ils ont prises et prennent encore tous les joui' fjmiiËfe tuAtoficË. aï» poux' établir de mieux en mieux dans le publie cette preuve, passent encore ce qu’ils ont fait pour mettre en évidence celle de ses crimes. Ronss. Cela me paraît assez bizarre; car quand on a si bien prouvé le plus, d’ordinaire on ne s’agite pas si fort pour prouver le moins. Le Fr. Oli ! vis-à-vis d’un tel homme, on ne doit négliger ni le plus ni le moins. A l’horreur du vice se joint l’amour de la vérité, pour détruire dans toutes ses branches une réputation usurpée; et ceux qui se sont empressés de montrer en lui un monstre exécrable, 11e doivent pas moins s’empresser aujourd’hui d’y montrer un petit pillard sans talent. Rouss. Il faut avouer que la destinée de cet homme a des singularités bien frappantes sa vie est coupée en deux parties qui semblent appartenir à deux individus difféi’ens, dont l’époque qui les sépare, c’est-à-dire le temps où il a publié des livres, marque la mort de l’un et la naissance de l’autre. Le premier, homme paisible et doux , fut bien voulu de tous ceux qui le connurent , et ses amis lui restèrent toujours. Peu propre aux grandes sociétés par son humeur timide et son naturel tranquille , il aima la retraite, non pour y vivre seul, mais pour y joindre les douceurs de l’étude aux charmes de l’intimité. Il consacra sa jeunesse à la culture des belles connaissances et des talens agréables ; et, quand il se vit forcé de faire usage de cet acquis pour subsister, ce fut avec si peu d’ostentation et de prétention , que les personnes auprès desquelles il vivait le plus n’imaginaient pas même qu’il eût assez d’esprit pour faire des livres. Son cœur fait pour s’attacher se donnait sans réserve ; complaisant pour ses amis jusqu’à la faiblesse, il se laissait subjuguer par eux au point de ne pouvoir PREMIER DUL0GÜE. 20 plus secouer ce joug impunément. Le second , homme dur, farouche et noir, se fait abhorrer de tout le monde, qu’il fuit; et, dans son affreuse misanthropie, ne se plaît qu’à marquer sa haine pour le genre humain. Le premier, seul, sans étude, et sans maître, vainquit toutes les difficultés à force de zèle , et consacra ses loisirs non à l’oisiveté , encore moins à des travaux nuisibles, mais à remplir sa tête d’idées charmantes, son cœur de senti- rnens délicieux, et à former des projets, chimériques peut - être à force d’être utiles, mais dont l’exécution , si elle eût été possible, eutfait le bonheur du genre humain. Le second, tout occupé de ses odieuses trames, n’a su rien donner de son temps ni de son esprit à d’agréables occupations, encore moins à des vues utiles. Plongé dans les plus brutales débauches , il a passé sa vie dans les tavernes et les mauvais lieux, chargé de tous les vices qu’on y porte ou qu’on y contracte, n’ayant nourri que les goûts crapuleux et bas qui en sont inséparables , il fait ridiculement contraster ses inclinar tions rampantes avec les altières productions qu’il a l’audace de s’attribuer. En vain a-t-il paru feuilleter des livres et s’occuper de recherches philosophiques, il n’a rien saisi, rien conçu, que ses horribles systèmes ; et, après de prétendus essais qui n’a- vaiént pour but que d’en imposer au genre humain, il a fini, comme il avait commencé , par ne rien savoir que mal faire. Enfin, sans vouloir suivre cette opposition dans toutes ses branches, et pour m’arrêter à celle qui m’y a conduit, le premier, d’une timidité qui allait jusqu’à la bêtise , osait à peine montrer à ses amis les productions de ses loisirs ; le second, d’une imprudence encore plus bête, s’appropriait fi ère- PREMIER MAlOGtf*. î? ment et publiquement les productions d’autrui sur les choses qu’il entendait le moins. Le premier aima passionnément la musique, en fit son occupation favorite, et avec assez de succès pour y faire des découvertes, trouver les défauts, indiquer les corrections il passa une grande partie de sa vie parmi les artistes et les amateurs, tantôt composant de la musique dans tous les genres en diverses occasions , tantôt écrivant sur cet art, proposant des vues nouvelles, donnant des leçons de composition, constatant par des épreuves l’avantage des méthode* qu’il proposait, et toujours se montrant instruit dans toutes les parties de l’art plus que la plupart de se* contemporains , dont plusieurs étaient à la vérité plus versés que lui dans quelque partie, mais dont aucun n’en avait si bien saisi l’ensemble et suivi la liaison. Le second, inepte au point des’étre occupé de musique pendant quarante ans sans pouvoir l’apprendre, s’est réduit à l’occupation d’en copier faute d’en savoir faire ; encore lui-même ne se trouve-t-il pas assez savant pour le métier qu’il a choisi ; ce qui ne l’empêche pas de se donner avec la plus stupide effronterie pour l’auteur de choses qu’il ne peut exécuter. Vu us m’avouerez que voilà des contradictions difficiles à concilier. Le Fr. Moins que vous ne croyez; et si vos autres énigmes ne m’étaient pas plus obscures que celle-là, vous me tiendriez moins en haleine. Rouss. Vous m’éclaircirez donc celle-ci quand il vous plaira, car, pour moi, je déclare que je n’y comprends rien. Le Fr. De tout mon cœur, et très - facilement , mais commencez vous-même par m’éclaircir votre question. Rouss. Il n’y a plus de question sur le fait que ai PREMIER BlitOCtJE. vous venez d’exposer. A cet égard nous sommes parfaitement d’accord, et j’adopte pleinement votre conséquence, mais je la porte plus loin. Vous dites qu’un homme qui ne sait faire ni musique ni vers n’a pas fait le Devin du village, et cela est incontestable moi j’ajoute que celui qui se donne faussement pour l’auteur de cet opéra n’est pas même l’auteur des autres écrits qui portent son nom, et cela n’est guère moins évident ; car, s’il n’a pas fait les paroles du Devin puisqu’il ne sait pas faire des vers, il n’a pasfait non plus l'Allée de Sylvie , qui difficilement en effet peut être l’ouvrage d’un scélérat; et, s’iln’en a pas faitla musique puisqu’il ne sait pas la musique, il n’a pas fait non plus la Lettre sur la musique française , encore moins le Dictionnaire de musique, qui ne peut être que l’ouvrage d’un homme versé dans cet art et sachant la composition. Le Fr. Je ne suis pas là-dessus de votre sentiment non plus que le public , et nous avons pour surcroît celui d’un grand musicien étranger venu depuis peu dans ce pays. Rovss. Et, je vous prie , le connaissez-vous bien ce grand musicien étranger? Savez-vous par qui et pourquoi il a été appelé en France, quels motifs l’ont porté tout d’un coup à ne faire que de la musique française, et à venir s’établir à Paris. Le Fr. Je soupçonne quelque chose de tout cela ; mais il n’en est pas moins vrai que Jean-Jacques, étant plus que personne son admirateur, donne lui- même du poids à son suffrage. Rouss. Admirateur de son talent, d’accord, je le suis aussi; mais quant à son suffrage, il faudrait premièrement être au fait de bien des choses avant de savoir quelle autorité l’on doit lui donner. PREMIER CULOGVE. ag Le Fr. Je veux bien, puisqu’il vous est suspect, ne m’en pas étayer ici, ni même de celui d’aucun musicien; mais je n’en dirai pas moins de moi- même que pour composer de la musique il faut la savoir sans doute ; mais qu’on peut bavarder tant qu’on veut sur cet art sans y rien entendre, et que tel qui se mêle d’écrire fort doctement sur la musique serait bien embarrassé de faire une bonne basse sous un menuet, et même de le noter. Rouss. Je me doute bien aussi de cela. Mais votre intention est-elle d’appliquer cette idée au Dictionnaire et à son auteur? Le Fr. Je conviens que j’y pensais. Rorss. Vous y pensiez! Cela étant, permettez- moi, de grâce, encore une question. Avez-vous lu ce livre? Le Fr. Je serais bien fâché d’en avoir lu jamais une seule ligne, non plus que d’aucun de ceux qui portent cet odieux nom. Rouss. En ce cas, je suis moins surpris que nous pensions, vous et moi, si différemment sur les points qui s’y rapportent. Ici, par exemple, vous ne confondriez pas ce livre avec ceux dont vous parlez, et qui, ne roulant que sur des principes généraux, ne contiennent que des idées vagues ou des notions élémentaires tirées peut-être d’autres écrits, et qu’ont tous ceux qui savent un peu de musique; au lieu que le Dictionnaire entre dans le détail des règles pour en montrer la raison, l’application, l’exception , et tout ce qui doit guider le compositeur dans leur emploi. L’auteur s’attache même à éclaircir de certaines parties qui jusqu’alors étaient restées confuses dans la tête des musiciens , et presque inintelligibles dans leurs écrits. L’article Enharmonique , par exemple-, explique PREMIER DIALOGUE. 3o ce genre avec une si grande clarté qu’on est étonné de l’obscurité avec laquelle en avaient parlé tous ceux qui jusqu’alors avaient écrit sur cette matière. On ne me persuadera jamais que cet article, ceux à'expression, fugue, harmonie, licence, mode, modulation, préparation, récitatif, trio 1, et grand nombre d’autres répandus dans ce Dictionnaire , et qui sûrement ne sont pillés de personne, soient l’ouvrage d’un ignorant en musique qui parle de ce qu’il n’entend point, ni qu’un livre dans lequel on peut apprendre la composition soit l’ouvrage de quelqu’un qui ne la savait pas. Il est vrai que plusieurs autres articles également importans sont restés seulement indiqués pour ne pas laisser le vocabulaire imparfait, comme il en avertit dans sa préface; mais serait-il raisonnable de le juger sur les articles qu’il n’a pas eu le temps de faire plutôt que sur ceux où il a mis la dernière main, et qui demandaient assurément autant de savoir que les autres! L’auteur convient, il avertit même de ce qui manque à son livre, et il dit la 1 Tons Ses articles de musique que j’avais promis pour VEncyclopédie furent faits dès l’année in/p, et remis par M. Diderot, l’année suivante, à M. d’Alembert, comme entrant dans la partie Mathématiques, dont il était chargé. Quelque temps après parurent ses Èlémens de musique, qu’il n’eut pas beaucoup de peine à faire. En 1568 parut mon Dictionnaire, et quelque temps après une nouvelle édition de ses Elémens avec des augmentations. Dans l’intervalle avait aussi paru un Dictionnaire des beaux-arts, où je reconnus plusieurs des articles que j’avais faits pour VEncyclopédie. M. d’Alembert avait des bontés si tendres pour mon Dictionnaire encore manuscrit, qu’il offrit obligeamment au sieur Gui d’en revoir les épreuves , faveur que, sur l’avis que celui-ci m’en donna , je le priai de ne pas accepter. tSEMIÈtl DUtOGtm. 01 raison de ce défaut. Mais, tel qu’il est, il serait cent fois plus croyable encore qu’un homme qui ne sait pas la musique, eût fait le Devin que le Dictionnaire car combien ne voit-on pas, surtout en Suisse et en Allemagne, de gens qui ne sachant pas une note de musique, et guidés uniquement par leur oreille et leur goût, ne laissent pas de composer des choses très-agréables et même très- régulières, quoiqu’ils n’aient nulle connaissance des règles, et qu’ils ne puissent déposer leurs compositions que dans leur mémoire. Mais il est absurde de penser qu’un homme puisse enseigner et même éclaircir dans un livre une science qu’il n’entend point, et bien plus encore dans un art dont la seule langue exige une étude de plusieurs années avant qu’on puisse l’entendre et la parler. Je conclus donc qu’un homme qui n’a pu faire le Devin du village, parce qu’il ne savait pas la musique, n’a pu faire à plus forte raison le Dictionnaire, qui demandait beaucoup plus de savoir. Le Fr. Ne connaissant ni l’un ni l’autre ouvrage, je ne puis par moi-même juger de votre raisonnement. Je sais seulement qu’il y a une différence extrême à cet égard dans l’estimation du public ; que le Dictionnaire passe pour un ramassis de phrases sonores et inintelligibles, qu’on en cite un article Génie que tout le monde prône, et qui ne dit rien sur la musique. Quant à votre article Enharmonique , et aux autres qui, selon vous, traitent pertinemment de l’art, je n’en ai jamais ouï parler à personne, si ce n’est à quelques musiciens ou amateurs étrangers qui paraissaient en faire cas avant qu’on les eût mieux instruits ; mais les nôtres disent et ont toujours dit ne rien entendre au jargon de ce livre. >03 PREMIER DIALOGUE. Pour le Devin, vous avez vu les transports d’atl- p, miration excités par la dernière reprise; l’enthou- j a siasme du public poussé jusqu’au délire fait foi de 1 qi la sublimité de cet ouvrage. C’était le divin Jean- s j Jacques, c’était le moderne Orphée ; cet opéra était p n- le chef-d’œuvre de l’art et de l’esprit humain, et t p £ jamais cet enthousiasme ne fut si vif que lors- p] qu’on sût que le divin Jean-Jacques ne savait pas II la musique. Or, quoi que vous en puissiez dire, de qi ce qu’un homme qui ne sait pas la musique n’a pu ta faire un prodige de l’art universellement admiré, a il ne s’ensuit pas, selon moi, qu’il n’a pu faire un ni livre peu lu, peu entendu, et encore moins estimé, dt Rorss. Dans les choses dont je peux juger par êt moi-même, je ne prendrai jamais pour règle de oi mes jugemens ceux du public, et surtout quand il se s’engoue, comme il a fait tout d’un coup pour te cl .Devin du village , après l’avoir entendu pendant m vingt ans avec un plaisir plus modéré. Cet engoue- to ment subit, quelle qu’en ait été la cause au mo- 01 ment où le soi-disant auteur était l’objet de la déri- b sion publique , n’a rien eu d’assez naturel pour fa faire autorité chez les gens sensés. Je vous ai dit se ce que je pensais du Dictionnaire, et cela, non pas P 1 sur l’opinion publique, ni sur ce célèbre article M Génie, qui, n’ayant nulle application particulière q 1 à l’art, n’est là que pour la plaisanterie ; mais ; P 1 après avoir lu attentivement l’ouvrage entier, dont 1 ' P 1 la plupart des articles feront faire de meilleure es musique quand les artistes en sauront profiter. b 1 Quant au Devin, quoique je sois bien sûr que P' personne ne sent mieux que moi les véritables beautés de cet ouvrage, je suis fort éloigné de de voir ces beautés où le public engoué les place. S’ Ce ne sont point de celles que l’étude et le savoir C PREMIER DIALOGUE, 53 1- produisent, mais de celles qu’inspirent le goût et i- la sensibilité; et Fou prouverait beaucoup mieux le qu’un savant compositeur n’a pointfait cette pièce, i- si la partie du beau chant et de l’invention lui il manque, qu’on ne prouverait qu’un ignorant ne et Fa pu faire parce qu’il n’a pas cet acquis qui sup- s- plée au génie et ne fait rien qu’à force de travail, is II n’y a rien dans le Devin du village qui passe , le quant à la partie scientifique, les principes élémen- >u taires de la composition ; et non-seulement il n’y 5» a point d’écolier de trois mois qui, dans ce sens, m ne fût en état d’en faire autant, mais on peut bien é. douter qu’un savant compositeur pût se résoudre à ir être aussi simple. Il est vrai que Fauteur de cet le ouvrage y a suivi un principe caché qui se fait il sentir sans qu’on le remarque, et qui donne à ses te chants un effet qu’on ne sent dans aucune autre ni musique française. Mais ce principe, ignoré de e- tous nos compositeurs, dédaigné de ceux qui en 3- ont entendu parler, posé seulement par Fauteur •i- de la Lettre sur la musique, française, qui en a ir fait ensuite un article du Dictionnaire, et suivi lit seulement par Fauteur du Devin, est une grande as preuve de plus que ces deux auteurs sont le même, le Mais tout cela montre l’invention d’un amateur re qui a réfléchi sur Fart, plutôt que la routine d’un iis professeur qui le possède supérieurement. Ce qui nf peut faire honneur au musicien dans celte pièce re ''st le récitatif il est bien modulé, bien ponctué , bien accentué, autant que du récitatif français le peut l’être. Le tour en est neuf, du moins il es l’était alors à tel point qu’on ne voulut point hasar- le der ce récitatif à la cour, quoique adapté à la lan- e. 8 ue plus qu’aucun autre. J’ai peine à concevoir ir comment du récitatif peut être pillé, à moins $4 PREMIER DIALOGUE. qu’on né pille aussi les paroles; et quand il n’y aurait que cela de la main de l’auteur de la pièce, j’aimerais mieux, quant à moi, avoir fait le récitatif sans les airs que les airs sans le récitatif; mais je sens trop bien la même main dans le tout pour pouvoir le partager à différons auteurs. Ce qui fend même cet opéra prisable pour les gens de goût, c’est le parfait accord des paroles et de la musique, c’est l’étroite liaison des parties qui le composent, c’est l’ensemble exact du tout qui en fait l’ouvrage le plus un que je connaisse en ce genre. Le musicien a partout pensé, senti, parlé comme le poète ; l’expression de l’un répond toujours si fidèlement à celle de l’autre, qu’on voit qu’ils sont toujours animés du même esprit; et l’on me dit que cet accord si juste et si rare résulte d’un tas de pillages fortuitement rassemblés ! Monsieur, il y aurait cent fois plus d’art à composer un pareil tout de morceaux épars et décousus qu’à le créer soi-même d’un bout à l’autre. Le Fr. Votre objection ne m’est pas nouvelle ; elle paraît même si solide à beaucoup de gens , que revenus des vols partiels, quoique tous si bien prouvés, ils sont maintenant persuadés que la. pièce entière, paroles et musique, est d’une autre main, et que le charlatan a eu l’adresse de s’en emparer et l’impudence de se l’attribuer. Cela paraît même si bien établi que l’on n’en doute plus guère ; car enfin il faut bien nécessairement recourir à quelque explication semblable; il faut bien que cet ouvrage , qu’il est incontestablement hors d’état d’avoir fait, ait été fait par quelqu’un. On prétend même en avoir découvert le véritable auteur. Loess. J’entends après avoir d’abord décou- PREMIER DIALOGUE. 35 vert et très-bien prouvé les vols partiels dont le Devin du village était composé, on prouve aujourd’hui non moins victorieusement qu’il n’y a point eu de vols partiels; que cette pièce, toute de la même main, a été volée en entier par celui qui se l’attribue. Soit donc, car l’une et l’autre de ces vérités contradictoires est égale pour mon objet. Mais enfin quel est-il donc, ce véritable auteur? Est-il Français, Suisse, Italien , Chinois ? Le Fr. C’est ce que j’ignore ; car on ne peut guère attribuer cet ouvrage à Pergolèse, comm un Salve Rcgina.... Rorss. Oui, j’en connais un de cet auteur, et qui même a été gravé.... Le Fr. Ce n’est pas celui-là. Le Salve dont vous parlez, Pergolèse l’a fait de son vivant, et celui dont je parle en est un autre qu’il a fait vingt ans après sa mort, et que Jean-Jacques s’appropriait en disant l’avoir fait pour mademoiselle Fel , comme beaucoup d’autres motets que le même Jean-Jacques dit ou dira de même avoir faits depuis lors, et qui, par autant de miracles de M. d’Alembert, sont et seront toujours tous de Pergolèse, dont il évoque l’ombre quand il lui plaît. Rouss. Voilà qui est vraiment admirable ! Oh t je me doutais depuis long-temps que ce M. d’Alembert devait être un saint à miracles, et je parierais bien qu’il ne s’en tient, pas à ceux-là. Mais, comme vous dites, il lui sera néanmoins difficile , tout saint qu’il est, d’avoir aussi fait faire le Devin du village à Pergolèse , et il ne faudrait pas multiplier les auteurs sans nécessité. Le Fr. Pourquoi non ? Qu’un pillard prenne à droite et à gauche, rien au monde n’est plus naturel- Rouss. D’accord; mais dans toutes ces musique» PREMIER DI4X0GUE. 35 ainsi pillées on sent les coutures et les pièces de rapport, et il me semble que celle qui porte le nom de Jean-Jacques n’a pas cet air-là. On n’y trouve même aucune physionomie nationale ce n’est pas plus de la musique italienne que de la musique française. Elle a le ton de la chose, et rien de plus. Le Fr. Tout le monde convien t de cela. Comment l’auteur du Devin a-t-il pris dans cette pièce un accent alors si neuf qu’il n’ait employé que là? et si c’est son unique ouvrage, comment en a-t-il tranquillement cédé la gloire à un autre, sans tenter de la revendiquer, ou du moins de la partager par un second opéra semblable? On m’a promis de m’expliquer clairement tout cela; car j’avoue de bonne foi y avoir trouvé jusqu’ici quelque obscurité. hoiiss. Bon ! vous voilà bien embarrassé! Le pillard aura fait accointance avec l’auteur il se sera fait confier sa pièce, ou la lui aura volée, et puis il l’aura empoisonné. Cela est tout simple. Le Fr. Vraiment, vous avez là de jolies idées! Rouss. Ah ! ne me faites pas honneur de votre bien! Ces idées vous appartiennent; elles sont l’effet naturel de tout ce que vous m’avez appris. Au reste, et quoi qu’il en soit du véritable auteur de la pièce, il me suffit que celui qui s’est dit l’être soit, par son ignorance et son incapacité, hors d’état de l’avoir faite, pour que j’én conclue, à plus forte raison, qu’il n’a fait ni le Dictionnaire qu’il s’attribue aussi, ni la Lettre sur la musique française, ni aucun des autres livres qui portent son nom, et danslesquels il est impossible de ne pas sentir qu’ils partent tous de la même main. D'ailleurs, concevez-vous qu’un homme doué d’assez KREMTER 'S? de talens pour faire de pareils ouvrages aille, au fort même de son effervescence, piller et s’attribuer ceux d’autrui dans un genre qui non-seulement n’est pas le sien, mais auquel il n’entend absolu^ ment rien ; qu’un homme qui, selon vous, eut assez de courage, d’orgueil, de fierté, de force, pour résister à la démangeaison d’écrire, si naturelle aux jeunes gens qui se sentent quelque talent, pour laisser mûrir vingt ans sa tête dans le silence, afin de donner plus de profondeur et de poids à ses productions long-temps méditées, que ce même homme, l’âme toute remplie de ses grandes et sublimes vues, aille en interrompre le développement pour chercher, par des manœuvres aussi lâches que puériles, une réputation usurpée et très- inférieure à celle qu’il peut obtenir légitimement ? Ce sont des gens pourvus de bien petits talens par eux-mêmes qui se parent ainsi de ceux d’autrui; et quiconque avec une tête active et pensante a senti le délire et l’attrait du travail d’esprit, ne va pas servilement sur la trace d’uu autre pour se parer ainsi de productions étrangères par préférence à celles qu’il peut tirer de son propre fonds. Allez, Monsieur, ee;ui qui a pu être assez vil et assez sot pour s’attribuer le Devin du village sans l’avoir fait, et même sans savoir la musique, n’a jamais fait une ligne du Discours sur l’inégalité, ni de VÉmile , ni du Contrat social. Tant d’audace et de vigueur d’un coté, tant d’ineptie et de lâcheté de l’a utre, ne s’asr socieront jamais dans la même âme. Voilà une preuve qui parle à tout homme sensé. Que d’autres qui ne sont pas moins fortes ne parlent qu’à moi, j’en suis fâché pour mon espèce; elles devraient parler à toute âme sensible et douée de l’instinct moral. Vous me dites que tous ces écrits PREMIER DU10GME. m qui m’échauffent, me touchent, m’attendrissent, me donnent la volonté sincère d’être meilleur, sont uniquement des productions d’une tête exaltée conduite par un cœur hypocrite et fourbe. La figure de mes êtres surlunaires vous aura déjà fait entendre que je n’étais pas là-dessus de votre avis. Ce qui me confirme encore dans le mien est le nombre et 1’,'tendue de ces mêmes écrits, où je sens toujours et partout la même véhémence d’un cœur éohauffé des mêmes sentimens. Quoi 3 ce fléau du genre humain, cet ennemi de toute droiture, de toute justice, de toute bonté, s’est captivé dix à douze ans dans le cours de quinze volumes à parler toujours le plus doux, le plus pur, le plus énergique langage de la vertu; àplaindre les misères humaines, à en montrer la source dans les erreurs, dans les préjugés des hommes ; à leur tracer la route du vrai bonheur, à leur apprendre à rentrer dans leurs propres cœurs pour y retrouver le germe des vertus sociales qu’ils étouffent sous un faux simulacre dans le progrès mal entendu des sociétés ; à consulter toujours leur conscience pour redresser les erreurs de leur raison, et à écouter dans le silence des passions cette voix intérieure que tous nos philosophes ont tant à cœur d’étouffer, et qu’ils traitent de chimère parce qu’elle ne leur dit plus rien il s’est fait siffler d’eux et de tout son siècle pour avoir toujours soutenu que l’homme était bon, quoique les hommes fussent méchans, que ses vertus lui venaient de lui même, que ses vices lui venaient d’ailleurs il a consacré son plus grand et meilleur ouvrage à montrer comment s’introduisent dans notre âme les passions nuisibles, à montrer que la bonne éducation doit être purement négative, qu’elle doit consister, non à guérir les vice» PEEMIEB DIALOGUE. 3g du cœur humain, puisqu’il n’y en a point naturellement, mais à les empêcher de naître et à tenir exactement fermées les portes par lesquelles ils s’introduisent enfin, il a établi tout cela avec une clarté si lumineuse , avec un charme si touchant, avec une vérité si persuasive, qu’une âme non dépravée ne peut résister à l’attrait de ses images et à la force de ses raisons; et vous voulez que cette longue suite d’écrits oùrespirent toujours les mêmes maximes, où le même langage se soutient toujours avec la même chaleur, soit l’ouvrage d’un fourbe qui parle toujours non-seulement contre sa pensée, mais aussi contre son intérêt, puisque, mettant tout son bonheur à remplir le monde de malheurs et de crimes, il devait conséquemment chercher à multiplier les scélérats pour se donner des aides et des complices dans l’exécution de ses horribles projets ; au lieu qu’il n’a travaillé réellement qu’à se susciter des obstacles et des adversaires dans tous les prosélytes que ses livres feraient à la vertu. Autres raisons non moins fortes dans mon esprit. Cet auteur putatif, reconnu, par toutes les preuves que vous m’avez fournies, le plus crapuleux, le plus vil débauché qui puisse exister, a passé sa vie avec les traînées des rues dans les plus infâmes réduits, il est hébété de débauche, il est pouri de vérole ; et vous voulez qu’il ait écrit ces inimitables lettres pleines de cet amour si brûlant et si pur qui ne germa jamais que dans des cœurs aussi chastes que tendres? Ignorez-vous que rien n’est moins tendre qu’un débauché , que l'amour n’est pas plus connu des libertins que des femmes de mauvaise vie, que la crapule endurcit le cœur, rend ceux qui s’y livrent impudens, grossiers , .'/jo premier diaiogir. brutaux , cruels ; que leur sang appauvri, dé^ pouillé de cet esprit de vie qui du cœur porte au cerveau ces charmantes images d’où naît l’ivresse de l’amour , ne leur donne par l’habitude que les âcres picotemens du besoin, sans y joindre ces douces impressions qui rendent la sensualité aussi tendre que vive ? Qu’on me montre une lettre d’amour d’une main inconnue , je suis assuré de connaître à sa lecture si celui qui l’écrit a des mœurs. Ce n’est qu’aux yeux de ceux qui en ont que les femmes peuvent briller de ces charmes touchans et chastes qui seuls font le délire des cœurs vraiment amoureux. Les débauchés ne voient en elles que des instrumens de plaisir qui leur sont aussi méprisables que nécessaires , comme ces vases dont on se sert tous les jours pour les plu3 indispensables besoins. J’aurais défié tous les coureurs de filles de Paris d’écrire jamais une seule des lettres de Y Héloïse ; et le livre entier, ce livre dont la lecture me jette dans les plus angéliques extases , serait l’ouvrage d’un vil débauché ! comptez, Monsieur, qu’il n’en est rien ce n’est pas avec de l’esprit et du jargon que ces choses-là se trouvent. Vous voulez qu’un hypocrite adroit, qui ne marche à ses fins qu’à force de ruses et d’astuce, aille étourdiment se livrer à l’impétuosité de l’indignation contre tous les états, contre tous les partis sans exception, et dire également les plus dures vérités aux uns et aux autres ? Papistes, huguenots , grands , petits , hommes , femmes, robins , soldats , moines , prêtres , dévots , médecins, philosophes, Tros Rutuiusve fuat, tout est peint, tout est démasqué sans jamais un mot d’aigreur ni de personnalité contre qui que ce soit, -mais sans ménagement pour aucun parti. Vous PREMIER DIALOGUE. Voulez qu’il ait toujours suivi sa fougue au point d’avoir tout soulevé contre lui, tout réuni pour l’accabler dans sa disgrâce ; et tout cela sans se ménager ni défenseur, ni appui, sans s’embarraser même du succès de ses livres, sans s’informer au moins de l’effet qu’ils produisaient et de l’orage qu’ils attiraient sur sa tête , et sans en concevoir le moindre souci quand le bruit commença d’en arriver jusqu’à lui ? Cette intrépidité, cette imprudence , cette incurie est-elle de l’homme faux et fin que vous m’avez peint? Enfin vous voulez qu’un misérable à qui l’on a ôté le nom de scéiérat qu’on ne trouvait pas encore assez abject, pour lui donner celui de coquin comme exprimant mieux la bassesse et l’indignité de sonàme; vous voulez que ce reptile ait pris et soutenu pendant quinze volumes le langage intrépide et fier d’un écrivain qui , consacrant sa plume à la vérité , ne quête point les suffrages du public, et que le témoignage de son cœurmet au-dessus des jugemens des hommes? Vous voulez que, parmi tant de si beaux livres modernes, les seuls qui pénètrent jusqu’à mon cœur, qui l’enflamment d’amour pour la vertu , qui l’attendrissent sur les misères humaines, soient précisément les jeux d’un détestable fourbe qui se moque de ses lecteurs et ne croit pas un mot de ce qu’il leur dit avec tant de chaleur et de force ; tandis que tous les autres, écrits, à ce que vous m’assurez, par de vrais sages dans de si pures intentions, me glacent le cœur, le resserrent, pt ne m’inspirent avec des sentimens d’aigreur , de peine , et de haine, que le plus intolérant esprit de parti? Tenez, Monsieur, s’il n’est pas impossible que tout cela soit, il l’est du moins que jamais je le croie , fùt-il mille fois démontré. Encore un 3 . 4s PREMIER OUtOGTîE. coup je ne résiste point à vos preuves; elles m’ont pleinement convaincu mais ce que je nç crois ni ne croirai de ma vie, c’est que Y Emile, et surtout l’article du goût dans le quatrième livre, soit l’ouvrage d’un cœur dépravé, qüe Y Héloïse , et surtout la lettre sur la mort de Julie , ait été écrite par un scélérat ; que celle à M. d’Alembert sur les spectacles soit la production d’une âme double ; que le sommaire du Projet de paix perpétuelle soit celle d’un ennemi du genre humain; que le recueil entier des écrits du même auteur soit sorti d’une âme hypocrite et d’une mauvaise tête, non du •pur zèle d’un cœur brûlant d’amour pour la vertu. Non, Monsieur, non , Monsieur ; le mien ne se prêtera jamais à cette absurde et fausse persuasion. Mais je dis et je soutiendrai toujours qu’il faut qu’il y ait deux et que l’auteur des livres et celui des crimes ne sont pas le même homme. Voilà un sentiment si bien enraciné dans le fond de mon cœur, que rien ne me l’ôtera jamais. Le Fr. C’est pourtant une erreur, sans le moindre doute ; et une autre preuve qu’il a fait des livres est qu’il en fait encore tous les jours. Rocss. Voilà ce que j’ignorais, et l’on m’avait dit au contraire qu’il s’occupait uniquement depuis quelques années à copier de la musique. Le Fr. Bon, copier ! il en fait le semblant pour faire le pauvre, quoiqu’il soit riche, et couvrir sa rage de faire des livres et de barbouiller du papier. Mais personne ici ii’en est la dupe, et il faut que vous veniez de bien loin pour l’avoir été. Rorss. Sur quoi, je vous prie , roulent ces nouveaux livres dont il se cache si bien , si à propos, et avec tant de succès ? Le Fr. Ce sont des fadaises de toute espèce fREMIER DlAlOeôE, 0 des leçons d’athéisme, des éloges de la philosophie moderne , des oraisons funèbres, des traductions, des satires. Roess. Contre ses ennemis, sans doute ? Le Fr. Non, contre les ennemis de ses ennemis. Roess. Voilà de quoi je ne me serais pas douté. Le Fr. Oh ! vous ne connaissez pas la ruse du drôle ! Il fait tout cela pour se mieux déguiser. Il fait de violentes sorties contre la présente administration en 1772 , dont il n’a point à se plaindre, en faveur du parlement qui l’a si indignement traité, et de l’auteur de toutes ses misères, qu’il devrait avoir en horreur. Mais à chaque instant sa vanité se décèle parles plus ineptes louanges de lui-même. Par exemple , il a fait dernièrement un livre fort plat intitulé V An deux mille deux cent quarante, dans lequel il consacre avec soin tous ses écrits à la postérité , sans même excepter Narcisse, et sans qu’il en manque une seule ligne. Roess. C’est en effet une bien étonnante balourdise. Dans les livres qui portent son nom, je ne vois pas un orgueil aussi bête. Le Fr. En se nommant il se contraignait ; à présent qu’il se croit bien caché, il ne se gêne plus. Roess. Il a raison , cela lui réussit si bien ! Mais, Monsieur, quel est donc le vrai but de ses livres que cet homme si lin publie avec tant de mystère en faveur des gens qu’il devrait haïr, et de la doctrine à laquelle il a paru si contraire ? Le Fr. En doutez-vous? C’est de se jouer -du public et de faire parade de son éloquence, en prouvant successivement le pour et le contre, et prome-' liant ses lecteurs du blanc au noir pour se moquer de leur crédulité. Roess. Par ma foi! voilà, pour la détresse où il 44 PREMIER DUROCCE. se trouve , un homme de bien bonne humeur , et qui, pour être aussi haineux que vous le faites, n’est guère occupé de ses ennemis ! Pour moi, sans être vain ni vindicatif ; je vous déclare que si j’étais à sa place , et que je voulusse encore faire des livres, ce ne serait pas pour faire triompher mes persécuteurs et leur doctrine aux dépens de ma réputation et de mes propres écrits. S’il est réellement l’auteur de ceux qu’il n’avoue pas, c’est une forte et nouvelle preuve qu’il ne l’est pas de ceux qu’il avoue. Car assurément il faudrait le supposer bien stupide et bien ennemi de lui-même pour chanter la palinodie si mal à propos. Le Fr. Il faut avouer que vous êtes un homme bien obstiné, bien tenace dans vos opinions ; au peu d’autorité qu’ont sur vous celles du public, on voit bien que vous n’êtes pas Français. Parmi tous nos sages si vertueux, si justes , si supérieurs à toute partialité, parmi toutes nos dames si sensibles , si favorables à un auteur qui peint si bien l’amour, il ne s’est trouvé personne qui ait fait la moindre résistance aux argumens triomphans de nos messieurs, personne qui ne se soit rendu avec empressement, avec joie, aux preuves que ce même auteur qu’on disait tant aimer, que ce même si fêté, mais si rogue et si haïssable, était la honte et l’opprobre du genre humain ; et maintenant qu’on s’est si bien passionné pour cette idée qu’on n’en voudrait pas changer quand la chose serait possible , vous seul , plus difficile que tout le monde, venez ici nous proposer une distinction neuve et imprévue, qui ne le serait pas si elle avait la moindre solidité. Je conviens pourtant qu’à travers tout ce pathos, qui selon moi ne dit pas grand'chose, vous ouvrez de nouvelles PREMIER DIALOGUE. 45 - vues qui pourraient avoir leur usage, communiquées à nos messieurs. Il est certain que si l’on pouvait prouver que J. - J. n’a fait aucun des livres qu’il s’attribue, comme on prouve qu’il n’a pas fait ie Devin, on ôterait une difficulté qui ne laisse pas d’arrêter ou du moins d’embarrasser encore bien des gens, malgré les preuves convaincantes des forfaits de ce misérable. Mais je serais aussi fort surpris, pour peu qu’on pût appuyer cette idée, qu’ori se fût avisé si tard de la proposer. Je vois qu’en s’attachant à le couvrir de tout l’opprobre qu’il mérite, nos messieurs ne laissent pas de s’inquiéter quelquefois de ces livres qu’ils détestent, qu’ils tournent même en ridicule de toute leur force, mais qui leur attirent souvent des objections incommodes, qu’on lèverait tout d’un coup en affirmant qu’il n’a pas écrit un seul mot de tout cela, et qu’il en est incapable comme d’avoir fait le Devin. Mais je vois qu’on a pris ici une route contraire qui ne peut guère ramener à celle-là; et l’on croit si bien que ces écrits sont de lui,que nos messieurs s’occupent depuis long-temps à les éplucher pour en extraire le poison. llouss. Le poison ! Le Fr. Sans doute. Ces beaux livres vous ont séduit comme bien d’autres , et je suis peu surpris qu’à travers toute cette ostentation de belle morale vous n’ayez pas senti les doctrines pernicieuses qu’il y répand ; mais je le serais fort qu’elles n’y fussent pas. Comment un tel serpent n’infecterait-il pas de son venin tout ce qu’il touche? Rouss. Eh bien , Monsieur, ce venin ! en a-t-on déjà beaucoup extrait de ces livres ? Le Fr. Beaucoup, à ce qu’on m’a dit, et même il s’y met tout à découvert dans nombre de passages 4 6 PftEMÏEÜ DlALOGtJË, horribles que l’extrême prévention qu’on avait pour ces livres empêcha d’abord de remarquer , mais qui frappent maintenant de surprise et d’effroi tous ceux qui, mieux instruits, les lisent comme il convient. Rocss. Des passages horribles ! J’ai lu ces livres avec grand soin , mais je n’y en ai point trouvé de tels, je vous jure. Vous m’obligeriez de m’en indiquer quelqu’un. Le Fr. Ne les ayant pas lus, c’est ce que je ne saurais faire mais j’en demanderai la liste à nos messieurs qui les ont recueillis, et je vous la communiquerai. Je me rappelle seulement qu’on cite une note de YÉmiie où il enseigne ouvertement l’assassinat. Rocss. Comment , Monsieur , il enseigne ouvertement l’assassinat, et cela na pas été remarqué dès la première lecture ! Il fallait qu’il eût en effet des lecteurs bien prévenus ou bien distraits. Et où donc avaient les yeux les auteurs de ces sages et graves réquisitoires sur lesquels on l’a si régulièrement décrété ? Quelle trouvaille pour eux ! quel regret de l’avoir manquée ! Le Fr. Ah ! c’est que ces livres étaient trop pleins de choses à reprendre pour qu’on pût tout relever. Rocss. Il est vrai que le bon, le judicieux Joli de Fleuri, tout plein de l’horreur que lui inspirait le système criminel de la Religion naturelle, ne pouvait guère s’arrêter à des bagatelles comme des leçons d’assassinat ; ou peut-être , comme vous dites , son extrême prévention pour le livre l’empêchait-elle de les remarquer. Dites, dites, Monsieur, que vos chercheurs de poison sont bien plutôt ceux qui l’y mettent, et qu’il n’y en a point pour ceux qui n’en cherchent pas. J’ai lu vingt fois PBEMIER DIALOGUE. 47 la note dont vous parlez, sans y voir autre chose qu’une vive indignation contre un préjugé gothique non moins extravagant que funeste, et je ne me serais jamais douté du sens que vos messieurs lui donnent, si je n’avais vu par hasard une lettre insidieuse qu’on a fait écrire à l’auteur à ce sujet et la réponse qu’il a eu la faiblesse d’y faire et où il explique le sens de cette note qui n’avait pas besoin d’autre explication que d’être lue à sa place par d’honnêtes gens. Un auteur qui écrit d’après son cœur est sujet, en se passionnant, à des fougues qui l’entraînent au delà du but, et à des écarts où ne tombent jamais ces écrivains subtils et méthodistes qui, sans s’animer sur rien au monde, ne disent jamais que ce qu’il leur est avantageux de dire et qu’ils savent tourner sans se commettre , pour produire l’effet qui convient à leur intérêt. Ce sont les imprudences d’un homme confiant en lui-même, et dont l’âme généreuse ne suppose pas même que l’on puisse douter de lui. Soyez sûr que jamais hypocrite ni fourbe n’ira s’exposer à découvert. Nos philosophes ont bien ce qu’ils appellent leur doctrine intérieure, mais ils ne l’enseignent au public qu’en se cachant, et à leurs amis qu’en secret. En prenant toujours tout à la lettre on trouverait peut- 1 être en effet moins à reprendre dans les livres les 1 plus dangereux que dans ceux dont nous parlons 3 ici, et en général que dans tous ceux où l’auteur , s sûr de lui-même et parlant d’abondance de cœur , 8 s’abandonne à toute sa véhémence sans songer aux prises qu’il peut laisser au méchant qui le guette de sang-froid, et qui ne cherche dans tout ce qu’il offre n de bon et d’utile qu’un côté mal gardé par lequel il >t puisse enfoncer le poignard. Mais lisez tous ces pas- is sages dans le sens qu’ils présentent naturellement à 48 i'REMIER DIA10GEE. l’esprit du lecteur, et qu’ils avaient dans celui dê l’auteur en les écrivant, lisez-les à leur place avec ce qui précède et ce qui suit, consultez la disposition de cœur où ces lectures vous mettent ; c’est cette disposition qui vous éclairera sur leur véritable sens. Pour toute réponse à ces sinistres inter- prétateurs, et pour leur juste peine, je ne voudrais que leur faire lire à haute voix l’ouvrage entier qu’ils déchirent ainsi par lambeaux pour les teindre de leur venin ; je doute qu’en finissant cette lecture il s’en trouvât un seul assez impudent pour oser renouveler son accusation. Le Fr. Je sais qu’on blâme en général cette manière d’isoler et de défigurer lespassages d’un auteur pour les interpréter au gré de la passion d’un censeur injuste; mais , par vos propres principes, nos messieurs vous mettront ici loin de votre compte; car c’est encore moins dans des traits épars que dans toute la substance des livres dont il s’agit, qu’ils trouvent le poison que l’auteur a pris soin d’y répandre mais il y est fondu avec tant d’art, que ce n’est que par les plus subtiles analyses qu’ou vient à bout de le découvrir. Roi'ss. En ce cas, il était fort inutile de l’y mettre car , encore un coup, s’il faut chercher ce venin pour le sentir , il n’y est que pour ceux qui l’y cherchent, ou plutôt qui l’y mettent. Pour moi, par exemple, qui ne me suis point avisé d’y en chercher, je puis bien jurer n’y en avoir point trouvé. Le Fr. Eh qu’importe , s’il fait son effet sans être aperçu ? Effet qui ne résulte pas d’un tel ou d’un tel passage en particulier, mais de la lecture entière du livre. Qu’avez-vous à dire à cela ? Piorss. Rien, sinon qu’ayant lu plusieurs fois en entier les écrits que Jean-Jacques s’attribue, l’effet PREMIER DUIOCÜE. ii toial qu’il en a résulté dans mon âme a toujours été de me rendre plus humain, plus juste , meilleur que je n’étais auparavant ; jamais je ne me suis occupé de ces livres sans profit pour la vertu. Le Fr. Oh ! je vous certifie que ce n’est pas là l’effet que leur lecture a produit sur nos messieurs. Rooss. Ah! je le crois! mais ce n’est pas la faute des livres car pour moi plus j’y ai livré mon cœur, moins j’y ai senti ce qu’ils y trouvent de pernicieux ; et je suis sûr que cet effet qu’ils ont produit sur moi sera le même sur tout honnête homme qui les lira avec la même impartialité. Le Fr. Dites avec la même prévention ; car ceux qui ont senti l’effet contraire, et qui s’occupent pour le bien public de ces utiles recherches, sont tous des hommes de la plus sublime vertu, et de grands philosophes qui ne se trompent jamais. Rorss. Je n’ai rien encore à dire à cela. Mais faites une chose; imbu des principes de ces grands philosophes qui ne se trompent jamais, mais sincère dans l’amour de la vérité , mettez-vous en état de prononcer comme eux avec connaissance de cause, et de décider sur cet article entre eux, d’un côté , escortés de tous leurs disciples qui ne jurent que par les maîtres, et, de l’autre, tout le public'avant qu’ils l’eussent si bien endoctriné. Pour cela , lisez vous-même les livres dont il s’agit ; et, sur les dispositions où vous laissera leur lecture, jugez de celle où était l’auteur en les écrivant, et de l’effet naturel qu’ils doivent produire quand rien n’agira pour les détourner. C’est, je crois , le moyen le plus sûr de porter sur ce point un jugement équitable. Le Fr. Quoi ! vous voulez m’imposer le supplice de lire une immense compilation de préceptes de vertu rédigés par un coquin ? 5 5o MEM1EB DIALOGUE. Rokss. Non, monsieur, je veux que vous lisiez le vrai système du cœur humain rédigé par un honnête homme et publié sous un autre nom. Je veux que vous ne vous préveniez point contre des livres bons et utiles, uniquement parce qu’un homme indigne de les lire a l’audace de s’en dire l’auteur. Le Fb. Sous ce point de vue en pourrait se résoudre à lire ces livres , si ceux qui les ont le mieux examinés ne s’accordaient tous , excepté vous seul, à les trouver nuisibles et dangereux ; ce qui prouve assez que ces livres ont été composés , non, comme vous dites, par un honnête homme dans des intentions louables, mais par un fourbe adroit, plein de mauvais sentimens masqués d’un extérieur hypocrite , à la faveur duquel ils surprennent, séduisent et trompent les gens. Fiooss. Tant que vous continuerez de la sorte à mettre en fait sur l’autorité d’autrui l’opinion contraire à la mienne, nous ne saurions être d’accord. Quand vous voudrez juger par vous-même, nous pourrons alors comparer nos raisons, et choisir l’opinion la mieux fondée ; mais dans une question de fait comme celle-ci, je ne vois pas pourquoi je serais obligé de croire, sansaucune raison probante, que d’autres ont ici mieux vu que moi. Le Fb. Comptez-vous pour rien le calcul des voix, quand vous êtes seul à voir autrement que tout le monde ? Rovss. Pour faire ce calcul avec justesse , il faudrait auparavant savoir combien de gens dans cetto affaire ne voient, comme vous, que par les yeux d’autrui. Si du nombre de ces bruyantes voix on ôtait les échos qui ne font que répéter celles des autres, et que l’on comptât celles qui restent dans le silence, faute d’oser se faire entendre, il y aurait premier ;n peut être moins de disproportion quevousnepensez. En réduisant toute cette multitude au petit nombre de gens qui mènent les autres, il me resterait encore une forte raison de ne pas préférer leur avis au mien car je suis ici parfaitement sûr de ma bonne foi, et je n’en puis dire autant avec la même assurance d’aucun de ceux qui, sur cet article, disent penser autrement que moi. En un mot, je juge ici par moi-même. Nous ne pouvons donc raisonner au pair vous et moi, que vous ne vous mettiez en état de juger par vous-même aussi. Le Fr. J’aime mieux, pour vous complaire, faire plus que vous ne demandez, en adoptant votre opinion préférablement à l’opinion publique ; car je vous avoue que le seul doute si ces livres ont été faits par ce misérable m’empêcherait d’en supporter la lecture aisément. Rocss. Faites mieux encore. Ne songez point à l’auteur en et, sans vous prévenir ni pour ni contre , livrez votre âme aux impressions qu’elle en recevra. Vous vous assurerez ainsi par vous-même de l’intention dans laquelle ont été écrits ces livres, et s’ils peuvent être l’ouvrage d’un scélérat qui couvait de mauvais desseins. Le Fr. Si je fais pour vous cet effort, n’espérez pas du moins que ce soit gratuitement. Pour m’engager à lire ces livres malgré ma répugnance, il faut, malgré la vôtre , vous engager vous-même à voir l’auteur, ou selon vous celui qui se donne pour tel, à l’examiner avec soin, et à démêler, à travers son hypocrisie, le fourbe adroit qu’elle a masqué si long-temps. llouss. Que m’osez-vous proposer? Moi que j’aille chercher un pareil homme ! que je le voie ! que je le hante ! Moi qui m’indigne de respirer l’air qu’il MEMÎER THALOCrE. Sa respire, moi qui voudrais mellrc le diamètre de la terre entre lui et moi, et m’en trouverais trop près encore ! Rousseau vous a-t-il donc paru facile en îiàisons au point d’aller chercher la fréquentation des médians ? Si jamais j’avais le malheur de trouver celui-ci sur mes pas, je ne m’en consolerais qu’en le chargeant des noms qu’il mérite , en confondant sa morgue hypocrite par les plus cruels reproches , en l’accablant de l’affreuse liste de ses forfaits Le Fb. Que dites-vous là ? Que vous m'effrayez! Avez-vous oublié l’engagement sacré que vous avez pris de garder avec lui le plus profond silence, et de ne lui jamais laisser connaître que vous ayez même aucun soupçon de tout ce que je vous ai dévoilé ? Roess. Comment ? Vous m’étonnez. Cet engagement regardait uniquement, du moins je l’ai cru, le temps qu’il a fallu mettre à m’expliquer les secrets affreux que vous m’avez révélés. De peur d’en brouiller le fil, il fallait ne pas l’interrompre jusqu’au bout, et vous ne vouliez pas que je m’exposasse à des discussions avec un fourbe, avant d’avoir toutes les instructions nécessaires pour le confondre pleinement. Voilà ce que j’ai compris de vos motifs dans le silence que vous m’avez imposé , et je n’ai pu supposer que l’obligation de ce silence allât plus loin que ne le permettent la justice et la loi. Le Fr. Ne vous y trompez donc plus. Votre engagement , auquel vous ne pouvez manquer sans violer votre foi, n’a, quant à sa durée , d’autres bornes que celles de la vie. Vous pouvez, vous levez même répandre , publier partout l’affreux détail de ses vices et de ses crimes, travailler avec ÏSEMIÉR DIALOGUE. 53 zèle à étendre et accroître de plus en plus sa diffamation, le rendre, autant qu’il estpossible, odieux, méprisable , exécrable à tout le monde. Mais ilfaut toujours mettre à cette bonne œuvre un air de mystère et de commisération qui en augmente l’effet ; et, loin de lui donner jamais aucune explication qui le mette à portée de répondre et de se défendre, vous devez concourir avec tout le monde à lui faire ignorer toujours ce qu’on sait, et comment on le sait. Rouss. Voilà des devoirs que j’étais bien éloigné de comprendre quand vous me les avez imposés ; et, maintenant qu’il vous plaît de me les expliquer, vous ne pouvez douter qu’ils ne me surprennent et que je ne sois curieux d’apprendre sur quels principes vous les fondez. Expliquez-vous donc, je vous prie , et comptez sur toute mon attention. Le Fr. O mon bon ami ! Qu’avec plaisir votre cœur, navré du déshonneur que fait à l’humanité cet homme qui n’aurait jamais dû naître, va s’ouvrir à des sentimens qui en font la gloire dans les nobles âmes de ceux qui ont démasqué ce malheureux ! Ils étaient ses amis , ils faisaient profession de l’être. Séduits par un extérieur honnête et simple, par une humeur crue alors facile et douce, par la mesure de talens qu’il fallait pour sentir les leurs sans prétendre à la concurrence , ils le recherchèrent, se l’attachèrent, etl’eurcnt bientôt subjugué, car il est certain que cela n’était pas difficile. Mais quand ils virent que cet homme si simple et si doux, prenant tout d’un coup l’essor, s’élevait d’un vol rapide à une réputation à laquelle ils ne pouvaient atteindre , eux qui avaient tant de hautes prétentions si bien fondées, ils se doutèrent bientôt qu’il y avait là - dessous quelque chose qui n’allait pas PREMIER DIALOGUE» 54 bien, que cet esprit bouillant 11’avait pas si longtemps contenu son ardeur sans mystère ; et dès lors, persuadés que cette apparente simplicité n’était qu’un voile qui cachait quelque projet dangereux, ils formèrent la ferme résolution de trouver ce qu’ils cherchaient, et prirent à loisir les mesures les plus sûres pour ne pas perdre leurs peines. Us se concertèrent donc pour éclairer toutes ses allures de manière que rien ne leur pût échapper. Ules avait mis lui-même sur la voie par la déclaration d’une faute grave qu’il avait commise, et dont il leur confia le secret sans nécessité , sans utilité, non , comme disait l’hypocrite, pour ne rien cacher à l’amitié et ne pas paraître à leurs yeux meilleur qu’il n’était, mais plutôt , comme ils disent très- sensémenteux-mêmes, pour leur donner le change, occuper ainsi leur attention, et les détourner de vouloir pénétrer plus avant dans le mystère obscur de son caractère. Cette étourderie de sa part fut sans doute un coup du ciel qui voulut forcer le fourbe à se démasquer lui-même, ou du moins à leur fournir la prise dont ils avaient besoin pour cela. Profitant habilement de cette ouverture pour tendre leurs pièges autour de lui, ils passèrent, aisément de sa confidence à celle des complices de sa faute, desquels ils se firent bientôt autant d’instrumens pour l’exécution de leur projet. Avec beaucoup d’adresse, un peu d’argent, et de grandes promesses, ils gagnèrent tout ce qui l’entourait, et parvinrent ainsi par degrés à être instruits de ce qui le regardait aussi bien et mieux que lui-même. Le fruit de tous ces soins fut la découverte et la preuve de ce qu’ils avaient pressenti sitôt que ces livres firent du bruit, savoir que ce grand prêcheur de vertu n'était qu’un monstre chargé de crimes cachés, qui PHEÎÎIEK tUALOGCE. 55 depuis quarante ans masquait l’âme d’un scélérat sous les dehors d’un honnête homme. ltocss. Continuez , de grâce. Yoilà vraiment des choses, surprenantes que vous me racontez là. Le Fa. Vous avez vu en quoi consistaient ces découvertes. Vous pouvez juger de l’embarras de ceux qui les avaient faites. Elles n’étaient pas de nature à pouvoir être tues, et l’on n’avait .pas pris tant de peines pour rien ; cependant, quand il n’y aurait eu à les publier d’autre inconvénient que d’attirer au coupable les peines qu’il avait méritées , c’en était assez pour empêcher ces hommes généreux de l’y vouloir exposer. Ils devaient, ils voulaient le démasquer, mais ils ne voulaient pas le perdre, et l’un semblait pourtant suivre nécessairement de l’autre. Comment le confondre sans le punir? Comment l’épargner sans se rendre responsable de la continuation de ses crimes? car pour du repentir, ils savaient bien qu’ils n’en devaient point attendre de lui. Ils savaient ce qu’ils devaient à la justice, à la vérité, à la sûreté publique ; mais ils ne savaient pas moins ce qu’ils se devaient à eux-mêmes. Après avoir eu le malheur de vivre avec ce scélérat dans l’intimité, ils ne pouvaient le livrer à la vindicte publique sans s’exposer à quelque blâme ; et leurs honnêtes âmes, pleines encore de commisération pour lui, voulaient surtout éviter le scandale et faire qu’aux yeux de toute la terre il leur dût son bien-être et sa conservation. Ils concertèrent donc soigneusement leurs démarches , et résolurent de graduer si bien le développement de leurs découvertes , que la connaissance ne s’en répandît dans le public qu’à mesure qu’on y reviendrait des préjugés qu’on avait en sa faveur, car son hypocrisie avait alors le plus grand succès. La. PEE3ÏIUB DIALOCEE. 56 route nouvelle qu’il s’était frayée, et qu’il paraissait suivre avec assez de courage pour mettre sa conduite d’accord avec ses principes, son audacieuse morale, qu’il semblait prêcher par son exemple encore plus que par ses livres, et surtout son désintéressement apparent dont tout le monde alors était la dupe; toutes ces singularités, qui supposaient du moins une âme ferme, excitaient l’admiration de ceux mêmes qui les désapprouvaient. On applaudissait à ses maximes sans les admettre, et à son exemple sans vouloir le suivre. Comme ces dispositions du public auraient pu l’empêcher de se rendre aisément à ce qu’on lui voulait apprendre , il fallut commencer par les changer. Ses fautes, mises dans le jour le plus odieux, commencèrent l’ouvrage son imprudence à les déclarer aurait pu paraître franchise ; il la fallut déguiser. Cela paraissait difficile car on m’a dit qu’il en avait fait dans VEmile, un aveu presque formel avec des regrets qui devaient naturellement lui épargner les reproches. des honnêtes gens Heureusement le public qu’on animait alors contre lui , et qui ne voit rien que ce qu’on veut qu’il voie , n’aperçut point tout cela ; et bientôt, avec les renseignemens suffisans pour l’accuser et le convaincre sans qu’il parût que ce fût lui qui les eût fournis , on eut la prise nécessaire pour commencer l’œuvre de sa diffamation. Tout se trouvait merveilleusement disposé pour cela. Dans ses brutales déclamations, il avait, comme vous le remarquez vous-même, attaqué tous les états tous ne demandaient pas mieux que de concourir à cette oeuvre qu’aucun n’osait entamer de peur de paraître écouter uniquement la vengeance. Mais à la faveur de ce premier fait, bien établi et suffisamment PKEMîEXV DUlOCt'É. Sy aggravé, tout le reste devint facile. On puf, sans soupçon d’animosité, se rendre l’écho de ses amis, qui même ne le chargeaient qu’en le plaignant et seulement pour l’acquit de leur conscience ; et voilà comment, dirigé par des gens instruits du caractère affreux de ce monstre, le public, revenu peu à peu des jogeinens favorables qu’il en avait portés si long-temps, ne vit plus que du faste où il avait vu du courage, de la bassesse où il avait vu de la simplicité , de la forfanterie où il avait vu du désintéressement , et du ridicule où il avait vu de la singularité. Voilà l’état où il fallut amener les choses pour rendre croyables, même avec toutes leurs preuves , les noirs mystères qu’on avait à révéler, et pour le laisser vivre dans une liberté du moins apparente , et dans une absolue impunité car, une fois bien connu, l’on n’avait plus à craindre qu’il pût ni tromper ni séduire personne ; et, ne pouvant plus se donner des complices, il était hors d’état, surveillé comme il l’était par ses amis et par leurs amis, de suivre ses projets exécrables et de faire aucun mal dans la société. Dans cette situation , avant de révéler les découvertes qu’on avait faites , on capitula qu’elles ne porteraient aucun préjudice à sa personne , et que, pour le laisser même jouir d’une parfaite sécurité, on ne lui laisserait jamais connaître qu’on l’eût démasqué. Cet enga r gement, contracté avec toute la force possible, a été rempli jusqu’ici avec une fidélité qui tient du prodige. Voulez-vous être le premier à l’enfreindre, tandis que le public entier, sans distinction de rang, d’âge, de sexe, de caractère, et sans aucune exception , pénétré d’admiration pour la générosité de ceux qui ont conduit cette affaire, s’est empressé £>8 Premier dialocuë. d’entrer dans leurs nobles vues, et de les favoriser par pitié pour ee malheureux car vous devez sentir que là-dessus sa sûreté tient à son ignorance, et que, s’il pouvait jamais croire que ses crimes sont connus, il se prévaudrait infailliblement de l’indulgence dont on les couvre pour en tramer de nouveaux avec la même impunité ; que cette impunité serait alors d’un trop dangereux exemple , et que ces crimes sont de ceux qu’il faut ou punir sévèrement, ou laisser dans l’obscurité. Rorss. Tout ce que vous venez de me dire m’est si nouveau, qu’il faut que j’y rêve long-temps pour arranger là-dessus mes idées. Il y a même quelques points sur lesquels j’aurais besoin de plus grande explication. Vous dites, par exemple , qu’il n’est pas à craindre que cet homme, une fois bien connu, séduise personne, qu’il se donne des complices, qu’il fasse aucun complot dangereux. Cela s’accorde mal avec ce que vous m’avez raconté vous- même de la continuation de ses crimes; et je craindrais fort, au contraire, qu’affiché de la sorte il ne servît d’enseigne aux méchans pour former leurs associations criminelles et pour employer ses funestes talens à les affermir, te plus grand mal et la plus grande honte de l’état social est que le crime y fasse des liens plus indissolubles que n’en fait la vertu. Les méchans se lient entre eux plus fortement que les bons, et leurs liaisons sont bien plus durables, parce qu’ils ne peuvent les rompre impunément, que de la durée de ces liaisons dépend le secretde leurs trames, l’impunité de leurs crimes, et qu’ils ont le plus grand intérêt à se ménager toujours réciproquement. Au lieu que les bons , unis seulement par des affections libres qui peuvent changer sans conséquence, rompent et se séparent Ü'HEMIEK DIALOGUE'. 0J sans crainte et sans risque dès qu’ils cessent de se convenir. Cet homme, tel que vous me l’avez décrit, intrigant, actif, dangereux, doit être le foyer des complots de tous les scélérats. Sa liberté, son impunité, dont vous faites un si grand mérite aux gens de bien qui le ménagent, est un très - grand malheur public ils sont responsables de tous les maux qui peuvent en arriver, et qui même en arrivent journellement selon vos propres récits, ïst-il donc louable à des hommes justes de favoriser ainsi les méchans aux dépens des bons ? Le Fb. Votre objection pourrait avoir de la force s’il s’agissait ici d’un méchant d’une catégorie ordinaire. Mais songez toujours qu’il s’agit d’un monstre, l’horreur du genre humain , auquel personne au monde ne peut se fier en aucune sorte, et qui n’est pas même capable du pacte que les scélérats font entre eux. C’est sous cet aspect qu’également connu de tous il ne peut être à craindre à qui que ce soit par ses trames. Détesté des bons pour ses œuvres , il l’est encore plus des méchans pour ses livres r par un juste châtiment de sa darnnable hypocrisie , les fripons qu’il démasque pour se masqueront tous pour lui la plus invincible antipathie. S’ils cherchent à l’approcher, c’est seulement pour le surprendre et le trahir ; mais comptez qu’aucun d’eux ne tentera jamais de l’associer à quelque mauvaise entreprise. Loess. C’est en elfet un méchant d’une espèce bien particulière que celui qui se rend encore plus odieux aux méchans qu’aux bons, et à qui personne au monde n’oserait proposer une injustice. Le Fr. Oui, sans doute, d’une espèce particulière, et si particulière que la nature n’en a jamais produit et, j’espère, n’en reproduira plus un sein- fio PREMIER ÊlALOGEt.' blable. Ne croyez pourtant pas qu’on se repose avec une aveugle confiance sur cette liorreuruniverselle. Elle est un des principaux moyens employés par les sages qui Font excitée,pour l’empêcher d’abuser par des pratiques pernicieuses delà liberté qu’on voulait luilaisser, mais elle n’est pas le seul. Ilsontpris des précautions non moins efficaces en le surveillant à tel point qu’il ne puisse dire un mot qui ne soit écrit, ni faire un pas qui ne soit marqué, ni former un projet qu’on ne pénètre à l’instant qu’il est conçu. Ils ont fait en sorte que, libre en apparence au milieu des hommes, il n’eût avec eux aucune société réelle, qu’il vécût seul dans la foule, qu'il ne sût rien de ce qui se fait, rien de ce qui se dit autour de lui, rien surtout de ce qui le regarde et l’intéresse le plus, qu’il se sentît partout chargé de chaînes dont il ne pût ni montrer ni voir le moindre vestige. Ils ont élevé autour de lui des murs de ténèbres impénétrables à ses regards; ils l’ont enterré vif parmi les vivans. Voilà peut-être la plus singulière , la plus étonnante entreprise qui jamais ait été faite, ç on plein succès atteste la force du génie qui l’a conçue et de ceux qui en ont dirigé l’exécution ; et ce qui n’est pas moins étonnant encore est le zèle avec lequel le publie entier s’y prête, sans apercevoir lui-même la grandeur, la beauté du plan dont il est l’aveugle et fidèle exécuteur. Vous sentez bien néanmoins qu’un projet de eette espèce, quelque bien concerté qu’il pût être, n’aurait pu s’exécuter sans le concours du gouvernement mais on eut d’autant moins de peine à l'y faire entrer qu’il s’agissait d’un homme odieux à ceux qui en tenaient les rênes, d’un auteur dont les séditieux écrits respiraient l’austérité républicaine, et qui, dit-on, haïssait le vizirat, méprisait PREMIER DIALOGUE. 6 î les vizirs, voulait qu’un roi gouvernât par lui-même, que les princes fussent justes, que les peuples fussent libres, et que tout obéît à la loi.. L’administration se prêta donc aux manœuvres nécessaires pour l’enlacer et le surveiller; entrant dans toutes les vues de l’auteur du projet , elle pourvut à la sûreté du coupable autant qu’à son avilissement ; et, sous un air bruyant de protection rendant sa diffamation plus solennelle, parvint par degrés à lui ôter avec toute espèce de crédit, de considération, d’estime, tout moyen d’abuser de ses pernicieux talens pour le malheur du genre humain. Afin de le démasquer plus complètement on n’a épargné ni soins, ni temps, ni dépense, pour éclairer tous les momens de sa vie depuis sa naissance jusqu’à ce jour. Tous ceux dont les cajoleries l’ont attiré dans leurs pièges, tous ceux qui, l’ayant connu dans sa jeunesse, ont fourni quelque nouveau fait contre lui, quelque nouveau trait à sa charge, tous ceux en un mot qui ont contribué à le peindre comme on voulait, ont été récompensés de manière ou d’autre, et plusieurs ont été avancés eux ou leurs proches, pour être entrés de bonne grâce dans toutes les vues de nos messieurs. On a envoyé des gens de confiance, chargés de bonnes instructions et de beaucoup d’argent, à Venise, à Turin, en Savoie, en Suisse, à Genève, partout où il a demeuré. On a largement récompensé tous ceux qui, travaillant avec succès, ont laissé de lui dans ces pays les idées qu’on en voulait donner et en ont rapporté les anecdotes qu’on voulait avoir. Beaucoup même de personnes de tous les états, pour faire de nouvelles découvertes et contribuer à l’œuvre commune, ont entrepris à leurs propres frais et deleur propre mouvement de grands voyages PKEMIEB MVtOCÏE. Sfo pour bien constater la scélératesse de Jean-Jacqrtes, -avec un zèle. Rorss. Qu’ils n’auraient sûrement pas eu dans le cas contraire pour le constater honnête homme; Tant l’aversion pour les méchans a plus de force dans les belles âmes que l’attachement pour les bons ! Voilà, comme vous le dites, un projet non moins admirable qu’admirablement exécuté. Il serait bien curieux, bien intéressant, de suivre dans leur détail toutes les manœuvres qu’il a fallu mettre en usage pour en amener le succès à ce point. Comme c’est ici un cas unique depuis que le monde existe et d’où naît une loi toute nouvelle dans le code du genre humain, il importerait qu’on connût à fond toutes les circonstances qui s’y rapportent. L’interdiction du feu et de l’eau chez les Romains tombait sur les choses nécessaires à la vie, celle-ci tombe sur tout ce qui peut la rendre supportable et douce, l’honneur, la justice , la vérité, la société, rattachement, l’estime. L’interdiction romaine menait à la mort; celle-ci sans la donner la rend désirable, et ne laisse la vie que pour en faire un supplice affreux. Mais cette interdiction romaine était décernée dans une forme légale par laquelle le criminel était juridiquement condamné. Je ne vois rien de pareil dans celle-ci. J’attends de savoir pourquoi cette omission, ou comment on y a suppléé ? Le Fa. J’avoue que, dans les formes ordinaires, l’accusation formelle et l’audition du coupable sont nécessaires pour le punir mais au fond qu’importent ces formes quand le délit est bien prouvé. La négation de l’accusé car il nie toujours pour échapper au supplice ne fait rien contre les preuves et PREMIER DIALOGUE. 63 n’empèche point sa condamnation. Ainsi celte formalité, souvent inutile, l’est surtout dans le cas présent où tous les flambeaux de l’évidence éclairent des forfaits inouïs. llemarquez d’ailleurs que, quand ces formalités seraient toujours nécessaires pour punir, elles ne le sont pas du moins pour faire grâce, la seule chose dont il s’agit ici. Si, n’écoutant que la justice, on eût voulu traiter le misérable comme il le méritait, il ne fallait que le saisir, le punir, et tout était fait. On se fût épargné des embarras, des soins, des frais immenses, et ce tissu de pièges et d’artifices dont on le tient enveloppé. Mais la générosité de ceux qui l’ont démasqué, leur tendre commisération pour lui ne leur permettant aucun procédé violent, il a bien fallu s’assurer de lui sans attenter à sa liberté, et le rendre l’horreur de l’univers, afin qu’il n’en fût pas le fléau. Quel tort lui fait-on, et de quoi pourrait-il se plaindre? Pour le laisser vivre parmi les hommes, il a bien fallu le peindre à eux tel qu’il était. Nos messieurs savent mieux que vous que les méchans cherchent et trouvent toujours leurs semblables pour comploter avec eux leurs mauvais desseins ; mais on les empêche de se lier avec celui-ci, en le leur rendant odieux à tel point qu’ils n’y puissent prendre aucune confiance. Ne vous y fiez pas, leur dit-on , il vous trahira pour le seul plaisir de nuire ; n’espérez pas le tenir par un intérêt commun. C’est très-gratuitement qu’il se plaît au crime ; ce n’est point son intérêt qu’il y cherche ; il ne connaît d’autre bien pour lui que le mal d’autrui il préférera toujours le mal plus grand ou plus prompt de ses camarades, au mal moindre ou plus éloigné qu’il pourrait faire avec eux. Pour prouver 84 PREMIER ClAt-OCtlB. tout cola , il ne faut qu’exposer sa vie. En faisant son histoire on éloigne de lui les plus scélérats par la terreur. L’effet de cette méthode est si grand et si sûr, que, depuis qu’on le surveille et qu’on éclaire tous ses secrets, pas un mortel n’a encore eu l’audace de tenter sur lui l'appât d’une mauvaise action , et ce n’est jamais qu’au leurre de quelque bonne œuvre qu’on parvient à le surprendre. Rouss. Voyez comme quelquefois les extrêmes se louchent ! Qui croirait qu’un excès de scélératesse pût ainsi rapprocher de la vertu? Il n’y avait que vos messieurs au monde qui pussent trouver un si bel art. Le Fr. Ce qui rend l’exécution de ce plan plus admirable, c’est le mystère dont il a fallu le couvrir. II fallait peindre le personnage à tout le monde, sans que jamais ce portrait passât sous ses yeux. II fallait instruire l’univers de ses crimes, mais de telle façon que ce fût un mystère ignoré de lui seul. Il fallait que chacun le montrât au doigt sans qu’il crût être vu de personne. En un mot, c’était un secret dont le public entier devait être dépositaire, sans qu’il parvînt jamais à celui qui en était le sujet. Cela eût été difficile, peut-être impossible à exécuter avec tout autre mais le* projets fondés sur des principes généraux échouent souvent. En les appropriant tellement à l’individu qu’ils ne conviennent qu’à lui, on en rend l’exécution bien plus sûre. C’est ce qu’on a fait, aussi habilement qu’heureusement, avec notre homm& On savait qu’étranger et seul ilétaitsansappui, sans pareils, sans assistance, qu’il netenait à aucun parti, et que son humeur sauvage tendait d’elle-mème a i’isoler on n’a fait, pour l’isoler tout-à-fait, qu e suivre sa pente naturelle, y faire tout concouru' PREMÏÏÏÏk BIAIOCBE. 65 et dès lors tout a été facile. En le séquestrant tout- â-fait du commerce des hommes, qu’il fuit, quel mal lui fait-on ? En poussant la bonté jusqu’à lui laisser une liberté, du moins apparente, ne fallait-il pas l’empêcher d’en pouvoir abuser? Ne. fallait-il pas, en le laissant au milieu des citoyens, s’attacher à le leur bien faire connaître? Peut-on voir un serpent se glisser dans la place publique, sans crier à chacun de se garder du serpent? N’était-ce pas surtout une obligation particulière pour les sages qui ont eu l’adresse d’écarter le masque dont il se couvrait depuis quarante ans, et de le voir les premiers, à travers ses déguise- mens, tel qu’ils le montrent depuis lors à tout le monde? Ce grand devoir de le faire abhorrer pour l’empêcher de nuire, combiné avec le tendre intérêt qu’il inspire à ces hommes sublimes, est le vrai motif des soins infinis qu’ils prennent, des dépenses immenses qu’ils font, pour l’entourer de tant de pièges, pour le livrer à tant de mains, pour l’enlacer de tant de façons, qu’au milieu de cette liberté feinte il ne puisse ni dire un mot, ni faire un pas, ni mouvoir un doigt, qu’ils ne le sachent et ne le veuillent. Au fond, tout ce qu’on en fait n’est que pour son bien, pour éviter le mal qu’on serait contraint de lui faire, et dont on ne peut le. garantir autrement. Il fallait commencer par l’éloigner de ses anciennes connaissances pour avoir le temps de les bien endoctriner. On l’a fait décréter à Paris quel mal lui a-t-on fait? M fallait, par la même raison, l’empêcher de s’établir à Genève. On l’y a fait décréter aussi; quel mal lui a-t-on fait? On l’a fait lapider à Motiers ; mais les cailloux qui cassaient ses fenêtres et ses portes ne l’ont point atteint quel mal donc lui '5 . A 'î ont-ils fait? Ou l’a fait chasser, à l’entrée de l’iii- ver, de l’île solitaire où il s’était réfugié, et de toute la Suisse ; mais c’était pour le forcer charitablement d’aller en Angleterre i chercher l’asile qu’on lui préparait à son insçu depuis long-temps, et bien meilleur que celui qu’il s’était obstiné de choisir, quoiqu’il ne pût de là faire aucun mal à personne. Mais quel mal lui a-t-on faità lui-méme? et de quoi se plaint-il aujourd’hui? Ne le laisse-t-on pas tranquille dans son opprobre ? Il peut se vautrer à son aise dans la fange où l’on le tient embourbé. On l’accable d’indignités, il est vrai; mais qu’importe? quelles blessures lui font-elles? n’est-il pas fait pour les souffrir? Et quand chaque passant lui cracherait au visage, quel mal, après tout, cela lui ferait-il? Mais ce monstre d’ingratitude ne sent rien, ne sait gré de rien; et tous les ménagemens qu’on a pour lui, loin de le toucher, ne font qu’irriter sa férocité. En prenant le plus grand soin de lui ôter tous ses amis, on ne leur a rien tant recommandé que d’en garder toujours l’apparence et le titre, et de prendre pour le tromper le même ton qu’ils avaient auparavant pour l’accueillir. C’est sa coupable défiance qui seule le rend misérable- Sans elle il serait un peu plus dupe, mais il vivrait tout aussi content qu’autrefois. Devenu l’objet de l’horreur publique, il s’est vu par là celui de* attentions de tout le monde. C’était à qui le fêterait, à qui l’aurait à dîner, à qui lui offrirait des retraites, à qui renchérirait d’empressement pour 1 Choisir un Anglais pour mon dépositaire et mon confident serait, ce me semble, re'parer d’une manière bien authentique le mal que j’ai pu penser et dire de sa nation, On l’a trop abusée sur mon compte pour que j’aie pu n* pas m’abuser quelquefois sur le sien. PREMIER DIALOGUÉ'.- 6 $ Obtenir la préférence. On eût dit, à l’ardeuf qiï’on avait pour l’attirer, que rien n’était plus honorable, plus glorieux, que de l’avoir pour hôte, et cela dans tous les états, sans en excepter les grands et les princes ; et mon ours n’était pas content ! Rocss. 11 avait tort; mais il devait être bien surpris ! Ces grands - là ne pensaient pas, sans doute , comme ce seigneur espagnol dont vous savez la réponse à Charles-Quint, qui lui demandait un de ses châteaux pour y loger le connétable de Bourbon 1 . Le Fr. Le cas est bien différent vous oubliez qu’ici c’est une bonne œuvre. Rocss. Pourquoi ne voulez-vous pas que l’hospitalité envers le connétable fût une aussi bonne œuvre que l’asile offert à un scélérat? Le Fr. Eh ! vous ne voulez pas m’entendre. Le connétable savait bien qu’il était rebelle à son prince. Rorss. Jean-Jacques ne sait donc pas qu’il est un scélérat? Le Fr. Le fin du projet est d’en user extérieurement avec lui comme s’il n’en savait rien , ou comme si on l’ignorait soi-même. De cette sorte, on évite avec lui le danger des explications ; et, feignant de le prendre pour un honnête homme, on l’obsède si bien, sous un air d’empressemen t pour son mérite, que rien de ce qui se rapporte i On a , dit-on , rendu inhabitable le château de Tryu depuis que j’y ai logé. Si cette opération a rapport à moi, elle n’est pas conse’quente à l’empressement qui m’y avait attiré , ni à celui avec lequel on engageait M. le prince de Ligne à m’offrir dans le même temps un asile charmant dans ses terres , par une belle lettre qu’on eut même grand soin 1 de taire courir dans tout Paris. JISEMIER DIAIOGTO. 88 à lui, ni lui-même, ne peut échapper à la vigilance de ceux qui l’approchent. Dès qu’il s’établit quelque part, ce qu’on sait toujours d’avance, les murs, les planchers, les serrures, tout est disposé autour de lui pour la fin qu’on se propose, et l’ou n’oublie pas de l’en voisiner convenablement, c’est- à-dire de mouches venimeuses, de fourbes adroits, et de filles accortes à qui l’on a bien fait leur leçon. C’est une chose assez plaisante de voir les barboteuses de nos messieurs prendre des airs de vierge pour tâcher d’aborder cet ours. Mais ce ne sont pas apparemment des vierges qu’il lui faut; car, ni les lettres pathétiques qu’on dicte à celles-là, ni les dolentes histoires qu’on leur fait apprendre, ni tout l’étalage de leurs malheurs et de leurs vertus , ni celui de leurs charmes flétris, n’ont pu l’attendrir. Ce pourceau d’Epicure est devenu tout d’un coup un Xénocrate pour nos messieurs. Rorss. N’en fût-il point un pour vos dames? Si ce n’était pas là le plus bruyant de ses forfaits, c’en serait sûrement le plus irrémissible. Le Fr. Ah! M. Rousseau, il faut toujours être galant, et, de quelque façon qu’en use une femme, on ne doit jamais toucher cet article-là. Je n’ai pas besoin de vous dire que toutes ses lettres sont ouvertes, qu’on retient soigneusement toutes celles dont il pourrait tirer quelque instruction, et qu’on lui en fait écrire de toutes les façons par différentes mains, tant pour sonder ses dispositions par ses réponses, que pour lui supposer, dans celles qu’il rebute et qu’on garde, des correspondances dont on puisse un jour tirer parti contre lui. On a trouvé l’art de lui faire de Paris une solitude plus affreuse que les cavernes et les bois, où il ne trouve au milieu des hommes ni communica- PREMIER DIALOGUE, tion,ni consolation, ni conseil, ni lumières, ni rien de tout ce qui pourrait lui aider à se conduire; un labyrinthe immense où l’on ne lui laisse apercevoir dans les ténèbres que de fausses routes qui l’égarent de plus en plus. Nul ne l’aborde qui n’ait déjà sa leçon toute faite sur ce qu’il doit lui dire, et sur le ton qu’il doit prendre en lui parlant. On tient note de tous ceux qui demandent à le voir 1, et on ne le leur permet qu’après avoir reçu à son égard les instructions que j’ai moi-même été chargé de vous donner au premier désir que vous avez marqué de le connaître. S’il entre en quelque lieu public, il y est regardé et traité comme un pestiféré tout le monde l’entoure et le fixe, mais en s’écartant de lui et sans lui parler, seulement pour lui servir de barrière ; et s’il ose parler lui-même et qu’on daigne lui répondre, c’est toujours ou par un mensonge ou en éludant ses questions d’un ton si rude et si méprisant, qu’il perde l’envie d’en faire. Au parterre on a grand soin de le recommander à ceux qui l’entourent, et de placer toujours à ses côtés une garde ou un sergent qui parlent ainsi fort clairement de lui sans rien dire. On l’a montré, signalé, recommandé partout aux facteurs, aux commis, aux gardes, aux mouches, aux savoyards, dans ious les spectacles, dans tous les cafés, aux barbiers, aux marchands, aux colporteurs, aux libraires. S’il cherchait un livre, un almanach, un roman, il n’y en aurait plus dans tout Paris; le seul désir manifesté de trouver une chose telle 1 Ou a mis pour cela dans la rue un marchand de tableaux tout vis-a-vis de ma porte , et à cette porte , qu’ou tient ferme'e, un secret, afin que tous ceux qui voudront entrer chez moi soient forcés de s’adresser aux voisins , qui ont leurs instructions et leurs ordres. 70 PREMIER DIAtOGtIÉ. qu’elle soit, est pour lui l’infaillible moyen de la h faire disparaître. À son arrivée à Paris, il cherchait Ji douze chansonnettes italiennes qu’il y fit graver il te y a une vingtaine d’années, et qui étaient de lui c comme le Devin du village ; mais le recueil, les p airs, les planches, tout disparut, tout fut anéanti J; dès l’instant, sans qu’il en ait pu recouvrer jamais un P seul exemplaire. On est parvenu , à force de petites le attentions multipliées, à le tenir, dans cette ville ai immense, toujours sous les yeux de la populace qui le voit avec horreur. Veut-il passer l’eau vis-à- ci vis les Quatre-Nations? On ne passera point pour n lui, même en payant la voiture entière. Veut-il se faire décrotter? Les décrotteurs, surtout ceux du ei Temple et du Palais-Royal, lui refuseront avec s’ mépris leurs services. Entre-t-il aux Tuileries ou an fi Luxembourg? Ceux qui distribuent des billets im- se primés à la porte ont ordre de le passer avec la pl plus outrageante alfectation, et même de lui en g PREMIER DIALOGUE. nière, méfiant adroitement le menu peuple dans leur confidence, ils lui font l’aumône publiquement malgré lui, de façon qu’il lui soit impossible de s’y dérober ; et cette charité, qu’on s’attache à rendre bruyante, a peut-être contribué plus que toute autre chose à le déprimer autant que le désiraient ses amis. Rouss. Comment, ses amis? Le Fr. Oui, c’est un nom qu’aiment à prendre toujours nos messieurs, pour exprimer toute leur bienveillance envers lui , toute leur sollicitude pour son bonheur, et, ce qui est très-bien trouvé, pour le faire accuser d’ingratitude en sc montrant si peu sensible à tant de bonté. Rouss. Il y a là quelque chose que je n’entends pas bien, Expliquez-moi mieux tout cela, je vous prie, Le Fr. Il importait, comme je vous l’ai dit, pour qu’on pût le laisser libre sans danger, que sa ditfa- mation fût universelle 1. Il ne suffisait pas delà répandre dans les cercles et parmi la bonne compagnie, cequi n’était pas difficile et futbientôtfaitûlfal- lait qu’elle s’étendît parmi tout le peuple et dans les plus bas étages aussi-bien que dans les plus élevés; i Je u’ai point voulu parler ici de ce qui se fait au théâtre et de ce qui s’imprime journellement en Hollande et ailleurs , parce que cela passe toute croyance, et qu’ep le voyant, et en ressentant continuellement les tristes effets, j’ai peine encore à le croire moi-même. Il y a quinze ans que tout cela dure, toujours avec l’approbation publique et l’aveu du gouvernement. Et moi je vieillis ainsi seul parmi tous ces forcenés , sans aucune consolation de personne , sans néanmoins perdre ni courage ni patience , et, dans l’ienorance où l’on me tient, élevant au ciel, pour toute défense, un cœur exempt de fraude, et des mains pures de tout mal. PREMIER DIALOGUE. J 1 7 et cela présentait plus de difficulté ; non-seulement parce que l’affectation de le lympaniser ainsi à son insçu pouvait scandaliser les simples, mais surtout à cause de l’inviolable loi de lui cacher tout ce qui le regarde, pour éloigner à jamais de lui tout éclaircissement, toute instruction , tout moyen de défense et de justification, toute occasion de faire expliquée personne ; de remonter à la source des lumières qu’on a sur son compte, et qu’il était moins sûr pour cet effet de compter sur la discrétion de la populace que sur celle des honnêtes gens. Or, pour intéresser cette populace à ce mystère, sans paraître avoir cet objet, ils ont admirableiqent tiré parti d’une ridicule arrogance de notre homme, qui est de faire le fier sur les dons, et de ne vouloir pas qu’on lui fasse l’aumône. * Rouss. Mais , je crois que vous et moi serions assez capables d’une pareille arrogance ; qu’en pensez-vous ? Le Fr. Cette délicatesse est permise à d’honnêtes gens. Mais un drôle comme cela qui fait le gueux quoiqu’il soit riche, de quel droit ose-t-il rejeter les menues charités de nos messieurs? Rorss. Du même droit, peut-être , que les mendions rejettent les siennes. Quoi qu’il en soit , s’il fait le gueux, il reçoit donc ou demande l’aumône? car voilà tout ce qui distingue le gueux du pauvre, qui n’est pas plus riche que lui , mais qui se contente de cequ’ila et ne demande rien à personne. Le Fr. Eh non î celui-ci ne la demande pas directement. Au contraire, ilia rejette insolemment d'abord ; mais il cède à la fin tout doucement quand on s’obstine. Rouss. Il n’est donc pas si arrogant que vous disiez d’abord; et, retournant votre question, je PREMIER DUR0CI1E. 78 demande à mon tour pourquoi ils s’obstinent à lui faire l’aumône comme à un gueux , puisqu’ils savent si bien qu’il est riche? Le Fr. Le pourquoi, je vous l’ai déjà dit. Ce serait, j’en conviens, outrager un honnête homme mais c’est le sort que mérite un pareil scélérat d’être avili par tous les moyens possibles ; et c’est une occasion de mieux manifester son ingratitude, par celle qu’il témoigne à ses bienfaiteurs. Rouss. Trouvez-vous que l’intention de l’avilir mérite une grande reconnaissance ? Le Fr. Non ; mais c’est l’aumône qui la mérite. Car, comme disent très-bien nos messieurs, l’argent rachète tout, et rien ne le rachète. Quelle que soit l’intention de celui qui donne, même par force, il reste toujours bienfaiteur et mérite toujours comme tel la plus vive reconnaissance. Pour éluder donc la brutale rusticité de notre homme, on a imaginé de lui faire en détail à son insçu beaucoup de petits dons bruyans qui demandent le concours de beaucoup de gens, et surtout du menu peuple, qu’on fait entrer ainsi sans affectation dans la grande confidence, afin qu’à l’horreur pour ses forfaits se joigne le mépris pour sa misère, et le respect pour ses bienfaiteurs. O11 s’informe des lieux où il se pourvoit des denrées nécessaires à sa subsistance, et Ton a soin qu’au même prix on-les lui fournisse de meilleure qualité, et par conséquent plus chères. Au fond, cela ne lui lait aucune économie, et il n’en a pas besoin, puisqu’il est riche mais pour le même argent il est mieux servi ; sa bassesse et la générosité de nos messieurs circulent ainsi parmi le peuple , et Ton parvient de, cette manière à l’y rendre abject et méprisable en paraissant ne songer PREMIER DIALOGUE. ?9 qu’à son bien-être et à le rendre heureux malgré lui. Il est difficile que le misérable ne s’aperçoive pas de ce petit manège, et tant mieux car s’il se fâche , cela prouve de plus en plus son ingratitude; et, s’il change de marchands, on répète aussitôt la même manoeuvre; la réputation qu’on veut lui donner se répand encore plus rapidement. Ainsi plus il se débat dans ses lacs , et plus il les resserre. Fuhjss. Voilà, je vous l’avoue, ce que je ne comprenais pas bien d’abord. Mais, monsieur, vous en qui j’ai connu toujours un cœur si droit, se peut-il que vous approuviez de pareilles manœuvres ? Le Fr. Je les blâmerais fort pour tout autre, mais ici je les admire par le motif de bonté qui les dicte, sans pourtant avoir voulu jamais y tremper. Je hais , nos messieurs l’aiment, ils veulent le conserver à tout prix ; il est naturel qu’eux et moi ne nous accordions pas sur la conduite à tenir avec un pareil homme. Leur système, injuste peut-être en lui-même , est rectifié par l’intention. Rouss. Je crois qu’il me la rendrait suspecte car on ne va point au bien par le mal , ni à la vertu par la fraude. Mais, puisque vous m’assurez que est riche, comment le public accorde- t-il ces clioses-là ? Car enfin rien ne doit lui sembler plusbizarre et moins méritoire qu’une aumône faite par force à un riche scélérat. Le Fr. Oh ! le public ne rapproche pas ainsi les idées qu’on a l’adresse de lui montrer séparément. Il le voit riche pour lui reprocher de faire le pauvre , ou pour le frustrer du produit de son labeur en se disant qu’il n’en a pas besoin. Il le voit pauvre pour insulter à sa misèrè et le traiter PREMIER DIALOGUE. So comme un mendiant. Il ne le voit jamais que par le côté qui pour l’instant le montre plus odieux ou plus méprisable , quoique incompatible avec les autres aspects sous lesquels il le voit en d’autres temps. Ilouss. Il est certain qu’à moins d'être de la plus brute insensibilité, il doit être aussi pénétré que surpris de cette association d’attentions et d’outrages dont il sent à chaque instant les effets. Mais quand, pour l’unique plaisir de rendre sa diffamation plus complète, on lui passe journellement tous ses crimes , qui peut être surpris s’il profite de cette coupable indulgence pour en commettre incessamment de nouveaux ? C’est une objection que je vous ai déjà faite , et que je répète parce que vous l’avez éludée sans y répondre. Par tout ce que vous m’avez raconté, je vois que, malgré toutes les mesures qu’on a prises , il va toujours son train comme auparavant, sans s’embarrasser en aucune sorte des surveillans dont il se voit entouré , lui qui prit jadis là-dessus tant de précautions que, pendant quarante ans, trompant exactement tout le monde, il passa pour un honnête homme ; je vois qu’il n’use de la liberté qu’on lui laisse que pour assouvir sans gêne- sa méchanceté, pour commettre chaque jour de nouveaux forfaits dont il est bien sûr qu’aucun n’échappe à ses surveillans , et qu’on lui laisse tranquillement consommer. Est-ce donc une vertu si méritoire à vos messieurs d’abandonner ainsi les honnêtes gens à la furie d’un scélérat,pour l’unique plaisir de compter tranquillement ses crimes, qu’il leur serait si aisé d’empêcher ? Le Fr. Ils ont leurs raisons pour cela. Rôi'ss. Je n’eu doute point mais eeux mêmes FREH1ER 8l qui commettent les crimes ont sans doute aussi leurs raisons ; cela suffit-il pour les justifier ? Singulière bonté , convenez-en , que celle qui, pour rendre le coupable odieux, refuse d’empêcher le crime, et s’occupe à choyer le scélérat aux dépens des innocens dont il fait sa proie ! Laisser commettre les crimes qu’on peut empêcher n’est pas seulement en être témoin, c’est en être complice. D’ailleurs si on lui laisse toujours faire tout ce que vous dites qu’il fait, que sert donc de l’espionner de si près avec tant de vigilance et d’activité ? Que sert d’avoir découvert ses œuvres , pour les lui laisser continuer comme si l’on n’en savait rien ? que sert de gêner si fort sa volonté dans les choses indifférentes, pour la laisser en toute liberté dès qu’il s’agit de mal faire ? On dirait que vos messieurs ne cherchent qu’à lui ôter tout moyen de faire autre chose que des crimes. Cette indulgence vous paraît- elle donc si raisonnable, si bien entendue , et digne de personnages si vertueux ? Le Fj\. Il y a dans tout cela , je dois l’avouer , des choses que je n’entends pas fort bien moi- même ; mais on m’a promis de m’expliquer tout à mon entière satisfaction. Peut-être pour le rendre plus exécrable a-t-on cru devoir charger un peu le tableau de ses crimes, sans se faire un grand scrupule de cette charge , qui dans le fond importe assez peu; car puisqu’un homme coupable d’un crime est capable de cent, tous ceux dont on l’accuse sont tout au moins dans sa volonté , et l’on peut à peine donner le nom d’impostures à de pareilles accusations. Je vois que la base du système que l’on suit à son égard est le devoir qu’on s’est imposé qu’il fût bien démasqué, bien connu de tout le monde, et néan- 8a Premier duIoguë. moins de n’avoir jamais avec lui aucune explication, de lui ôter toute connaissance de ses accusateurs et toute lumière certaine des choses dont il est accusé. Cette double nécessité est fondée sur la nature des crimes, qui rendrait leur déclaration publique trop scandaleuse, et qui ne souffre pas qu’il soit convaincu sans être puni. Or voulez-vous qu’on le punisse sans le convaincre ? Nos formes judiciaires ne le permettraient pas, et ce serait aller directement contre les maximes d’indulgence et de commisération qu’on veut suivre à son égard. Tout ce qu’on peut donc faire pour la sûreté publique est premièrement de le surveiller si bien qu’il n’entreprenne rien qu’on ne le sache, qu’il n’exécute rien d’important qu’on ne le veuille, et, sur le reste, d’avertir tout le monde du danger qu’il y a d’écouter et fréquenter un pareil scélérat. Il est clair qu’ainsi bien avertis ceux qui s’exposent à ses attentats ne doivent, s’ils y succombent, s’en prendre qu’à eux-mêmes. C’est un malheur qu'il n’a tenu qu’à eux d’éviter, puisque fuyant, comme il fait, les hommes, ce n’est pas lui qui va les chercher. Rouss. Autant en peut-on dire à ceux qui passent dans un bois où l’on sait qu’il y à des voleurs , sans que celafasse une raison valable pour laisser ceux-ci en toute liberté d’aller leur train, surtout quand pour les contenir il suffit de le vouloir. Mais quelle excuse peuvent avoir vos messieurs qui ont soin de fournir eux-mêmes des proies à la cruauté du barbare par les émissaires dont vous m’avez dit qu’ils l’entourent, qui tâchent à toute force de se familiariser avec-lui, et dont sans doute il a soin de faire ses premières victimes ? Le Fb. Point du tout. Quelque familièrement qu’ils vivent chez lui, tâchant même d’y manger PREMIER DIALOGUE. 85 et boire sans s’embarrasser des risques, il ne leur en arrive aucun mal. Les personnes sur lesquelles il aime assouvir sa furie sont celles pour lesquelles il a de l’estime et du penchant, celles auxquelles il voudrait donner sa confiance pour peu que leurs cœurs s’ouvrissent au sien, d’anciens amis qu’il regrette et dans lesquels il semble encore chercher les consolations qui lui manquent. C’est ceux-là qu’il choisit pour les expédier par préférence ; le lien de l’amitié lui pèse, il ne voit avec plaisir que ses ennemis. Rouss. On ne doit pas disputer contre les faits ; mais convenez que vous me peîgnez-là un bien singulier personnage, qui n’empoisonne que. ses amis , qui ne fait des livres qu’en faveur de ses ennemis, et qui fuit les hommes pour leur faire du mal. Ce qui me paraît encore bien étonnant en tout ceci, c’est comment il se trouve d’honnètes gens qui veuillent rechercher, hanter un pareil monstre, dont l’abord seul devrait leur faire horreur. Que la canaille envoyée par vos messieurs et faite pour l’espionnage s’empare de lui,voilà ce que je comprends sans peine. Je comprends encore que, trop heureux de trouver quelqu’un qui veuille le souffrir, il ne doit pas lui, misanthrope avec les honnêtes gens, mais à charge à lui-même, se rendre difficile sur les liaisons; qu’il doit voir, accueillir , recher- . cher avec grand empressement les coquins qui lui ressemblent, pour les engager dans ses damnables complots. Eux, de leur côté, dans l’espoir de trouver en lui un bon camarade bien endurci, peuvent, malgré l’effroi qu’on leur a donné de lui, s’exposer par l’avantage qu’ils en espèrent au risque de le fréquenter. Mais que des gens d’honneur cherchent à PREMIER DIALOGUE. 84 se faufiler avec lui, voilà, monsieur, ce qui me passe. Que lui disent-ils donc ? quel ton peuvent-ils prendre avec un pareil personnage? Un aussi grand scélérat peut très-bien être un homme vil qui pour aller à ses fins souffre toutes sortes d’outrages, et, pourvu qu’on lui donne à dîner, boit les affronts comme l’eau , sans les sentir ou sans en faire semblant. Mais vous m’avouerez qu’un commerce d’insulte et de mépris d’une part, de bassesse et de mensonge de l’autre, ne doit pas être fort attrayant pour d’honnêtes gens. Le Fr. Us en sont plus estimables de se sacrifier ainsi pour le bien public. Approcher de ce misérable est une œuvre méritoire , quand elle mène à quelque nouvelle découverte sur son caractère affreux. Un tel caractère tient du prodige et ne saurait être assez attesté. Vous comprenez que personne ne l’approche pour avoir avec lui quelque société réelle, mais seulement pour tâcher de le surprendre, d’en tirer quelque nouveau trait pour son portrait, quelque nouveau fait pour son histoire, quelque indiscrétion dont on puisse faire usage pour le rendre toujours plus odieux. D’ailleurs comptez-vous pour rien le plaisir de le persifler, de lui donner à mots couverts les noms injurieux qu’il mérite, sans qu’il ose ou puisse répondre, de peur de déceler l’application qu’on le force à s’en faire? C’est un plaisir qu’on peut savourer sans risque ; car ; s’il se fâche , il s’accuse lui-même ; et, s’il ne se fâche pas, en lui disant ainsi ses vérités indirectement, on se dédommage de la contrainte où l’on est forcé de vivre avec lui en feignant de le prendre pour un honnête homme. Rouss. Je ne sais si ces plaisirs-là sont fort doux; pour moi je ne les trouve pas fort nobles, et je vous PREMIER DIALOGUE. 85 crois assez du même avis, puisque vous les avez toujours dédaignés. Mais, monsieur, à ce compte, cet homme chargé de tant de crimes n’a donc jamais été convaincu d’aucun ? Le Fr. Eh! non vraiment. C’est encore un acte de l’extrême bonté dont on use à son égard, de lui épargner la honte d’être confondu. Sur tant d’invincibles preuves, n’est-il pas complètement jugé sans qu’il soit besoin de l’entendre? Où règne l’évidence du délit, la conviction du coupable n’est- elle pas superflue ? Elle ne serait pour lui qu’une peine de plus. En lui ôtant l’inutile liberté de se défendre, on ne fait que lui ôter celle de mentir et de calomnier. Rouss. Ah ! grâce au ciel, je respire ! vous délivrez mon coeur d’un grand poids. Le Fr. Qu’avez-vous donc? d’où vous naît cet épanouissement subit après l’air morne et pensif qui ne vous a point quitté durant tout cet entretien, et si différent de l’air jovial et gai qu’ont tous nos messieurs quand ils parlent de Jean-Jacques et de ses crimes ? Rouss. Je vous l’expliquerai, si vous avez la patience de m’entendre ; car ceci demande encore des digressions. Vous connaissez assez ma destinée pour savoir qu’elle ne m’a guère laissé goûter les prospérités de la vie je n’y ai trouvé ni les biens dont les hommes font cas, ni ceux dont j’aurais fait cas moi-même ; vous savez à quel prix elle m’a vendu cette fumée dont ils sont si avides, et qui même, eût-elle été plus pure, n’était pas l’aliment qu’il fallait à mon cœur. Tant que la fortune ne m’a fait que pauvre, je n’ai pas vécu malheureux. J’ai goûté quelquefois de vrais plaisirs dans l’obscurité mais je n'en suis PBESIIER DIALOGUE. 86 sorti que pour tomber dans un gouffre de calamités; et ceux qui m’y ont plongé se sont appliqués à me rendre insupportables les maux qu’ils feignaient de plaindre, et que je n’aurais pas connus sans eux. Revenu de cette douce chimère de l’amitié, dont la vaine recherche a fait tous les malheurs de ma vie, bien plus revenu des erreurs de l’opinion dont je suis la victime, ne trouvant plus parmi les hommes ni droiture, ni vérité, ni aucun de ces sentimens que je crus innés dans leurs âmes parce qu’ils l’étaient dansla mienne, etsans lesquels toute société n’est que tromperie et mensonge, je me suis rétiré au dedans de moi, et, vivant entre moi et la nature, je goûtais une douceur infinie à penser que je n’étais pas seul, que je ne conversais pas avec un être insensible et mort, que mes maux étaient comptés, que ma patience était mesurée, et que toutes les misères de ma vie n’étaient que des provisions de dédommagemens et de jouissances pour un meilleur état. Je n’ai jamais adopté la philosophie des heureux du siècle; elle n’est pas faite pour moi; j’en cherchais une plus appropriée à mon cœur, plus consolante dans l’adversité, plus encourageante pour la vertu. Je la trouvais dans les livres de Jean-Jacques. J’y puisais des sentimens si conformes à ceux qui m’étaient naturels , j’y sentais tant de rapport avec mes propres dispositions, que, seul parmi tous les auteurs que j’ai lus , il était pour moi le peintre de la nature et l’historien du cœur humain. Je reconnaissais dans ses écrits l’homme que je retrouvais en moi, et leur méditation m’apprenait à tirer de moi-même la jouissance et le bonheur que tous les autres vont chercher si loin d’eux. Son exemple m’était surtout utilepour nourrir ma PREMIER DIALOGUE. 8? confiance dans les scnlimens que j’avais conservés seul parmi mes contemporains. J’étais croyant, je l’ai toujours été, quoique non pas comme les gens à symboles et à formules. Les hautes idées que j’avais de la divinité me faisaient prendre en dégoût les institutions des hommes et les religions factices. Je 11e voyais personne penser comme moi; je me trouvais seul au milieu de la multitude autant par mes idées que par mes sentimens. Cet état solitaire était triste; Jean-Jacques vint m’en tirer. Ses livres me fortifièrent contre la dérision des esprits forts. Je trouvai ses principes si conformes à mes sentimens, je les voyais naître de méditations si profondes, je les voyais appuyés de si fortes raisons, que je cessai de craindre, comme on me le criait sans cesse, qu’ils ne fussent l’ouvrage des préjugés et de l’éducation. Je vis que, dans ce siècle où la philosophie 11e fait que détruire, cet auteur seul édifiait avec solidité. Dans tous les autres livres, je démêlais d’abord la passion qui les avait dictés» et le but personnel que l’auteur avait en vue. Le seul Jean-Jacques me parut chercher la vérité avec droiture et simplicité de cœur. Lui seul me parut montrer aux hommes la route du vrai bonheur en leur apprenant à distinguer la réalité de l’apparence , et l’homme de la nature de l’homme factice et fantastique que nos institutions et nos préjugés lui ont substitué lui seul en un mot me parut, dans sa véhémence, inspiré par le seul amour du bien public sans vue secrète et sans intérêt personnel. Je trouvais d'ailleurs sa vie et ses maximes sibien d’accord, quejeme confirmais dans les miennes ; et j’y prenais plus de confiance par l’exemple d’un penseur qui les médita si long-temps, d’un écrivain qui, méprisant l’esprit de parti et ne vou- PREMIER DIALOGUE. 88 lant former ni suivre aucune secte, ne pouvait avoir dans ses recherches d’autre intérêt que l’intérêt public et celui de la vérité. Sur toutes ces idées, je me faisais un plan de vie dont son commerce aurait fait le charme ; et moi, à qui la société des hommes n’offre depuis long-temps qu’une fausse apparence sans réalité, sans vérité, sans attachement , sans aucun véritable accord de sentimens ni d’idées, et plus digne de mon mépris que de mon empressement , je me livrais à l’espoir de retrouver en lui tout ce que j’avais perdu, de goûter encore les douceurs d’une amitié sincère, et de me nourrir encore avec lui de ces grandes et ravissantes contemplations qui font la meilleure jouissance de cette vie, et la seule consolation solide qu’on trouve dans l’adversité. J’étais plein de ces sentimens, et vous l’avez pu connaître, quand avec vos cruelles confidences vous êtes venu resserrer mon cœur et en chasser les douces illusions auxquelles il était prêt à s’ouvrir encore. Non, vous ne connaîtrez jamais à quel point vous l’avez déchiré ; il faudrait pour cela sentir à combien de célestes idées tenaient celles que vous avez détruites. Je touchais au moment d’être heureux en dépit du sort et des hommes, et vous me replongez pour jamais dans toute ma misère; vous m’ôtez toutes les espérances qui me la faisaient supporter. Un seul homme pensant comme moi nourrissait ma confiance, un seul homme vraiment vertueux me faisait croire à la vertu , m’animait à la chérir, à l’idolâtrer, à tout espérer d’elle; et voilà qu’en m’ôtant cet appui vous me laissez seul sur la terre englouti dans un gouffre de maux, sans qu’il me reste la moindre lueur d’espoir dans cette vie, et prêt à perdre encore celui de retrouver dans cf un meilleur ordre de choses le dédommagement de tout ce que j’ai souffert dans celui-ci. Vos premières déclarations me bouleversèrent. L’appui de vos preuves me les rendit plus accablantes , et vous navrâtes mon âme des plus amères douleurs que j’aie jamais senties. Lorsque entrant ensuite dans le détail des manœuvres systématiques dont ce malheureux homme est l’objet, vous m’avez développé le plan de conduite à son égarcî, tracé par l’auteur de ces découvertes, et fidèlement suivi par tout le monde, mon attention partagée a rendu ma surprise plus grande et mon affliction moins vive. J’ai trouvé toutes ces manœuvres si cauteleuses, si pleines de ruse et d’astuce, que je n’ai pu prendre de ceux qui s’en font un système la haute opinion que vous vouliez m’en donner ; et, lorsque vous les combliez d’éloges, je sentais mon cœur en murmurer malgré moi. J'admirais comment d’aussi nobles motifs pouvaient dicter des pratiques aussi basses , comment la fausseté , la trahison , le mensonge, pouvaient être devenus des instrumens de bienfaisance et de charité; comment enfin tant de marches obliques pouvaient s’allier avec la droiture. Avais-je tort? Voyez vous-même, et rappelez-vous tout ce que vous m’avez dit. Ah ! convenez du moins que tant d’enveloppes ténébreuses sont un manteau bien étrange pour la vertu. La force de vos preuves l’emportait néanmoins sur tous les soupçons que ces machinations pouvaient m’inspirer. Je voyais qu’après tout cette bizarre conduite , toute choquante qu’elle me paraissait, n’en était pas moins une œuvre de miséricorde, et que , voulant épargner à un scélérat les traitemens qu’il avait mérités, il fallait bien prendre 3. + 4 PREMIER DIALOGUE. !° des précautions extraordinaires pour prévenir le scandale de cette indulgence , et la mettre à un prix qui ne tentât ni d’autres d’en désirer une pareille, ni lui-même d’en abuser. Voyant ainsi tout le monde s’empresser à l’envi de le rassasier d’opprobres et d’indignités, loin de le plaindre , je le méprisais davantage d’acheter si lâchement l’impunité au prix d’un pareil destin. Vous m’avez répété tout cela bien des fois, et je me le disais après vous en gémissant. L’angoisse de mon cœur n’empêchait pas ma raison d’être subjuguée; et de cet assentiment que j’étais forcé de vous donner résultait la situation, d’âme la plus cruelle pour un honnête homme infortuné , auquel on arrache impitoyablement toutes les consolations, toutes les ressources, toutes les espérances qui lui rendaient ses maux supportables. Un trait de lumière est venu me rendre tout cela dans un instant. Quand j’ai pensé, quand vous m’avez confirmé vous-même, que cet homme si indignement traité pour tant de crimes atroces n’avait été convaincu d’aucun, vous avez d’un seul mot renversé toutes vos preuves; et, si je n’ai pas vu l’imposture où vous prétendez voir l’évidence , cette évidence au moins a tellement disparu à mes yeux, que dans tout ce que vous m’aviez démontré je ne vois plus qu’un problème insoluble, un mystère effrayant, impénétrable, que la seule conviction du coupable peut éclaircir à mes yeux. Nous pensons bien différemment, monsieur, vous et moi sur cet article. Selon vous, l’évidence des crimes supplée à cette conviction; et, selon moi, cette évidence consiste si essentiellement dans cette conviction même, qu’elle ne peut exister sans PREMIER »IAtOGU& J elle. Tant qu’on n’a pas entendu l’accusé , les preuves qui le condamnent, quelque fortes qu’elles soient, quelque convaincantes qu’elles paraissent, manquent du sceau qui peut les montrer telles , même lorsqu’il n’a pas été possible d’entendre l’accusé, comme lorsqu’on fait le procès à la mémoire d’un mort; car, en présumant qu’il n’aurait rien eu à répondre, on peut avoir raison, mais on a tort de changer cette présomption en certitude pour le condamner , et il n’est permis de punir le crime que quand il ne reste aucun moyen d’en douter. Mais quand on vient jusqu’à refuser d’entendre l’accusé vivant et présent , bien que la chose soit possible et facile, quand on prend des mesures extraordinaires pour i’empceher de’parler, quand on lui cache avec le plus grand soin l’accusation , l’accusateur , les preuves , dès lors toutes ces preuves, devenues suspectes, perdent toute leur force sur mon esprit. N’oser les soumettre à l’épreuve qui les confirme, c’est me faire présumer qu’elles ne la soutiendraient pas. Ce grand principe, base et sceau de toute justice, sans lequel la société humaine croulerait par ses fondemens , est si sacré, si inviolable dans la pratique, que, quand toute la ville aurait vu un homme en assassiner un autre dans la place publique, encore ne punirait-on point l’assassin sans l’avoir préalablement entendu. Le Fr. Hé quoi! des formalités judiciaires qui doivent être générales et sans exception dans les tribunaux, quoique souvent superflues, font- elles loi dans des cas de grâce et de bénignité comme celui-ci? D’ailleurs, l’omission de ces formalités peut-elle changer la nature des choses, faire que ce qui est démontré cesse de l’être, ren- PREMIER DIALOGUE. 'J 3 dre obscur ce qui est évident, et, dans l’exemple que vous venez de proposer, le délit serait-il moins avéré, le prévenu serait-il moins coupable quand i on négligerait de l’entendre; et quand sur la seule notoriété du fait on l’aurait roué sans tous ces interrogatoires d’usage, en serait-on moins sûr d’avoir puni justement un assassin ? Enfin, toutes ces formes établies pour constater les délits ordinaires sont-elles nécessaires à l’égard d’un monstre dont la vie n’est qu’un tissu de crimes, et reconnu de toute la terre pour être la honte et l’opprobre de l’humanité? Celui qui n’a rien d’humain mérite- t-il qu’on le traite en homme? Rocss. Vous me faites frémir. Est-ce vous qui parlez ainsi? Si je le croyais, je fuirais, au lieu de répondre. Mais non, je vous connais trop bien. Discutons de sang-froid avec vos messieurs ces questions importantes d’où dépend, avec le maintien de l’ordre social, la conservation du genre humain. D’après eux, vous parlez toujours de clémence et de grâce ; mais avant d’examiner quelle , est cette grâce, il faudrait voir d’abord si c’en est j ici le cas, et comment elle y peut avoir lieu. Le i droit de faire grâce suppose celui de punir, et par conséquent la préalable conviction du coupable, i Voilà premièrement de quoi il s’agit. ! Vous prétendez que cette conviction devient superflue où règne l’évidence ; et moi je pense au contraire qu’en fait de délit l’évidence ne peut résulter que de la conviction du coupable, et qu’on ne peut prononcer sur la force des preuves qui le condamnent qu’après l’avoir entendu. La raison en est que, pour faire sortir aux yeux des hommes la vérité du sein des passions, il faut que ces passions g’entre-choqucnt, se combattent, et que celle qui PREMIER DUROGEE. 9» accuse trouve un contre-poids égal dans celle qui défend, afin que la raison seule et la justice rompent l’équilibre et fassent pencher la balance. Quand un homme se fait le délateur d’un autre, il est probable, il est presque sûr qu’il est mû par quelque passion secrète qu’il a grand soin de déguiser. Mais quelque raison qui le détermine , et fût-ce même un motif de pure vertu , toujours est-il certain que, du moment qu’il accuse, il est animé du vif désir de montrer l’accusé coupable, 11e fût-ce qu’afin de ne pas passer pour calomniateur; et comme d'ailleurs il a pris à loisir toutes ses mesures, qu’il s’est donné tout le temps d’arranger ses machines et de concerter ses moyens et ses preuves, le moins qu’on puisse faire pour se garantir de surprise est de les exposer à l’examen et aux réponses de l’accusé, qui seul a un intérêt suffisant pour les examiner avec toute l’attention possible, et qui seul encore peut donner tous les éelaircissemens nécessaires pour en bien juger. C’est par une semblable raison que la déposition des témoins, en quelque nombre qu’ils puissent être, n’a de poids qu’après leur confrontation. De cette action et réaction, et du choc de ces intérêts opposés, doit naturellement sortir aux yeux du juge la lumière de la vérité c’en est du moins le meilleur moyen qui soit en sa puissance. Mais si l’un de ces intérêts agit seul avec toute sa force, et que le contre-poids de l’autre manque, comment l’équilibre restera-t-il dans la balance? Le juge, que je veux supposer tranquille, impartial, uniquement animé de l’amour de la justice, qui communément n’inspire pas de grands efforts pour l’intérêt d’autrui, comment s’assurera-t-il d’avoir bien pesé le pour et le contre, d’avoir bien pénétré par lui seul premier dialogue. tous les artifices de l'accusateur, d’avoir bien démêlé , des faits exactement vrais, ceux qu’il con- trouve, qu’il altère, qu’il colore à sa fantaisie, d’avoir même deviné ceux qu’il tait et qui changent l'effet de ceux qu’il expose ? Quel est l’homme audacieux qui, non moins sûr de sa pénétration que de sa vertu, s’ose donner pour ce juge-ià ? Il faut, pour remplir avec tant de confiance un devoir si téméraire , qu’il se sente l’infaillibilité d’un dieu. Que serait-ce si, au lieu de supposer ici un juge parfaitement intègre et sans passion, je le supposais animé d’un désir secret de trouver l’accusé coupable, et ne cherchant que des moyens plausibles de justifier sa partialité à ses propres yeux ? Cette seconde supposition pourrait avoir plus d’une application dans le cas particulier qui nous occupe ; mais n’en cherchons point d’autre que la célébrité d’un auteur dont les succès passés blessent l’amour-propre de ceux qui n’en peuvent obtenir de pareils. Tel applaudit à la gloire d’un homme qu’il n’a nul espoir d’offusquer, qui travaillerait bien vite à lui faire payer cher l’éclat qu’il peut avoir de plus que lui, pour peu qu’il vît de jour à y réussir. Dès qu’un homme a eu le malheur de se distinguer à certain point, à moins qu’il ne se fasse craindre ou qu’il ne tienne à quelque parti, il ne doit plus compter sur l’équité des autres à son égard ; et ce sera beaucoup si ceux mêmes qui sont plus célèbres que lui, lui pardonnent la petite portion qu’il a du bruit qu’ils voudraient faire tout seuls. Je n’ajouterai rien de plus. Je ne veux parler ici qu’à votre raison. Cherchez à ce que'je viens de vous dire une réponse dont elle soit contente, et je me tais. En attendant, a oici ma conclusion. Il PREMIER 9^ est toujours injuste et té mérairc de juger un accusé tel qu’il soit sans vouloir l’entendre; mais quiconque, jugeant un homme qui a fait du bruit dans le monde, non-seulement le juge sans l’entendre , mais se cache de lui pour le juger, quelque prétexte spécieux qu’il allègue, et fût-il vraiment juste et vertueux, fût-il un ange sur la terre, qu’il rentre bien en lui-même ; l’iniquité, sans qu’il s’en doute, est cachée au fond de son cœur. Étranger, sans parens, sans appui, seul, aban- d onné de tous, trahi du plus grand nombre, Jean- Jacques est dans la pire position où l’on puisse être pour être jugé équitablement. Cependant, dans les jugemens sans appel qui le condamnent à l’infamie, qui est-ce qui a pris sa défense et parlé pour lui? Qui cst-ce qui s’est donné la peine d’examiner l’accusation, les accusateurs, les preuves, avec ce zèle et ce soin que peut seul inspirer l’intérêt de soi-même ou de son plus intime ami? Le Fr. Mais vous-même, qui vouliez si fort être le sien, n’avez-vous pas été réduit au silence par les preuves dont j’étais armé? Hocss. Avais-je les lumières nécessaires pour les apprécier et distinguer à travers tant de trames obscures les fausses couleurs qu’on a pu leur donner? Suis-je au fait des détails qu’il faudrait connaître? Puis-je deviner les éclaircissemens, les objections, les solutions que pourrait donner l’accusé sur des faits dont lui seul est assez instruit? D’un mot peut-être il eût levé des voiles impénétrables aux yeux de tout autre, et jeté du jour sur des manœuvres que nul mortel ne débrouillera jamais. Je me suis rendu, non parce que j’étais réduit au silence, mais parce que je l’y croyais réduit lui- même. Je n’ai rien, je l’avoue, à répondre à vos q 6 PREMIER DIALOfiü*. preuves. Mais si vous étiez isolé sur la terre, sans défense et sans défenseur, et depuis vingt ans en proie à vos ennemis comme Jean - Jacques, on pourrait sans peine me prouver de vous en secret ce que vous m’avez prouvé de lui, saris que j’eusse rien non plus à répondre. En serait-ce assez pour vous juger sans appel et sans vouloir vous écouter? Monsieur, c’est ici, depuis que le monde existe , la première fois qu’on a violé si ouvertement, si publiquement, la première et la plus sainte des lois sociales, celle sans laquelle il n’y a plus de sûreté pour l’innocence parmi les hommes. Quoi qu’on en puisse dire, il est faux qu’une violation si criminelle puisse avoir jamais pour motif l’intérêt de l’accusé ; il n’y a que celui des accusateurs, et même un intérêt très-pressant, qui puisse les y déterminer, et il n’y a que la passion des juges qui . puisse les faire passer outre malgré l’infraction de cette loi. Jamais ils ne souffriraient cette infraction, s’ils redoutaient d’être injustes. Non, il n’y a point, je ne dis pas de juge éclairé, mais d’homme de bon sens, qui, sur les mesures prises avec tant d’inquiétude et de soin pour cacher à l’accusé l’accusation, les témoins, les preuves, ne sente que tout cela ne peut dans aucun cas possible s’expliquer raisonnablement que par l’imposture de l’accusateur. Vous demandez néanmoins quel inconvénient il y aurait, quand le crime est évident, à rouer l’accusé sans l’entendre. Et moi je vous demande en réponse quel est l’homme, quel est le juge assez hardi pour oser condamner à mort un accusé convaincu selon toutes les formes judiciaires, après tant d’exemples funestes d’innocens bien interrogés, bien entendus, bien confrontés, bien jugés scion toutes les formes, et, sur une évidence pré- HiEMIES DIALOGUE» J7 tendue, mis à mort avec la plus grande confiance pour des crimes qu’ils n’avaient point commis. Vous demandez quel inconvénient il y aurait, quand le crime est évident, à rouer l’accusé sans l’entendre. Je réponds que votre supposition est' impossible et contradictoire dans les termes, parce que l’évidence du crime consiste essentiellement dans la conviction de l’accusé, et que toute autre évidence ou notoriété peut être fausse, illusoire, et causer le supplice d’un innocent. En faut-il confirmer les raisons par des exemples ? Par malheur ils ne nous manqueront pas. En voici un tout récent tiré de la Gazette de Leyde, et qui mérite d’être cité. Un homme accusé dans un tribunal d’Angleterre d’un délit notoire, attesté par un témoignage public et unanime, se défendit par un alibi bien'singulier. Il soutint et prouva que le même jour et à la même heure où on l’avait vu commettre le crime, il était en personne occupé à se défendre devant un autre tribunal, et dans une autre ville, d’une acousation toute semblable. Ce fait, non moins parfaitement attesté, mit les juges dans un étrange embarras. A force de recherches et d’enquêtes, dont assurément on ne se serait pas avisé sans cela, on découvrit enfin que les délits attribués à cet accusé avaient été commis par un autre homme moins connu, mais si semblable au premier de taille, de figure et de traits, qu’on avait constamment pris l’un pour l’autre. Voilà ce qu’on n’eût point découvert si, sur cette prétendue notoriété, on se fût pressé d’expédier cet homme sans daigner l’écouter ; et vous voyez comment, cet usage une fois admis, il pourrait aller de la vie à mettre un habit d’une couleur plutôt que d’une autre. PREMIER DIALOGUE. • 98 Autre article encore plus récent tiré de la Gazette de France, du 3 i octobre 1774- Un malheureux, disent les lettres de Londres, allait subir le der- nier supplice, et il était déjà sur l’écluifaud, quand un spectateur, perçant la foule, cria de suspendre l’exécution , et se déclara l’auteur du crime pour lequel' cet infortuné avait été con- , damné, ajoutant que sa conscience troublée cet 1 homme apparemment n’était pas philosophe ne lui permettait pas en ce moment de sauver sa 0 vie aux dépens de l’innocent. Après une nouvelle instruction de l’affaire, le condamné, continue l’article, a été renvoyé absous, et le roi a cru j devoir faire grâce au coupable en faveur de sa ! générosité. » Vous n’avez pas besoin, je crois, de mes réflexions sur cette nouvelle instruction de l’affaire et sur la première en vertu de laquelle l’innocent avait été condamné à mort. Vous avez sans doute ouï parler de cet autre jugement où, sur la prétendue évidence du crime, onze pairs ayant condamné l’accusé, le douzième aima mieux s’exposer à mourir de faim avec ses collègues que de joindre sa voix aux leurs; et ,cela, comme il l’avoua dans la suite, parce qu’il avait lui-même commis le crime dont l’autre paraissait évidemment coupable. Ces exemples sont plus fré- quens en Angleterre, où les procédures criminelles se font publiquement; au lieu qu’en France *, où tout se passe dans le plus effrayant mystère, les faibles sont livrés sans scandale aux vengeances r des puissants ; et les procédures, toujours ignorées du public, ou falsifiées pour le tromper, res- * Ces observations, jadis fondées, neîe sont plus aujour- d’hui, grâce à l’institution du juri. PREMIER IMALOGÜE. 9Î> tent ainsi que l’erreur ou l’iniquité des juges dans un secret éternel, à moins que quelque événement extraordinaire ne les en tire. C’en est un de cette espèce qui me rappelle chaque jour ces idées à mon réveil. Tous les matins avant le jour, la Messe de la pie, que j’entends sonner à Saint-Eustache * me semble un avertissement bien solennel aux juges et à tous les hommes d’avoir une confiance moins téméraire en leurs lumières, d’opprimer et mépriser moins la faiblesse, de croire un peu plus à l’innocence, d’y prendre un peu plus d’intérêt, de ménager un peu plus la vie et l’honneur de leurs semblables, et enfin de craindre quelquefois que trop d’ardeur à punir les crimes ne leur en fasse commettre à eux-mêmes de bien affreux. Que la singularité des cas que je viens de citer les rende uniques chacun dans son espèce, qu’on les dispute, qu’on les nie enfin si l’on veut; combien d’autres cas non moins imprévus, non moins possibles, peuvent être aussi singuliers dans la leur ? Où est celui qui sait déterminer avec certitude tous les cas où les hommes, abusés par de fausses apparences, peuvent prendre l’imposture pour l’évidence, et l’erreur pour la vérité? Quel est l’audacieux qui, lorsqu’il s’agit de juger capitale ment un homme, passe en avant et le condamne sans avoir pris toutes les précautions possibles pour se garantir des pièges du mensonge et des illusions de l’erreur? Quel est le juge barbare qui, refusant à l'accusé la déclaration de son crime, le dépouille du droit sacré d’être entendu dans sa défense, * Ce n’était point à Saint-Eustache , mais à l’église dû Saint-Esprit, située près de l’hôtel de ville et aujourd’hui détruite, qu’avait lieu la Messe de la pie , tous les jour* a une heure. 100 NtEMlER DIALOCCE. droit qui, loin de le garantir d’être convaincu, si l’évidence est telle qu’on la suppose, très- souvent ne suffit pas même pour empêcher le juge de voir cette évidence dans l'imposture, et de verser le sang innocent même après avoir entendu l'accusé? Osez-vous croire que les tribunaux abondent en précautions superflues pour la sûreté de l’innocence? Eli ! qui ne sait, au contraire, que, loin de s’y soucier de savoir si un accusé est innocent et de chercher à le trouver tel, on ne s’y occupe au contraire qu’à tâcher de le trouver coupable à tout prix, et qu’à lui ôter pour,sa' défense tous les moyens qui ne lui sont pas formellement accordés par la loi, tellement que si, dans quelque cas singulier, il se trouve une circonstance essentielle qu’elle n’ait pas prévue, c’est au prévenu d’expier, quoique innocent, cet oubli par son supplice? Ignorez-vous que ce qui flatte Icplus les juges est d'avoir des victimes à tourmenter , qu’ils aimeraient mieux faire périr cent innocens que de laisser échapper un coupable, et que s’ils pouvaient trouverde quoi condamner un homme dans toutes les formes, quoique persuadés de son innocence, ils se hâteraient de le faire périr en l’honneur de la loi? Ils s’affligent de la justification d’un accusé comme d’une perte réelle; avides de sang à répandre, ils voient à regret échapper de leurs mains la proie qu’ils s’étaient promise, et n’épargnent rien de ce qu’ils peuvent faire impunément pour que ce malheur ne leur arrive pas. Grandier, Calas, Langlade et cent autres ont fait du bruit par des circonstances fortuites ; mais quelle foule d’infortunés sont les victimes de l’erreur oude la cruau té des juges, saris que l’innocence, étouffée sous des monceaux de procédures, vienne jamais au grand jour, ou n’y vienne PREMIER tULOGCE. lO'l que par hasard, long-temps après la mort des accusés, et lorsque personne ne prend plus d’intérêt a leur sort i Tout nous montre ou nous fait sentir l’insuffisance des lois, et l’indifférence des juges pour la protection des innocens accusés, déjà punis avant le jugement par les rigueurs du cachot et des fers, et à qui souvent on arrache à force de tourmens l’aveu des crimesqu’ils n’ont pas commis. Et vous, comme si les formes établies et trop souvent inutiles étaient encore superflues, vous demandez quel inconvénient il y aurait, quand le crime est évident, à rouer l’accusé sans l’entendre! Allez, monsieur, cette question n’avait besoin de ma part d’aucune réponse; et si, quand vous la faisiez, elle eût été sérieuse, les murmures de votre cœur y auraient assez répondu. Mais si jamais celte forme si sacrée et si nécessaire pouvait être omise à l’égard de quelque scélérat reconnu tel de tous les temps, et jugé par la voix publique avant qu’on lui imputât aucun fait particulier dont il eût à se défendre, que puis-je penser de la voir écartée avec tant de sollicitude et de vigilance du jugement du monde où elle était le plus indispensable, de celui d’un homme accusé tout d’un coup d’être un monstre abominable, après avoir joui quarante ans de l’estime publique et de la bienveillance de tous ceux qui l’ont connu. Est-il naturel, est-il raisonnable, est-il juste, de choisir seul, pour refuser de l’entendre, celui qu’il faudrait entendre par préférence quand on se permettrait de négliger pour d’autres une aussi sainte formalité? Je ne puis vous cacher qu’une sécurité si cruelle et si téméraire me déplaît et me choque dans ceux qui s’y livrent avec tant de confiance, pour ne pas dire avec tant de plaisir. Si dans 1 02 PREMIER DIALOGUE. l’année 1751 quelqu’un eût prédit cette légère et dédaigneuse façon de juger un homme alors si universellement estimé, personne ne l’eûtpu croire; et si le public regardait de sang-froid le chemin qu’on lui a fait faire pour l’amener par degrés à cette étrange persuasion, il serait étonné lui-méme de voir les sentiers tortueux et ténébreux par lesquels on l’a conduit insensiblement jusque-là sans qu’il s’en soit aperçu. Vous dites que les précautions prescrites par le bon sens et l’équité avec les hommes ordinaires sont superflues avec un pareil monstre ; qu’ayant foulé aux pieds toute justice et toute humanité, il est indigne qu’on s’assujettisse en sa faveur aux règles qu’elles inspirent ; que la multitude et l’énormité de ses crimes est telle que la conviction de chacun en particulier entraînerait dans des discussions immenses que l’évidence de tous rend superflues. Quoi ! parce que vous me forgez un monstre tel qu’il n’en exista jamais , vous voulez vous dispenser de la preuve qui met le sceau à toutes les autres ! Mais qui jamais a prétendu que l’absurdité d’un fait lui servît de preuve, et qu’il suffît, pour en établir la vérité, de montrer qu’il est incroyable ? Quelle porte large et facile vous ouvrez à la calomnie et à l’imposture, si, pour avoir droit de juger définitivement un homme à son insçu et en se cachant de lui, il suffit de multiplier, de charger les accusations, de les rendre noires jusqu’à faire horreur, en sorte que moins elles seront vraisemblables, et plus on devra leur ajouter de foi! Je ne doute point qu’un homme coupable d’un crime ne soit capable de cent ; mais ce que je sais mieux encore, c’est qu’un homme accusé de cent PRBMIÏE DUIOGEE. 1 <î3 Crimes peut n'être coupable d’aucun. Entasser les accusations n’est pas convaincre et n’en saurait dispenser. La même raison qui, selon vous, rend sa conviction superflue, en est une de plus, selon moi, pour la rendre indispensable. Pour sauver l’embarras de tant de preuves, je n’en demande qu’une , mais je la veux authentique, invincible , et dans toutes les formes; c’est celle du premier délit qui a rendu tous les autres croyables. Celui- là bien prouvé, je crois tous les autres sans preuves; mais jamais l’accusation de cent mille autres ne suppléera dans mon esprit à la preuve juridique de celui-là. Le Fr. Vous avez raison mais prenez mieux ma pensée et celle de nos messieurs. Ce n’est pas tant à la multitude des crimes de Jean-Jacques qu’ils ont fait attention qu’à son caractère affreux découvert enfin, quoique tard, et maintenant généralement reconnu. Tous ceux qui l’ont vu, suivi, examiné avec le plus de soin, s’accordent sur cet article et le reconnaissent unanimement pour être , comme disait très-bien son vertueux patron, M. .Hume , la honte de l’espèce humaine et un monstre de méchanceté. L’exacte et régulière discussion des faits devient superflue quand il n’en résulte que ce qu’on sait déjà sans eux. Quand Jean-Jacques n’aurait commis aucun crime, il n’en serait pasmoins capable de tous. On nelcpuni t ni d’un délit ni d’un autre, mais on l’abhorre comme les couvant tous dans son cœur. Je ne vois rien là que de juste. L’horreur et l’aversion des hommes est due au méchant qu’ils laissent vivre , quand leur clémence les porte à l’épargner. Rotiss. Aprèsnosprécédons entretiens, jenem’at- tendais pas à cette distinction nouvelle.. Pour le PREMIER llIALOCEJE. 104 juger par son caractère, indépendamment des faits,.il faudrait que je comprisse comment, indépendamment de ces mêmes faits, on a si subitement et si sûrement reconnu ce caractère- Quand je songe que ce monstre a vécu quarante ans généralement estimé et bien voulu, sans qu’on se soit douté de son mauvais naturel, sans que personne ait eu le moindre soupçon de ses crimes, je ne puis comprendre comment tout à coup ces deux choses ont pu devenir si évidentes, et je comprends encore moins que l’une ait pu l’être sans l’autre. Ajoutons que ces découvertes ayant été faites conjointement et tout d’un coup par la même personne , elle a dû nécessairement commencer par arliculer des faits pour fonder des jugemens si nouveaux, si contraires à ceux qu’on avait portés jusqu’alors ; et quelle confiance pourrais-je autrement prendre à des apparences vagues, incertaines, souvent trompeuses, qui n’auraient rien de précis que l’on pût articuler? Si vous voyéz la possibilité qu’il ait passé quarante ans pour honnête homme sans l’être , je vois bien mieux encore celle qu’il passe depuis dix ans à tort pour un scélérat car il y a dans ces deux opinions cette différence essentielle, que jadis on le jugeait équitablement et sans partialité, et qu’on ne le juge plus qu’avec passion et prévention. Le Fr. Eh ! c’est pour cela justement qu’on s’y trompait jadis et qu’on ne s’y trompe plus aujourd’hui, qu’on y regarde avec moins d’indifférence. Vous me rappelez ce que j’avais à répondre à ces deux êtres si différens, si contradictoires, dans lesquels vous l’avez ci-devant divisé. Son hypocrisie a long-temps abusé les hommes, parce qu’ils s’en tenaient aux apparences et n’y regardaient PREMIER DIALOGUE- lo5 pas de si près; niais, depuis qu’on s’est mis à l’épier avec plus le soin et à le mieux examiner , on a bientôt découvert la forfanterie tout son faste moral a disparu, son affreux caractère a percé de toutes parts. Les gens même qui l’ont connu jadis, qui l’aimaient, qui l’estimaient, parce qu’ils étaient ses dupes, rougissent aujourd’hui de leur ancienne bêtise, et ne comprennent pas comment d’aussi grossiers artifices ont pu les abuser si long-temps. On voit avec la dernière clarté que, différent de ce qu’il parut alors parce que l’illusion s’est dissipée , il est le même qu’il fut toujours. Roi'ss. Voilà de quoi je ne doute point. Mais qu’autrefois on fût dans l’erreur sur son compte et qu’on n’y soit plus aujourd’hui, c’est ce qui ne me paraît pas aussi clair qu’à vous. Il est plus difficile que vous ne semblez le croire de voir exactement te! qu’il est un homme dont on a d’avance une opinion décidée, soit en bien soit en mal. On applique à tout ce qu’il fait, à tout ce qu’il dit, l’idée qu’on s’est formée de lui. Chacun voit et admet tout ce qui confirme son jugement, rejette ou explique à sa mode tout ce qui le contrarie. Tous ses mouvemens , ses regards , ses gestes sont interprétés selon cette idée on y rapporte ce qui s’y rapporte le moins. Les mêmes choses que mille autres disent ou font, et qu’on dit ou fait soi-même indifféremment, prennent un sens mystérieux dès qu’elles viennent de lui. On veut deviner, on veut être pénétrant; c’est le jeu naturel de l’amour-propre on voit ce qu’on croit, et non pas ce qu’on voit. On explique tout selon le préjugé qu’on a, et l’on ne se console de l’erreur où l’on pense avoir été qu’en se persuadant que c’est faute d’attention, non de pénétration, qu’on y est PREMIER DIALOGUE. 106 tombé. Tout cela est si vrai, que si deux hommes ont d’un troisième des opinions opposées, cette même opposition régnera dans les observations qu’ils feront sur lui. L’un verra blanc, et l’autre noir; l’un trouvera des vertus, l’autre des vices, dans les actes les plus indifférons qui viendront de lui ; et chacun, à force d’interprétations subtiles, prouvera que c’est lui qui a bien vu. Le même objet, regardé en différons temps avec des yeux différemment affectés, nous fait des impressions très-différentes; et même, en convenant que l’erreur vient de notre organe, on peut s’abuser encore en concluant qu’on se trompait autrefois, tandis que c’est peut-être aujourd’hui qu’on se trompe. Tout ceci serait vrai quand on n’aurait que Terreur des préjugés à craindre. Que serait-ce si le prestige des passions s’y joignait encore ; si de charitables interprètes, toujours alertes, allaient sans cesse au-devant de toutes les idées favorables qu’on pourrait tirer de ses propres observations, pour tout défigurer, tout noircir, tout empoisonner? On sait à quel point la haine fascine les yeux. Qui est-ce qui sait voir des vertus dans l’objet de son aversion ? qui est-ce qui ne voit pas le mal dans tout ce qui part d’un homme odieux? On cherche toujours à se justifier ses propres senfi- meus ; c’est encore une disposition très-naturelle. On s’efforce à trouver haïssable ce qu’on hait ; et s’il est vrai que l’homme prévenu voit ce qu’il croit, il l’est bien plus encore que l’homme passionné voit ce qu’il désire. La différence est donc ici que, voyant jadis Jean-Jacques sans intérêt, on le jugeait sans partialité, et qu'aujourd’hui la prévention et la haine ne permettent plus de voir en lui que ce qu’on veut y trouver. Auxquels donc, PREMIER DIALOGUE. 10? à votre avis , des anciens ou des nouveaux juge- mens le préjugé de la raison doit-il donner plus d’autorité ? S’il est impossible, comme je crois vous l’avoir prouvé, que la connaissance certaine de la vérité , et beaucoup moins l’évidence, résulte de la méthode qu’on a prise pour juger J si l’on a évité à dessein les vrais moyens de porter sur son compte un jugement impartial, infaillible , éclairé ; il s’ensuit que sa condamnation , si hautement, si fièrement prononcée , est non-seulement arrogante et téméraire, mais violemment suspecte de la plus noire iniquité d’où je conclus que, n’ayant nul droit de le juger clandestinement comme on a fait, on n’a pas non plus celui de lui faire grâce, puisque la grâce d’un criminel n’est que l’exemption d’une peine encourue et juridiquement infligée. Ainsi la clémence dont ces messieurs se vantent à son égard, quand même ils useraient envers lui d’une bienfaisance réelle , est trompeuse et fausse ; et quand ils comptent pour un bienfait le mal mérité dont ils disent exempter sa personne , ils en imposent et mentent, puisqu’ils ne l’ont convaincu d’aucun acte punissable ; qu’un innocent, ne méritant aucun châtiment , n’a pas besoin de grâce , et qu’un pareil mot n’est qu’un outrage pour lui. Ils sont donc doublement injustes en ce qu’ils se font un mérite envers lui d’une générosité qu’ils n’ont point, et en ce qu’ils ne feignent d’épargner sa personne qu’afin d’outrager impunément son honneur. Venons, pour le sentir, à cette grâce sur laquelle vous insistez si fort, et voyons en quoi donc elle consiste. A "traîner celui qui la reçoit d’opprobre en opprobre et de misère enmisère, sans lui laisser PREMIEK DULOGEE. ic-8 aucun moyen possible de s’en garantir. Connaissez- vous , pour un cœur d'homme , de peine aussi cruelle qu’une pareille grâce? Je m’en rapporte au tableau tracé par vous-même. Quoi ! c’est par bonté , par commisération , par bienveillance, qu’on rend cet infortuné le jouet du public , la risée de la canaille, l’horreur de l’univers; qu’on le prive de toute société humaine ; qu’on l’étouffe à plaisir dans la fange ; qu’on s’amuse à l’enterrer tout vivant ? S’il se pouvait que nous eussions à subir, vous ou moi, le dernier supplice, voudrions- nous l’éviter au prix d’une pareille grâce ? voudrions-nous de la vie à condition de la passer ainsi ? Non , sans doute; il n’y a point de tourment, point de supplice que nous ne préférassions à celui-là, et la plus douloureuse fin de nos maux nous paraîtrait désirable et douce plutôt que de les prolonger dans de pareilles angoisses. Eh ! quelle idée ont donc vos messieurs de l’honneur, s’ils ne comptent pas l’infamie pour un supplice ? Non , non , quoi qu’ils en puissent dire, ce n’est point accorder la vie que de la rendre pire que la mort. Le Fb. Vous voyez que notre homme n’en pense pas ainsi, puisqu’au milieu de tout son opprobre il ne laisse pas de vivre et de se porter mieux qu’il n’a jamais fait. Il ne faut pas juger des sen- timens d’un scélérat par ceux qu’un honnête homme aurait à sa place. L’infamie n’est douloureuse qu’à proportion de l’honneur qu’un homme a dans le cœur. Les âmes viles, insensibles à la honte, y sont dans leur élément. Le mépris n’affecte guère celui qui s’en sent digne c’est un jugement auquel son propre cœur l’a déjà tout accoutumé. DULOCEE. IOQ Buess. L'interprétation de cette tranquillité stoïque au milieu des outrages dépend du jugement déjà porté sur celui qui les endure. Ainsi ce n'est pas sur ce sang-froid qu’il convient de juger l'homme , mais c’est par l’homme au contraire qu’il faut apprécier le sang-froid. Pour moi je ne vois point comment l’impénétrable dissimulation , la profonde hypocrisie que vous avez prêtée à celui-ci, s’accorde avec cette abjection presque incroyable dont vous faites ici son élément naturel. Comment, monsieur , un homme si haut, si fier, si orgueilleux, qui, plein de génie et de feu, a pu, selon vous, se contenir et garder quarante ans le silence pour étonner l’Europe de la vigueur de sa plume ; un homme qui met à un si haut prix l’opinion des autres qu’il a tout sacrifié à une fausse affectation de vertu ; un homme dont l’ambitieux amour-propre voulait remplir tout l’univers de sa gloire , éblouir tous ses contemporains de l’éclat de ses talens et de ses vertus, fouler à ses pieds tous les préjugés , braver toutes les puissances , et se faire admirer par son intrépidité ce même homme , à présent insensible à tant d’indignités , s’abreuve à longs traits d’ignominie et se repose mollement dans la fange, comme dans son élément naturel ! De grâce , mettez plus d’accord dans vos idées, ou veuillez m’expliquer comment cette brute insensibilité peut exister dans une âme capable d’une telle effervescence. Les outrages affectent tous les hommes, mais beaucoup plus ceux qui les méritent et qui n’ont point d’asile en eux-mêmes pour s’y dérober. Pour en être ému le moins qu’il est possible , il faut les sentir injustes, et s’être fait de l’honneur et de l’innocence un rempart autour de son cœur, inaccessible à Pop» 1 JO PREMIER DIALOGUE. probre. Alors on peut se consoler de l’erreur ou de l'injustice des hommes car dans le premier cas les outrages, dans l’intention de ceux qui les font, ne sont pas pour celui qui les reçoit ; et dans le second ils ne les lui font pas dans l’opinion qu’il est vil et qu’il les mérite , mais au contraire parce qu’étant vils et médians eux-mêmes, ils haïssent ceux qui ne le sont pas. Mais la force qu’une âme saine emploie à supporter des traitemens indignes d’elle ne rend pas ces traitemens moins barbares de la part de ceux qui les lui font essuyer. On aurait tort de leur tenir compte des ressources qu’ils n’ont pu lui ôter et qu’ils n’ont pas même prévues , parce qu’à sa place ils ne les trouveraient pas en eux. Vous avez beau me faire sonner ces mots de bienveillance et de grâce ; dans le ténébreux système auquel vous donnez ces noms , je ne vois qu’un raffinement de cruauté pour accabler un infortuné de misères pires que la mort, pour donner aux plus noires perfidies un air de générosité, et taxer encore d’ingratitude celui qu’on diffame, parce qu’il n’est pas pénétré de reconnaissance des soins qu’on prend pour l’accabler et le livrer sans aucune défense aux lâches assassins qui le poignardent sans risque , en se cachant à ses regards. Voilà donc en quoi consiste cette grâce prétendue dont vos messieurs font tant de bruit. Cette grâce n’en serait pas une, même pour un coupable, à moins qu’il ne fût en même temps le plus vil des mortels. Qu’elle en soit une pour cet homme audacieux qui, malgré tant de résistance et d’effrayantes menaces, est venu fièrement à Paris provoquer par sa présence l’inique tribunal qui l’avait décrété connaissant parfaitement son 111 PBÏÎIIER DUIOGt'E. innocence ; qu'elle en soit une pour cet homme dédaigneux qui cache si peu son mépris aux traîtres cajoleurs qui l’obsèdent et tiennent sa destinée en leurs mains; voilà, monsieur, ce que je ne comprendrai jamais et quand il serait tel qu’ils le disent, encore fallait-il savoir de lui s’il consentait à conserver sa vie et sa liberté à cet indigne prix ; car une grâce , ainsi que tout autre don , n’est légitime qu’avec le consentement, du moins présumé, de celui qui la reçoit; et je vous demande si la conduite et les discours de laissent présumer de lui ce consentement. Or tout don fait par force n’est pas un don , c’est un vol ; il n’y a point de plus maligne tyrannie que de forcer un homme de nous être obligé malgré lui , et c’est indignement abuser du nom de grâce que de le donner à un traitement forcé plus cruel que le châtiment. Je suppose ici l’accusé coupable que serait cette grâce si je le supposais innocent, comme je le puis et le dois , tant qu’on craint de le convaincre? Mais, dites-vous, il est coupable, on en est certain puisqu’il est méchant. Voyez comment vous me ballottez! Vous m’avez ci-devant donné ses crimes pour preuve de sa méchanceté, et vous me donnez à présent sa méchanceté pour preuve de ses crimes. C’est par les faits qu’on a découvert son caractère, et vous m’alléguez son caractère pour éluder la régulière discussion des faits. Un tel monstre, me dites-vous, ne mérite pas qu’on respecte avec lui les formes établies pour la conviction d’un criminel ordinaire on n’a pas besoin d 45Tatouages d’avions : Meilleurs dessins et signification. Que l’amour vole sur vos peaux avec ces impressionnants dessins. Les tatouages d’avion permettent aux amateurs de voyages et de l’air de porter leur amour de l’aventure imprimé sur la peau. Les dessins varient, allant des petits avions en papier à la base du poignet aux Koreus Un avion en papier vole comme un oiseau 2 1 Webhamster Inscrit 03/07/2002 2358 Posts 73804 Karma 35826 Un avion en papier vole comme un oiseau en battant des To Make A Bionic PaperPlane That Flies Like A Bird Contribution le 10/10/2016 1303 Signaler Poum45 Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 2 Koreus Addict Inscrit 03/12/2007 2303 Posts 59592 Karma 4214 Je viens de tester un peu à l'arrache.La gravité a été plus forte que l'avion. Il s'est gamelé direct Contribution le 10/10/2016 1313 Signaler Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 3 Fantôme Citation Poum45 a écritJe viens de tester un peu à l'arrache.La gravité a été plus forte que l'avion. Il s'est gamelé direct -Dil faut peux être un papier spécial avec un grammage précis? Contribution le 10/10/2016 1343 Signaler Poum45 Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 4 Koreus Addict Inscrit 03/12/2007 2303 Posts 59592 Karma 4214 schnapss Aucune j'ai pris une bête feuille mais mes pliages n'étaient pas parfait. Ca peut jouer sur le résultat. Contribution le 10/10/2016 1354 Signaler Milot Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 5 J'aime glander ici Inscrit 31/10/2014 1306 Posts 6837 Karma 4490 Poum45Nan, mais le type, c'est sûrement des années de recherche d'aérodynamique expérimentale en classe, pendant que les copain apprenaient bêtement ce que leur enseignaient les instits et les profs. seulement, le résultat est au maintenant, ça va faire énormément de vues et pis c'est tout! Contribution le 10/10/2016 1441 Signaler Crazy-13 Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 6 Pelle d'or Inscrit 09/12/2005 1632 Posts 79250 Karma 7194 on dirait qu'il est manipulé par des fils. bizarre Contribution le 23/10/2016 1853 Signaler Karalol Re Un avion en papier vole comme un oiseau 0 7 Je masterise ! Inscrit 29/02/2016 1334 Posts 2759 Karma 4693 Évidemment un gros fake, vous êtes sérieux ?Poum45, je peux pas croire que tu te sois fait avoir par un truc aussi con. les autres vous n'avez aucune excuse non plus. Contribution le 23/10/2016 1928 Signaler 1 Imprimer le croquis origami qui permet de mieux suivre les étapes du pliage. cliquer sur le croquis. 2. Marquer le pli central dans la longueur du rectangle de papier. Plier les coins hauts gauche et droit du rectangle en les rabattant à l'intérieur le long du plis central.Cela forme deux triangles conjoints. 3. Une page de Wikiversité, la communauté pédagogique libre. Aller à la navigation Aller à la recherche Préambule[modifier modifier le wikicode] Dans ce chapitre nous alors essayer de comprendre comment l'homme arrive à faire voler des objets relativement lourds. La plupart du temps lorsqu'on utilise le terme voler nous voulons dire que l’objet se déplace dans l'air sans toucher le sol. L'étude de ce phénomène s’appelle l'aéronautique à ne pas confondre avec l'aérodynamique qui est la branche de la mécanique des fluides sur laquelle se base l'aéronautique. De nos jours, un avion ou tout autre objet volant identifié utilisent pour voler un ou plusieurs des phénomènes physiques suivant la poussée d'Archimède, la propulsion, la trainée et la portance. Nous allons développer certains de ces principes au travers de quatre expériences. Expérience n°1[modifier modifier le wikicode] Vole petit ballon vole Expérience de mécanique des fluides ballons Dans cette première expérience nous allons essayer de comprendre par quel miracle les fusées arrivent à décoller. Expérience Ici ce n’est pas l'expérience mais l'explication qui peut être problématique. En effet l'expérience consiste à gonfler un ballon de baudruche, et une fois gonfler de le lâcher. Le ballon s'engage alors dans une envolée sauvage, jusqu'à ce que tout l'air qu’il contient soit sorti. Puis il retombe mollement sur le sol. On peut complexifier un peu l'expérience en ajoutant deux pailles dans le ballon pour diriger l'air qui sort toujours dans la même direction les pailles sont bien scotchées au ballon pour que l'air ne sorte pas sur le côté. Lorsqu'on lâche le ballon, il monte alors verticalement tel une fusée. alors que se cache-t-il derrière cette envolée sauvage ? Dans un premier temps le fait de gonfler le ballon nous demande un effort. Cet effort est dû à la résistance du ballon. Lorsqu'on lâche le ballon, celui-ci cherche à revenir à ça forme initial et expulse l'air qui est contenu en lui. Le ballon réalise donc la même action que nous lorsqu'on le gonfle mais en sens inverse. Le ballon se dégonfle donc. Si l’on met la main on sent la force du souffle d'air. C'est cette force qui va propulser le ballon dans les airs. Pour une fusée c’est le même principe sauf que comme la fusée pèse bien plus qu'un simple ballon, cette force doit être bien plus grande pour propulser la fusée dans les airs. Pour augmenter cette force le propergol contenu dans les réacteurs est brûlé. ce principe est également appliqué dans les réacteur d'avion. Lois physiques Ici La loi sur laquelle s'appuie le phénomène n'est autre que le principe d'action réaction, autrement appelé le principe de Pascale. Ce Principe est repris par le Théorème de la quantité de mouvement d'Euler en dynamique des fluides. Ce dernier peut s'exprimer ainsi Lorsque l’on souffle dans le ballon on exerce une force sur la paroi, le volume d'air contenu dans le ballon augment la pression avec. lorsqu'on lâche le ballon, c’est la paroi qui exerce une force sur l'air, ce qui propulse le ballon. Les autres phénomènes présents ici n'ajoutent rien à la compréhension de cette notion. nous nous arrêterons donc là pour l'aspect scientifique. Expérience n°2[modifier modifier le wikicode] Maintenant nous allons essayer d'analyser le phénomène de portance utilisé par les planeurs, les parachutes, les oiseaux et autres... Car nous avons des objets peu lourds et ayant une surface de contact avec l'air relativement grande. Expérience Nous allons baser cette expérience sur les avions en papier. Tout en chacun a déjà réalisé un avion en papier en cours de math, d'histoire, ou autres,... Ce n’est pas bien. en tous cas c’est ce que vous on dit vos professeurs, néanmoins posons-nous la question Qu’est ce qui fait voler ces avions ? On pourrait répondre " bah ! on le lance et puis il vole... " c’est en partie vrai. Cependant si l’on construit l'hélicoptère en papier et qu'on le lâche d'une hauteur respectable, il se met à tourner et vole sans qu'on ait besoin de le lancer, c’est la même chose pour le parachute. Il y a donc un autre phénomène qui explique que les oiseaux ou les avions puissent planer. En réalité, le fait de lancer l'avion en papier revient à appliquer une force dessus. Le phénomène est donc le même que celui expliqué dans l'expérience n°1. Ici ce qu'on appelle portance, vient du mot porter, cela exprime le fait de s'appuyer sur l'air pour se maintenir en vol. Ce phénomène est encore différent de la poussé d'Archimède vue dans le chapitre n°1 de cette leçon. Le parachute lui reprend exactement ce principe de poussée d'Archimède, nous ne reprendrons donc pas l'explication. Il est intéressant de noter ici que ce phénomène de portance n'est efficace que si la taille des ailes est assez grande par rapport au reste de l’objet ou de l'oiseau. En effet un aigle plane mieux qu'une poule ou qu'une autruche. Il est difficile d'expliquer simplement ce phénomène, cependant on peut tout de même dire que la principale force à contrer pour faire voler un objet est son poids. Plus un objet est léger, plus lorsqu'on le lance en l'air, il mettra de temps à redescendre tant qu’il n'a pas atteint sa vitesse maximale de chute. Ce qu'on peut dire toutefois c’est que la portance est une force opposée au poids, et qu'elle augmente plus la surface inférieure de l’objet est grande. C'est pour cela que les oiseaux déploient bien grand leurs ailes pour planer, et qu’ils les replient lorsqu’ils doivent plonger en piqué sur les proies. D'autre part, cette force de portance augmente avec la vitesse de pénétration dans l'air de l'objet. Cela veut dire qu'un objet qui ne bouge pas ne peut pas planer. C'est pour cette raison que les faucons, lorsqu’ils veulent faire un vol stationnaire pour repérer une proie, sont obligés de battre frénétiquement des ailes. S'ils gardaient les ailes bien déployées comme pour planer alors ils perdraient de l'altitude sauf en cas de courant chaud ascendant et gagneraient en vitesse. Pour finir, on peut souligner que cette force de portance dépend de la forme de l'aile. Ce qu'on appelle couramment l’aérodynamisme de l’objet volant. Il n’est pas difficile de se rendre compte qu'une feuille de papier froissée en boule volera moins bien que l'avion ou l'hélicoptère dont on a parlé avant. Lois physiques schématisation du phénomène de portance Pour comprendre plus en détail, se référer aux articles Wikipédia sur la portance et l'Aérodynamique. Toutefois voici son expression La portance verticale en newtons N d'une aile vaut avec masse volumique du fluide en kg/m3 vitesse en m/s surface de référence en m2 = coefficient de portance Nombre sans dimension Expérience n°3[modifier modifier le wikicode] La balle de ping-pong et le sèche cheveux Ici comme dans l'expérience qui suit le phénomène qui est principalement mise en œuvre est la la portance. L'explication la plus couramment utilisée pour ce phénomène est celle de Bernoulli. Elle fait le lien entre la force de portance et le phénomène de dépression très bien connu en météorologie. Néanmoins ici nous ne parlerons pas de météorologie mais bien de mécanique des fluides. Il est néanmoins intéressant de faire le lien entre la cause météorologique des dépressions et la cause que nous allons expliciter ici. Toutefois il faut faire attention avec cette explication, car elle est contestée dans certain cas. Nous allons tout de même faire le parallèle. Libre à ceux qui voudraient contester cette approche. Expérience Nous pourrions définir une dépression comme une chute locale de la pression. Mais parlons tout d’abord de l'expérience. L'expérience consiste à allumer le sèche cheveux, à le pointer vers le haut et à présenter une balle de ping-pong au-dessus du flux d'air. Si l’on lâche la balle, celle-ci reste en lévitation au-dessus du sèche cheveux. Si l’on incline doucement le sèche cheveux, on constate alors que la balle reste en lévitation dans le flux d'air. Cela est vrai jusqu'à un certain angle angle de décrochage, après, la balle tombe et adieu le miracle de la lévitation. Ici lorsque le flux d'air est vertical, la portance est maximale. Lorsqu'on incline le sèche cheveux et donc le flux d'air, le phénomène de dépression est mis en évidence plus clairement. Alors qu'est-ce qu'une dépression ? Certains médecins vous diront c’est quand on n'a plus le moral, en mécanique des fluides ce n’est pas tout à fait cela. Nous avons dit plus haut que c’était une chute de pression, mais que cela veut-il dire ? Tout simplement que la pression diminue au cours du temps ou en fonction de l'endroit de l'espace ou l’on se place. On peut faire le lien avec une surpression qui est le phénomène inverse. La pression augmente au cours du temps ou en fonction de l'endroit de l'espace. La question maintenant qui se pose à nous c'est pourquoi ? Ce que l’on peut dire c’est que lorsqu'un fluide s'écoule autour un objet solide avec une certaine vitesse, sa vitesse n’est pas égale partout autour de l'objet. La répartition du flux d'air autour de l’objet dépend de la géométrie de ce dernier. Si l’objet est symétrique par rapport à la direction du flux du fluide alors l'écoulement de ce dernier se divise théoriquement de façon symétrique de chaque côté. Néanmoins dans tous les autres cas il y aura toujours un côté ou l'écoulement sera plus important. La force de portance d’après le théorème de Bernoulli est toujours opposée au côté ou l'écoulement est le plus important. En effet du côté ou l'écoulement de l'air est le plus important, la vitesse va diminuer et la pression va augmenter. À l'inverse du côté ou l'écoulement est moins important la vitesse va augmenter et la pression diminuer. Ici comme pour les avions l'écoulement d'air est moins important sur le dessus, ce qui implique que la force de portance aide à maintenir la balle ou les avions en l'air. Ce phénomène est également mit en avant lors de l'effet Venturi. Lois physiques L'explication donnée ci-dessus étant contestée scientifiquement, bien qu'elle s'applique à de nombreux cas, nous ne nous aventurerons pas dans sa démonstration physique. Néanmoins cette démonstration peut être retrouvée dans les ouvrages en annexe dans la bibliographie. Expérience n°4[modifier modifier le wikicode] Mais pourquoi cette balle de ping-pong ne veut pas tomber? Cette expérience nous permet d'approfondir cette notion de portance ou encore de différence de pression entre le dessus et le dessous de la balle de ping pong lorsqu'elle est dans un flux d'air. Expérience Ici Nous avons besoin d'un entonnoir avec une géométrie relativement arrondie. Attention certaine courbe d'entonnoir vont mieux que d'autres pour cette expérience. Si vous voulez reproduire cette dernière, nous vous conseillons d'essayer d’abord l'entonnoir avant de l'acheter.Il faut également une balle de ping pong. L'expérience consiste à placer la balle dans l'entonnoir et de souffler fort. L'ensemble peut alors être placer vertical balle vers le bas, la balle ne tombera pas, temps que l’on souffle. L'écoulement d'air ainsi créé va être compris entre l'entonnoir et la balle de ping pong. Il est facile de voir alors que la section au-dessus de la balle et plus faible que la section au-dessous. Il y aura donc une différence de pression entre le dessus et le dessous de la balle. C'est cette dépression ou cette différence de pression suivant la formulation que l’on préfère qui maintient la balle en suspension. Bien que nous ayons ici le même phénomène que dans l'expérience précédente, cela n'est qu'une explication partielle du phénomène. En effet quelle que soit la géométrie de l'entonnoir, cette différence de pression sera toujours vraie pour peu que la section la plus faible soit au-dessus. Néanmoins l'expérience ne marche pas bien avec tous les entonnoirs. Pour certain il faudrait souffler beaucoup plus fort pour obtenir le même résultat. Le phénomène est donc dépendent de la géométrie de l'entonnoir et donc de l'écoulement d'air. Cela étant relativement fastidieux à expliquer simplement, nous ne nous aventurerons pas dans cette voie Lois physiques Là encore, ne pouvant expliquer le phénomène dans les règles de l'art nous ne nous y risquerons pas de peur de n'être pas assez rigoureux. D'autant plus que d'autres phénomènes rentrent en ligne de compte. La problématique ici est d'émettre les bonnes hypothèses quant à la géométrie de l'entonnoir. En effet c’est cette forme qui va déterminer les limites et donc la forme que prendra l'écoulement de l'air. Pour approfondir[modifier modifier le wikicode] Leçon n°4 Cinématique des fluides Leçon n°5 Conservation de la masse et équation de continuité Leçon n°6 Dynamique des fluides parfaits Bibliographie[modifier modifier le wikicode] [1]. Cousteix, Jean. Aérodynamique couche limite laminaire. Toulouse Cépaduès, 1988. 2-85428-208-6. [2]. Saatdjian, Estéban. Les bases de la mécanique des fluides et des transferts de chaleur et de masse pour l'ingénieur. Sapientia, 2009. 978-2-911761-85-0. [3]. Guyon, Etienne, Hulin, Jean-Pierre et Petit, Luc. Ce que disent les fluides la science des écoulements en images. Paris Belin Pour la science, 2011. 978-2-7011-5725-2. [4]. Acheson, David John. Elementary fluid dynamics. Oxford Clarendon press, cop, 1990. 978-0-19-859679-0. [5]. Munson, Bruce Roy, Young, Donald F et Okiishi, Theodore Hisao. Fundamentals of fluid mechanics. New York Wiley, cop, 1998. 0-471-17024-0. [6]. Guyon, Etienne, Hulin, Jean-Pierre et Petit, Luc. Hydrodynamique physique. Paris InterEditions Meudon Ed. du CNRS, 1991. 2-222-04025-6. [7]. Germain, Paul et Muller, Patrick. Introduction à la mécanique des milieux continus. Paris Milan Barcelone Masson, 1995. 2-225-82964-0. [8]. Bois, Pierre-Antoine. Introduction à la mécanique théorique des fluides. Paris Ellipses, cop, 2000. 2-7298-7991-9. [9]. Monavon, Arnault. Mini manuel de mécanique des fluides cours + exercices. Paris Dunod, 2010. 978-2-10-053813-3. [10]. Bellier, Jean-Paul, Bouloy, Christophe et Guéant, Daniel. Montages de physique optique, mécanique, statique des fluides, calorimétrie CAPES de physique et chimie. Paris Dunod, impr, 2004. 2-10-048476-1.
\n \n \n avion en papier qui vole comme un oiseau
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Un oiseau dans un logo, quelle est sa signification ? Les oiseaux sont souvent choisis comme logo pour de nombreuses marques. Certains veulent mettre en avant le mouvement, la liberté, l’envol, la légèreté et d’autres vont rechercher des symboliques plus complexes et élaborées. Véritable symbole de liberté, on associe souvent à l’oiseau la notion de rêve. Un oiseau a la capacité de se déplacer où bon lui semble, dans les airs. Il a cette possibilité d’aller toujours plus loin et d’atteindre une hauteur de vole incroyable. L’oiseau est le symbole de la réussite, de l’atteinte des objectifs. L’entreprise Nestlé, le réseau social Twitter, les magasins d’alimentation Auchan ou encore la marque de beauté Dove et les services postaux La Poste arborent, chacun à leur manière, un oiseau comme logo. Découvrons dans cet article quelle est la signification des oiseaux dans les logos. Nous nous attarderons uniquement sur les espèces pouvant voler sur de longues distances, ce qui exclus les canards, les poules, les coqs etc. Le logo de la banque BNP Paribas En détaillant plus précisément son logo, vous remarquez que ce dernier est composé d’étoiles qui se transforment peu à peu en oiseaux qui s’envolent. Dans ce logo, la volonté était de montré que la banque est capable d’évoluer et de suivre les attentes actuelles en s’adaptant à son époque. L’oiseau représenterai donc l’ouverture d’esprit et la capacité d’adaptation de ce groupe. Le logo des services postaux La Poste Il n’est pas évident de voir un oiseau dans ce logo et pourtant. La Poste arbore ce logo depuis les années 1960. Ce dernier a été pensé par Guy Georget. Représenté comme un avion en papier, il s’agit bel et bien d’un oiseau dont le but était de transmettre des valeurs fortes aux utilisateurs la rapidité, le mouvement et la communication. Des valeurs fortes et importantes, montrant que la volonté était de satisfaire les utilisateurs en optimisant toujours davantage les moyens et techniques de livraison des courriers, colis etc. Le logo du réseau social Twitter A l’image des messages envoyés sur la toile, le célèbre oiseau bleu de Twitter prend son envol pour envoyer ses tweets. L’oiseau de ce réseau social est représenté en plein vol et regarde vers le ciel. Une manière de montrer son besoin de liberté, de regarder vers l’avenir et de ne pas se tourner vers le passé. L’oiseau est souvent choisi pour évoquer la rapidité et la fluidité avec laquelle il se déplace, volant d’un point à un autre facilement et avec légèreté. Vous recherchez un graphiste pour créer un logo ? Consultez les tarifs de nos packs logo en cliquant sur le bouton ci-dessous. Voir les tarifs Le logo de la marque de soin & beauté Dove La marque Dove a fait le choix d’être représenté, depuis 1955, par un oiseau et plus précisément par une colombe. La colombe a toujours été un symbole de paix universelle, de libération et de pureté. Mais la colombe est également l’animal associé à la déesse de la beauté Aphrodite. Cette symbolique est donc tout à fait appropriée pour la marque de soin et de beauté Dove. Dove qui signifie en anglais Colombe. Le logo de la chaîne alimentaire Auchan Les magasins Auchan ont été fondés en 1961. Le nom de Auchan a été choisi en rapport avec l’emplacement géographique du premier magasin qui se situait dans les Hauts Champs, dans la ville de Roubaix. Le logo d’Auchan est représenté par un oiseau rouge et vert. L’oiseau a été choisi pour symboliser cette entreprise car il représentait le petit matin, l’aurore, le levé du soleil. Au printemps, les oiseaux chantent au petit matin. Ce petit oiseau a donc été choisi pour évoquer le fait que les magasins Auchan ouvraient tôt. Il représente également la fraîcheur et la légèreté. Le logo de la célèbre filiale Nestlé En allemand, le mot Nestlé signifie petit nid ». Le logo de Nestlé a été choisi simplement pour mettre en image le nom de son fondateur Henri Nestlé. Il est donc naturellement représenté par un nid contenant des oisillons. Il est impossible de citer tous les exemples de logo contenant un oiseau. Néanmoins, nous parvenons à en saisir l’idée générale. L’oiseau est un animal céleste par excellence. Il représente souvent nos aspirations les plus élevées qu’elles soient personnelles, professionnelles ou encore spirituelles. Dans le monde celtique, l’oiseau était le symbole sacré et représentait le messager des Dieux. Leur vue incroyable leur confère une lucidité hors normes, comme les aigles et leur vision incroyablement précise et juste. La plupart des oiseaux sont capables de voir dans le noir, sont capables de se guider et retrouver leur chemin seul. En d’autres termes, l’oiseau, en lui-même, représente la capacité d’évolution, la prise d’initiative, l’atteinte des objectifs même très élevés. Il représente également la rapidité, le dynamisme et l’agilité. L’oiseau est un formidable symbole pour un grand nombre d’entreprise.
Mieuxvaut donner à la poule qu'à la tourterelle qui s'envole. Un oiseau qui vole n'entre pas en collision avec un arbre. Ayant volé un chameau, un sot s'enfuit à pied en se courbant. Qui t'a donné, ne fut-ce qu'un peu, t'a épargné de voler. On accuse le loup de manger les brebis, et c'est un autre berger qui les vole.
Cette page présente des modèles que vous pourrez vous aussi construire, puisque les plans pour les réaliser sont disponibles, souvent par simple téléchargement. Merci aux auteurs d'en faire profiter tout le monde. Pour beaucoup, Internet semble être un outil qui permet d'échanger gratuitement tout type de fichiers. Ca ne pose aucun problème si les fichiers sont fournis par leurs auteurs directement, mais on voit sur différents sites et forums que c'est loin d'être le cas. Hors de question ici de diffuser des plans ou d'autres éléments sans autorisation des auteurs. Dans le même esprit de respect des droits de propriété littéraire et artistique de chacun des auteurs, j'espère qu'il n'y aura pas d'utilisation commerciale frauduleuse des plans, des articles, des images ou des modèles présentés, sauf autoriastion préalable. Pour tout contact laurent Pour rappel, cette mise à disposition gratuite des fichiers ne signifie aucunement que chacun, particulier ou professionnel, est libre d'exploiter financièrement, de quelque façon que ce soit, le travail des auteurs. Les plans ne peuvent donc pas être vendus, des kits ou même des short-kits ne peuvent pas non plus être commercialisés sans accord de l'auteur. En cas de demande particulière, contacter l'auteur e-mail sur la page de présentation du sujet ou le webmaster qui fera suivre. Merci également de ne pas diffuser ces plans sur des forums et autres sites sans en citer la source. Les informations associées au sujet se trouvent sur chaque page de présentation et seront utiles à toute personne intéressée. Un certain Arfei est très "généreux" avec le travail des autres et diffuse ailleurs la majorité des plans qui sont proposés sur le site jivaro-models. Les tirages de ces plans sont même mis en vente ! C'est à cause de connards comme lui - il y en a bien d'autres malheureusement que beaucoup ne veulent plus diffuser leur travail. Donc merci de ne pas faire de pub à ces sites parasites qui pillent le Web. En cas d'usurpation, toutes les mesures nécessaires seront prises pour obtenir une réquisition judiciaire de la part des autorités compétentes. Certains plans ne sont pas téléchargeables mais peuvent être commandés uniquement en VPC, imprimés à l'échelle sur papier. Certains autres sont en téléchargement libre mais tout le monde n'a pas un tireur de plans accessible. Il est donc parfois possible de les avoir en papier. Par Laurent Berlivet Le Bigtor est un hydravion biplan amphibie incassable. Sa cellule est construite en mousse Super Board aux qualités très intéressantes. Piloté en 2 axes, il peut voler en extérieur ou en salle. Son plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Le jet argentin SAIA 90 est un appareil aux capacités furtives quasi inconnu. Et pour cause, il n'a jamais existé ailleurs que sur le papier. Il est reproduit ici en plaque de mousse avec un profil planche et un moteur propulsif. Son plan est téléchargeable. Par Daniel "Baco" Gomez Argentine Vous avez été nombreux à apprécier la Xelio. Voici sa sœurette, la Luxio, aussi facile à construire, toujours abordable financièrement avec sa cellule taillée dans 2 planches de balsa et utilisant le même équipement, et finalement un poil plus tonique en vol. Par Greg Zietek Le concepteur du Littelowing voulait que tous les équipements de son avion soit aisément accessibles, et que la construction reste également très simple. Il est construit en Depron, et piloté en 3 axes. Les fichiers de découpe sont téléchargeables. Par Daniel Krumeich un nouveau chez les Jivaros Le Fanteasy, jet d'initiation à turbine électrique, tel qu'il a été présenté dans Looping 25 ans plus tôt. La version avec un équipement actuel bien plus performant est présentée par Greg Zietek. Par Laurent Berlivet Inspiré du Leprechaun, le Cabotin du Club de Bais est un grand motoplaneur "rétro" au vol tranquille. Sa cellule est découpée dans du contre-plaqué 3 plis économique. Malgré une envergure de 2,50 m et une grande surface d'aile, il se transporte et se range facilement grâce à son aile en deux parties, son stab démontable et surtout son fuselage scindé en 2 tronçons. Son plan et ses fichiers de découpes sont téléchargeables. Par Stéphane Pinson Ce personnage longiligne est un héros de bandes dessinées créé par orstunisch à l'image du pilote allemand Horst Fenchel, lui-même connu sous le pseudo de Crazy Horst dans ses vidéos sensationnelles. Dans une de ses histoires sur papier, le personnage nommé Zinzin pilotait une maquette échelle 1 à son effigie ; c'est de cette idée qu’est né le modèle présenté. Par Laurent Berlivet Le vol solaire est enfin à la portée de tous. Le Micro-Solar est en effet un tout petit avion piloté en 2 axes, capable de décoller depuis le sol sans batterie auxiliaire. Sa construction en balsa est simple et son équipement tout à fait abordable. Son plan est téléchargeable. Par Serge Encaoua Inspiré d'un projet de jet furtit allemand méconnu, l'Einzpfeil est un delta à turbine électrique capable de performances intéressantes importante plage de vitesse, décollage à la verticale. Il est construit en plaque de Depron à partir du plan téléchargeable. Par Charlie Fite USA et Thomas Buchwald Allemagne L'Albedo est un avion bipoutre propulsif qui se démonte pour être transporté dans une petite valise. Assez voilier, manœuvrant, stable, il peut aussi convenir comme cellule pour le vol en immersion. Son plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Afin de participer aux commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale en rendant hommage aux pilotes, j'ai lancé en 2014 un projet avec mon club, le HMAC Hague Model Air Club concevoir une escadrille des appareils de l'époque et les présenter lors de notre meeting annuel du mois de juin. Par Benoit Paysant-Le Roux Généralement, les hydravions ont 2 flotteurs ou intègrent une coque flottante. Un autre concept moins répandu est l'hydravion sur foils. Ils soulèvent la coque quand la vitesse augmente, diminuant le frottement de l'eau pour atteindre la vitesse d'envol. L'avantage est de réduire la traînée en vol. Ce minuscule Hydrafoil à construire d'après le plan téléchargeable permet d'essayer la formule. Par Serge Encaoua L’idée était de construire un modèle en un rien de temps, le plus simple et le plus petit possible, autour d’un combo électronique abordable disponible dans le commerce. Le Tiswis mesure 14 cm d'envergure et pèse seulement 13,5 g tout équipé. Son plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Le Trotteldecker est un petit biplan compact tout simple, entièrement construit en Depron de 6 mm. Les ailes sont dotées d'un profil KFM4 symétrique, le fuselage est une boîte rustique. Il est hyper remuant et peut effectuer de la voltige 3D dans un faible volume. Le plan est téléchargeable. Par Thomas Buschwald Allemagne Voici du modélisme différent le Cloud Seeker RC est un cerf-volant sans fil, piloté par une radio commande ! Ce dossier détaille toute la fabrication étape par étape pour réaliser la cellule en toile de spi et tubes carbone. Par Patrick Blanc Bien que le site soit déjà fourni en plans de planeurs de voltige, en voici un nouveau à construire en EPP. Ce Mini-Loop est léger, compact et complètement démontable. Son plan est téléchargeable. Ghislain Prat Bienvenu chez les Jivaros Il faut bien s'occuper durant cette période de confinement. Le Padci 180 est un modèle en Depron ou Vector style "soucoupe Plessier" qui peut voler dans un jardin. Vous avez sous la main une petite motorisation simple avec 2 servos, une plaque de mousse et 3 heures devant vous ? Il n'en faut pas plus pour se défouler. Par Pascal Cepeda Quelques morceaux de balsa, un équipement bon marché, voici de quoi occuper cette période de confinement un Micro Cap 20 pour voltiger. Le plan est téléchargeable. Par Sébastien Giard Bienvenu, de Malaisie Pour beaucoup, le plus bel avion du monde. Malgré une cellule très simplifiée, on reconnait au premier regard les lignes de ce Concorde Indoor destiné au vol en salle. A construire en Depron ou en Vector. Son plan est téléchargeable. Par Erwann Mariette bienvenu chez les Jivaros Ceux qui ont déjà essayé savent comme le pilotage lors d'une chasse à la banderole est intense et défoulant. La KungFu est une aile de combat très simple, super bon marché, hyper maniable et bien motorisée, parfaite pour s'éclater. Son plan est téléchargeable. Par Thomas Buchwald Le Manotin, petit avion de voltige 3D réalisé à partir de différentes mousses, polystyrène, Depron et Vector, associant légèreté et robustesse. Son montage est détaillé étape par étape et les fichiers de construction sont téléchargeables. Par Emmanuel Elie Drôles d'oiseaux, amusants à piloter... L'E-Swan, le Pélifun et le Flamingo sont contrôlés en 2 axes. La cellule est en Vector Board Graupner ou en Depron, une mousse souple facile à travailler qui absorbe très bien les chocs. Le plan est téléchargeable. Par Greg Zietek Cette paire de flotteurs est conçue pour se fixer directement sur un avion indoor ou park flyer léger ici, un Extra 330SC Multiplex, sans avoir à démonter le train ni quoi que ce soit. La masse ajoutée est de 90 g. Par Serge Encaoua Ca vous dirait, une aile volante pure, façon Horten ? Le plan de la Variante, version structure, est téléchargeable. Pour ceux qui hésiteraient à sortir le cutter, un professionnel propose un short-kit. De quoi vous redonner l'envie de construire. Par Gérard Jumelin Le Piaf est un appareil dont la forme s'inspire de celle d'un oiseau. Il est entièrement en structure bois à construire après avoir découpé les morceaux. Le pilotage est assuré par ses ailes à incidence intégrale. Son plan est téléchargeable. Par Vincent Clause Belgique Le plan du biplan Totor est téléchargeable et la construction est détaillée étape par étape. C'est un petit modèle conçu autour du combo Vector Core Graupner, qui assure un pilotage en 2 axes gaz et direction. La cellule indestructible est en mousse appelée Vector. Par Laurent Berlivet Pour voler en intérieur les jours prochains ou en extérieur par temps calme, voici un modèle hyper simple à construire avec 2 morceaux de Depron le Paperplane. La forme rappellera à tout le monde les avions en papier de notre enfance. Par Serge Encaoua Monocopter, un hélico qui ne possède qu'un seul moteur et un seul rotor. Un engin simple et astucieux pour faire de la voilure tournante à petit prix. Et ne n'est parce qu'il est diffusé un 1er avril que c'est une blague... Ca fonctionne vraiment. Par Serge Romani C'est sur un Jodel D-112 que j’ai reçu mes premières leçons de pilotage grandeur, à l’époque où je rêvais d’obtenir mon brevet de pilote. Mon budget loisir étant plutôt réduit, il me fallait donc réviser à la baisse mes envies et c’est ainsi qu'est née cette petite maquette ! Le plan est disponible sur papier. Par Laurent Berlivet Conçu pour la vitesse, le Bugatti 100P grandeur, aux lignes extraodinaires, n'a jamais pris l'air, contrairement à cette version réduite. Construit en Depron, ce petit bolide simplifié procure de belles sensations. Le plan est téléchargeable Par Thomas Buchwald Allemagne La Stingray de Lutz Naekel vole avec la même majestée qu'une raie en train de nager. La construction tout en Depron et la surface énorme permettent d'obtenir une charge alaire très faibe. Le plan est téléchargeable. Par Lutz Naekel Allemagne Version 3 axes à aile basse du fameux Baron de Christian Chauzit, le Ferber traverse lui aussi les générations avec toujours un succès certain. N'ayant pas trouvé de détails de montage sur le Net, l'auteur du modèle présenté a choisi de partager sa construction. Les plans sont également téléchargeables. Par Christian Stolz Cette curieuse Deudeuch n'est pas destinée qu'à rouler... Grâce à son long capot qui se prolonge jusqu'au coffre doté d'un profil autostable, tout comme sa capote, elle vole réellement. La construction est entièrement en structure. La motorisation peut être thermique ou électrique. Le plan est disponible uniquement sur papier en VPC. Par Laurent Berlivet Le Lagunero pourrait être votre premier hydravion. C'est un appareil assez facile à construire à base de Depron, et simple à piloter en 3 axes. Le fichier DXF téléchargeable sera particulièrement utile à ceux qui disposent d'une fraiseuse numérique. Par Daniel Alberto Gomez Argentine Pour les noctambules, mais pas seulement, la chouette The Blind Owl est une "volupture" originale. Relativement simple à construire, cet oiseau de nuit est partiellement fraisé dans du Depron. L'aile est équipée d'un profil KMF, le fueslage est plat. La cellule est éclairée par environ 150 leds. Le plan est téléchargeable. Présentation Gérard Jumelin Zinzinoptère, un amusant birotor coaxial à réaliser soi-même. Il ne faut qu'un outillage basique et un équipement bon marché pour l'équiper. Le pilotage n'est pas compliqué, l'appareil est naturellement stable. Présentation Serge Romani Encore une Xelio EDF, cette fois équipée d'une turbine électrique GWS 40. Pas de nouveau plan, c'est le même que celui d'origine. Il suffit d'un petit support placé à l'arrière du fuselage.. Par Greg Zietek La Xelio Evo, dérivée de la première du nom, est démoniaque ! Motorisée de façon plus puissante, elle possède surtout un volet de direction placé dans le flux de l'hélice. Le domaine de vol est étendu puisque le delta effectue maintenant du vol tranche, des vrilles et d'autres figures spectaculaires. Plan téléchargeable. Par Greg Zietek Le Jupiter Duck est un petit hydravion compact, super maniable et facile à construire ou à piloter en 2 axes. Il ne faut que quelques heures pour assembler les morceaux de Depron. Le plan est téléchargeable. Par Thomas Buchwald Allemagne Après le P51 Mustang en Depron déjà présenté, c'est au tour du Republic P47 Thunderbolt », à construire avec le même matériau et la même technique éprouvée d’entoilage au papier Kraft. L’épaisseur de l’aile s’y prêtant, il possède en plus des volets et un train rentrant. Le plan est téléchargeable. Par Christian Stolz Ce petit Dalotel tout en Depron mesure 1 m d’envergure. Il est conçu de façon a être facile et rapide à construire, pour du vol acrobatique calme et coulé », parfait en 2e ou peut être 3e modèle. Le plan est téléchargeable. Par Jean-Baptiste Hanrion Bienvenu parmi les Jivaros Takeshi VS Thunderbob. Deux petits warbirds en Depron bon marché et vite montés. Ils sont pilotés en 3 axes, pour se défouler lors de chasse à la banderole. Le plan est téléchargeable. Présentation Thomas Buchwald Allemagne Pour un défoulement sans prise de tête et sans craindre les retours au sol, ce petit engin ne vole pas haut quelques mm ! mais procure cependant un plaisir à la hauteur ! Cet Aéroglisseur se construit en un rien de temps avec quelques morceaux de Depron et un équipement électronique basique. Le plan est téléchargeable. Par Serge Romani La Xelio est un micro-delta à construire tout bois sans prise de tête et au coût très raisonnable puisque 2 planches de balsa suffisent. Avec sa taille et sa vitesse, les sensations procurées en vol sont sympas. Le plan téléchargeable est disponible. Par Greg Zietek Quelques morceaux de Depron, un peu de couleurs et voici un Surfeur de nuages facile à piloter, en extérieur ou en salle. Le plan est téléchargeable. Par Serge Romani Lignes et décors très réussis pour ce petit Messerschmitt Bf-109 construit... en Depron ! Les gabartis de découpe à télécharger et à imprimer constituent à la fois le recouvrement renforcé et la finition colorée. Par Emmanuel Elie qui rejoint l'équipe des Jivaros Le motoplaneur Longtarin est un petit modèle simple prévu pour l'initiation au pilotage en 2 axes, de préférence en vol d'intérieur. La cellule est découpée dans de l'EPP, l'accastillage est imprimé en 3D. Les fichiers de découpe sont téléchargeables pour ceux qui possèdent une CNC fil chaud. Pour les autres, l'ensemble est vendu pour une somme dérisoire qui permettra aux moins fortunés de se lancer dans l'aéromodélisme, sans stress. Par Laurent Berlivet Envie d'un petite aéronef d’un autre temps ? Avec ses haubans tendus à son mât, l’aile creuse montée en parasol et son fuselage ajouré, le Popcorn est construit avec des matériaux simples et facilement disponibles. En vol, cette trapanelle montre un comportement pour le moins amusant. Son plan est téléchargeable. Par Audren Vigouroux Bienvenu chez les Jivaros C'est durant les années 50 que le prototype de la plateforme Hiller a effectué ses sauts de puces, avec un courageux pilote d'essais cramponé dessus. Avec un peu d'astuce et une carte de stabilisation, la reproduction à échelle réduite vole mieux que l'original. Si vous souhaitez un birotor atypique, vous avez toutes les infos. Par Serge Romani L'Again est un petit trainer à aile basse piloté en 3 axes, de 1 m d'envergure, à construire en structure à partir du plan téléchargeable. Il est prévu pour une motorisation électrique. Son profil biconvexe épais limite sa vitesse de vol et permet de progresser en voltige. Par Alexis Chimot Eddie vs Otto, deux petits biplans tout dépron, très faciles à construire, et très remuants en vol. Ils sont pilotés en deux axes et sont destiné à la chasse à la banderolle. Il faut être au moins deux pour vraiment s'amuser, mais plus on est de fous... Le plan est téléchargeable. Par Thomas Buchwald Allemagne Amateurs de warbirds et bricoleurs, réjouissez-vous ce Mustang P-51D est à construire tout en Dépron. Son plan est téléchargeable et les différentes étapes du montage sont illustrées par de très nombreuses photos, y compris sa finition au papier kraft qui lui donne un bel état de surface durable. A vos cutters ! Par Christian Stolz Le Thunderbrol est un avion destiné au combat à la banderole, il a été conçu pour être économique, simple et rapide à assembler le fuselage est une simple caisse et l'aile ne présente aucune difficulté et ne peut être vrillée si vous la construisez bien à plat sur un "chantier". Son plan est téléchargeable. Par Jean-Baptiste Gallez Belgique Les racers des années 30 continuent à nous faire rêver avec leurs lignes fantastiques. Vu qu'il n'existe pas grand-chose sur le Howard DGA-5 "Ike", il a bien fallu se lancer. C'est ce qu'a fait l'auteur avec cette version de 1,60 m d'envergure destinée à un moteur électrique Protronik 3635-470. L'avion n'est pas encore construit mais il partage déjà son plan librement. Par Yannick Bellens Petit frère du Quark 2M et du Quark EPP déjà présentés, cette version Micro Quark remporte déjà beaucoup de succès. Si vous aussi souhaitez construire un petit planeur de voltige pour la pente tout en structure, le plan est téléchargeable. Par Fred Marie Irlande Vous pilotez "pouces dessus" mais vous avez envie d'un pupitre pour votre émetteur Graupner MX-xx ? Voici tous les détails qui vous permettront d'usiner le vôtre, soit dans du carbone, soit dans du contre-plaqué. Les fichiers sont fournis pour une découpe avec une fraiseuse numérique mais les pièces peuvent aussi être découpées à la scie à chantourner. Par Jean-François Durix Allemagne Les warbirds vous font rêver ? Voici un petit Grumman F4F Wildcat tout en rondeur, à construire intégralement à partir de feuilles d'EPP courbées. La cellule revient à 15 €. A ce prix, pourquoi ne pas se laisser tenter ? Son plan est téléchargeable. Par Christian Stolz Ca y est ! Le plan du Dusty Crophopper, le héros du film Planes de Disney, est désormais téléchargeable, La cellule en dépron n'est pas très difficile à construire. Toutes les étapes sont détaillées pas à pas avec de très nombreuses photos. Le pilotage n'a rien de compliqué, c'est un simple trainer 3 axes aile basse. Bon bricolage ! Par Laurent Berlivet Dans les expositions, il faut toujours un peu d'animation pour captiver l'attention des visiteurs. J'ai réalisé ce manège avec hélico électrique qui vole dans un rayon de 1 m. Ce jouet bricolé plaît toujours aux gamins surtout qu’ils peuvent le toucher sans risquer de casser quelque chose. Par Serge Romani Construction détaillée pour le Jetman version RC. C'est la reproduction échelle 1/2 de l'aile d'Yves Rossy. L'aile delta est propulsée par 2 turbines électriques et équipée de fumigènes. En fin de vol, un parachute commandé est déployé pour l'atterrissage. Si vous avez envie de tenter l'aventure, le plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Après le DeltaCoro au vol démoniaque, voici le DeltaPlume, la version assagie ou "soft". L'ail est cette fois en "carton-plume" de 3 mm, qui est du Depron recouvert de papier sur ses 2 faces, formant une sorte de contre-plaqué de Depron assez rigide. Etant plus léger, il a été également moins motorisé, le résultat est ainsi de 320 g en état de vol. Par Daniel Pierre Vite construit, quasiment incassable, d'un prix de revient ridicule, le DeltaCoro possède un fuselage en mousse et une aile en plastique alvéolaire. Sa robustesse et sa vitesse de pointe permettent de se défouler sans crainte. Les dimensions sont indiquées afin que vous puissiez construire le vôtre. Par Daniel Pierre Petit bon en arrière, de tout juste une vingtaine d'années... Le plan de ce Micro Spacewalker avait été publié en février 1994. A l'époque, il était motorisé par un Cox Tee-Dee et équipé de 2 microservos, qui semblent énorme actuellement... Rééquipé en électrique, il est bien plus léger. Le plan est téléchargeable pour ceux qui veulent coller quelques morceaux de balsa. Présentation Laurent Berlivet Le Triomini, un tricoptère à la portée du plus grand nombre. Stable, précis, robuste, il dispose d'une charge utile importante. Il convient donc pour l'apprentissage comme pour les translations rapides et peut recevoir un équipement de vol en immersion avec caméra HD style GoPro. Le pilotage est alors très amusant slalom entre les arbres, courses-poursuites avec les modèles des copains, ou tout simplement découverte des environs vus du ciel. Le plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Ceux qui l'ont vue passer avaient fait un vœu depuis longtemps obtenir le plan de L'étoile filante pour éclaircir les sombres nuits, parcourir la voûte céleste avec cette idée lumineuse constellée de 250 Leds ! Suivez le guide pour sa construction si ça vous branche, elle n'est même pas pointue à piloter.. Le plan est téléchargeable. Une Volupture de Gérard Jumelin La Terrafugia Transition existe réellement, c'est un avion dont les ailes se replient une fois au sol qui peut alors se conduire comme une voiture. Cette semi-maquette réalisée en polystyrène et balsa a été présentée aux rencontres expérimentales d'Inter-Ex. Le plan est téléchargeable. Par Romain Berlivet L'aile volante Pyth 700 est le genre de modèle qu’on laisse toujours trainer dans le coffre de la voiture peu encombrant, pas fragile et pas prise de tête. Que vous vouliez faire un peu de combat avec les copains, voler par n’importe quelles conditions ou tout simplement vous défouler, ce modèle est fait pour vous ! Et si vous avez l’occasion de voler à la pente, elle vous accompagnera là aussi. Le plan est téléchargeable. Par Christophe Chanudet Le planeur Entoucas a été conçu pour aborder le pilotage d'un planeur de 3 m. Son comportement en vol est très agréable notamment grâce à sa faible charge alaire, 1500 g pour 3,20 m d'envergure. C'est un planeur parfait pour tester les pentes quand la dynamique est incertaine ou pour le vol en cellule est mixte fuselage en bois prolongé d'une poutre en fibre de verre, aile en polystyrène coffré et empennage en structure. Son plan est téléchargeable. Par Daniel Villa Ca y est, le tube de l'hiver est arrivé ! Si le multicoptère vous tente mais que vous n'aviez pas osé franchir le pas, lancez-vous avec le Quadriolo, un quadricoptère en tube PVC. L'auteur détaille toutes les étapes de construction et donne les liens pour l'équipement le moins cher. Une perceuse, un coupe-tube, un fer à souder et une pince sont les seuls outils nécessaires. Et les performances sont au rendez-vous. Que demander de plus ? Par Eric Latour Gardiolo Les multicoptères en tous genres sont à la mode, qu'ils soient pilotés à vue, en immersion, ou même programmés à l'avance. Ce quadricoptère Quad 9 est une machine simple et fiable qui a déjà été reproduite en de nombreux exemplaires. Pour ceux qui souhaitent se lancer dans l'aventure, le plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Aucun amateur d'aviation ne peut rester insensible à la pureté et à la finesse des lignes des avions tels ce Caudron Les reproductions de ces avions de course à petites échelles sont rares et c'est ce qui m'a poussé à concevoir un petit modèle, facile à construire, à faire voler et à transporter. Le plan est téléchargeable. Par Mathieu Travani Le plan du planeur Le Fish, voltigeur 3D et VTPR né en Californie est disponible en téléchargement. De nombreuses vidéos sont visibles sur ce site ou celui de l'auteur. La construction est en EPP, détaillée sur RC-Groups. Hyper remuant, quasi incassable, il permet d'accumuler les heures de vol fun au ras du relief. Par Steve Lange Slope Aerobatics USA L'amour a des ailes... Du Dépron contre la déprime Vite s'envoyer en l'air. Etonnant dans le vent, ce modèle est pénétrant - c'est un battant. "L'un dans l'autre" fait la culbute, les cabrioles, les tonneaux, les inversés et son contraire. Le plan de ces cœurs volants est téléchargeable. Par Gérard Jumelin Après la version EPP diffusée au printemps dernier qui remporte un beau succès, voici cette fois le Quark 2 M, planeur de voltige tout bois. Plusieurs modèles ont déjà été construit et donnent toute satifsaction à leur pilote. Si vous aussi souhaitez construire le vôtre, son plan est téléchargeable. Par Fred Marie Irlande Le Quark Mini est un planeur de voltige aux formes classiques pas de fuselage type "poisson" construit entièrement en EPP. C’est une sorte de mariage entre un Twister / Salto pour l’avant et un Typhoon pour la dérive. Son plan est téléchargeable. Par Fred Marie Irlande La Fiu est une minuscule aile volante à construire en structure, dans une seule planche de balsa 20/10. Le plan échelle 1 format A3 est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Ce petit Stampe est un petit modèle à l'allure très réussie, à construire en quelques heures avec du Dépron. Il connait déjà un franc succès sur les terrains et nombreux sont ceux qui ont déjà pris plaisir à le construire et à le piloter. Son plan est téléchargeable au format PDF. Présentation Jean-Luc Mechelaere Le Grumman X-29 est présenté ici en version ultra simplifiée avec un moteur propuslif. Construit en Dépron, il est facile à construire et bon marché. Son plan est téléchargeable. Par Serge Romani Le Jaguar 280 est le descendant du Jaguar 180 déjà présenté sur ce site. Ce petit modèle a été produit en kit à construire il y a une dizaine d'année. Il était à l'époque motorisé par un Speed 280 et 7 éléments de 270 mAh Ni-CD. On trouve maintenant de nombreux petits brushless qui lui donneront un vol encore plus tonique. Son plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Le Rocket Glider est un mini-planeur piloté par incidence intégrale. Il est mis en altitude avec un moteur à poudre qui le propulse à la verticale. Son plan est téléchargeable depuis quelques années mais il manquait les détails de l'aile issue du Nexus de Franck Aguerre, qui m'a autorisé à l'ajouter pour compléter le plan. Par Laurent Berlivet Construisez un Lavochkin-15 pour une poignée de roubles ! Plan téléchargeable C'est un pur produit Soviétique facile à construire, facile à piloter et dans sa catégorie c'est sans aucun doute le moins cher. Bref, un vrai jet pour prolétaires ! Qui sait, ce vestige de la guerre froide pourrait bien vous faire trahir le balsa, la fibre et le méthanol pour passer dans le camp de l'EDF et du dépron... Par Laurent Schmitz Les_Busards Belgique Pratiquement 10 ans après le crash du Sierra Charlie et l'arrêt des vols d'un des plus beaux avions du monde, le Concorde New Power permet de continuer à faire voler la légende. Fuselage fibre, aile en planche de balsa et motorisation propulsive électrique. Par Laurent Berlivet et Philippe Bianco En raison de son changement d'activité, New Power Modélisme stoppe la production de ses projets et brade de jolis petits fuselages en fibre de verre époxy de P51D Mustang, Spitfire, Tucano, Messerschmitt BF-109 et Jaguar 280. Les pièces seront à découper suivants les plans proposés ici en téléchargement libre. Pour la construction, il faudra improviser car il n'y a pas de notice, mais ça n'a rien de bien compliqué. Initiation à la construction tout bois, au pilotage en 2 axes ou en 3 axes, et aux premières figures de voltige... Le Biloute est également équipé pour le vol de nuit, il peut recevoir des flotteurs pour évoluer en hydravion ou une caméra pour la vidéo embarquée, et même occasionnellement un câble pour le remorquage improvisé... Son plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Conçue par Serge Delarbre et commercialisée par Z-Système sous le nom "Strange 60M", la Strange est au départ une aile volante de course aux pylônes destinée aux concours "60 mousse". Ici, elle a été remaniée pour être construite intégralement en Dépron, et même déclinée en version motorisée. Son plan téléchargeable a été retouché pour le rendre plus lisible. Le longeron a également été modifié et les cotations arrondies. Par Christophe Chanudet Le Sly qui avait été publié dans Passion'Ailes en 2004 est toujours très apprécié. Cet avion de voltige destiné au vol d'intérieur et d'extérieur par temps calme est à construire en dépron, son aile est équipée d'un vrai profil symétrique. Le plan est téléchargeable au format PDF. Par Pascal Delannoy Le Bostok est un remorqueur de 2,35 m d'envergure, équipé d'une motorisation électrique. Il est destiné à tracter des planeurs jusqu'à 4 m d'envergure et 4 kg. Il avaité été présenté il y a quelques années dans la revue Passion'Ailes. Son plan est téléchargeable. Par Daniel Villa Vous cherchez un bon plan pour les vacances ? Le Ma-Tchang pourrait répondre à vos attentes entièrement démontable, il rentre dans une petite valise de 52x18x10 cm, avec son émetteur 2 voies s'il n'est pas trop encombrant. La conception de ce modèle n'est pas récente puisque le plan avait été publié en 1994. La version présentée ici est électrifiée et pèse le même poids que le modèle d'origine. Si ça vous tente, le plan est téléchargeable. Par Laurent Berlivet Cette semi-maquette de T-50 Golden Eagle coréen a été conçue autour d'une turbine SF64. La construction est mixte polystyrène extrudé découpé au fil chaud et poncé pour le fuselage, et structure bois intégralement coffrée pour la voilure. Le plan est disponible sur papier en VPC uniquement. Par Laurent Berlivet Cette jolie maquette de l'Aichi Val, bombardier japonnais embarqué sur porte-avions peu connu - en tout cas peu répandu chez les modélistes- est équipée d'une motorisation électrique Twister 60 qui entraîne aisément les 4 kg de l'avion. Si vous aimez construire, le plan est téléchargeable. Par Laurent Schmitz Les_Busards Belgique P-51 Mustang, Spitfire, Mig 3... Des chasseurs de légende qui font rêver de nombreux modélistes. Il s'agit ici de version très simplifiées, découpées dans du polystyrène et motorisées par un économique Speed 280. Petits modèles, budgets serrés, temps de construction réduit, c'est bien sûr avec ce genre d'engins qu'on s'éclate le plus. Les plans sont téléchargeables., les fichiers CNC également. Présentation Erwan Le Pecq & David Luce Prévue au départ pour une motorisation à base de Speed 400, l'aile volante Speed-Wing connaît une nouvelle jeunesse - comme beaucoup d'autres modèles - grâce aux brushless et Li-Po. Un petit bolide qui parcourt du chemin... Plan disponible sur papier en VPC uniquement. Par Laurent Berlivet Les planeuristes de l'extrême vont être heureux le plan du Madslide 1500 et du Madslide 2300 sont téléchargeables ! En route vers la voltige hors normes avec de nombreuses figures qui restent irréalisables avec des planeurs classiques. Par Benoit Paysant-Le Roux Un petit Grumman Widgeon construit tout en polystyrène. Rien de mieux pour réaliser la cellule d'un hydravion de formule park flyer. La motorisation est confiée à des petits moteurs généralement utilisés en indoor. Son auteur propose le plan en VPC. Présentation de Pascal Bourguignon Le Wild est un superbe petit planeur DLG high tech à construire en matériaux composites. Robuste et léger, il reprend tout ce qui se fait de mieux dans la catégorie. L'auteur présente également la version "acro" avec une aile plus simple à construire, pour voltiger à la pente ou en plaine juste après le lancer. Le plan du Wild est téléchargeable sous différents formats. Présentation de Pascal Delannoy Les amateurs de belles structures vont ête comblés avec le Tyk'eï et son plan téléchargeable. Ce petit planeur 3 axes à constuire tout en bois est conçu pour se démonter en plusieurs morceaux afin d'être transporté dans une petite valise. Il vous suivra partout. Présentation de Mathieu Davy Plus vrai que nature, ce Martinet reproduit à l'échelle 1. Cet oiseau est présenté ici en version vol de pente. Une construction intégralement en Dépron, donc pas très compliquée, un équipement radio de petite taille mais disponible partout. Son plan est téléchargeable sous différents formats. Pas de doute, on devrait en voir plein le ciel au printemps. Présentation de Gérard Jumelin Le Xrush est un petit jet à construire en structure simple, et relativement facile à piloter grâce à sa conception originale. Motorisé par une petite turbine GWS 55, il est très économique, et cependant tout à fait performant. Son plan est téléchargeable en .jpg et en .tif. Présentation de Franck Aguerre Piloter un jet est le rêve de beaucoup. Mais il faut en principe un budget important, pas mal d'espace et un bon niveau de pilotage. Ce petit T50 Gloden Eagle version planche est à la portée de presque tous. Le plan est téléchargeable. Il sert à la fois de gabarit de découpe, de renforts, d'entoilage et de finition ! Temps de construction 3 heures maximum. Présentation de Laurent Berlivet Une "bouille" sympa pour ce petit biplan Manon tout simple. S'il passe la voltige, il n'est cependant pas fait pour la 3D et le F3P. Il plaira donc à tous ceux qui aiment voler pour le fun. Le plan est téléchargeable en .jpg et .tif. Présentation de Pascal Cepeda Le Fokker Spinne Type III, année 1911 de Pascal Bourguignon est une merveille de détails. Cet ultra léger des débuts de l'aviation est destiné à l'indoor dans une grande salle ou bien dehors par temps calme. Pour ceux qui aiment le tissage de balsa, de toile et de fil... le plan est téléchargeable en .jpg et .tif. Présentation de Pascal Bourguignon La Pitchounelle est une petite aile volante à motorisation électriques dotée de performances étonnantes. Pour ceux qui ont envie d'une construiction simple et originale en structure, le plan est téléchargeable sous différents formats. Présentation de Franck Aguerre La Roumstor est un delta original et amusant, découpé dans du Dépron©. Il est prêt à voler en quelques heures à peine. Son moteur central est parfaitement protégé. C'est un petit modèle qui se contente de peu d'espace pour voler, et d'équipements économiques. Le plan est téléchargeable sous différents formats. Présentation de Romain Berlivet Qui ne connaît pas encore le Micro-Rafale ? Ce petit bolide assemblé en quelques heures avec quelques morceaux de Dépron procure des sensations extraordinaires. On se croit vraiment aux manches d'un véritable jet. Le plan est téléchargeable sous différentes versions. Présentation de Stéphane Pinson Ce Grumman Cougar F9-F8 a effectué premiers vols datent de janvier 1992, mais il peut tout à fait être mis au goût du jour avec un moteur électrique à la place du Cox Tee Dee 0,8 cc qui l'équipait. L'hélice tractive reste discrète. La construction en balsa n'est pas très compliquée malgré des formes un peu tourmentées. Le plan échelle 1 est téléchargeable. Présentation de Laurent Berlivet Présentation de l'Hiryù, un jet aux lignes originales construit en balsa. La turbine électrique est très accessible. C'est un modèle conçu pour s'initier à la formule. Le plan est disponible en VPC uniquement. Par Laurent Berlivet Ce Cap 10B est un amusant parkflyer au vol réaliste. Entièrement en planche de Dépron, avec quelques renforts en joncs et tubes carbone, il est fait pour se défouler sans stress. Ca n'est pas un 3D comme on en voit beaucoup, mais un voltigeur tranquille. Son plan peut être téléchargé ainsi que le fichier des gabarits permettant de réaliser la même déco. Présenté par Guillaume Didier Le plan de ce petit Starduster est téléchargeable au format JPEG 2,14 Mo, dessiné échelle 1 sur une page format A3. Il est prévu pour être piloté en 2 axes profondeur, direction et moteur, équipé d'un ensemble radio avec actuateurs JMP. Envergure 36 cm. Poids 28 g en ordre de vol. Moteur KP00 réducté 2,611. Présentation de Laurent Berlivet Un hydravion de formule aile volante très original dont les lignes ont été inspirées par un catamaran de vitesse. Les flotteurs sont amovibles pour décoller d'une piste. La construction est intégralement en structure. Le plan imprimé sur papier est disponible en vente par correspondance. Par Laurent Berlivet Cette reproduction du Goat dessiné échelle 1 sur une page format A3 est téléchargeable au format JPEG 7,07 Mo. Ce minuscule planeur piloté en 2 axes est équipé d'un ensemble radio avec actuateurs JMP. Prévu pour faire du vol de pente en salle !, il peut voler en extérieur par temps très calme. Envergure 64 cm. Poids 13,6 g en ordre de vol. Présentation de Laurent Berlivet Le Jaguar 180, premier du nom, a connu son heure de gloire il y a quelques annnées. Motorisé à l'époque par un Mabuchi 180 et des accus Ni-Cd, il vole maintenant avec un petit brushless et des Li-Po. En attendant, le plan est déjà téléchargeable, échelle 1. Présentation de Laurent Berlivet Cliquer sur l'image pour accéder à la page des plans 3 vues. De nombreux liens vers d'autres sites en proposant sont également indiqués.

12juil. 2017 - Tutoriel avec des explications détaillées pour plier en papier ce joli avion qui vole très bien et très loin. Si cette vidéo vous a plu, n’oubliez pas de li

Télécharger l'article Télécharger l'article L'origami désigne l'art japonais du pliage [1] . L'avion en origami classique est obtenu à partir d'une seule feuille de papier et se compose de quatre parties l'avant, le corps, l'arrière et les ailes. Une fois que vous maitriserez ce modèle de base, rassemblez quelques amis et organisez un concours de vol d'avions en papier pour voir celui qui vole le plus loin et le plus longtemps. Le record du monde de vol d'avion en papier est de 27,9 secondes sur une distance de 69,14 mètres [2] . 1Procurez-vous une feuille de papier rectangulaire. Si vous avez l'intention de faire voler votre avion à l'intérieur, un papier léger comme le papier pour imprimante sera parfait. Le papier pour origami, plus épais, ou bien la cartonnette sont plus indiqués pour faire voler un avion en papier dehors, surtout s'il y a du vent. 2Pliez le papier en deux dans le sens vertical. Marquez le pli et dépliez. Les plis doivent être bien nets et les surfaces du papier bien lisses pour un avion aérodynamique [3] . 3Repliez les deux coins supérieurs vers le pli central. Ne défaites pas ces plis. Votre feuille de papier doit maintenant avoir la forme d'une maison », avec un toit pointu et deux murs droits et hauts. 4Repliez à nouveau les coins pour placer leurs bords le long du pli central. Ne défaites pas les plis. Votre maison » doit maintenant ressembler à une tente », avec un toit très haut et pointu et deux côtés très courts. Repliez votre tente » en deux dans le sens vertical pour créer le corps de l'avion. 5Repliez le haut des côtés droit et gauche vers le bas. Le but est de les aligner avec le bas du corps de l'avion. Vérifiez que tous vos plis sont bien marqués et symétriques. 6Terminez les ailes en relevant les côtés droit et gauche. Le haut des ailes doit former une surface plane triangulaire. Le corps de l'avion doit lui aussi être triangulaire et dépasser les ailes au centre de l'avion. 7Admirez votre avion en papier. Une fois que vous maitrisez le pliage de base de l'avion en origami, vous pouvez passer à des modèles plus élaborés. 1Procurez-vous une feuille de papier carrée. Vous pouvez aussi prendre une feuille de papier pour imprimante [4] . Si vous n'avez pas de feuille de papier carrée, vous pouvez en obtenir une à partir d'une feuille de papier rectangulaire. 2Faites un pli vallée horizontal. En origami, un pli vallée est un pli en creux. Si vous regardez le papier de côté il forme un V [5] . Dépliez le papier. 3Repliez le haut et le bas du papier vers le centre. Vous devez obtenir trois plis horizontaux séparant le papier en quatre parties égales. 4Faites un pli vallée vertical. 5Dépliez le papier puis repliez les côtés droit et gauche vers le centre. Dépliez le papier et posez-le à plat sur la table. Les plis marqués doivent dessiner seize carrés identiques, quatre dans le sens de la hauteur et quatre dans le sens de la largeur. 6Pliez le papier en deux dans le sens de la diagonale. Dépliez. 7Pliez le papier en deux en diagonale dans le sens opposé. Votre papier, une fois déplié, doit montrer seize carrés identiques et une grande croix qui le barre depuis le coin supérieur droit jusqu'au coin inférieur gauche et depuis le coin supérieur gauche jusqu'au coin inférieur droit. 8Faites pivoter la feuille de papier de 45 degrés. Placez la pointe en haut pour obtenir un losange. Rabattez la pointe gauche de votre figure vers le centre. Marquez le pli vertical et ne dépliez pas. Votre losange doit comporter trois pointes et un côté aplati. 9 Créez un modèle en marquant des plis. Ce modèle nécessite de marquer des plis pour les réorganiser en creux et en reliefs. Voici un diagramme indiquant le type de plis et leur emplacement. Un pli en relief est le contraire d'un pli en creux ou pli vallée. Ici, le papier vu de côté doit former un V » renversé [6] . 10Repliez les deux côtés l'un contre l'autre à l'aide d'un pli vallée horizontal. Votre jet doit maintenant ressembler à une chaussure » à bout pointu. Repliez ensuite la base, c'est-à-dire le côté le plus large, vers le haut sur environ un tiers de la chaussure ». 11Repliez le haut de la chaussure vers l'extérieur. Faites le pli par-dessus le pli créé à l'étape précédente. Cette partie servira à former les ailes. Répétez de l'autre côté. 12Faites pivoter votre jet en origami sur 90 degrés. Veillez à orienter la base vers vous. Écartez les ailes et les tirant doucement vers les côtés. 13 Lancez votre jet. Tenez votre jet par la partie avant, parallèle au sol ou bien l'avant légèrement pointé vers le haut. Lancez-le à l'aide d'un geste ample, rapide et régulier. Comparez la distance et la rapidité de vol de votre jet avec celles de votre avion en papier. 1Déchirez une page dans un annuaire ou un cahier. Il est important que le papier soit fin pour pouvoir laisser le planeur dériver sur un courant d'air plutôt que de le lancer comme un avion [7] . 2 Réunissez le reste du matériel nécessaire. En plus d'une feuille de papier, vous aurez besoin de trois trombones ; une paire de ciseaux ; un rouleau de ruban adhésif ; une règle ; un crayon. 3 Imprimez le patron de votre planeur. Voici un exemple en anglais. À l'aide de ciseaux, découpez les deux grands triangles le long des lignes noires extérieures. Conservez le deuxième triangle pour permettre à un ami de confectionner lui aussi un planeur en origami. Faites une petite encoche le long des lignes noires épaisses qui se trouvent à la base des deux triangles, c'est-à-dire le long du côté le plus large. 4 Fixez les parties du patron avec du ruban adhésif. Le patron doit être posé bien à plat sur le papier, sans pli ni faux pli. Fixez le patron sur le papier à l'aide de quatre morceaux de ruban adhésif, un à chaque pointe et le quatrième au milieu du plus grand côté. Une fois le patron bien en place, découpez le papier autour du triangle en veillant à ce que le patron et le papier restent en contact. 5 Tracez une ligne au crayon le long des pointillés. Les pointillés indiquent l'emplacement des plis. Ils sont séparés en deux catégories et étiquetés sur le patron. Il y a trois plis en creux. L'un d'eux est parallèle à la base et les deux autres se situent à chaque extrémité de la première. Il y a trois plis en relief. L'un coupe le sommet du triangle en deux et les deux autres sont parallèles aux côtés du triangle. Gardez le patron sous les yeux pour vous orienter à partir de ces plis. 6Pincez le pli en relief au sommet du triangle. 7Placez une règle le long du pli en creux situé le long de la base du triangle. Rabattez la base par-dessus la règle. Dépliez doucement le papier pour que le pli reste légèrement ouvert. 8 Continuez. Repliez vers l'extérieur les deux plis en relief situés le long des côtés du triangle. Repliez un côté, puis l'autre et laisse les plis entrouverts. Une fois ces plis effectués vers l'extérieur, pincez le bout du pli en relief au sommet du triangle. Pincez les trois plis en relief jusqu'à leur point d'intersection avec les plis en creux. Les plis doivent être symétriques et bien marqués. 9Repliez les deux plis en creux les plus courts. À la fin de l’opération, ils doivent être parallèles au corps du planeur. Vous venez de former les deux stabilisateurs verticaux situés à l'arrière de votre planeur. 10Pincez le bout des ailes. Le bout des ailes peut être replié vers le haut ou vers le bas. Les deux ailes doivent être déployées pour voler, sans quoi le planeur risque de piquer du nez. 11Stabilisez votre planeur en le lestant vers l'avant. Votre planeur est pour l'instant plus lourd à l'arrière qu'à l'avant, ce qui risque de le faire chuter lorsque vous essaierez de le faire voler. 12 Utilisez un trombone pour créer un levier dépassant l'avant du planeur. Découpez le carré étiqueté Front Weight Stabilizer. Utilisez-le comme guide pour découper un morceau du même papier que celui utilisé pour le reste du planeur. Dénudez un trombone de sa partie en plastique jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un fin fil métallique. Pour cela, coupez la partie plastifiée le long du fil métallique et retirez le reste avec vos ongles. Placez un petit morceau de ruban adhésif environ 1 cm à l'une des extrémités du fil de fer et fixez-la à l'un des coins de votre carré de papier. Placez le carré de papier sur un livre épais, de manière à ce que le bout du planeur muni d'un trombone se trouve au bord du livre. Le trombone doit, quant à lui, dépasser du livre. Si le trombone bascule vers le bas, c'est qu'il est trop lourd. Découpez de petits morceaux de fil de fer avec des ciseaux jusqu'à ce que le bout du papier ne plonge plus que très légèrement vers l'avant. Si le fil de fer est parfaitement droit, alors il est peut-être trop léger. Vous pouvez dans ce cas l'alourdir en ajoutant de tous petits bouts de ruban adhésif à la partie du trombone qui dépasse du papier. 13 Retirez le fil de fer du carré de papier. Vous allez devoir fixer le fil de fer au nez de votre planeur. Retournez le planeur de façon à ce que la partie avec le patron imprimer se trouve vers le bas. Fixez un petit carré de ruban adhésif de 1 cm de côté environ à un bout de votre fil de fer. Fixez le fil de fer à l'aide du ruban adhésif exactement le long du pli qui forme l'avant du planeur. Les coins du petit carré de ruban adhésif doivent correspondre exactement à l'extrémité du planeur. Retournez le planeur et repliez l'avant de façon à ce que le pli retienne le fil de fer. Ce n'est pas grave si de chaque côté du pli le planeur est un peu courbé, cela lui donnera de la force. 14 Aplatissez les plis s'ils sont trop aigus. La courbure des ailes influence l'aérodynamisme et donc le vol des planeurs [8] . Des plis trop aigus ou trop refermés, créent une courbure trop importante, ce qui peut déstabiliser le planeur. Placez le planeur dans la couverture d'un livre épais. Repliez les stabilisateurs verticaux pour ne pas les endommager. Refermez la couverture et appuyez dessus pendant 5 à 10 secondes. Cela va améliorer la courbure en ouvrant légèrement les plis. 15 Ajustez l'élevon et les stabilisateurs verticaux selon les besoins. Placez le planeur sur une surface plane et mesurez l'angle formé par cette surface et le volet arrière ou élevon. Si l'angle est inférieur à 20 degrés, augmentez-le en le repliant légèrement vers l'avant. Vérifiez que les angles sont les mêmes de chaque côté. Repliez les stabilisateurs verticaux de façon à leur donner un angle de 90 degrés par rapport au corps du planeur. Si ce n'est pas déjà fait, séparez le patron et le papier de construction du planeur. Relevez l'extrémité du fil de fer jusqu'à ce que celui-ci forme un petit crochet. Prenez garde à ne pas déchirer le papier et à ne pas défaire les plis. Utilisez le petit crochet en fil de fer pour ramasser et transporter votre planeur. N'attrapez pas votre planeur par l'arrière, vous risqueriez d'endommager les stabilisateurs ou l'élevon, qui est très important pour maitriser le roulis et le tangage [9] . À l'aide de ciseaux, découpez l'arrière du planeur selon la ligne courbe du patron. Découpez aussi la pointe des stabilisateurs le long de la ligne noire épaisse. 16 Lancez votre planeur. Tenez le planeur par le centre entre le pouce et l'index. Lâchez doucement le planeur en faisant légèrement pointer l'avant par le haut. Marchez derrière votre planeur en agitant doucement un morceau de carton de 50 X 50 cm au minimum. Vous permettrez ainsi à votre planeur de continuer à planer. 17Bravo ! Admirez votre planeur. Conseils Tenez et ramassez votre avion par l'avant. Si vous le tenez par l'arrière, vous risquez d'endommager les ailes. Essayez de lancer votre avion bien droit, sans quoi il risque de piquer du nez. Faites voler votre planeur à l'intérieur, de préférence dans une grande salle comme un gymnase ou une cafétéria. Soyez précis dans votre pliage et marquez bien les plis. Votre planeur doit être symétrique pour que son poids soit bien équilibré afin qu'il vole correctement. N'utilisez pas de feuille de papier déchirée ou froissée. Vous pouvez utiliser du papier recyclé. Pour une utilisation en extérieur, utilisez un papier plus épais. De cette façon, l'avion sera plus lourd et résistera mieux au vent. Vous pouvez aussi utiliser des trombones pour alourdir votre avion en papier, au niveau de l'avant ou des ailes [10] [11] . Trouvez le centre de gravité de votre avion en papier vers l'avant, à l'endroit où les couches de papier se superposent et tenez-le par là entre le pouce et l'index pour le lancer. Lancez-le de manière parallèle au sol ou légèrement vers le haut, d'un geste droit et régulier [12] . Avertissements Ne visez pas des personnes ou des animaux domestiques avec votre avion en papier. Les bordures sont un peu coupantes et peuvent donc être blessantes, notamment au niveau des yeux. Éléments nécessaires Pour l'avion et le jet une feuille de papier lisse au format A4, ni pliée ni froissée, ainsi que 2 ou 3 trombones facultatif Pour le planeur une feuille de papier léger, des ciseaux, un trombone, un stylo et le modèle du planeur À propos de ce wikiHow Cette page a été consultée 15 619 fois. Cet article vous a-t-il été utile ?
LeStarfighter est conçu comme une alternative à l'avion en papier Fang comparable.Le Starfighter a été conçu rapidement, retenant la conceptio . Comment faire de l’avion en papier « Obusier » Le but de cette instructable
Haikus de Carolane Les nuages blancs, Où vont - ils tout là haut Avec le ciel bleu brillant? Estampe d’Hokusai. Les étoiles dans le ciel noir, Sont jaunes et brillantes, Elles apportent le beau temps. Catégories poésie Tags haikus Poème recette de Solène 6D Prenez un peu du hameau de Villenouette Le soir, le ciel est magnifique Il devient violet, rose et bleu Placez une tulipe Dans le ciel Remuez le ciel magnifique Pour que les couleurs Soient encore plus belles Prenez un peu du ciel couché Il faut le mélanger Avec d’autres couleurs prenez du marron et du violet Mélangez Attendez Admirez Le cygne, poème de Candice. 6E Le plumage de cet oiseau Semble être un manteau de neige Il est clairvoyant comme un cristal Il glisse vers la vallée blanche Qui ressemble à un nuage Les plumes de cet oiseau Sont comme des fils de soie Cet oiseau migrateur part majestueusement Avec la légèreté en volant sous le soleil éclatant Puis ramène la paix au marais C’est mon oiseau d’argent. Catégories poésie Tags Cygne Le tigre, poème de Loanne, 6D Tes yeux sont des flammes Irrésistible,ton pelage puissant Griffant de tes belles lames, Rugissant à pleines dents En guettant l’homme imprudent. Catégories poésie Tags le tigre Si j’étais, poème d’Eva. 6D Si j’étais un oiseau, je parcourrais le monde Si j’étais un chien, j’aiderais toutes les personnes qui ont un problème Si j’étais une montre, j’inverserais le temps Si j’étais le vent, je dirigerais tout le monde vers le paradis Si j’étais le ciel bleu, je serais là plus souvent pour que vous m’observiez Si j’étais les étoiles, je brillerais de mille feux Si j’étais un chat, je serais l’animal le plus mignon du monde Si j’étais une licorne, je ferais rêver tout le monde Si j’étais moi-même, je serais plus heureuse Catégories poésie Tags Si j'étais... Recette de paysage de Camille 6E avec les craies de toutes les couleurs /sur le tableau noir du malheur/ il dessine le visage du bonheur » Jacques Prévert. Prendre un ciel Bleu de préférence Avec quelques oiseaux malicieux Accompagner le tout d’un toit bien garni De tuiles rouges et vertes Ou bien même violettes Avec une fenêtre Ajouter Des enfants mal aimés Mais malheureusement Nous ne pouvons les aider Rajouter des arbres Très solides Mais non plastifiés Avec des feuilles Des fleurs et des fruits Bien mûrs Et cultiver avec de l’amour des gens purs Ensuite fermer la porte Et puis manger les fruits bien mûrs Sans laisser les oiseaux malicieux s’échapper Catégories poésie Tags Prévert, recette Recette pour un poème par Mélyssa. 6E Prenez des vers Jetez-les en l’air Mettez les à cuire Rajoutez-y une pincée de vent Puis des choses hilarantes Rajoutez un fil de rêve Du sens et beaucoup de chance Des choses gracieuses Pour écrire des idées fabuleuses Une plume de pie qui vole et Atterrit dans son nid Pour écrire bien sûr! Puis laissez mijoter Et montez dans les nuages Pour écrire votre nom sur un papillon La Victoire de Magritte. Catégories poésie Tags recette Poème recette de Lucas 6E Prenez d’abord le bureau de la postière N’oubliez pas les stylos, les ciseaux, et les bateaux Allez ensuite au trois rue du tonneau Il s’y trouve une sorcière, demandez lui du boulot Allez ensuite chercher le président qui fait dodo Et n’oubliez pas de prendre un bonbon Haribo. Placez ensuite les ciseaux, les stylos, les bateaux, le boulot, Le président qui fait dodo Surtout n’oubliez pas le bonbon Haribo Placez tout ça dans un pot Ensuite prenez le chaudron de la sorcière qui se trouve sur le traîneau. Et pour finir, placez les ciseaux, les stylos, les bateaux, le boulot, Le président qui fait dodo et le bonbon Haribo dans le chaudron qui était sur le traîneau. Mélangez le tout et vous obtiendrez un OREO! Catégories poésie Tags recette Une feuille, poème de Solène 6D Collage de Matisse. Sur un arbre, il y a des feuilles. La couleur des feuilles Est verte ou orange. Les feuilles s’ennuient dans l’arbre Les feuilles parlent ensemble Le soir, les feuilles dorment. Pourquoi les feuilles ne parlent-elles pas aux humains? Au printemps, les feuilles poussent Et l’hiver les feuilles tombent. Catégories poésie Tags Feuilles le cygne, poème de Jason 6E Comme un navire volant Comme un cœur sans fisssure Comme le roi du lac Le cygne Comme Cupidon Comme un miroir qui reflète l’amour Comme l’oiseau qui a inventé l’amour Catégories poésie Tags Cygne Le cygne, poème de Maël. 6D Le cygne Le cygne bateau, Le reflet de l’eau, Et les cygneaux sur l’eau, Le cygne L’amour en cœur, L’amour sur le fleuve, Le cygne Les plumes blanches, Un coussin vivant, Nuage marchant. Catégories poésie Tags Cygne La colombe, poème d’Aline 6D La colombe survole les mers Tel un messager portant des messages de paix Attrapant les nuages pour en faire des drapeaux blancs Pour les distribuer aux pays en guerre Ça symbolise la liberté C’est un oiseau libre Qui est libre d’aller où il veut Comme le vent Catégories poésie Tags colombe, Magritte J’aime, poème de Lilian, Tiago et Clément 6D. J’aime la panthère noire Parce qu’elle est massive Et qu’elle est juste sublime Parce qu’elle est féroce Parce qu’elle est adorable Parce qu’elle peut nous défendre et qu’elle est furtive Parce qu’elle est rapide Parce qu’elle a des yeux brillants Catégories poésie Tags J'aime, panthère Le chien, poème d’Eva, Carolane, Leonor et Mélanie 6D. Le chien Comme un louveteau Comme l’ennemi du chat Comme un beau chasseur Le chien Comme un garde du corps qui nous protège Comme un altruiste Comme le meilleur ami de l’Homme L’oiseau des quatre éléments, poème de Jeanne 6D Image du film Azur et Asmar » de Michel Ocelot L’oiseau du ciel est libre comme l’air Il vole à grands battements d’ailes Il est comme le vent Oiseau du ciel, libellule à bec. L’oiseau de feu est en cage Gardien de l’enfer et de la tempête Il cause des incendies Il est comme un phœnix Oiseau de feu, foudre incarnée. L’oiseau de l’eau est enfermé dans son océan Océan de joie et de bonheur Où règne cet oiseau de glace Perle d’eau glissant sur ses ailes Il est comme un poisson volant Oiseau de l’eau, plume gelée. L’oiseau du Monde et de l’Univers Il surveille la Terre Nous guide dans nos choix Oiseau du Monde, empereur planétaire. Catégories poésie Tags Oiseau, phoenix J’aime la licorne, poème d’Eva 6D J’aime la licorne Parce que ses couleurs ce sont les couleurs de l’arc-en-ciel Et que cet animal a des ailes magnifiques et des poils d’un blanc éclatant Parce que cet animal fait rêver tout le monde Parce que quand elle est là il y a un arc-en-ciel Parce que c’est un cheval mais imaginaire qui vit seulement dans nos rêves Parce que quand elle prend son envol elle est encore plus adorable Parce que quand la licorne est là le monde entier se transforme Et quand elle part elle rend tout le monde triste La dame à la licorne au musée de Cluny Catégories poésie Tags J'aime, Licorne Haikus d’Hanaïs 6D Une feuille de l’arbre tombée sur le sol humide automne La neige blanche sous mes pieds laisse la trace de la fleur Catégories poésie Tags haiku, saison L’oiseau du bonheur de Maellyce. 6E Quand cet oiseau monte au ciel, la paix revient Cet oiseau de bonté Quand il revient, la tristesse part et laisse place à la joie Cet oiseau de bonheur Quelle beauté cet oiseau ! Quand l’oiseau passe le ciel se dégage. Delion Maellyce 6E Catégories poésie Tags Oiseau Le tigre, poème d’Aline, Solène et Hanaïs. 6D Le tigre Comme un gros chat Comme une vague qui s’élance Comme un éclair qui bondit Le tigre Comme le feu qui s’étend Comme une boule de fourrure Comme l’écho de la montagne La libellule, poème de Loanne. 6D Comme une plume légère décrochée d’un oiseau Comme ses ailes de soie très fragiles Comme le ruissellement de l’eau la libellule Comme un pétale de fleur Comme une fleur arrosée Comme un avion en papier Le chat, poème de Laura, Maël, Jeanne et Baptiste. 6D Le chat Comme une boule de poils, Comme une panthère noire, Comme un équilibriste, Le chat Comme une grenouille sortie de l’eau, Comme un lion miniature, Comme une peluche protectrice, Le chat Comme un lapin attendrissant, Comme un animal sur ressort, Comme un prédateur furtif, Le chat. Les animaux, poème d’Anggun. 6E Il était une fois un lionceau qui s’appelait Jo le rigolo » Il cherchait son ami le renardeau Il rencontra un cruel corbeau Effrayé, il fuyait à tire-larigot Et se cachant dans un ruisseau Trempé jusqu’aux os Il réussit à semer cet oiseau Arrivant près d’un château, Décoré de mille grelots, Il entendit un éléphanteau Qui riait comme un taureau C’était son ami le renardeau Jonglant avec des noix de coco Remplies d’eau Qui faisait son show Catégories poésie Tags jeu de mots, rimes Poème en o » d’Aline. Histoire des ô. C’est l’histoire d’un louveteau Qui avait peur de l’eau Qui rencontra un crapaud Qui allait à Bordeaux C’est l’histoire d’un renardeau Qui était dans un berceau Qui faisait dodo Perché tout là-haut C’est l’histoire d’un agneau Qui avait un lasso Qui attrapait des abricots Dans un château C’est l’histoire d’un blaireau Vêtu d’un chapeau Qui nageait dans l’eau Pour échapper aux renardeaux Catégories poésie Tags jeu de mots, rime Le haiku de Léonor 6D La pluie tombe le jour n’est pas si beau c’est l’hiver ! Catégories poésie Tags haiku, hiver Un autre haiku de Leonor 6D Une fleur tombe pétale à pétale dans le jardin … Catégories poésie Tags haiku L’oiseau, texte de Clara 6E. Les oiseaux noirs » de Georges Braque. L’oiseau Comme leur chant Comme le papillon dans le ciel L’ancêtre des dinosaures L’oiseau Ressemble au ciel Qui est notre joie et notre bonheur C’est le signe de l’amour L’oiseau Clara Poillot 6°E Catégories poésie Tags Magritte, Oiseau Le cheval poème d’Anggun, Justine et Maellyce. Le cheval Comme une danse dans le pré Comme un soleil qui se lève Comme une statue libérée Le cheval Comme des feuilles au vent Comme un ballon roulant Comme un sommeil profond L’oiseau à nuage d’Anggun 6E L’oiseau L’oiseau Comme un papillon Un oiseau qui dégage le mauvais temps L’oiseau fait monter la marée L’oiseau déplie ses ailes Un oiseau qui enlève la tristesse Un oiseau qui met de la joie Dans ses ailes, il y a des nuages colorés Qui nous explosent en plein cœur De Anggun Belliot 6e Catégories poésie Tags Image, Magritte, Oiseau L’oiseau, poème de Jason. 6E L’Oiseau bleu de Magritte Comme l’oiseau de la liberté Comme l’oiseau du temps Comme l’oiseau qui guide le monde L’oiseau Comme le plus bel oiseau du monde Comme l’oiseau qui guide la forêt Comme l’oiseau légendaire Tu es la COLOMBE. Le Tigre. Poème écrit par Arthur, Noa, Jason et Julien 6E Le tigre Comme un zèbre rayé Comme un guépard qui court vite Comme une panthère qui monte aux arbres Le tigre Comme un chasseur hors pair Comme un vent éphémère Comme les yeux du lynx
\n\n \n avion en papier qui vole comme un oiseau
Ilplie le papier avec habileté. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier essai ! Il dépose doucement l’avion sur sa main et se prépare à le lancer. « C’est comme ça qu’un avion en papier vole quand on suit les règles de conception du vol », dit-il, tout sourire. Et d’un coup de poignet leste, l’oiseau blanc s C’est le confinement on s’ennuie, il n’y a rien à faire, alors pourquoi pas fabriquer des avions en papier ? Évidemment, tu sais faire l’avion de base, le tout simple qui ne vole pas loin. Mais voici 10 avions de chasse qui vont canarder ton salon. 1. Le X-Wing Star Wars c’est quand même autre chose que ces vieux avions en papier de la Terre. 2. Le Jet Fighter Car un avion de chasse ça a toujours plus de gueule que le modèle de base. Regarde moi ces ailerons arrière comment ils font plaisir. 3. L'oeil de l'aigle Cet avion en papier est le premier à avoir traversé l’Atlantique en volant. J’ai aucun source prouvant mes dires. 4. L'oiseau Mais un gros oiseau hein, un qui a bien mangé pendant l’hiver qui a piqué toutes les rations à ses potes. 5. The Acrobatic Royal Wing On dirait un oiseau. Mais peut-être est-ce un avion ? Ou alors c’est Superman. On verra bien quand ça sortira au cinéma. 6. L'Hirondelle Bon c’est pas un avion, mais c’est bien galère et ça fait découvrir la faune de ton pays. 7. L'Underside Échauffe-toi bien car c’est un coup à se fouler le poignet si tu vas trop vite. 8. L'OVNI Ici on ressent parfaitement la référence JUL, le plus grand rappeur de ce siècle. On savait que la voix off de la vidéo était une fan. 9. The Fun Acrobatic En vrai, c’est pas sûr que ce machin vole vu la gueule qu’il a. Mais on ne sait jamais, dans le doute ça peut fonctionner. 10. The Wedge Plane En gros, c’est le modèle de base, mais en version beaucoup plus stylée et épurée. Avec ça, tu vas pécho tout le monde dans la cour de récré, les filles les garçons et les profs. Cest un bon origami pour les enfants de 6 ans et plus qui débutent. Comme pour tout origami, il faut s’entraîner plusieurs fois et bien regarder la vidéo. Avec avec un peu d’entraînement, vous pouvez rapidement apprendre à faire cet origami oiseau facile. Matériel : une feuille couleur de papier origami. Tranche d’âge : 6 ans et
Avant de commencer je préfère vous décevoir tout de suite, l’avion en fibres cellulosiques végétales qui vole indéfiniment n’a rien à voir avec le précédent record du monde de lancé d’avion en papier, ni celui d’un avion en papier géant qui a volé à plus de 160 km/h en Arizona, et non il ne s’agit pas non plus de l’avion en papier ci-dessous qui malgré le fait que ce soit un F/A-18 Hornet superbement modélisé ne vole pas…Utiliser une plaque électrique pour faire voler un avionL’idée semble saugrenue, mais en fait pas du tout, en effet dans la nature, les aigles, vautours et autres oiseaux se laissent porter par ce que l’on appelle des courants d’air chaud. Ces ascendances thermiques sont aussi utilisées par les planeurs entre autres le principe est simple, lorsque qu’une masse d’air au contact du sol est suffisamment chaude, sa densité baisse et comme elle devient plus légère s’élève en altitude. Il suffit de placer un objet dans cette thermique et ce dernier s’élèvera aussi. L’air monte en se refroidissant et lorsque l’air autour de cette bulle » devient aussi froid que dedans, il n’est plus possible de exactement cette technique qui est employée, mais avec une petite feinte, puisque l’air est chauffé par des plaques chauffantes, mais comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous, ça marche aussi !Du coup, si cette semaine vous ne savez pas quoi faire… Par contre attention, cette technique marche beaucoup moins bien avec des plaques au gaz, ou alors avec un avion en alu ininflammable !Malheureusement, c’est trop beau pour être vrai, il s’agit d’une supercherie avec un fil de pêche…
21 Tatouage origami avion en papier. 2.1.1 Tatouage bateau; 2.2 Tatouage origami oiseau. 2.2.1 Tatouage oiseau origami canard; 2.2.2 L’origami éléphant en tatouage; 2.2.3 Voyage, voyage; Tatouage origami : une idée vraiment cool. De nombreuses études affirment que l’origami a été inventé par les japonais il y a environ mille ans , mais ses racines pourraient bien se
VIDEOS. Avion en papier comment le faire voler à l'infini... grâce à des plaques de cuisson? INSOLITE - Fabriquer un avion en papier aérodynamique n'est pas si simple. On parle même parfois d'aérogami pour désigner cet art du pliage qui nécessite un matériel adéquat. Si la plupart d'entre nous sont capables d'en confectionner des rudimentaires, ces avions en papier volent malheureusement assez peu longtemps. Il existe pourtant des solutions pour faire voler votre avion en papier à l'infini. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo en haut de cet article, un tutoriel a été mis en ligne le 6 septembre pour expliquer une technique assez évidente, mais à laquelle il fallait penser utiliser l'air chaud généré par des plaques de cuisson. Une méthode à prendre avec des pincettes, des internautes accusant l'auteur de la vidéo d'avoir utilisé un fil en nylon, mais qui paraît plausible d'un point de vue physique même si il faut faire très attention à ne pas déclencher un incendie. Le site Hoaxbuster, qui s'attache à démonter les rumeurs infondées et fausses informations, estime d'ailleurs qu'il s'agit d'un "fake" en se basant sur le fait que l'auteur de la vidéo semblé éteindre les plaques de cuisson. Sur Internet, on retrouve d'autres vidéos présentant des "trucs" différents, celui des ventilateurs par exemple Pour moins de réalisme et beaucoup plus de poésie, redécouvrez aussi le superbe court-métrage "Paperman" et ses avions en papier magiques Papermanpar Spi0n Tousles enfants ont déjà fabriqué un avion en papier surtout en classe, pour le faire voler en plein cours dans le dos de la maîtresse !Parfois, ces petits avions en papier ne volent pas bien loin ou piquent rapidement du nez, et vont s'écraser directement au sol. Voici donc un petit bricolage pour enfants qui en intéressera plus d'un ! Roselyne Fritel Au pays d'ailleurs, pointe sèche sur zinc. Dis-leur… Un oiseau passeéclair de plumesdans le courrier du crépusculeVA VOLE ET DIS-LEURDis-leur que tu viens d'un paysformé dans une poignée de mainun pays simple comme bonjouroù les nuits chantentpour conjurer la peur des lendemainsdis-leurque nous sommes une bouchéerépartie sur sept îlescomme les sept couleurs de la semainemais que jamais ne vientle dimanche de nous-mêmesVA VOLE ET DIS-LEUR Dis-leur que les maréesouvrent la serrure de nos mémoiresque parfois le passé soufflepour attiser nos flammescar un peuple qui oubliene connaît plus la couleur des joursil va comme un aveugle dans la nuit du présentdis-leur que nous passons d'île en îlesur le pont du soleilmais qu'il n'y aura jamais assez de lumièrepour éclairernos mortsdis-leur que nos mots vont de créole en créolesur les épaules de la mermais qu'il n'y aura jamais assez de selpour brûler notre langueVA VOLE ET DIS-LEUR Dis-leur qu'à force d'aimer les hommesnous avons appris à aimer l'arc-en-cielet surtout dis-leurqu'il nous suffit d'avoir un pays à aimerqu'il nous suffit d'avoir des contes à raconterpour ne pas avoir peur de la nuitqu'il nous suffit d'avoir un chant d'oiseaupour ouvrir nos ailes d'hommes libresVA VOLE ET DIS-LEUR… Ernest Pépin in Babil du songer, 1997. Relevé dans l'anthologie Outremer, Trois océans en poésie, © Bruno Doucey, 2011 Notices Roselyne Fritel est née à la Guadeloupe et vit en métropole depuis cinquante ans. Poète, animatrice d'ateliers d'écriture et d'activités de création, elle est depuis toujours une passeuse de poésie ainsi qu'elle sait le faire dans ces pages. Ernest Pépin est né à Lamentin Guadeloupe en 1950. Professeur de lettres, il a aussi occupé diverses responsabilités aux Antilles, telles que directeur des affaires culturelles au Conseil Général de Guadeloupe. Son œuvre est abondante romans, nouvelles, livres pour la jeunesse et six recueils de poèmes parmi lesquels Au verso du silence L'Harmattan, 1984, Babil du songer Ibis Rouge, 1997, Dit de la roche gravée Mémoires d'encrier, 2008. Pour lui, les poètes inventent des cris de funambules / sur le fil des mots » ou lancent dans la ville / Des ailes de papillons / Des avions en papier », écrit-il dans un poème dédié aux poètes d'Haïti, en 2010. Notice des éditions Bruno Doucey PPierre Kobel Ilse faisait balader par un petit garçon. Le jeune enfant s'amusait dans la forêt avec un drôle de jouet. Comme une voiture électrique capable de voler. En réalité, c'était un petit avion. Délicatement, l'enfant prit l'oiseau et le plaça dans l'avion, bec au dehors. Et l'avion décolla. Il allait haut, plus haut encore dans la brume UTILITAIRE DE LA SEMAINE Chaque semaine, nous vous offrons un utilitaire créé à partir de demandes spéciales que nous avons reçues. Éduc-affiche-Beige Ouvrir éduc-affiche - Beige Imprimez et affichez dans votre local. DÉCLENCHEUR ET CAUSERIE Poni découvre et présente – La Galaxie Ouvrir Poni découvre et présente – La Galaxie Imprimez les différentes cartes. Découpez et plastifiez le tout. Avec l’aide de Poni ou d’une autre marionnette connue des enfants, présentez les différents éléments de la Galaxie aux enfants. Ouvrir lune et soleil Imprimez et plastifiez. Assoyez-vous en cercle avec les enfants. Quand vous leur montrez le soleil, tout le monde se lève, danse et bouge et quand vous leur montrez la lune, tout le monde se couche par terre et fait semblant de dormir. Alternez le soleil et la lune, question de vous dégourdir un peu. Ensuite, faites un retour au calme et poursuivez avec votre causerie. Bac thématiquePour vous faciliter la tâche, nous vous proposons des idées de boites thématiques des boites de carton recouvertes d’images, des bacs de recyclage ou des bacs en plastique. Ces boites vous permettront de classer des objets banals qui apporteront de la nouveauté dans vos coins. Utilisez le jeu d’images thématique du club et collez les images sur vos bacs. Voici quelques exemples d’objets à ajouter dans vos boites figurine d’astronaute, casse-tête thématique, station spatiale, lune, lampe de poche, fusée, livres ou images sur les planètes, vaisseau spatial, DVD d’Annie Brocoli Je suis perdue dans l’espace », étoiles, lunes et planètes phosphorescentes, pâte à modeler grise, brune et blanche, boules de ouate, gommettes d'étoiles, tatouages de planètes et d'étoiles, couverture foncée, images plastifiées de planètes dont les contours ont été perforés laçage, rouleaux d’essuietout et papier crépon pour bricoler des fusées, sacs de différentes grosseurs de boules et balles, etc. AMÉNAGEMENT Identification groupe - Les étoiles Ouvrir identification groupe - Les étoiles Imprimez et plastifiez les affiches pour identifier les différentes places des enfants dans votre local ou au vestiaire. Éduca-thème – Les étoiles Ouvrir éduca-thème - Les étoiles Imprimez et plastifiez les différents éléments représentant le thème. Ces images vous permettront de présenter le thème aux enfants et à leurs parents tout en décorant un coin de votre local. Éduca-déco – Les étoiles Ouvrir éduca-déco – Les étoiles Imprimez, découpez et plastifiez. Décorez vos murs pour mettre votre local dans l’ambiance du thème. Guirlande – Les étoiles Ouvrir modèles – Les étoiles Imprimez et laissez les enfants décorer la guirlande. Découpez-la ensuite et suspendez-la dans votre local ou près de l’entrée du service de garde. JEU D’IMAGES Chaque semaine, nous vous proposons un jeu d’images thématique que vous pouvez utiliser comme un jeu de mémoire ou comme déclencheur pour la causerie. Utilisez les images pour décorer votre local ou aménager un coin thématique. Ouvrir jeu d’images – Les étoiles Imprimez, plastifiez et rangez dans un sac Ziploc » ou dans votre bac thématique. FICHES D’ACTIVITÉ Chaque semaine, nous vous suggérons des fiches d’activité. Imprimez et suivez les indications. Ouvrir fiches d’activité-Les étoiles. ACTIVITÉS D’ÉCRITURE Chaque semaine, nous vous suggérons des fiches d’écriture. Imprimez pour chaque enfant ou plastifiez et utilisez avec un stylo effaçable. Ouvrir fiches d’écriture – É comme étoile Papier à lettres – Les étoiles Chaque semaine, nous vous proposons un papier à lettres thématique que vous pouvez utiliser pour communiquer avec les parents, dans votre coin écriture ou même pour identifier vos différents bacs thématiques. Ouvrir papier à lettres – Les étoiles Imprimez. Fiches éduca-nouilles – Les étoiles Ouvrir fiches éduca-nouilles – Les étoiles Imprimez pour chaque enfant. Chaque semaine, nous vous suggérons des fiches éduca-nouilles. Faites-les colorier par les enfants et utilisez des nouilles magiques pour transformer le dessin en 3D. Variante Vous n’avez pas de nouilles magiques? Demandez aux enfants de remplir les espaces prévus pour les nouilles magiques avec des marqueurs de bingo ou des autocollants. Pour commander les nouilles magiques ACTIVITÉS LANGAGIÈRES Étiquettes-motsChaque semaine, nous vous proposons un jeu d’étiquettes-mots que vous pouvez utiliser comme déclencheur pour la causerie, dans votre coin lecture et écriture ou même pour identifier vos différents bacs thématiques. Ouvrir étiquettes-mots - Les étoiles Ouvrir étiquettes-mots géants – Les étoiles étoile, étoile de mer, planète, Soleil, Lune, Terre, ciel, l’espace, constellation, fée des Étoiles, Grande Ourse, météorite. Scène d’une autre planèteOuvrir scène d’une autre planète Imprimez, plastifiez puis découpez. Les enfants utilisent les différentes pièces pour créer des scènes sur le paysage présenté. Éduca-boite aux lettres Ouvrir éduca-boite aux lettres - La lettre R Imprimez et plastifiez les différentes images. Pour réaliser votre boite aux lettres, vous aurez besoin d'une boite à chaussures ou d'un petit bac que vous pourrez décorer à votre guise. Insérez de petits objets, des images, des photos ou des accessoires variés dans la boite. Le nom de chaque item doit débuter par la lettre vedette. Pour vous aider, nous vous proposons des images de différents objets que vous pourrez utiliser. Lors d'une causerie ou d’une période d’attente avant le diner par exemple, demandez aux enfants de piger un item dans la boite et de le nommer. Aidez les enfants à remarquer que le nom de chaque objet commence par la même lettre. Idées de petits objets pour la lettre R radio, radis, raisin, raquette, renard, reptile, réveille-matin, rhinocéros, riz, robe, roche. Histoire ou mémoire - L’espaceOuvrir histoire ou mémoire - L'espace Imprimez, découpez et plastifiez les images suivantes. Retournez les images au sol, les enfants pigent trois images et doivent inventer une histoire en rapport avec les images qu’ils ont pigées. Variante Imprimez deux fois ce document pour en faire un jeu de mémoire. Parle, parle, jase, jaseImprimez et plastifiez les étiquettes-mots. Chaque enfant pige un étiquette-mot. À tour de rôle, ils doivent présenter l'image qu'ils ont pigée ex. une étoile. Faites une causerie sur l'image pigée. Posez-leur des questions. Histoire imagée - Le soleil est dans la lune Ouvrir histoire imagée - Le soleil est dans la lune Imprimez. Assoyez-vous en cercle avec les enfants. Commencez la lecture de l'histoire imagée. Chaque fois que vous rencontrez une image, indiquez-la du doigt. Les enfants doivent deviner le mot manquant qui est représenté par l'image. Suivez les aventures des Bongabongs. Histoire de séquence - Le jour et la nuit Ouvrir histoire séquence - Le jour et la nuit Imprimez. Demandez aux enfants de replacer les images dans l'ordre. Une semaine interplanétaire Ouvrir système solaire Imprimez. Le village Solaire Dans un village nommé Solaire, très haut dans le ciel, vit une vieille dame qui s’appelle Voie Lactée avec son fils, monsieur Soleil et ses neuf petits planètons. Tous ont une forme ronde et colorée. Leur jeu préféré est de tourner autour de leur papa, monsieur Soleil. Pas très grand, mais très rapide, Mercure, le plus vieux, aime rester près de son père pour se réchauffer. Il adore se faire bercer dans les bras de sa grand-mère, Voie Lactée. Vénus, elle, la deuxième de la famille, est très belle. On dit qu’elle ressemble à un joyau brillant rempli d’or pur. Elle est explosive comme un volcan, mais très chaleureuse. Elle a souvent la tête dans les nuages et fait les choses à l’envers des autres. La troisième des planètons s’appelle Terre. De nature équilibrée et robuste, elle est le chouchou de son papa, monsieur Soleil. Terre apprécie la vie et profite des bons moments pour s’amuser avec son amie Lune qui cherche toujours à la protéger. Elle est d’un bleu magnifique, comme les yeux de Voie Lactée. Plus petit que Vénus et Terre, mais plus grand que Mercure, Mars est le quatrième planètons de sa famille. Toujours rouge de colère, Mars n’aime pas beaucoup jouer avec les autres. Il préfère être seul. Jupiter est le plus gros de tous les planètons. Il aime beaucoup se rouler dans la poussière avec ses amis. C’est pourquoi il est toujours rayé de blanc et de brun. Saturne, le sixième de sa famille est d’une très grande beauté avec ses anneaux jaunes lumineux. Très chaleureux, il aime être entouré de beaucoup d’amis. Uranus, le septième de sa famille, est handicapé suite à un accident dans son village Solaire. Il tourne autour de son papa avec l’aide de son ami Vent. Son corps est recouvert de bleu vert, ce qui lui donne un petit air attendrissant. Malgré sa grande énergie, Neptune, l’avant-dernier planèton, est capable de rester discret et calme. Il adore jouer à se changer rapidement et souvent. Sa couleur préférée est le bleu pâle. Le dernier de sa famille, Pluton, est le plus petit et le plus fragile des planètons. Pluton avait toujours très froid. Monsieur Soleil l’envoya vivre chez sa grand-mère, Voie Lactée, pour se faire cajoler et pour qu’il reprenne des forces. Monsieur Soleil, madame Voie Lactée et les neuf planètons ont besoin d’aide. Ils veulent rendre visite à leurs cousins Galaxiens qu’ils n’ont jamais vus. Mais, comment peuvent-ils y aller? As-tu une idée? À quoi ressemblent-ils, ces Galaxiens? Pendant la semaine, peux-tu aider les planètons pour leur expédition chez les Galaxiens? __________________________________________________ LUNDI Histoire Racontez l’histoire du village Solaire aux enfants et aidez-les à trouver des solutions aux questions que se posent la famille de planètons. Causerie Combien y a-t-il de planètons au village Solaire? Quels sont les noms des planètons?Est-ce qu’ils ont des amis?Ont-ils des couleurs différentes? Sont-ils tous de la même grosseur? Qui est le plus gros et qui est le plus petit?Comment peut-on aider monsieur Soleil et madame Voie Lactée à réaliser leur expédition? Bricolage Fabriquez un vaisseau géant collectif avec des blocs de construction ou des pots vides de yogourt ou de Minigo ou encore de petites compotes, etc. Il ne faut pas oublier que les planètons sont de forme ronde. __________________________________________________ MARDI Causerie Parlez des planètes du village Solaire. À quoi ressemble chaque planèton? De quelle couleur sont les planètons? Sont-ils tous de la même grosseur?Comment est le papa, monsieur Soleil? etc. Si possible, trouvez des images de chacune des planètes. Bricolage Modelons le village Solaire avec de la pâte à modeler. Activité Volez petits planètons Gonflez des ballons et faites semblant que ce sont des planètons. Les enfants les lancent dans les airs au son de la musique d’Annie Brocoli Dans l’espace ». __________________________________________________ MERCREDI Causerie Quel moyen les planètons ont-ils choisi pour se rendre chez les Galaxiens?Les enfants ont trouvé! Un vaisseau qui flotte? Ou une fusée très rapide? Ou un avion très spécial qui vole comme un oiseau? Demandez aux enfants de vous décrire leurs idées, chacun leur tour. Bricolage Moyen de transport des planètons Mettez sur la table de la colle, des crayons de couleur, des bouts de papier de couleur, de la laine ou de la ficelle, des boutons, de grosses paillettes, des verres en forme de cône, du papier construction, des bouts de papier de soie, de petits pompons de toutes les couleurs, etc.. Offrez toutes sortes d’objets de récupération ex. pots de yogourt, pots de Minigo, petits pots de compote, restant de ruban pour cadeaux brillant, rouleaux de papier hygiénique, rouleaux d’essuietout, contenants de lait vides, boites de croustilles Lay’s vides, etc..Attention avec les petits objets pour les plus petits!Les enfants peuvent laisser aller leur imagination et créer le moyen de transport des planètons. Activité Les enfants s’amusent à faire voler leur création. S’il fait beau, pourquoi ne pas aller la faire voler dehors?Habillez-vous et go!Allez courir sur le gazon avec votre grande invention. __________________________________________________ JEUDI Causerie Je me demande à quoi peuvent bien ressembler ces ronds, carrés, triangulaires, etc.? Profitez-en pour parler des formes avec les brillants comme des étoiles?Peut-être que les Galaxiens ont tous des formes différentes… Bricolage Mon GalaxienDonnez aux enfants plusieurs formes en papier et une feuille de papier construction et demandez-leur d’inventer un Galaxien en y collant des formes. Les plus vieux pourront découper les formes eux-mêmes. Si vous n’avez pas d’images de formes, regardez dans la thématique Les formes » sur educatout, vous en trouverez. Ensuite, les enfants peuvent colorier leur Galaxien et même y ajouter des brillants. Activité Je suis un Galaxien Les enfants deviennent des Galaxiens. Je roule comme un Galaxien, je marche comme un Galaxien, je danse comme un Galaxien, je fais semblant de manger comme un Galaxien, etc. Laissez aller l’imagination des enfants. Tous les Galaxiens peuvent avoir une façon différente de bouger. À tour de rôle, les enfants vous montrent comment on doit marcher, rouler, danser, faire semblant de manger, etc. __________________________________________________ VENDREDI Causerie Demandez aux enfants s’ils ont aimé connaitre les planètons. Apprenez aux enfants que nous habitons sur un de ces planètons, la Terre. Nous faisons partie de ce grand village Solaire. Activité Admirons notre Terre Sortez dehors et montrez aux enfants que sur Terre, il y a nous, les humains, des animaux, des arbres, des fleurs, du gazon, de la neige, de la glace, etc., et parfois, de gros nuages remplis d’eau. __________________________________________________ LE COIN DES ATELIERS – Les étoiles Coin construction blocs On peut ajouter un revêtement de sol directement sorti de l’espace morceau de toile solaire ou un matelas de camping ou simplement recouvrir notre tapis d’autos de papier d’aluminium. On peut recouvrir nos blocs en bois de papier d’aluminium. On peut ajouter des boules de styromousse pour permettre des constructions spatiales ». Coin arts/dessins Du papier d’aluminium et d’autres papiers métallisés. Des boules de styromousse et des cure-pipes pour créer un système solaire. Des crayons argent, or ou bronze ou des crayons en gel pour dessiner sur du papier aux couleurs foncées. Quelques dessins à colorier sur l’espace. Pochoirs de fusée, de navette, de planètes et d’étoiles. Des brillants, de la colle brillante, bref tout ce qui peut vous faire penser à l’espace! Coin jeux de rôle C’est le temps de sortir les costumes les plus farfelus et de créer des personnages de l’espace en n’oubliant pas de prendre des photos! Pourquoi ne pas recouvrir notre cuisinière avec du papier d’emballage à bulles pour en faire une cuisinière de l’espace? Coin manipulation Jeu de mémoire sur l’espace. Il est facile de trouver toutes sortes d’images sur Internet ou avec les images sur Pâte à modeler bleue, blanche et grise, et pourquoi ne pas y ajouter des brillants. Les enfants adoreront voir leurs créations briller! Un casse-tête thématique, un bac de billes aux couleurs de l’espace pour créer des bracelets multifonctions ou des colliers antimartiens ». Des planètes en carton plastifiées avec des trous tout autour pour enfiler et apprendre à lacer. Coin lecture/relaxationDes livres sur les planètes, l’espace et les moyens de transport. On peut installer un morceau de tulle au-dessus de notre coin et mettre des étoiles confettis dessus ou y ajouter des étoiles phosphorescentes. On peut décorer notre coin lecture avec des lumières genre lumières de Noël pour représenter des étoiles qui scintillent. Coin musique/motricitéBoite à chansons avec différentes chansons sur l’espace. Des balles de toutes les grosseurs planètes à lancer dans un panier ou un autre récipient décoré comme une fusée. Coin bacs sensorielsBac de brillants petit bac peu profond. Bac de sable avec des brillants ajoutés dedans. Coin science Activités chaud/froid pour parler du changement dans les températures et des différences de températures sur les planètes. Activités avec et sans oxygène ex. le feu qui s’éteint sans oxygène. ACTIVITÉS DE ROUTINE ET TRANSITION C’est ma place – Les étoilesOuvrir jeux de transition – Les étoiles Imprimez 2 copies de chaque image. Fixez une copie de chaque image sur la table avec du Mac-Tac. Mettez l’autre copie dans un sac et, à tour de rôle, demandez aux enfants de piger une image qui déterminera la place qu’ils prendront à la table pour la journée. Vous pouvez aussi utiliser ces images pour les places de sieste ou les places dans le train. Mon chemin d’étoiles Ouvrir jeux de transition - Les étoiles Imprimez, plastifiez et fixez les images au sol pour créer un trajet menant aux différents endroits à l’intérieur de votre local. Le chemin peut se diriger vers les endroits les plus fréquentés par les enfants comme la salle de bain, le vestiaire, etc. ou encore délimiter les différents ateliers. ACTIVITÉS PHYSIQUES ET MOTRICES Étoiles à enfiler Ouvrir étoiles à enfiler Imprimez, plastifiez et perforez des trous tout autour des modèles. Les enfants peuvent utiliser une corde, un lacet ou un ruban pour les enfiler. Cachecache de nuit Fermez les rideaux et organisez une partie de cachecache dans votre local. L'enfant qui compte tient une lampe de poche. Les autres enfants doivent se cacher dans le local. Au signal, le chercheur allume sa lampe de poche et l’utilise pour trouver les autres. Lorsque tous les enfants ont été trouvés, invitez un autre enfant à devenir le chercheur. Lever et coucher Ouvrir la nuit ou le jour Imprimez et mettez le soleil et la lune dans une fiche de plastique transparente mica. Quand vous montrez l’image du soleil aux enfants, tout le monde danse et bouge. Quand vous leur montrez la lune, tout le monde se couche par terre et ainsi de suite. Alternez les images pour faire bouger les enfants. Sautons sur les planètesImprimez les différentes planètes Ouvrir les planètes. Plastifiez-les et fixez-les au plancher. Faites jouer de la musique. Quand vous arrêtez la musique, les enfants doivent s’assoir sur une planète variante de la chaise musicale. La gravité de l’espaceDonnez un ballon gonflé à chaque enfant. Les enfants dessinent un visage d’astronaute sur leur ballon. Laissez les enfants faire voler leur ballon dans les airs, comme un astronaute. Expliquez aux enfants le concept de la gravité dans l'espace. Une marche sur la luneCréez un parcours avec des cerceaux, des chaises, etc. Montrez aux enfants comment on se déplace sur la Lune. Ils doivent effectuer le parcours en se déplaçant en effet d’apesanteur. Attention les enfants ne doivent pas oublier qu’ils ne sont plus des enfants, ils sont devenus des astronautes! Une pluie d’étoilesFaites tout plein de boulettes avec du papier recyclé. Les enfants créent une pluie d’étoiles en les lançant partout dans le service de garde. ACTIVITÉS COGNITIVES Éduc-tracé - Les étoiles Ouvrir éduc-tracé - Les étoiles Imprimez pour chaque enfant. Les enfants doivent suivre le tracé en utilisant le crayon de la bonne couleur et ensuite colorier l’objet relié de la même couleur que le tracé. Éduca-symétrie - Les étoiles Ouvrir éduca-symétrie - Les étoiles Imprimez. Les enfants doivent colorier le dessin du bas à colorier en reproduisant exactement celui du haut en couleurs. Éduc-paires – Les étoiles Ouvrir éduc-paires – Les étoiles Imprimez. Les enfants doivent relier les images identiques ou encore les colorier de la même couleur. Pour une utilisation durable et écologique, plastifiez la feuille et utilisez des crayons. Éduc-intrus - Les étoiles Ouvrir éduc-intrus - Les étoiles Imprimez et plastifiez la fiche. Les enfants doivent trouver les 6 intrus dans l’image. Dessin à numéros – Les étoiles Ouvrir dessin à numéros – Les étoiles Imprimez pour chaque enfant. Les enfants doivent ajouter la couleur en suivant le code de couleurs. ACTIVITÉS SOCIOAFFECTIVES ET MORALES Observation d’étoiles Demandez aux parents d’observer un ciel étoilé avec leur enfant et de dessiner ce qu’ils ont vu ensemble par la suite. Maison surpriseAchetez de petites étoiles et des lunes phosphorescentes. Collez-les en dessous de la table. Mettez une couverture par-dessus la table pour représenter une petite maison et pour cacher la lumière. Un à un, les enfants vont en dessous de la table et trouvent la surprise. Faites la même chose, mais cette fois, collez des images de planètes qui ne s’illuminent pas. Laissez les enfants aller voir en dessous de la table avec une lampe de poche et, encore une fois, trouver la surprise. ACTIVITÉS SCIENTIFIQUES ET DE MANIPULATION La constellationÉteignez toutes les lumières de votre local. Laissez les enfants se promener avec une lampe de poche. Sur le mur, ils feront des étoiles avec la lumière. ACTIVITÉS CULINAIRES L’aliment de la semaine La carambole Ouvrir éduc-affiche - La carambole Imprimez et plastifiez les différentes affiches pour présenter l’aliment de la semaine aux enfants. Ces affiches permettront aux enfants de découvrir différents aliments de tous les jours sous différentes formes. Affichez- les près de la table où les enfants mangent ou dans votre coin cuisine. Une carambole à déguster Apportez une carambole au service de garde pour permettre aux enfants de la déguster. Montrez aux enfants la forme de la carambole lorsqu’elle est coupée. De jour et de nuit Avec des emporte-pièces, taillez des tranches de pain en forme d'étoile, de lune et de nuage. Faites la même opération avec des tranches de fromage. Comme collation, donnez les différentes formes à associer aux enfants. Ils pourront les déguster lorsqu'ils auront réussi à les associer. Eau de LuneInventez une petite histoire pour les enfants et servez-leur de l’eau de Lune. Vous pouvez dire simplement que vous avez un ami astronaute qui est allé sur la Lune et qu’il vous a donné la recette pour fabriquer de l’eau de Lune. Vous aurez besoin d’un pichet d’eau et de quartiers de citron. Brassez le tout et dégustez lors de la collation. Étoile ou lune bananeDonnez une banane à chaque enfant pour la collation. Gardez les pelures pour que les enfants puissent les utiliser pour faire des lunes ou des étoiles. Une collation spatialeFaites une dégustation de différents petits fruits séchés. Expliquez aux enfants que les astronautes ne mangent pas comme nous; les aliments qu’ils apportent dans l’espace doivent être très légers. ACTIVITÉS D’ARTS PLASTIQUES Marionnettes – Les étoiles Ouvrir marionnettes – Les étoiles Imprimez les différents modèles de marionnettes sur des cartons. Demandez aux enfants de les découper et de les décorer avec différents éléments de bricolage. Fixez les images sur des bâtons de bois style Popsicle pour faire des marionnettes. Modèles - Les étoiles Ouvrir modèles - Les étoiles Imprimez les différents modèles et utilisez-les selon vos besoins pour vos diverses activités et créations tout au long du thème. J’apprends à découper – Une étoile Ouvrir J’apprends à découper - Une étoile Imprimez sur du papier ou du carton. Invitez les enfants à découper les formes proposées en suivant les lignes et les pointillés. Le cielSur une grande feuille, faites une œuvre collective. Peinturez le système solaire Soleil, Lune, étoiles, planètes. Collez votre œuvre au plafond, à l’endroit où les enfants s’installent pour la sieste ou la période de repos. Magie des étoiles Demandez aux enfants de dessiner des étoiles avec un crayon blanc sur une feuille blanche en pesant très fort sur leur crayon. Par la suite, utilisez de la peinture à l'eau bleue ou noire pour peinturer par-dessus les étoiles... pour les faire ressortir et apparaitre, comme par magie. Je brille dans le noir Procurez-vous de la peinture qui brille dans le noir et demandez aux enfants de dessiner un ciel de nuit sur un papier noir ou un papier de couleur foncée. Lorsque les œuvres sont sèches, observez-les dans l'obscurité. Étoiles scintillantes Ouvrir modèles d'étoiles Imprimez plusieurs modèles pour offrir un choix aux enfants. Demandez-leur de découper leur étoile et d'ajouter des brillants avec de la colle blanche. La galaxiePeinturez des planètes sur des boules de styromousse et suspendez-les au plafond. Constellation collectiveCollez un grand carton bleu foncé sur une planche. Tous ensemble, collez des planètes, des étoiles ou de la ouate pour représenter des nuages. Utilisez des boules de styromousse de grandeurs différentes coupées en deux, de la gouache, des images d’étoiles, de planètes, etc. Une étoile scintillanteFaites découper une forme d’étoile aux enfants et demandez-leur de la recouvrir de papier d’aluminium. Suspendez les étoiles des enfants partout dans votre local. Ma fuséeLes enfants créent leur propre fusée pour voler dans l’espace. Fabriquez une fusée à partir de rouleaux de papier hygiénique. Recouvrez-la de papier d’aluminium ou de papier métallique de différentes couleurs. Utilisez du carton orange pour symboliser les flammes à la base de la fusée. TélescopeFabriquez un télescope avec un rouleau d’essuietout ou de papier d’emballage. Offrez différents matériaux pour permettre aux enfants de le décorer. Collez des étoiles un peu partout dans le local et regardez-les à l’aide de votre télescope. BANQUE D’IMAGES À DESSINER J'apprends à dessiner Ouvrir J’apprends à dessiner – Une étoile Imprimez et plastifiez la feuille modèle. Invitez les enfants à pratiquer leur technique de dessin sur la feuille modèle pour ensuite les laisser créer leur propre dessin. Images à colorier Ouvrir images à colorier – Les étoiles Imprimez pour chaque enfant. CHANSONS ET COMPTINES Suivez les nouvelles comptines de Poni imprimables en lien avec les activités thématiques chaque semaine. Comptine de Poni – Une étoile Téléchargez la bande sonore MP3 - Exclusivement pour les membres du club educatout Ouvrir comptine de Poni – Une étoile Imprimez. Paroles Denis Archambault Une étoile Une étoile dans le ciel Qui brille après minuit Dit salut Monsieur Soleil Et bonjour Madame la Nuit. Si tu aimes le soleil Ouvrir-Si tu aimes le soleil tu aimes le soleil frappe des mains bisSi tu aimes le soleil, si tu aimes le soleil, si tu aimes le soleilFrappe des mainsSi tu aimes le soleil frappe des pieds bisSi tu aimes le soleil, si tu aimes le soleil, si tu aimes le soleilFrappe des piedsSi tu aimes le soleil crie HOURRA ! bisSi tu aimes le soleil, si tu aimes le soleil, si tu aimes le soleil Crie HOURRA!

avionquel papier. La chandeleur 2019 se fêtera comme chaque année le 02 février 2019. La date est calculée par rapport à Noël. Très populaire en France c'est l'occasion de manger des crêpes en famille et de se réunir pour fabriquer des avions en papier.. actuellement il est temps avec cet objet nous russirons a savoir la culture de comment structurer un total étude avion en papier

Vastes villes étalées à l'horizon, cartes du monde colorées ou avions en papier, ces 20 tatouages devraient inspirer les amoureux du voyage ! Les vacances sont terminées, mais les meilleurs moments restent gravés pour la vie ! Que faire de son expérience de voyage et de ses souvenirs ? Comment garder à jamais une trace de son périple et de ses découvertes ? Pour de nombreux globe-trotters, le tatouage représente un moyen privilégié et amusant d'exprimer sa passion pour le voyage, ou simplement de garder sur la peau un souvenir de sa destination préférée. Discrets ou encombrants, graphiques ou abstraits, voici un petit tour du monde des tatouages inspirants, de quoi réveiller l'aventurier qui sommeille en chacun de nous ! Un compas Crédit photo Instagram / Jaquara Tatuador Un compas et une petite flèche, pour piquer l'esprit d'aventure ! Réalisé au Brésil par le salon Jaguara Tatuado. Des coordonnées Crédit photo Instagram / Joel Jalayahay Si elles revêtent une signification particulière, les coordonnées peuvent constituer le tatouage parfait ! Ici, un groupe de 6 amis qui se sont fait tatouer les coordonnées de leur lieu de rencontre par l'artiste Joel Jalayahay, à Hollywood en Californie. Une carte du monde colorée Crédit photo Instagram / Luiza Oliveira Il y a les mappemondes à gratter, et aussi cette jolie carte du monde fleurie et colorée réalisée par l'artiste Luiza Oliveira, du Blackbird Atelier, au Brésil. Une carte minimaliste et un avion en papier Crédit photo Instagram / Guy Shoval Un avion qui vole et ajoute un peu de mouvement... Un tatouage inspiré et inspirant, réalisé par le tatoueur Guy Shoval, à Tel-Aviv, Israël. Des tampons de passeport Crédit photo Instagram / Iris Tattoo Studio Un bon moyen de garder une trace de tous les pays visités. Un tatouage créatif proposé en Argentine, à Buenos Aires par le Iris Tattoo Studio. Ca donne envie de faire ses bagages... La ville de Londres étalée à l'horizon... Crédit photo Instagram / Jaguara Tatuador La ville de Londres à l'horizon, réalisé au Jaguara Tatuador, au Brésil ! New York... Crédit photo Instagram / Jay Shin Tattoo La ville de New York en 3 panneaux... Une attention minutieuse est prêtée au moindre détail par l'artiste Jay Shin. ...ou Bologne, en Italie. Crédit photo Instagram / Marilo Illustration Dessiné façon croquis d'architecte, ce tatouage des Tours de Bologne par Marilo Illustration fait penser à une carte postale. Un plat local Crédit photo Instagram / Clara McMurphy Une petite envie de paella ? Cet appétissant tatouage culinaire a été réalisé par l'artiste Clara McMurphy à Madrid, en Espagne. Un simple avion Crédit photo Instagram / Albie Bencosme Rester simple ! Un petit avion signé Albie Bencosme... Un avion détaillé Crédit photo Instagram / Once In A Blue Moon Tattoo Pour se démarquer, on peut tenter l'avion coloré sur le bras ! Par l'artiste Kerry Brown. Un avion old-school Crédit photo Instagram / Jay Shin Tattoo Un avion au charme old-school assumé, par l'artiste Jay Shin. Un dessin délicat, avec un petit espace pour ajouter les noms des aéroports qu'on a traversé ! Un globe Crédit photo Instagram / Aleisha Marie Tattoo Un petit globe réalisé par Aleisha Marie à Perth, en Australie. Des oiseaux Crédit photo Instagram / Marilo Illustration Des oiseaux signés Marilo Illustration qui donnent envie de prendre son envol ! Un avion en papier Crédit photo Instagram / Luiza Oliveira Ce charmant avion de papier a été réalisé au BlackBird Atelier par l'artiste brésilienne Luiza Oliveira. Un tatouage qui rappelle la maison... Crédit photo Instagram / Evan Kim À force d'être tout le temps sur la route, on peut choisir de garder plutôt un souvenir de son foyer ! À New York, on peut se faire tatouer sa région ou son pays d'origine chez Evan Kim, afin de les garder près du coeur pour toujours, comme ici l'état américain du Texas. Une balancoire fantaisie Crédit photo Instagram / Jay Shin Tattoo Des ballons baudruche Crédit photo Instagram / Joanne Baker Une scène signée Joanne Baker, artiste tatoueur à Edinburgh, en Angleterre. Un hommage à la région turque de la Cappadoce et ses célèbres montgolfières ! Un paysage ou un panorama préféré Crédit photo Instagram / Marilo Illustration Pour immortaliser un paysage qui nous a marqué ! Une citation inspirante Crédit photo Instagram / Evan Kim "Brille comme si l'Univers était à toi". Un tatouage inspirant de l'artiste new-yorkais Evan Kim.
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